LE PONT

SAINT-NICOLAS

DE CAMPAGNAC

 

NOTA GM : Ce texte de 1862 est d’un auteur inconnu

 

Aux temps romains, une intense activité de charrois, cavaliers, mulets et piétons se croisait aux gués de Sainte-Anastasie et de Dions, non loin de la voie romaine. Mais, lors des crues d'hiver, seuls le piéton ou le cavalier parvenaient, d'un grand détour, à traverser la rivière au Pont-du-Gard par un étroit cheminement le long des piliers, au deuxième étage des arches; passage si étroit que les mules à bât ne pouvaient s'y risquer.

 

Au XIIle siècle enfin, le pont Saint-Nicolas de Campagnac établit la précieuse liaison entre Nîmes et Uzès. Plus tard, pendant les guerres de Religion, il devint le lieu crucial des combats. Occupé par les protestants, il permettait de conserver le contact entre les deux villes alliées; enlevé par les troupes royales ou les Guisards, il isolait les deux cités.

 

Sous Charlemagne, la région de Campagnac était, une aimable étendue de collines et de prés en bordure du Gardon, fort à l'écart des routes et des villages. Quelques misérables ménages, loin de tout, logeaient dans des huttes de bois et de roseaux, cultivant un lopin maraîcher et vivotant d'une ou deux chèvres et de braconnage.

 

Cette région oubliée reçut une existence administrative en l'an 896 quand le roi d'Arles, Louis l'Aveugle, concéda la terre de Campagnac à Amélius, quatorzième évêque d'Uzès. Lequel semble avoir mis la charte du roi dans son coffre. « Elle existe toujours. » et n'y plus penser. Un terrain si isolé...

 

Cent ou deux cents ans plus tard, un autre évêque d'Uzès s'avisa d'utiliser ce lieu perdu pour la méditation des moines. Il le confia à l'ordre des Augustins qui possédait déjà l'abbaye Saint-Ferréol aux portes d'Uzès. On ignore la date de fondation de ce Prieuré de Saint-Nicolas de Campagnac. Mais il existe un état de Louis VII, roi de France, adressé en 1156 à l'évêque d'Uzès qui cite le Prieuré pour la première fois. De même, on trouve un écrit de l'abbé Pons, prieur de Saint-Nicolas, qui est daté de 1188.

 

Cependant, les liaisons entre Uzès et Nîmes devenaient de plus en plus fréquentes; le charroi du blé, du vin, de la bière et des matériaux s'amplifiait. Il fallait ouvrir une grande voie facile reliant Nîmes à Uzès. L'évêque Pons de Becmil s'y employa avec une telle ardeur que, bientôt, on le nomma communément « l'évêque du Pont ».

 

Quinze ans pour construire un pont.

 

 

 

A l'époque, les Templiers couvraient la région d'un réseau de Commanderies et de Templeries destiné à rassembler le ravitaillement nécessaire aux troupes combattant en Palestine. Il leur fallait aussi multiplier les voies d'accès vers leur grand port d'embarquement sur la Méditerranée, Saint-Gilles sur le Rhône qui leur appartenait en partie. Ces deux impératifs les avaient amenés à organiser une véritable police des routes contre brigands et pillards de caravanes, mais aussi à créer une organisation religieuse annexe à leur grand Ordre pour construire les ponts nécessaires à leur trafic : les moines Pontifices (que d'aucuns appelaient Pères ou Frères Pontistes).

 

Déjà, les moines Pontifices avaient lancé le fameux pont d'Avignon sous la direction de leur prieur, l'abbé Bénézet (d'où le nom de pont Saint-Bénézet) comme aussi le pont de Bompas sur la Durance. Après le pont Saint-Nicolas, ces mêmes moines allèrent édifier le pont de Pont-Saint-Esprit.

 

Cet ordre constructeur comptait dans ses rangs des ingénieurs, des experts en carrières, des géologues, des architectes...

 

Ils formaient une admirable équipe de bâtisseurs. Hors des travaux, ils portaient une coule blanche marquée au coeur par deux arches de pont brodées au lin rouge.

 

L'évêque du pont s'accorda donc avec la Commanderie templière de Saint-Maximin-lez-Uzès pour obtenir que viennent les moines Pontifices. Le prieuré de Saint-Nicolas de Campagnac les hébergerait pendant les travaux, abritant leurs prières et psaumes d'après labeur.

 

Les travaux commencèrent en l'an 1245. Ils ne s'achevèrent qu'en 1260. Il fallut quinze ans pour mener l'oeuvre à terme. Mais le pont reste inébranlable depuis plus de sept cents ans.

 

 

En septembre 2002, les forces de la nature ont, en quelques heures, bousculé cet édifice construit par l'homme.

 

Problèmes d'argent et de main-d'oeuvre.

 

Ce n'était point ouvrage facile; les crues du Gardon étaient de véritables raz-de-marée. Alors que le tablier surplombe l'étiage de la rivière de vingt-sept mètres, des chroniqueurs de divers siècles citent des crues au cours desquelles l'eau, resserrée entre les deux parois des gorges du Gardon, se ruait sur le pont et passait par-dessus les rambardes. Les moines comprirent très vite quelle pouvait être la formidable pesée du courant sur les piliers. Il faudrait bâtir haut et puissant.

L'argent était nécessaire, beaucoup d'argent. L'évêque puisa dans ses coffres et les seigneurs de la région également.

 

De plus, les moines Pontifices « vendaient » aux bonnes gens le droit d'être ensevelis avec la coule blanche marquée du pont rouge pour linceul. Selon les superstitions de l'époque, le défunt se présentait ainsi devant Dieu revêtu des mérites de l'Ordre Pontifice.

 

Cette pratique permettait aussi un certain financement. Mais en fait, le plus grand apport de capitaux vint de la riche banque des Templiers. C'est pourquoi, une fois le pont construit, ce furent les Templiers qui perçurent les péages. Le roi Philippe-le-Bel s'empara plus tard de cette source de profits.

 

Pour la main-d'oeuvre, on utilisa la « corvée » dans les villages environnants. Généreux à bon compte, l'évêque d'Uzès accorda dix jours d'indulgences plénières (censées écourter le temps de punition au purgatoire) pour chaque jour de corvée.

 

A Blauzac et à Uzès, une confrérie du Saint-Esprit s'institua, recueillant des aumônes et des dons en nature pour assurer l'existence matérielle des « corvéables » et de leur famille.

 

Pendant quinze ans, les piles montèrent lentement au fur et à mesure qu'on amenait les moéllons extraits des carrières de Campagnac. Les moines dressaient les plans, dirigeaient les travaux.

 

Six Pontifices périrent dans des accidents sur des échafaudages ou à la carrière... et probablement un nombre infiniment plus important de manouvriers; mais l'époque ne comptait pas ces humbles morts.

 

Quand on débouchait du pont vers Uzès, la route bifurquait en angle droit et longeait la rive d'aval du Gard, se glissant entre la rivière et le prieuré. A l'intersection du pont et de la route, les moines Pontifices ajoutèrent au prieuré une tour de veille qui fut ensuite occupée par les hommes d'armes du Temple. Ils assuraient la sécurité du pont et du chemin traversant les garrigues sauvages jusqu'à Nîmes.

 

Au péage du pont.

 

Terminé en 1260, le pont reçut aussitôt un péager qui se tint dans un petit réduit voûté « la crote » ouvert dans le massif même de la première pile, côté prieuré. (A l'examen attentif, on peut encore discerner les pierres légèrement différentes qui bouchèrent bien plus tard l'entrée de la « crote »). Même les pélerins devaient payer leur passage aux Templiers : une « pitte », ultime petite monnaie de cuivre représentant la moitié d'une obole, le quart d'un denier.

 

Interrogé sous la foi du serment en 1295, le péager Jean de Deaux déclara qu'en 1293 et 1294, le péage avait rapporté vingt livres-tournois l'an.

 

Toutefois, en 1261, un probe juge-mage d'Uzès « Guillaume de Saint-Laurent » avait équitablement décidé que les habitants de Blauzac, Vic et Campagnac seraient exemptés du péage, étant tenu compte des quinze ans de travaux qu'ils avaient consacrés au pont.

 

Le prieuré et son pont devinrent célèbres. Dans les processions et à la cathédrale d'Uzès, les moines Augustins de Saint-Nicolas de Campagnac venaient en rang d'honneur, immédiatement après le Chapitre de la cathédrale. Dans les deux siècles qui suivirent, les seigneurs d'Uzès et d'autres baronnies de la région se firent solennellement enterrer sous le pavement du sanctuaire du prieuré.

 

On ignore par contre quand furent construits les deux moulins à blé montés sur barrage en aval du pont et qui appartenaient au prieuré. On peut logiquement penser qu'ils furent bâtis pendant l'édification du pont, pour nourrir les gens qui y travaillèrent. On sait seulement qu'une énorme crue du Gardon les balaya en 1533.

 

Philippe-le-Bel échange le pont.

 

Le roi réorganisait ses territoires. Il voulait contrôler la baronnie de Lunel sur la grand' route transversale du Languedoc; elle appartenait à Ramoun Gancelin, co-seigneur d'Uzès. Le roi offrit un échange et, outre vingt-trois villages de l'Uzège, céda à Ramoun Gancelin les péages du Pont-du-Gard et du pont Saint-Nicolas.

 

Gancelin était un pieux seigneur. Il fonda quatre chapellanies au prieuré et ordonna par testament que ses héritiers construisent un hospice capable d'héberger tout pèlerin se traînant sur la route. De ce bâtiment, il reste deux pans de maçonnerie à vingt pas de la muraille circulaire du couvent.

 

Les Guerres de Religion.

 

Fermement unis au cours des Guerres de Religion, les villes huguenotes de Nîmes et d'Uzès comprirent très vite qu'il fallait préserver leur liaison en contrôlant le pont Saint-Nicolas.

 

Le prieuré avait été ravagé par des Religionnaires excités en 1560. Certains murs avaient été abattus et en conséquence la voûte de la chapelle s'était effondrée. Mais la tour de veille et les écuries restaient intactes. Les deux villes y installèrent une commune garnison, tantôt commandée par un Uzétien, tantôt par un Nîmois.

 

Les attaques par surprise, les assauts furent nombreux. En 1583, par trahison, le capitaine Guisard Ferrières s'empara de la tour et coupa la circulation sur le pont. Deux mois plus tard, un assaut des Nîmois et Uzétiens mêlés le balaya. Il fut pendu au créneau de la tour.

 

Le prieuré ne retrouva les moines les chanoines réguliers de Sainte-Geneviève, issus du Chapitre d'Uzès », que sous Henri IV. En 1628, Rohan et ses cavaliers protestants firent un poste de garde de la tour, respectant toutefois les moines du Prieuré. Lentement, pendant le XVIle siècle, l'abbaye retrouva ses bâtiments et son église.

 

La guerre camisarde réveilla le vieux pont. Picard, dit « le Dragon », davantage brigand que religionnaire, habitait la Bégude de Saint-Nicolas et faisait régner la terreur sur le pont et sur la route des garrigues jusqu'aux portes de Nîmes. Quand il fut capturé, roué et pendu en 1703, les camisards brûlèrent par riposte les villages de Vic et de Campagnac, mais sans toucher au Prieuré.

 

Les moines y vécurent jusqu'à la Révolution. Alors, le prieuré fut. décrété « bien national » et vendu à des particuliers.

 

La nouvelle route traverse le Prieuré.

 

Les diligences et les charriots venant de Nîmes, une fois le pont traversé, manoeuvraient de façon fort malaisée pour bifurquer brutalement en angle droit entre le Prieuré et la rivière. D'ailleurs, aux grandes crues, le Gardon envahissait la route et la rendait impraticable. Sous le Second Empire, les Ponts et Chaussées élevèrent les arches du pont et taillèrent une nouvelle voie dans la roche du Prieuré, celle que l'on connaît aujourd'hui. (1862). Le monastère y perdit son mur d'enceinte et son déambulatoire aux moines qui fut isolé de l'autre côté de la route. Certains de ses habitats furent largement écornés et son cimetière disparut sous la chaussée.

 

Pendant les travaux, on découvrit de très nombreux ossements, une belle sculpture de deux mains jointes et plusieurs dalles de pierre ou de marbre portant des épitaphes, dont celle d'un Prieur mort en 1697. Ces dalles ont été encastrées dans le pavement de l'église de Vic où on peut les voir.

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Texte complet sur les origines du Pont-Saint-Nicolas avec Preuves en Latin.

> Le Pont Saint-Nicolas par Germer-Durand, 1863   (Extrait "Mémoires Académie de Nîmes", 180 pages PDF)

 

 

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