Extrait
de « Histoire de la ville de Nîmes
par
Léon Ménard, tome 5, livre 19, pages 256 à 258, 1744-1758 . Maison natale de Jean Nicot - Nîmes, place de l'horloge. .
VIII. - Mort de Jean Nicot, natif de
Nîmes. 1530-1600 (An
de J.-Ch. I600.)
Le 5 de mai de cette année 1600 mourut
Jean Nicot, natif de Nîmes (1530), qui fit honneur à son pays par des endroits
distingués. Il prit naissance en cette ville vers les premières années du XVe siècle.
Son père, appelé Jean, comme lui, y était notaire, mais très-estimé et employé
dans les plus importantes affaires. Il ne parait pas cependant qu'il y jouit de
grands biens. De manière que Jean Nicot, le fils, fut lui seul l'artisan de sa
propre fortune. Il quitta sa patrie de bonne heure et se rendit à Paris, où il
s'attira par son esprit l'estime et l'amitié des savants. II travailla, en
1557, à une édition de l'histoire d'Aimoin, moine de Fleuri. Ce fut aussi par
son savoir que Nicot s'introduisit à la cour. C'était un temps où le mérite et
les talents seuls suffisaient presque pour s'élever. Il fut dans les bonnes
grâces (1) des rois Henri II et François II.
Il fut fait maitre des requêtes de
l'hôtel du roi en 1559. Bientôt après, et la même année il fut nommé
ambassadeur en Portugal. Son ambassade dura deux ans ; il en revint en 1561. Il
était seigneur de Villemain, terre située près de la ville de
Brie-Comte-Robert.
On lui doit en France la première
connaissance et le premier usage du tabac. Ce fut Nicot qui, à son retour de
Portugal, apporta cette plante (2) qu'on nomme petun, à laquelle on
donna son nom, et qu'on appela Nicotiane. Il la présenta à la reine
Catherine de Médicis, mère de François II. Ce qui fit aussi appeler cette
plante herbe à la reine. Généralement connue depuis sous le nom de tabac. Un
auteur de nos jours a dit (3) fort ingénieusement
« qu'on pourrait l'appeler
aujourd'hui plus justement planta regalis, ou l'herbe des partisans, d'autant qu'elle attire dans les
coffres du roi plus d'or et d'argent qu'il n'en pourrait tirer des mines les
plus riches ».
Depuis son retour du Portugal, Nicot
vécut dans le repos et dans l'éloignement des affaires. Alors, il s'attacha
principalement à cultiver les belles-lettres. Il composa plusieurs ouvrages,
dont quelques-uns virent le jour. Il mit en lumière en 1567 l'édition de
l'histoire Aimoin (4), à laquelle il avait travaillé dix ans auparavant.
C'est un volume in-8° qui fut imprimé à
Paris chez André Wechel. L'édition en est très-correcte et contient le texte d
'Aimoin, avec toutes ses additions. M. Dupin l'attribue à M. Pichon, mais il se
trompe. Nicot faisait beaucoup de cas d'un dictionnaire français qu'avait
composé Aimar de Ranconnet, président au parlement de Paris. Il l'appelait le
baume de la langue française.
Aussi travailla-t-il avec beaucoup
d'assiduité et de soin sur cet ouvrage. II l'enrichit de beaucoup
d'augmentations, oui en firent presqu'un nouveau dictionnaire. On le publia
après sa mort sous ce titre : Le trésor de la langue française, tant
ancienne que moderne. Il fut imprimé à
Paris en 1606 avec privilège, du roi et de l'empereur.
C'est ici le premier de tous les
dictionnaires français. Notre langue est sans doute bien redevable à Nicot de
l'avoir le premier enrichie de ses beautés. Ce qu'en avait d'abord donné
Ranconnet était peu de chose. Les articles que Nicot y joignit furent jugés si
considérables, qu'on lui a depuis attribué tout l'honneur de ce dictionnaire.
Ses définitions sont très justes, et accompagnées de diverses richesses
littéraires qui donnent un grand jour aux choses qu'il définit. On en a fait un
grand usage dans les dictionnaires qui se sont faits depuis sur notre langue, et
spécialement dans celui des arts et des sciences, où l'on ne manque lamais d'en
rapporter les propres paroles.
Tels sont les ouvrages de Jean Nicot
qui ont vu le jour. Il en a laissé quelques autres en manuscrit. Le plus
considérable de ces derniers est un Traité de la marine, où sont tous les
termes usités par les mariniers pour exprimer ce qui dépend de l'art de la
navigation.
Nicot se maria et laissa postérité.
Jean Nicot, son fils, seigneur de Villemain, posséda une charge de secrétaire
du roi, maison et couronne de France et de ses finances. Il épousa Catherine
Bochard dont il eut, entre autres, deux enfants mâles, savoir François,
seigneur de Villemain, et Jean qui fut trésorier des menus plaisirs du roi.
Catherine Bochard survécut à son mari. Elle en était veuve dès le 17 de mai de
l'an 1632. Je vois qu'elle fit ce jour-là une procuration (5) étant dans la
maison seigneuriale de Villemain, tant en son nom que comme tutrice et ayant
la garde noble de ses enfants mineurs, par laquelle elle donna pouvoir à
François Nicot, son fils de vendre, céder et aliéner les maisons, moulins,
terres, olivets, rentes et autres bien lui appartenant, situés dans la ville de
Nîmes et aux environs.
Au surplus, Jean Nicot, qui fait le
sujet de cet article, mourut à Paris, et fut inhumé dans l'église de
Saint-Paul, où l'on voit son épitaphe. Sa tombe est dans la chapelle de
Notre-Dame. On lui donne dans son épitaphe, outre les titres d'ambassadeur en
Portugal et de maitre des requêtes, celui de conseiller du roi en ses conseils
d'état et privé.
.
(1) La Croix du Maine, biblioth. franc.
Blanchard, généal. des maîtres des requêques.
(2)
Tournefort, instit. rei. herbar. t. 1, verb. Nicotiana. La Croix du Maine, biblioth. franc.
(3)
Mélange d'histoire et de littérature, tome l, page 16.
(4)
Bibloth. abbat. S. Petri de Cultura.
(5)
Archives de l'hôtel de ville de Nîmes.
-oOo-
Extrait de la « Revue de Bibliographie
Analytique »
Par MM.
Miller et Aubenas, T. 6, pages 929 à 932, 1845. . Réédition du dictionnaire de Nicot en 1614.
Notes et documents pour
servir à l'histoire de Lyon, sous le règne de Henri IV. 1594-1610, par Antoine
Péricaud aîné, des académies de Lyon, Turin, etc., etc., vice-président de la
Société littéraire de Lyon, etc. - Lyon, Mougin Rusand, 1845. In-8°.
M. Péricaud aîné avait déjà publié, de 1839 à 1844, les
premières feuilles de cet important ouvrage. Il est seulement fâcheux qu'il se
soit contenté d'en enrichir les Annuaires de sa chère ville de Lyon, et qu'il
soit impossible aux amateurs des histoires provinciales de les réunir et d'en
former un premier volume. Espérons que l'intérêt naturel qui s'attache à ce
genre de révélations, décidera le judicieux antiquaire à donner une deuxième
édition de ces articles de l'Annuaire.
Espérons surtout que les Notes et documents seront
poursuivis jusqu'à la fin du XVIIIe siècle ; car plus que toute autre ville,
Lyon est liée à tous les souvenirs, à tous les événements de l'histoire de
France. C'est une sorte de colosse qui sépare la France de l'Italie, et pour
les sectes religieuses comme pour les débats politiques et littéraires, c'est
un terrain neutre sur lequel il a toujours été permis de se démener et
débattre. Dès qu'un soulèvement ébranle les provinces italiennes ou le cœur de
la France, Lyon en ressent le contrecoup prolongé. On ne devine donc pas toute
la portée des grands évènements, quand on n'en étudie pas les effets dans
l'enceinte de cette grande ville.
Les Notes et documents composés en assez grande partie de
pièces inédites, offrent un journal suivi de toutes les choses relatives à
l'histoire de Lyon, pendant le règne de Henri IV.
Excellent bibliophile non moins que judicieux annaliste, M.
Péricaud a pris le plus grand soin de mentionner toutes les anecdotes relatives
à la fameuse imprimerie lyonnaise et aux livres publiés par les habiles de la
province. Malheureusement pour nous, dans plusieurs milliers d'indications précieuses,
il est malaisé de faire un choix et de donner une idée même approximative de
l'intérêt qui s'attache à chacune d'elles. Le rédacteur, on le sent à chaque
page, est au courant de tous les travaux de l'érudition contemporaine : il loue
souvent, il redresse quelquefois, mais toujours avec une urbanité d'autant plus
recommandable qu'elle n'a jamais cessé d'être fort rare chez les érudits et les
bibliophiles. Nous prendrons la liberté de faire à M. Péricaud une seule question et non pas un reproche.
À la page 252, sous l'année 1607, il mentionne a le « Nouveau
Dictionnaire françois-latin..... cueilli et escrit des plus doctes et entre autres de
M. Nicot, et soigneusement revu par Jean Baudouin.., P Lyon, Cl. Morillon. » Il rappelle qu'en 1612, CI.
Morillon donna du même Dictionnaire une nouvelle édition, et qu'une autre
édition en avait été préparée en 1609, par le P, jésuite Michel Coyssard, chez
Jean Pillehotte. Mais, comment aux années 1608 et 1609, M. Péricaud n'a-t-il
pas cité : « Le Grand Dictionnaire françois-latin, enrichi en ceste dernière édition plus exacte et correcte que les précédentes, de
plus de six mille dictions ou phrases françoises... Recueilli des observations
de plusieurs hommes doctes de.notre siècle, entr'autres de M. Nicot,
conseiller du Roy, et de M. Guichard, Me des requestes de son altesse... par Pierre
Marquis, estudiant ès-lettres humaines au collège du Dauphiné
à Vienne. Lyon. Jean Pillehotte. 1609. »
L'épître de l'imprimeur, placée en tête de ce
dictionnaire, est datée du premier jour de 1608 ; le privilège est du mois de
juin 1608, et l'impression en a été terminée le 15 décembre 1608. Comment Pillehotte, la même année, 1609,
aurait-il publié l'édition du P. Alichel Coyssard ? Et pourquoi Claude
Morillon, en 1612, aurait-il mentionné le travail de ce jésuite,
plutôt que celui de Marquis ? Sur toutes
ces questions, il reste beaucoup d'incertitudes. Qu'il nous soit donc permis de
dire ici quelques mots des premières éditions du Dictionnaire français-latin.,
La
première série de ces ouvrages comprend tous les dictionnaires imprimés avant les
travaux de l'Académie française : On est convenu de les placer tous sous les
auspices de Jean Nicot, l'ambassadeur du Portugal, l'introducteur du tabac en
France. À nos yeux cependant il n'est pas certain que maître Nicot, le
philologue, soit le même que messire Nicot, le diplomate. Et, quoi qu'il en
soit de cette question, nous pensons que sa gloire a été fort injustement
grandie aux dépens de celle de Robert Estienne, l'autour d'un premier
Dictionnaire françois-latin, publié en 1539.
Après
la mort d'Estienne, un fameux libraire de Paris, nommé Jacques Du Puy, ayant
découvert un exemplaire de son Dictionnaire chargé de nombreuses additions
marginales, confia à Me Jean Thierry le soin de coordonner ces notes et de
préparer une seconde édition augmentée. L'édition parut en 1564, et fut suivie
presque immédiatement de contrefaçons sans nombre ; si bien que vers 1580, les
héritiers de Du Puy crurent devoir renouveler l'expédient qui leur avait si
bien servi une première fois : ils prièrent donc Me Jean Nicot de faire à
l'édition de 1564 de nouvelles additions et corrections ; et en 1584, ils
firent paraitre une troisième édition du grand Dictionnaire français-latin,
enrichi pour la première fois des remarques de Me Jean Nicot, et de plusieurs
autres personnages doctes. C'est à partir de ce moment que le Dictionnaire de
Robert Estienne fut reçu dans le monde comme l'ouvrage de Nicot. Plus tard,
Baudouin, Marquis et d'autres encore grossirent les additions de 1584 ; mais,
moins heureux, ils n'enlevèrent pas à Jean Nicot l'honneur qu'il avait lui-même
usurpé ; tant il est vrai que le royaume de Justice n'est pas de ce monde.
Vespuce a donné son nom à la découverte de Colomb ; et les anciens
dictionnaires français de Robert Estienne sont cités aujourd'hui, même par les plus habiles, comme le titre de gloire de Jean
Nicot.
Est-ce ainsi que Me Jean Nicot aurait introduit le tabac
en France ?
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Extrait de « Les
Plantes Industrielles ».
Par
Gustave Euzé, page 142-143, 1859
Tabac ou Nicotiane.
Le
tabac est originaire de l’Amérique méridionale. C’est Christophe Colomb qui fit
connaître pour la première fois aux Européens, à la fin du XVe siècle, que les
Indiens aspiraient la fumée d'une herbe qu'ils brûlaient dans un appareil à
deux branches appelé tabacco, et ce fut François Hermandez,
de Tolède, qui envoya cette plante en Espagne et au Portugal. C'est le cardinal
de Sainte-Croix qui l'introduisit en Italie. L'Angleterre l'a connu par les
soins de François Drake.
Est-ce
à Nicot que revient l'honneur d'avoir introduit le tabac en France ?
L'opinion
générale basée sur la tradition résout affirmativement cette question.
L'histoire ne permet pas d'adopter une telle opinion. C'est le moine cordelier
André Thevet, né à Angoulême, qui, le premier, le fit connaitre, ainsi que le
constate l'ouvrage qu'il a publié en 1558, c'est-à-dire deux ans avant
l'envoi fait par Nicot et deux ans après l'avoir importé du Brésil et désigné
sous le nom d'herbe angoulmoisine (1).
Si
l'on doit à Thevet les premières graines de tabac, c'est à Nicot que revient
l'honneur d'avoir rendu populaire cette herbe estrange, en la propageant sous
le nom d'herbe
à l’ambassadeur, de nicotiane,
noms auxquels on substitua plus tard les dénominations suivantes : herbe a
la
reine, catherinaire, médicée.
Malgré
les bulles, les décisions synodales, les ordonnances qui en défendirent l'usage
pendant les XVIe et XVIIe siècles, le tabac est aujourd'hui connu dans toutes
les parties du monde et partout on le fume et on le prise avec plaisir.
Au
milieu du XIXe siècle, le tabac était cultivé en France, en Belgique, en
Hollande, dans toute l'Allemagne, en Russie, en Turquie, en Égypte, en
Amérique, à La Havane, à Porto-Rico, à Cuba, etc., etc.
(1) Au Brésil, on nomme le tabac petum ; les Bretons
l'appellent betun. Cette similitude de nom permet de dire que Thevet a dû en
envoyer sous le premier nom dans l'ancienne province de Bretagne.
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Extrait
de « Le Savant du Foyer »
par
Louis Figuier, pages 411à 415, 1867
LES EXCITANTS.
Les
aliments et les boissons ne suffisent pas à l'homme, qui n'est pas uniquement
composé de matière. Les produits alimentaires réparent les pertes matérielles
de notre corps, mais notre élément intellectuel et moral réclame l'usage de
certains autres agents. Exposé, comme les animaux, aux souffrances physiques,
l'homme est sujet, en outre, aux peines morales, aux incessantes préoccupations
de la vie sociale, qui de nos jours est devenue de plus en plus difficile. Par
la loi même de sa nature, il éprouve le besoin de secouer pour un moment le
poids de ses ennuis et de ses chagrins, de verser quelques gouttes de passager
bonheur dans la coupe douloureuse de la vie, d'échapper aux lourdes chaines du
monde réel, pour s'envoler dans la région éthérée des rêves, de l'imagination
et de l'idéal. De là l'usage des excitants, que l'on retrouve chez les divers
peuples, anciens ou modernes, dont l'emploi n'a rien da condamnable en soi, et
ne devient dangereux que par l'abus. Chez les anciens, le lotus et le népenthès ; chez les Orientaux
modernes, l'opium et le haschisch ; dans notre Occident, le tabac, le café, le
thé, l'alcool, les eaux-de-vie, telles sont les substances qui ont joué et qui jouent
encore le rôle d'excitant. Chaque pays a, d'ailleurs ses excitants ou ses
narcotiques particuliers. L'Australie et la Polynésie ont leur ava ou kava ; le Pérou, sa coca, analogue
au café par ses propriétés excitantes ; la Nouvelle-Grenade et les montagnes de
l'Himalaya, leur pomme épineuse ; les Indiens de la Floride, leur apalachine
émétique ; l'Amérique du Nord et l'Europe, leur galé odorant et leur ledum. En un mot, tous les peuples ont
possédé ou possèdent encore leurs excitants particuliers. Nous passerons ici en
revue, au point de vue spécial de cet ouvrage, c'est-à-dire pour en donner un
signalement scientifique précis, les excitants qui sont d'un usage habituel
dans notre société moderne, à savoir le tabac, le café, le thé, les
diverses eaux-de-vie et les liqueurs.
. LE TABAC.
Le
tabac nous est fourni par une plante du genre nicotiana, qui fait partie de la
famille des Solanées. Toutes les espèces du genre nicotiana peuvent être
cultivées pour produire le tabac à fumer ou à priser; on en connait
cinquante-huit espèces, dont la plupart donnent des feuilles propres à cet
usage. Mais l'espèce qui est le plus communément cultivée, et qui a donné
naissance à plusieurs variétés fournissant autant de tabacs différents, c'est la nicotiana
tabacum, connu sous les noms vulgaires de nicotiane à grandes feuilles, de grand
tabac, tabac vrai. C'est une plante haute de 1 mètre 60 centimètres
, glutineuse, rameuse et velue, à feuilles ovales entières. Ses fleurs sont
roses, tubuleuses, disposées en belles panicules terminales ; elles donnent
naissance à un fruit sec, capsulaire, qui renferme dans chacune de ses loges
un, grand nombre de très petites graines brunes et ridées.
Le
tabac est originaire du Nouveau-Monde. Il fut connu des Espagnols vers l'année
1520. C'est en 1560 qu'il fut introduit en France. Jean Nicot, bourgeois de Nîmes,
devenu secrétaire du roi de France, avait été envoyé en ambassade à Lisbonne
par le roi François Il. Un marchand flamand, qui probablement avait eu
connaissance du tabac par les Espagnols, donna à I'ambassadeur du roi de France
des graines de cette plante, et même, dit-on, du tabac en poudre. Jean Nicot
envoya le tout à la reine Catherine de Médicis ; la plante nouvelle reçut donc,
en France, les deux noms d'herbe de la
reine ou de nicoliane.
Mais
toute gloire a ses prétendants. André Thévet, moine cordelier, célèbre par ses
voyages, et qui fut aumônier de la reine Catherine, en 1558, dispute à Jean
Nicot l'honneur d'avoir doté la France du tabac. « Je puis me vanter, dit
André Thévet (dans un gros in-folio
publié en 1517 ( ?) pour appuyer ses droits de priorité à la découverte du
tabac), d'avoir été le premier en France qui ait apporté la graine de cette
plante, et pareillement semé et nommé ladite plante l'herbe Anqoumoise. Depuis, un
quidam qui ne fit jamais le voyage, quelque dix ans après que je fus de
retour, lui donna son nom. » Ce quidam est néanmoins considéré encore par
beaucoup de critiques comme le véritable introducteur du tabac en France.
Comment
les hommes ont-ils été amenés à employer la plante américaine selon les trois
modes usités, c'est-à-dire en fumée, en poudre, en masticatoire ?
Quand
les Espagnols abordèrent au Mexique, ils trouvèrent le tabac en usage chez les
indigènes, qui l'aspiraient en fumée, au moyen de morceaux de roseaux, plus ou
moins longs, remplis de feuilles de cette plante. On allumait ces roseaux par
un bout et on aspirait la fumée par l'autre. L'origine de la pipe est moins
connue. Elle est toutefois plus ancienne qu'on ne le croit généralement, car on
a trouvé dans les monuments funéraires d'une race d'hommes aujourd'hui éteinte,
qui habitait l'Amérique six cents ans au moins avant sa découverte par les
Européens, des pipes de diverses et curieuses formes, souvent décorées
d'ornements et de sculptures. D'après ces vestiges, l'usage du tabac à fumer
remonterait, en Amérique, à un millier d'années avant notre époque. Selon M.
Ampère, la première description de la pipe fut donnée, vers l'an 1498, par un
prêtre que Colomb avait laissé à Haïti lors de son grand voyage, et qui, à son
retour en Europe, publia cette description.
L'origine
du cigare est sans doute tout aussi ancienne, car les Caraïbes des Antilles,
auxquels il faut joindre les Cingalais, ainsi que les habitants des îles de
l'océan Oriental et des deux presqu'iles de l'Inde, ne fumaient le tabac que
sous cette forme.
C'est
probablement aux Espagnols et aux Portugais qu'on doit l'usage du tabac à
priser. Catherine de Médicis fit, comme on l'a vu plus haut, la fortune de
cette poudre en France. C'étaient autrefois l'Espagne et le Portugal qui nous
envoyaient le tabac à priser ; il était alors sous forme de carottes, qu'il
fallait râper pour en faire de la poudre. Le roi Louis XVIll, qui en usait
beaucoup, préparait lui-même son tabac à priser avec des carottes de tabac de
Lisbonne et une râpe d'ivoire.
L'habitude
de mâcher le tabac est également très-ancienne. Ce sont les Indiens qui ont dû
donner aux Européens la première idée de cette dégoûtante habitude.
Il
ne sera pas sans intérêt de faire remarquer ici que les peuplades américaines
attachaient une idée religieuse à l'usage du tabac à fumer.
« La fumée du tabac était, dit M. J.-J. Ampère, chez
les peuples de race américaine et chez les sauvages de l'Amérique
septentrionale, une chose sacrée. Elle joua un rôle dans les cérémonies du
sacre de Montézuma, et sur un bas-relief du Vatican on voit deux hommes
offrant à une sorte de croix la fumée d'un cigare. Les Indiens de la Virginie
croyaient que le manitou
(l'esprit) résidait dans la fumée du tabac. Chez les Natchez, le prêtre,
marchant à la tête du peuple, allait sur un tertre attendre le lever du soleil,
et alors il lançait une bouffée de tabac en l'honneur de l'astre que ces
peuples adoraient.... La pipe ne figure pas seulement dans les conseils indiens
et dans leurs assemblées pacifiques, il y a le calumet de la guerre aussi bien
que le calumet de la paix. »
L'usage
du tabac, devenu de nos jours si général en Europe, a rencontré à l'origine une
terrible opposition. Le roi d'Angleterre Jacques 1er composa une
violente diatribe contre le tabac, qu'il voulait absolument proscrire de ses
États. Le sultan Amurat VI, qui ne savait pas écrire de dissertations, eut
recours à des moyens plus directement coercitifs: il faisait appliquer cinquante
coups de bâton sur la plante des pieds de tout musulman convaincu d'avoir fumé;
à la première récidive, il faisait couper le nez au délinquant. Le grand
Sophi, souverain des Perses, faisait couper la lèvre ou le nez â
ceux de ses sujets coupables d'avoir fumé ou prisé. En Russie, les fumeurs
furent d'abord rangés au nombre des suspects politiques, et c'est assez dire si
on les surveilla de près. Plus tard, l'empereur Federowith appliqua avec zèle,
dans son empire, le système des coups de bâton sur la plante des pieds et de
l'amputation du nez. En Italie, le pape Urbain VIII lança une bulle
d'excommunication contre ceux qui fumeraient dans les églises. Cette
excommunication fut étendue par des évêques â ceux qui se borneraient à priser
dans les églises. Au dix-septième siècle, de célèbres médecins de la Faculté de
Paris soutenaient de violentes thèses contre l'usage du tabac. Mais l'histoire
ajoute que ces docteurs, qui ne savaient pas prêcher d'exemple, aspiraient
d'énormes prises de tabac, et fermaient à grand bruit leur tabatière, pendant
qu'ils argumentaient avec feu contre la drogue incriminée.
Le
tabac, qui a trouvé de bonne heure, comme on le voit, de féroces et de
ridicules détracteurs, devait sortir triomphant de tant d'épreuves diverses. Il
ne tarda pas, en effet, à s'emparer du monde presque tout entier. Cultivée
aujourd'hui sous toutes les latitudes, cette plante plaît au nègre, au
Hottentot, au Samoïède, aux naturels de la Nouvelle-Hollande, comme aux peuples
les plus civilisés de l'Europe et du Nouveau-Monde.
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Extrait de « Nîmes et ses rues »
par Albin Michel,
1876, T.
2, page 212 à 215, 1876.
Ce
Nîmois a en effet joui, d'une célébrité assez grande et assez universelle pour
mériter d'être rappelé au souvenir de ses compatriotes et voici les détails
biographiques que nous donne M. Michel Nicolas dans son histoire littéraire de
Nîmes.
Jean
Nicot naquit à Nîmes en 1530, son père, notaire fort estimé de ses concitoyens,
mais peu riche, ne négligea cependant rien pour son éducation et lui donna les
moyens de se perfectionner à Paris tant dans les lettres et les sciences que
dans la gestion des affaires publiques.
Henri II et François II l'honorèrent de leur
confiance, le premier le nomma maître des requêtes et le second l'envoya en
ambassade à Lisbonne en 1539.
C'est
dans cette ville et pendant le cours de cette mission qui dura deux ans, qu'il
reçut d'un marchand flamand de la graine de pétun, plants d'Amérique alors
inconnue en France et qui depuis, s'y est si abondamment répandue sous le nom
de tabac. Nicot en envoya à. Catherine de Médicis et à son retour de Portugal,
il lui présenta la plante elle-même, à laquelle cette circonstance fit donner
le nom d'Herbe à la Reine. Thevet a disputé en vain à Nicot la gloire d'en
avoir enrichi la France, mais le nom de Nicotine qui fut d'abord donné au tabac
et qui lui est resté dans le langage scientifique, constate les droits de notre
compatriote à la reconnaissance du fisc pour qui cette plante a toujours été,
une source d'abondantes richesses, on sait qu'actuellement l'impôt sur le tabac
fournit su trésor un revenu annuel de plus de cent millions.
Pour
récompenser les services qu'il avait rendus pendant son ambassade en Portugal,
le roi lui accorda des lettres de noblesse et le fief de la terre de Villemain,
située prés de Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne).
Depuis
son retour en France, Nicot se consacra exclusivement à la culture des lettres.
En 1567, il publia une édition de l'histoire
d'Aimoin, moine bénédictin, mais son principal ouvrage qui ne parut qu'après sa
mort, fut un dictionnaire de la langue française, le premier ouvrage de ce
genre qui ait été publié.
La
langue française s'étant perfectionnée, ce livre qui est d'une époque où elle
n'était pas encore fixée, a nécessairement perdu de son autorité, mais
comme vocabulaire du vieux langage, il pourrait être encore de quelque utilité.
Un mérite qu'on ne peut lui contester, c'est d'avoir servi de base aux travaux
semblables exécutés plus tard.
Nicot
laissa plusieurs autres ouvrages inédits.
Le
principal est un Traité sur la Marine, volumineux écrit destiné à
expliquer les termes usités dans le langage nautique.
Il
mourut à Paris en 1600 et fut inhumé dans l'église Saint-Paul où l'on voit son
épitaphe.
Sa
tombe est dans la chapelle de Notre-Dame et porte dans son épitaphe outre les
titres d'Ambassadeur en Portugal et de maître des requêtes, celui de conseiller
du roi en ses conseils d'État et privé.
Voici
ce que nous dit Ménard tome V sur ses descendants :
Nicot
se maria et laissa postérité. Jean Nicot, son fils, seigneur de Villemain,
posséda une charge de secrétaire du roi, maison et couronne de France et de ses
finances.
Il
épousa Catherine Bochard, dont il eût, entr'autres, deux enfants mâles ; savoir
François, seigneur de Villemain et Jean qui fut trésorier des menus plaisirs du
roi. Catherine Bochard survécut à son mari. Elle en était veuve dès le 17 Mai
de l'an 1632 car se jour-là, elle fit une procuration étant dans la maison
seigneuriale de Villemain, tant en son nom que comme tutrice et ayant la garde
noble de ses enfants mineurs, par laquelle elle donna pouvoir à François Nicot,
son fils, de vendre, céder et aliéner les maisons, moulins, terres, olivets,
rentes et autres biens à lui appartenant situés dans la ville de Nîmes et aux
environs.
Nous
savons que la maison paternelle de Jean Nicot se trouvait à Nîmes dans la rue
actuelle de l'Aspic. Un des descendants de cette famille est mort il y a
quelques années à Nîmes, recteur de l'Académie. (Jean-Baptiste-Pierre Nicot 1789-1864)
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L’Ambassadeur Nicot
Extrait de « La revue du Midi »
N° 9, 1 mars 1897, pages 241 à 244,
texte de E. D.
Jean Nicot, ambassadeur de France en Portugal au XVIe siècle. Sa
correspondance inédite, par Edmond Falgairolle, procureur de la République à
Aubusson, membre de la Société d'archéologie, membre de l'académie de Nimes. Paris,
Augustin Challamel, 1897.
Le nîmois Jean Nicot, conseiller du roi et maître des requêtes en
son hôtel « diplomate consommé,
littérateur et écrivain apprécié, homme de cœur et de société, possédant un
savoir et une science profonde », fut désigné par Henri II pour
l'ambassade de Portugal en avril 1559, et séjourna deux ans à Lisbonne. M.
Edmond Falgairolle, procureur de la République à Aubusson, vient de publier la
correspondance inédite de cet ambassadeur, 46 lettres et 16 minutes de
dépêches, tirées de la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg et de la Bibliothèque
nationale. Il a fallu neuf ans de recherches pour recueillir tous ces
documents, et M. Falgairolle les a réunis en un fort volume de 350 pages, en
les faisant précéder d'une étude aussi consciencieuse qu'intéressante.
Le nouvel ambassadeur de France en Portugal avait de nombreuses
questions à traiter. Les routes maritimes étaient aussi peu sûres que les
routes de terre. Fréquents étaient les actes de piraterie ; l'occasion faisait
le larron ; quand deux bateaux se rencontraient, le plus tort courait sus à
l'autre et s'emparait de la cargaison. De là, plaintes et récriminations
incessantes.
Le Portugal avait de riches colonies, sur la côte d'Afrique ou au
Brésil, sans parler des possessions lointaines de l'Orient : ici, c'était le
calviniste Villegagnon qui bâtissait un fort sur la terre d'Amérique ; là, des
capitaines inconnus, en quête de gains illicites, qui rôdaient dans les parages
de la Guinée, à la recherche d'un chargement de poivre ou de poudre d'or. Et la
Cour de Portugal de renouveler ses plaintes.
Le roi de France n'était guère plus satisfait. Des ports de
Bretagne et de Normandie partaient sans cesse des bateaux chargés de blé, qui
négligeaient d'acquitter les droits de douane et venaient vendre leur
marchandise à Lisbonne. Les Portugais recevaient avec joie une denrée
indispensable, dont le prix était diminué de tout ce que perdait le trésor du
roi de France, et le gouvernement se gardait bien de faire droit aux
réclamations de Nicot, pour un tort dont une puissance amie était seule à
souffrir. Ajoutons que les tribunaux portugais mettaient la justice au service
de leurs compatriotes, et que, pour nos nationaux, procès engagé était d'avance
procès perdu.
Enfin, en dehors et au-dessus tous ces différends l'ambassadeur
semblait chargé d'une mission politique de haute portée : préparer le mariage
de Marguerite de Valois et du jeune enfant, don Sébastien, afin d'assurer ainsi
l'avenir de la dynastie portugaise et l'indépendance du royaume contre
l'ambition et les intrigues espagnoles.
Comment l'ambassadeur de France s'est-il acquitté de sa tâche ?
M. Falgairolle rend un juste hommage à son zèle, à son activité,
ainsi qu'à la précision et à la variété de ses renseignements. Jean Nicot a en
effet rempli honorablement une tâche difficile et absorbante. Mais a-t-il été
bien payé de ses peines ?
Il semble qu'il n'ait eu à se louer ni de son souverain, qui, par
négligence ou pénurie, fait de lui un ambassadeur « besoigneux »,
pressé par ses créanciers, toujours à court d'argent, ni de la Cour de
Portugal, qui, sans rien refuser, n'accorde jamais rien. Les blés continuent à
être exportés en fraude ; les marchands sont molestés et dépouillés. De temps
en temps, quand on craint d'avoir dépassé la mesure, on relâche quelques
Français illégalement détenus ou frappés de peines excessives. Mais Nicot
plaide en vain les intérêts du fisc, réclame inutilement la vente directe de
quelques chargements d'épices à nos nationaux, essaye sans succès de sauver la
colonie de Villegagnon. Quant à la grande question, le mariage de :Marguerite
de Valois, il constate bien que tout le monde le désire, mais n'arrive pas à
provoquer une proposition ferme et nette, qu'il puisse transmettre
officiellement. En fin de compte, dans la lettre de rappel du juillet 1561, le
roi de France est obligé de reconnaître qu'il est aussi peu utile pour son
service et le bien de ses sujets « d'y (à Lisbonne) tenir des
ambassades que de n'en tenir poinct. »
M. Falgairolle a étudié dans tous ses détails l'ambassade de Nicot
; et, dans ce commerce avec un homme éminent, il a passé peu à peu de l'intérêt
à la sympathie, de la sympathie à l'affection, de l'affection à l'admiration,
L'historien, qui voulait juger en magistrat, est devenu l'ami, qui plaide en
avocat, et le défenseur de Nicot a mis au service de sa cause la science de
l'érudit et l'art de l'écrivain. Il aime à entendre le roi appeler Nicot « son
amé et féal conseiller » ou la reine de Portugal lui dire que sa conduite
est « très chrétienne, très sainte et très bonne. »
Il s'indigne à l'idée qu'on a pu lui contester la gloire d'avoir
fait adopter en France cette Nicotiane, qui fut d'abord une plante médicinale,
la panacrée universelle. Il conclut que Nicot se place « au premier rang des
diplomates, » et que « sa part. de gloire est assez large pour que rien
ne puisse l'amoindrir, » Enfin il demande pour cet homme illustre l'honneur
accordé déjà par la ville de Nîmes à l'empereur Antonin et au poète Reboul.
Nicot aura-t-il sa statue ?
Cette statue fera-t-elle revivre le diplomate et le lettré « peu
connu et presque oublié de nos jours ?»
Nîmes ne semble pas, jusqu'à présent du moins, atteinte de
statuomanie, et son crédit en pareille matière est loin d'être épuisé :
Qu'elle élève donc, un monument à Jean Nicot ; mais en disant bien
haut qu'elle veut honorer l'ambassadeur, le conseiller d'état, l'homme de
lettres : c'est peut-être le seul moyen de prévenir une protestation bruyante
des sociétés contre l'abus du tabac.
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