UNE SESSION DES ÉTATS DE LANGUEDOC
 EN 1761

Extrait d'un Mémoire de Charles Tourtoulon (1836-1913),

lu à l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier le 29 novembre 1869.
édition de 1872, pages 5 à 21.


Assemblée Générale des États de Languedoc (Hôtel de ville de Montpellier)


Ce n'est point sans appréhension que j'ai abordé l'étude de nos États provinciaux, dont le souvenir est resté si populaire dans le Midi.
D'autres ont, vanté cette institution, montré sa grandeur, exalté ses services ; il était probable qu'un nouvel historien n'aurait guère qu'a en dévoiler les faiblesses, J'avais donc quelque raison de craindre qu'on ne m'accusât d'appartenir à cette école qui, sous prétexte de critique, a entrepris de rapetisser ce qui a été proclamé grand, de ternir ce qui brille, de faire douter du génie, du dévouement, de la gloire. Mais je me suis rassuré en pensant que, lorsqu'Il s'agissait de certitude et non de doute, il n'y avait point de droit contre le droit de la vérité ; que la tolérance, admissible pour des faits isolés et sans conséquence, serait coupable lorsqu'il s'agit d'hommes ou d'institutions que l'histoire a le devoir de juger, et auxquels elle a le droit de demander des enseignements.
Il faut oser regarder les grandes choses par leurs petits côtés, et ne pas accepter sans contrôle une admiration traditionnelle qui finit toujours par éveiller la méfiance et produire d'injustes réactions.
Il m'a donc semblé qu'il serait utile de rechercher si les États de Languedoc eurent conscience de leur mission ; si, dominés par des idées trop puissantes de leur temps, ils ne se tirent point les serviteurs aveugles du pouvoir, oubliant, ou plutôt ignorant qu'ils existaient en vertu d'un droit supérieur à celui de la royauté.
Par quels ressorts cachés ou apparents l'influence de la Cour se fit-elle sentir dans leurs délibérations ? Quelle liberté fut-il laissé à la manifestation des opinions individuelles ? Enfin, quelle lumière l'histoire intime des États jette-t-elle sur leur histoire officielle ?
Je ne prétends pas éclaircir tous ces points, mais seulement apporter pour aujourd'hui quelques indications dont il faut se garder de tirer des conclusions trop générales. Je n'ai encore étudié en détail qu'une session des États de Languedoc, qui se rapporte à la période de leur histoire la plus rapprochée de nous, c'est-à-dire - il ne faut pas l'oublier - à la période de leur décadence.
J'ai choisi l'année 1761, non qu'elle offrit rien de particulièrement intéressant, mais uniquement parce que le hasard a fait tomber dans mes mains une lettre écrite par un des députés du tiers-état à cette session. Ce document ne nous donne ni récit circonstanciés, ni jugement raisonné des travaux des États ; mais il peint d'une façon piquante la physionomie de la solennelle assemblée et celle de quelques hauts personnages de la province.
L'auteur de cette lettre est Sylvestre-Jean-Jacques-Hilaire Daudé de Tardieu de La Barthe, seigneur de Séjas, ancien aide de camp du comte d'Eu et député de la ville de Marvéjols aux États de 1761. (1)
 
(1) NDLR : Sylvestre-Jean-Jacques-Hilaire Daudé de Tardieu de La Barthe, né en 1721 à Marvejols et décédé en 1801. Il publiera des textes sur la bête du Gévaudan en se moquant de la crédulité de ses contemporains. Avec une approche scientifique, il fera des plantations expérimentales sur le terrain, pour créer des prairies artificielles. Il sera passionné par les inventions nouvelles : électricité, astronomie, médecine, aérostats...
 
J'ai dépouillé, avec soin les procès-verbaux de la session, et lorsque j'aurai, à l'aide de ces documents officiels, tracé les grandes lignes du tableau, les coups de pinceau du député de Marvéjols achèveront de l'éclairer et de l'animer.
 
I
 
On était à la période la plus douloureuse de la guerre de Sept ans. La France, battue, amoindrie au dehors ; écrasée d'impôts, épuisée au dedans, venait de subir, pour dernière humiliation, les refus outrageants de l'Angleterre à des propositions plus que modérées. Le Languedoc était une des provinces les plus imposées. Depuis plusieurs armées les récoltes y étaient mauvaises ; d'ailleurs, l'abondance même y devenait parfois désastreuse, car les grains se vendaient alors à si bas prix, grâce aux lois qui en prohibaient l'exportation, que le paysan trouvait à peine dans cette culture de quoi suffire à sa subsistance.

                     
Jeton Etats de Languedoc 1761

C'est au milieu de cette misère que, le jeudi 22 octobre 1761, les États de la province furent ouverts par le duc de Fitz-James, pair de France, lieutenant-général, gouverneur du haut et bas-Limousin et commandant en chef en Languedoc sous le comte d'Eu, Gouverneur de la province, qu'on n'y avait jamais vu. (1)

 
(1) Les commissaires présidents pour le roi aux Etats de 1761 étaient le duc de Fitz-James, le vicomte Saint-Priest, intendant de la province, el MM. Guy de Villeneuve et Magnol, trésoriers de France.
 
Le commandant en chef du Languedoc était, d'après l'auteur de la lettre dont j'ai parlé, « un bel homme, maigre et fluet, plein de douceur et de politesse. Il jouait à peu prés le même rôle que M. de Mirepoix après le maréchal de Richelieu, excepté peut-être que son abord était plus aisé et que plusieurs personnes assuraient l'avoir vu rire »
Après la lecture des lettres closes du roi et des commissions qui les accompagnaient, le duc de Fitz-James prononça un discours qui fut suivi d'une allocution du vicomte de Saint-Priest, intendant de la province, et d'une réponse de Monseigneur de Dillon, archevêque de Toulouse, présidant les États en l'absence de l'archevêque de Narbonne. Le procès-verbal se borne à mentionner ces discours sans en donner même le résumé. Nous apprenons par la lettre du député de Marvejols que « M. l'intendant parla avec force de la misère du peuple, arracha des larmes, et conclut de sang-froid qu'il fallait se dépouiller ; que le discours de M. l'archevêque de Toulouse fut, d'après M. de Montesquieu, un traité complet des différentes espèces de gouvernement et une préférence outrée du monarchique. Il rappela la mémoire du maréchal de Thomond, et finit par exhorter les États à faire les plus grands efforts.»
Ces efforts, quel devait en être le but ? Accorder au roi les sommes qu'il demandait, et par conséquent imposer de nouvelles charges à la province. C'était là le dépouillement que, de son coté, conseillait l'intendant de Saint-Priest ; mais, du moins, l'intendant était dans son rôle de représentant du pouvoir royal, tandis que Monseigneur de Dillon semblait oublier quelque peu ses devoirs d'organe officiel des populations du Languedoc.
Les six premiers jours furent employés, suivant l'usage, à des cérémonies religieuses, à une rapide vérification des pouvoirs, à un échange de visites entre les États et les principaux personnages de la province, à la lecture des instructions du roi à ses commissaires. Le septième jour les commissions furent nommées et la partie sérieuse de la session commença.
Chacune des commissions avait à sa tête un prélat qui en était à la fois le président et le rapporteur ; mais tandis que l'archevêque de Narbonne, président-né des États, était, en cas d'absence, remplacé par un autre archevêque, c'était un baron qui suppléait d'ordinaire l'évêque président et rapporteur d'une commission. Ce cas se présentait d'ailleurs rarement ; nous le remarquons une seule fois durant la session qui nous occupe.
A l'exception des syndics généraux, qui, en vertu de leur charge, doivent soumettre certaines questions d'administration intérieure de la province à la délibération de l'Assemblée, personne ne prend la parole dans les séances générales, si ce n'est un membre du haut clergé ou exceptionnellement un baron. Après chaque rapport, le procès-verbal, qui n'a gardé la trace ni d'une discussion, ni même d'une simple observation, répète, avec une régularité désespérante, la formule : « ce qui a été délibéré conformément à l'avis des commissaires ».
Ce mutisme de la plus grande partie de l'Assemblée n'est ni qu'apparent, et résulterait-il seulement de la rédaction des procès-verbaux, qui cependant consignent avec le plus grand soin des détails d'une bien moindre importance ? Cette supposition pourrait être admise à la rigueur, si nous n'avions, d'un côté, l'affirmation de l'un des acteurs de cette « comédie , suivant l'expression énergique du document que nous donnons plus bas ; de l'autre, le témoignage d'un écrit publié en 1789, et dont l'auteur parle en ces termes de nos assemblées provinciales : « Le tiers-état est absolument muet. Le seul capitoul de Toulouse a le droit de prononcer une harangue le jour même de l'ouverture; mais c'est une vaine formalité, et ce capitoul, qui parle au nom du tiers-état, est déjà noble par sa place. » (1)
 
(1) Adresse au peuple Languedocien, par un citoyen du Languedoc, 1789, in 8°
 
Il ne parait pas qu'en 1761 le capitoul de Toulouse, député aux États, ait usé de son droit de harangue.
Ainsi, un archevêque président, des évêques et très-exceptionnellement des barons présidents ou rapporteurs des commissions, des officiers du roi parlant au nom de leur maitre, et des syndics généraux rendant compte de l'exécution des mesures votées par les assemblées précédentes : tels étaient à peu prés les seuls orateurs des séances générales.
Nous ne savons pas, il est vrai, ce qui se passait dans les commissions ; mais ; à les voir conclure constamment dans le sens des demandes royales, à voir une conformité absolue entre leurs votes et ceux de l'Assemblée générale, on a tout lieu de croire que le haut clergé les dirigeait aussi et que d'Argenson ne se trompait pas lorsqu'il écrivait: « Le Languedoc est la seule province de France où les évêques soient restés maitres des affaires temporelles et politiques. » (1)
 
(1) Mémoire d'Argenson, tome V, page 373.
 
Par les évêques, c'était le pouvoir central qui dirigeait les délibérations des États ; car les prélats-courtisans de cette époque tournaient plus volontiers les regards vers le côté d'ou venaient les faveurs royales, que vers les régions inférieures d'où partaient les plaintes du peuple. Dans leurs idées, d'ailleurs, l'éclat du trône était, après les intérêts de l'Église, ce qui importait le plus au bonheur de la nation.
Plusieurs fois l'accord entre la royauté et le clergé avait paru près de se rompre. Le règne de Louis XIV avait vu quelques discussions orageuses où les prélats avaient joué le principal rôle ; et lorsque, en 1750, on tenta d'imposer à la province une contribution qui atteignait surtout le clergé (1), les évêques essayèrent de la faire rejeter par l'Assemblée. Le contrôleur-général Machault fit dissoudre les États, et dés lors les prélats, comprirent qu'ils n'avaient rien de mieux à faire qu'à vivre en bonne intelligence avec Messieurs les contrôleurs-généraux des finances, pour le plus grand bien du royaume et la plus grande gloire de la monarchie.
 
(1) Edit du vingtième.
 
D'ailleurs, en 1752, on avait nommé au siège archiépiscopal de Narbonne, qui conférait à son titulaire la présidence des États, Monseigneur de La Roche-Aymon, prélat d'un caractère si conciliant, dit un de ses biographes, qu'on l'avait jugé propre à diriger une Assemblée selon les désirs de la Cour. A partir de cette époque, les États de Languedoc ne sont plus un corps vivant, mais seulement un automate mû par les mains du clergé.
Ces prélats qui disposaient des affaires de la province, les faisaient-ils du moins d'une manière intelligente et dévouée ? C'est ce que nous avons à examiner.
 
II
 
Les questions portées aux Assemblées provinciales étaient de den sortes : questions purement administratives, questions politiques.
Quant aux premières, je me hâte de le déclarer, et il n'y a jamais eu à ce sujet qu'une opinion, elles étaient admirablement traitées. La justice dans la répartition de l'impôt, l'indépendance des administrations communales, la régularité de la comptabilité provinciale, l'importance des travaux exécutés par la province avec ses seules ressources, faisaient du Languedoc l'un des pays les mieux administrés qui fût en Europe. Le pouvoir central n'avait à cette époque aucun intérêt à s'immiscer dans les affaires particulières des communes ou des provinces. Pourvu qu'on lui accordât les impôts qu'il demandait, il laissait pour tout le reste la plus entière liberté aux administrations locales. Aussi les évêques de Languedoc, débarrassés de leurs préoccupations de courtisans, livrés aux seules inspirations de leur conscience, suivaient-ils sans hésitation, en matière administrative, les antiques traditions encore vivantes dans le Midi et parvenaient-ils à faire oublier, grâce à la bonne gestion des affaires locales, leur fâcheuse influence dans les questions qui touchaient à la politique générale du royaume. On a prétendu qu'en avançant vers 1789, l'action administrative des États décroit, et dégénère, et l'on a donne pour preuve les accusations qui furent dirigées contre ces assemblées aux approches de la Révolution. Ces attaques s'adressent plutôt à l'organisation des États qu'aux actes mêmes de leur administration. Les procès-verbaux prouvent au contraire avec quelle sollicitude éclairée les intérêts de la province n'ont cessé d'être sauvegardés, tant que ces intérêts n'étaient pas en lutte avec les désirs du souverain. En 1761, par exemple, des fonds considérables sont votés pour l'entretien et la construction des voies de communication, chemins et canaux ; pour l'amélioration des ports d'Aigues-mortes, Cette, Agde et la Nouvelle ; pour l'encouragement de l'agriculture, en faveur de laquelle on demande au roi de vouloir bien autoriser la libre exportation des grains, soit d'une province dans l'autre, soit à l'étranger « conformément, dit le cahier du diocèse d'Alby, aux vrais principes de la liberté commerciale ». Mais dans la répartition des sommes affectées au service de la province, il est un chapitre qui constituait un abus véritable, et qui n'a pas échappé aux critiques de ceux mêmes qui le sanctionnaient par leur vote ou par leur silence. Je veux parler des gratifications au gouverneur de la province, au commandant en chef, au lieutenant-générai, à l'intendant, aux secrétaires de ces hauts personnages, aux trésoriers de France, et enfin à la duchesse de Fitz-James elle-même, « pour services rendus à la province. L'argent ne nous coûte rien, écrit le député de Marvejols, nous le versons à pleines mains. »
Le total de ces gratifications s'élève, en 1761, à 152,900 livres.
 
III
 
Si maintenant, des affaires exclusivement provinciales, nous portons nos regards vers les questions qui intéressent la couronne, nous sommes frappés tout d'abord d'un vote qui offre un véritable caractère de grandeur : sur la proposition de l'archevêque de Narbonne, les États décident par acclamation d'offrir au roi un vaisseau de ligne. (1)
 
(1) Le modèle de ce vaisseau est conservé aux archives de la ville de Montpellier.
 
C'est pour la province de Languedoc un vrai titre de gloire que d'avoir donné cet exemple de patriotisme, que suivirent bientôt d'autres provinces, tous les corps de l'État et quelques riches particuliers. Mais après avoir montré, par cette décision, combien la province prenait sa part des malheurs de la patrie, les Etats devaient-ils consentir à écraser sous de nouvelles contributions ce pauvre peuple de Languedoc, dont la misère, de l'aveu même des gens du roi, touchait ses dernières Limites ?
 
N'était-ce pas assez de voter comme chaque année le don gratuit, la capitation, l'aide, l'octroi, la crue, le taillon avec ses augmentations, le rachat des deux vingtièmes, les appointements du gouverneur, ceux du l'intendant, les frais de bureaux de ces deux fonctionnaires, la solde de leurs gardes, l'entretien des places-fortes, les frais d'administration militaire, les droits abonnés au roi, impositions qui versaient annuellement dans le trésor de la couronne douze millions de livres ; et tandis qu'au plus fort de nos revers le roi prélevait sur son peuple plus de cent millions pour ses dépenses secrètes, fallait-il lorsqu'il lui plaisait d'imposer la nouvelle contribution dite du troisième vingtième, accepter en courbant la tête, sauf à déposer aux pieds de Sa Majesté de très-humbles représentations dont il n'était tenu aucun compte ? fallait-il consentir à payer l'entretien des garnisons de la province en se bornant à ajouter, en guise de consolation : « pour cette fois seulement et sans conséquence », vaine formule qui n'empêchait pas la contribution d'être votée l'année suivante ? Enfin lorsque, en vertu de la constitution politique du Languedoc, les États avaient le droit de refuser les impôts, n'était-ce pas faire l'aveu d'une impuissance désolante ou d'une complaisance coupable que de les voter tous sans exception, en suppliant néanmoins le souverain de les diminuer ou de les supprimer ? Il y a plus : le roi avait à plusieurs reprises demandé et obtenu le crédit de la province pour contracter différents emprunts ; en 1761, il devait ainsi 28 252 950 !ivres. Cette année même il sollicita également cet appui pour un nouvel emprunt de six millions de livres, el les Étals l'accordèrent saris difficulté.
J'ai parlé de représentations adressées au roi. Celles de l'année 1761 sont contenues dans une lettre que l'archevêque de Narbonne soumit à l'approbation de l'Assemblée. On pourra lire en annexe ce document parmi les Pièces justificatives de mon travail. C'est un vrai modèle de courtisanerie. En regard des maux dont souffre la province, il y est parlé des besoins de l'État dont le Roi est le seul juge ; Louis XV n'y est pas seulement appelé le Bien-aimé, le Père de son peuple, mais encore le monarque toujours maître de lui-même. (1)
 
(1) Les États se mettaient en rapport direct avec le souverain, non-seulement par des lettres du genre de celle-ci, mais encore par l'envoi à la Cour d'une députation composée d'un évêque, d'un baron, de deux députés du Tiers et d'un syndic général, qui présentaient au roi le cahier des doléances.
 
Il est vrai que le rédacteur de cette lettre, Monseigneur de La Boche-Aymon, grand-aumônier de France depuis l'année précédente, était connu par un culte si exagéré pour le roi qu'il s'attirait même, assure-t-on, les plaisanteries des courtisans. Mais sa lettre ne fut l'objet d'aucune observation. Si l'on en juge par le procès-verbal, elle fut votée a l'unanimité, comme l'emprunt, comme les impositions, comme toutes Les décisions de l'Assemblée. Jamais l'ombre d'une discussion, jamais un mot. Lorsque le président ou les rapporteurs ont parlé, personne ne demande la parole. Je me trompe : une fois, durant cette session, un simple député, le chevalier de La Coix, envoyé du baron de Castries, après avoir obtenu, avant la séance, l'autorisation de l'archevêque de Narbonne, se permit une observation sur une décision prise la veille. ll s'agissait de l'offre du vaisseau de ligne : l'Assemblée voulait donner au roi un vaisseau de 74 canons ; ce n'était pas l'avis du chevalier de La Croix. Pour des raisons qu'il développa en qualité d'officier de marine, il proposa d'offrir un vaisseau de 80 canons, ce qui fut immédiatement décidé.

IV
 
J'ai hâte de faire observer que la soumission des États aux volontés de la Cour n'est point la preuve d'un abaissement, de caractère chez ceux qui composaient l'Assemblée ; c'était, uniquement le résultat des théories politiques semées depuis quatre cents ans par la monarchie, et qui, sous Louis XIV, étaient arrivées à leur complet développement. De la meilleure foi du monde, on admettait généralement, avec celui que l'on appelait le Grand Roi, que « toute puissance, toute autorité réside dans le souverain ; que la fortune des particuliers constitue pour lui de sages économies dont il peut user en tout temps » Au milieu d'une Assemblée imbue de ces doctrines, ceux qui ne les partageaient pas se voyaient impuissants à les combattre, et se vengeaient au dehors par l'ironie.
Cependant les principes absolutistes avaient trouvé de courageux adversaires dans les parlements du royaume. Celui de Toulouse, prenant en main la cause désertée par les défenseurs naturels de la province, déclara que les édits royaux portant création de nouvelles impositions ne pouvaient pas être soumis aux délibérations des États s'ils n'avaient été préalablement enregistrés en la cour de parlement. Le pouvoir royal était directement atteint par cette décision ; il poussa habilement les États à la lui dénoncer comme attentatoire aux privilèges de la province. Le Conseil du roi cassa l'arrêt du parlement, mais le parlement maintint son arrêt en dépit de la volonté royale. De quel côté se trouvait la légalité ? Je n'ai point à le rechercher ici ; mais je n'ai pas besoin de dire où était le droit, où était l'équité dans cette lutte entre une Cour souveraine, protectrice, de la fortune et de la vie des citoyens, et une Assemblée parlant de privilèges et de franchises à un peuple qui demandait du pain.
On ne peut se défendre d'un véritable sentiment d'admiration pour la noble attitude du parlement lorsqu'on rapproche des humbles supplications de l'archevêque de Narbonne, ces fières paroles des conseillers de Toulouse :
« On fait croire à Votre Majesté que l'unique moyen de libérer l'état actuel est de laisser subsister les anciens impôts et d'en établir d'autres encore ; que toutes les lois, tous les intérêts, tous les principes doivent céder à la nécessité, de cette libération ; que les fortunes de vos sujets sont subordonnées à vos besoins ; qu'il vous est permis d'imposer à discrétion sur vos peuples, et que pour les dépouiller entièrement de leurs biens il suffit d'alléguer la nécessite et de, la prouver par la force. Ces maximes de servitude ne s'établiront jamais dans votre royaume, tant que votre parlement pourra se faire entendre. » (1)
 
(1) Très-humbles et très-respectueuses remontrances du Parlement séant à Toulouse, au sujet des transcriptions illégales des édits et déclarations du mois d'avril, et d'arrêt du Conseil, pleins de calomnies et d'erreurs, etc., 1763 ; cité par du Mège ; Histoire du Languedoc, tome X.
 
De 1759 à 1763, la cour souveraine de Toulouse résista avec une admirable énergie aux injonctions de l'autorité royale. En 1761, l'affaire préoccupe un instant les Etats (1) ; mais durant les deux années suivantes la lutte s'envenima à ce point que le duc de Fitz-James crut pouvoir imposer par la force l'enregistrement des édits. Ce fut en vain qu'il mit en état d'arrestation tous les conseillers présents à Toulouse, le parlement ne céda point. Enfin le roi, craignant des troubles sérieux dans la province, désavoua le duc de Fitz-James, et les édits ne furent pas enregistrés.
 
(1) On peut lire dans un Essai historique sur les États de Languedoc par le baron. Trouvé, une lettre du contrôleur-général Bertin à l'archevêque de Narbonne relative à cette question. Ce document est extrait des procès-verbaux de la session de 1761. Voir aussi Pièces justificatives.
 
V
 
J'ai indiqué ce que fut la session de 1761 d'après les documents officiels ; voici maintenant dans son entier le témoignage contemporain inédit dont j'ai déjà parlé plusieurs fois.
Cette lettre, toute confidentielle est écrite par M. de La Barthe à M. du Roc, marquis de Brion, maire de Marvéjols. Nous y trouverons, je le répète, peu de faits, peu de détails sur la session, mais plutôt cette première impression, si précieuse à recueillir, d'un homme intelligent et de bonne foi arrivant au milieu de la solennelle assemblée des États. J'aurais pu me borner à citer les passages qui se rapportent directement à mon sujet ; mais la lettre, dans son ensemble, m'a paru intéressante à publier, à cause de sa forme alerte et spirituelle et des renseignements qu'elle nous donne sur Montpellier au XVIIIe siècle. (1)
 
(1) Cette lettre m'a été communiquée par M. le comte de la Barthe, petit-fils de celui qui l'a écrite. Je respecte scrupuleusement l'orthographe.
 
Montpellier, 1er Novembre 1761.
Monsieur,
Le nouveau commandant joue à peu prés le même roole que le duc de Mirepoix aprez le marechal de Richelieu excepté peut-être que son abord est plus aisé et que plusieurs personnes assurent l'avoir vu rire. Sa maison, qui sous M. de Thomond était ouverte et faisoit une ressource pour tous les étrangers, est exactement fermée à 7 heures. Madame la duchesse (1) et sa tille se retirent dans leur appartement jusqu'à neuf. On appelle alors les 2 officiers de garde, l'on soupe en famille jusques à 10 ; un moment après Mselle de Fisjames s'aproche de sa maman qui droitte comme un piquet contre la cheminée répond à une très proffonde Reverence de sa fille par un Baiser au front, luy fait sur le visage avec le pouce de la main droite un signe de croix pareil à celui des diacres à l'evangile, et c'est le signal de la prière. Cette étiquette que vous trouverez fort plaisante est au pied de la lettre, elle m'a été aprise par un capitaine de Monmorency avec lequel je mange, ou m'a dit icy que c'est une étiquette de cour. Vous comprenez déjà que tout l'eclat du gouvernement ne consiste que dans un diner indispensable. Il y a journellement tables de 20 à couvers. La seconde selon l'usage est tenue par le capitaine des gardes ancien officier dans le Régiment de Fisjames et servie avec assez de magnificence. Madame la duchesse femme de 40 à 45 ans (2), si toutefois l'on en peut juger au travers d'un doit de Rouge, fait un peu de conversation suivie d'une triste partie de reversis. C'est alors qu'on joue par air car on n'est ny aperçu ny retenu.
Mselle de Fisjames (3) a généralement icy tous les suffrages. C'est une espèce de brune de 18 ans d'une taille avantageuse, faitte à peindre. Le deuil qu'elle porte lui sied bien.
Son maintien est très-modeste. Elle sçait que les demoiselles bien élevées loin de tenir le bureau et de raconter doivent. répondre en peu de mots et ne se permettre qu'un sourire. Elle a de très-beaux yeux comme sa mère, une belle gorge qu'on ne rait que soubçonner et beaucoup de douceur dans phisionomie. Sans doute qu'elle aura de l'esprit quand il en sera temps. Elle a été à la comédie pour la première fois. Son âme était toute entière sur le théâtre et nous la vimes très émue à la reconnoissance de Constance et Dorval. Son père est bel homme, de la taille à peuprès M. de Thomond, maigre el fluet, plein de douceur et de politesse. Mon père vous aura sans doute appris de quelle façon j'en ay été reçu, ainsy il m'est inutille de vous le répéter. Tout autre, que moy pourroit compter sur la grace que je lui ay demandée, mais n'est icv la source des espérances trompées et je trouve tous les jours des gens dupes de leur bonne foy.
La pompe de l'assemblée de nos Etats m'a séduit le premier jour. J'ay entendu M. l'intendant parler avec force de la misère du peuple, arracher des larmes et conclure de sens froid qu'il faloit entièrement se dépouiller. Le discours de M. l'archevêque de Toulouse fut d'après M. de Montesquieu un traitté complet des différentes espèces de gouvernement et une préférence outrée du monarchique. Il rappela la mémoire du maréchal de Thomond et finit par exhorter les Etats à faire les plus grands efforts. Depuis ce moment je n'ay aperçu qu'une vraye comédie où les acteurs jouent roole plus ou moins interessant suivant la quantité d'argent que la province leur accorde. Les députés à la cour sont connus, on les montre et on leur porte envie à cause des 4000 livres. Les employés au bureau des comptes suivent immédiatement quoyque de loin. Après ceux-cy on fait mention des Recrues. On n'ignore pas qui sont ceux qui travaillent chez le commandant mais on s'arrête là. En sorte que Si les Evêques pour prendre leur revanche du gouvernement ne faisoient pâlir dans l'antichambre ceux qui viennent les voir ils seroient à peu près confondus dans la foule. Je vois avec le plus grand plaisir ceux du Puy, de Lavaur, de Montpellier et de Nismes. Le premier m'a expressément chargé de vous faire ses compliments, c'est lui qui m'a fortement dissuadé de rien demander à l'archevêque de Narbonne et j'ay connu par l'expérience de mes confrères qu'il ma épargné une démarche humiliante et infructueuse. Je ne vous parle pas de l'évêque d'Alais qui m'avait comblé à Chanac. Mon silence le peint au naturel.
Je connais déjà un nombre infini de personnes. Sans faire mention du gouvernement et de l'intendance où je vais m'ennuyer quelquefois par decence, je vois beaucoup Mselle Delon dont vous connoissez les talents et la politesse. Son père est un homme aimable, il a l'esprit cultivé et je passe avec plaisir une heure avec Iuy. M. Desauvages me traite en amy sans doute à cause de M. de la Condamine avec lequel il est trés lié. Il m'a présenté à M. Pitou dont la femme reçoit bonne compagnie et à M. Imbert chancelier de l'Université et directeur du jardin royal. J'ay vu chez elle M. de Lussac, M. Deidé dont la fille peint comme un maître et touche très bien du clavessin. Je suis très lié avec M. de Vichet trésorier de France chez lequel j'ay déjà fait beaucoup de musique et par conséquent avec M. L'amuriez, Cher. de Rates, Coste, etc. Je suis chez Mrs Roux et Vigan comme l'enfant de la maison et sur le pied de me mettre à table quand je veux. Je connois beaucoup le prévôt de Saint-Pierre. Je suis abonne à la comédie qui à certains égards n'est point mauvoise. Je joue régulièrement au grand concert, mais avec tout cela je m'ennuie et je grille de revoir mon cabinet. Cecy pourra vous paraître bizarre, mais calculez la peine de se lever à 7 heures, de courir sur le pavé de Montpellier jusques à 9, d'assister à la charlatanerie des comptes et à la comédie des Etats jusques à midi et demy, le soin de faire jusques à une heure une cour qu'on n'aperçoit pas, des visites depuis 3 heures jusques à 4 et demy et le chagrin d'être obligé de me coucher à 10, vous Conviendrez que je n'ay pas tort. Avec toutte la bonne volonté que j'avois de tout voir et de tout connoître, les devoirs que j'ay à rendre me démontrent ce que vous m'avez souvent dit : je partirai sans connoître la ville de Montpellier. Je n'ay déjà assisté qu'à deux leçons de Saint Corne et à peine ai-je vu la fontaine, le peirou et le jardin des plantes qui est une gruserie (sic). Je me propose dans peu de jours d'aler à Cette et de courir la campagne. Ce petit voyage sera peut être un remède contre l'ennuy.
Le second jour de mon arrivée je n'eus rien de plus pressé que d'aler voir la citadelle. Ne pouvant parler au lieutenant de Roy qui était malade je fis demander la permission comme étranger et ancien officier. Le laquais selon la coutume de ces sortes de gens confondit tout et m'annonça comme officier étranger. M. D'olimpi avec une médecine dans le corps et dans le fort des tranchées s'habille à la hâte, ordonne qu'on me fasse monter et se met dans la tête que la curiosité conduit dans sa place quelque Prussien déguisé. Je luy demande en entrant la permission de parcourir la citadelle, de voir la salle d'armes et le magasin ; il me reçoit avec un visage sévère et me demande à quel titre je prétends tout parcourir. - Ne vous êtes-vous pas fait annoncer, Monsieur, comme officier étranger ? - Non, Monsieur, votre laquais est un butor. Je suis étranger à Montpellier mais d'ailleurs très-bon françois, et si l'usage était de décliner son nom par règle je vous dirais que j'ay servi dans la cavalerie et que je suis du Gévaudan. J'espère que vous voudrez bien m'accorder ce que beaucoup de gens n'ont pas la politesse de vous demander. Ma réponse le fit sans doute revenir de sa frayeur car il m'accabla de compliments et me donna un sergent pour me conduire partout.
Le lendemain des Etats un homme dans la salle portant une canne à pomme d'ivoire saproche de moy et me demande d'un air important si je suis députe de la noblesse ou du tiers-état. Sa demande me parut singulière. Je lui demanday à quel titre il me la faisoit. C'est, Monsieur, parce que si vous êtes du tiers-état je vous invitte à diner chez M. le duc. - Moy, Monsieur, et qui vous en a chargé ? - Ce sont, me répliqua-t-il, les droits de ma charge ; j'invite qui je veux sans suivre l'ordre du tableau. - Dans ce cas là, Monsieur, ma phisionomie vous rend grâces puisque sans me connoître vous me donnez la préférence sur tous mes confrères. Cette conversation arrêta beaucoup de monde et me fit peut-être connoître à la plupart des députés.
Vous aurez été surpris de ne pas trouver dans le controlle le nom de M. de Beauvoir. La présence de M. de Chambonas qui porte le cayer l'auroit contraint de rester chez lui si l'archevêque de Narbonne ne l'avoit nommé pour la baronnie de tour du Gévaudan. Je lui remis avant hier la lettre de M. de Bernard chez M. l'intendant et nous devons diner ensemble chez le président qui régale la députation de son corps. Il a très-décemment harangué M. le Président des Etats.
Je passe très-souvent une heure avec l'abbé de Fraissinet chez qui je lis les nouvelles. Je vois aussi MM. Serre et Bonnet avec lesquels j'ay fait grande connoissance, Le premier a beaucoup d'esprit et de politesse, ils pourroient m'être quelque jour utiles tous les deux.
J'ay vu la foire du port juvénal sur le canal de M. de Grave. C'est un spectacle curieux, à cause de la beauté de la campagne et de la quantité de monde de toute espèce qu'on y rencontre; mais j'ay été bien plus frappé de la grandeur et de la magnificence avec laquelle on a célébré la messe à Saint-Pierre. Il y avoit douze évêques ou archevêques, la musique étoit excellente, et j'ay vu peu de choses plus dignes de l'attention et du Respect,
J'ay été étonné de la beauté des sales du spectacle et du concert, mais j'ai peut-être encore plus admiré le gouvernement, et l'éveché. J'ay vu plusieurs autres maisons superbes. C'est dans cette ville où Ion se pique à qui aura le plus bel escalier. Les marches de celuy des thresoriers de France ont 7 pieds 3 pouces longueur, 20 pouces largeur et 6 pouces de hauteur. Prenez là-dessus vos mesures pour celuy quo vous ferez construire.
Touttes les portes de fer que j'ay vues ne sont pas couvertes. Les pilastres sont saillants portés sur une base et surmontés par des pots à feu ou par des urnes.
Ne soyez pas surpris si je ne vous parle point des affaires de la province : outre que je ne cherche pas à m'en instruire, je suis placé si loin du président qui barbouille et de M. de Montferrier dont la voix est cassée, que je ne puis rien entendre. Le greffier qui apelle les voix le fait avec assez de rapidité pour m'épargner la peine de donner la mienne, c'est la farce qui me réjouit le plus. On parle d'un emprunt de 6 millions que nous serons obligés de faire pour le Roy. En attendant nous accordons des gratifications sans nombre. Cinq cents louis à Madame la duchesse, 7 000 livres au secrétaire du comte d'Eu etc. etc.
L'argent ne nous coutte rien, nous le versons à pleine main.
Je n'ay pas encore eu l'honneur de voir un visage de femme qui aproche de ceux de Me du Lignon ou de la petite Rouanet. L'espèce des hommes est en général bien plus belle. C'est sans doute l'éducation qui détermine la différence du langage. Les dames ne parlent presque que le patois, qui est supportable si un jargon peut l'être ; les Messieurs au contraire parlent très-bien le français et ont par dessus le marché beaucoup d'esprits ; ils aiment le spectacle où les lorgnettes sont très-inutilles écouttent volontiers.
Voila le précis de ce que j'ay vu jusques icy. Je souhaite qu'il puisse vous amuser. Ma lettre est mal ditte et à pièces de rapport ; j'ay vu qu'il valoit mieux vous la faire parvenir telle quel est que d'attendre pour en faire une bonne un temps que je ne trouveray peut-être jamais. Vous m'aurie une petite obligation si je vous aprenois le temps que j'ay sacriffié à vous écrire. Je suis, avec la plus tendre amitié et avec les sentiments de la plus vive reconnaissance,
Monsieur,
Votre
De Labarthe fils
 
Faites agréer, je vous prie, à Me de Latude mon profond respect et l'envie que j'ay de connoître son cher petit mary. Il n'a pas encore paru à montpellier. C'est une suite de mon malheur.
 
(1) Victoire-Louise-Sophie de Goyom de Matignon, duchesse de Fitz-James, fille ainée de Marie Thomas-Auguste de Goyon, marquis de Matignon, chevalier des ordres du roy.
(2) La duchesse de Fitz-James était née en 1722.
(3) Louise-Auguste de Fitz-James, née le 7 décembre 1744, fut mariée le 28 septembre 1762 à Philippe-Gabriel-Maurice d'Alsace Hénin-Liétard, prince de Chimay, grand d'Espagne, chevalier de la Toison-d'Or, etc..
 
Quelque tendance l'exagération que l'on suppose chez l'auteur de cette lettre, il est impossible que son imagination ou son esprit satirique aient fait tous les frais de son récit. La critique qui s'exerce sur des faits connus de tout le monde est rarement dépourvue d'un fond de vérité; et si les délibérations des États avaient présenté les garanties de dignité et d'indépendance qu'on était en droit d'attendre d'une telle assemblée, il est difficile de croire qu'un témoin oculaire, sans aucun motif de dépit ou de haine, les eût traités de comédie, de farce, de charlatanerie, et eût ri de la façon peu sérieuse dont les votes étaient recueillis.
Nous avons vu d'ailleurs que les procès-verbaux officiels, loin de contredire ces appréciations, viennent plutôt les confirmer. M. de Lavergne a écrit :
« Ce que le XVIIIe siècle admirait dans les États de Languedoc n'était que l'ombre d'une constitution qui ne vivait plus réellement. Dans sa lutte contre les empiétements de l'autorité royale, le Languedoc avait sauvé l'existence des États et les règles suivies pour la perception de l'impôt foncier ; mais il avait perdu, après la défaite et la mort du duc de Montmorency, son indépendance politique. Occupé militairement par les troupes royales, il avait cessé de s'appartenir. »
Est-ce bien la mort du duc de Montmorency qui marque le point de départ de la décadence de nos assemblées provinciales ? C'est possible ; mais personne, que je sache, n'en a encore donné la preuve. De ce qui précède nous sommes seulement autorisé à conclure que pendant la seconde moitié du XVe siècle, et vraisemblablement depuis leur réouverture en 1752, les États de Languedoc n'étaient plus en réalité qu'un instrument entre les mains des évêques pour les affaires administratives, de la royauté pour les affaires politiques. Et cependant, malgré leurs faiblesses, malgré les vices de leur organisation, nos vieux États provinciaux ont droit à tous nos respects ; car, alors même qu'ils n'étaient plus qu'une ombre, cette ombre se dressait en face du pouvoir royal comme l'affirmation permanente du principe imprescriptible de la souveraineté de la nation.

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