Extrait de Histoire de la Ville de Nîmes
de Léon Ménard, 1755.
XVII. - Établissement et premières séances de l'académie
royale de Nîmes (An de J.-Ch. 1682.)
Presque dans le même temps , il commença de se former à Nîmes
une assemblée de gens de lettres , qui jetèrent les premiers fondements de
l'académie royale de cette ville. Remontons à son origine.
Cette
nouvelle académie dut sa naissance à quelques personnes d'esprit et de savoir,
qui vers le milieu du dix-septième siècle, s'assemblaient à des heures réglées
et conféraient sur des propos de littérature. Ce ne fut d'abord, pendant
l'espace de trente ans qu'un cercle d'amis qui s'étaient choisis, et qui
vivaient dans une heureuse union.
L'exemple
de l'Académie française, qui s'était presque formée de la même manière, fit
naitre à quelques-uns la pensée d'en faire de même et de s'ériger en corps
académique. Le projet fut approuvé.
On se donna des mouvements pour l'exécuter. Mais
plusieurs difficultés qui survinrent . et les propres affaires de ceux qui
avaient conçu ce dessein, en ayant empêché l'exécution . la chose ne fut pas
suivie.
En
1682 seulement, Jules-César de Fayn, marquis de Péraud, maréchal des camps et
armées du roi, distingué par son savoir autant que par sa naissance, dont les
ancêtres avaient dignement occupé la charge de sénéchal de Nîmes, renouvela ce
projet.
Comme
il faisait depuis quelque temps sa résidence ordinaire en cette ville, sa
maison était devenue le rendez-vous des gens d'esprit. Il leur proposa
l'établissement d'une société littéraire, et tous l'approuvèrent. De sorte que
pour commencer d'y travailler sérieusement et avec succès, il fut convenu qu'on
s'assemblerait chez lui pour ce sujet le samedi 28 de mars de la même année.
Ce jour-là
on se rendit au lieu marqué sur les deux heures après midi, et l'on se rangea
autour d'une table, comme le hasard le fit, sans observer aucune préséance.
Le
marquis de Péraud ouvrit la séance par un discours qu'il adressa à
l'assemblée pour la remercier de
l'honneur qu'elle lui faisait, et pour l'exhorter à s'appliquer avec soin à
former une académie. On fixa d'abord le nombre des académiciens à vingt-six.
On
choisit pour protecteur l'évêque Séguier (1), à qui il fut convenu qu'on ferait
une députation pour le prier de l'agréer. Mais afin que celui qui porterait la
parole parlât au nom de tout le corps, on élut sur le champ un directeur , qui
fut Joseph de la Baume, conseiller au présidial, et un secrétaire, qui fut le
marquis de Péraud.
(1) Jean-Jacques
Séguier de la Verrière évêque de Nîmes de 1671 à 1689. Il
n'avait rien à voir avec Jean-François Séguier, 1703-1784.
Le
directeur fut en même temps chargé de préparer un compliment pour l'évêque,
dont la visite fut fixée au mardi suivant 31 du mois.
En conséquence de cette première délibération, les
académiciens s'assemblèrent le jour prescrit chez le marquis de Péraud. De là
le directeur et le secrétaire, accompagnés de cinq
académiciens, se rendirent à l'évêché.
Le
directeur fit un compliment a l'évêque, pour le prier d'accepter le titre de protecteur de la nouvelle académie,
qu'on venait de fui déférer. Le prélat répondit à ce discours en peu de mots,
avec beaucoup de douceur et d'honnêteté, et se réserva de le faire plus
amplement en présence de l'académie assemblée.
Après
quoi les députés allèrent en même instant rapporter sa réponse aux autres
académiciens qui étaient, pendant ce temps-là, demeurés assemblés. Avant que
de se séparer, on convint que désormais les assemblées de l'académie se
feraient régulièrement tous les mercredis à trois heures après midi ; qu'on les
commencerait dès le lendemain 1er d'avril, qui se trouvait un mercredi, et
qu'on prendrait la maison du marquis de Péraud pour y tenir les séances.
En
effet, on se rassembla le lendemain, et ce fut la première assemblée régulière
que l'académie ait faite depuis son établissement. L'évêque Séguier s'y rendit.
Après
avoir pris sa place de chef et protecteur de la compagnie, il fit l'ouverture
de la séance par un discours qui renfermait des sentiments d'une grande
modestie et en même temps d'une vive reconnaissance sur le choix qu'on avait
fait de lui. Ensuite, comme l'on s'était toujours proposé d'imiter l'Académie
Française qu'on avait choisie pour modèle, il fut résolu, pour avoir les
mêmes officiers qu'elle, d'élire un chancelier, et le choix tomba sur Louis-Trimond
d'Aiglun, chanoine de l'église de Nîmes.
D'une
autre part, on pria le marquis de Péraud d'écrire au cardinal de Bonsy,
archevêque de Narbonne, aux lieutenants du roi et à l'intendant de la province,
pour leur apprendre le sujet et le dessein des assemblées de l'académie, et
leur en demander l'approbation.
On
chargea trois commissaires . qui furent : l'abbé d'Aiglun, Jean Saurin et
François Graverol, avocats , de travailler aux statuts, et de les conformer à
ceux de l'Académie française , autant que l'usage de la compagnie pourrait le
permettre.
On
conféra aussi des moyens d'obtenir du roi des lettres-patentes, qui missent le
dernier sceau à la fondation de l'académie.
La séance du mercredi suivant 8 ce mois (avril) fut
principalement employée à examiner un avertissement qu'Antoine Teissier,
avocat, l'un des académiciens, avait fait pour mettre a la tête de sa
traduction des éloges des hommes savants, tirés de l'histoire de M. de Thou.
On
s'entretint ensuite du projet des statuts, ainsi que du nom et de la devise que
l'académie devait prendre, et chacun fut exhorté d'y réfléchir, et d'apporter
dans les séances suivantes ce qui lui serait venu dans l'esprit sur ces objets.
XVIII. - On dresse les statues de cette académie et l'on
en détermine la devise. (An de J.-Ch. 1682.)
Les
statuts furent enfin arrêtés dans la séance du mercredi 29 de ce mois d'avril,
et fixés à vingt-six articles. Ils portaient en substance, que l'académie
aurait un sceau où sa devise serait gravée , pour sceller en cire bleue, tous
les actes expédiés par son ordre ; qu'elle aurait trois officiers, savoir : un directeur, un chancelier et
un secrétaire , dont les deux premiers seraient changés de sis mois en six
mois, et le dernier perpétuel et à vie ; que l'académie serait composée de
vingt-six académiciens résidants à Nîmes, et que pour les étrangers, on eu
recevrait autant que la compagnie le trouverait à propos ; que personne n'y
serait reçu qu'il n'eût demandé d'y être admis , et rendu visite à tous les
académiciens ; que lorsqu'il en mourrait quelqu'un . on ferait deux éloges de
lui, l'un en prose et l'autre en vers ; que l'académie ne jugerait que des
ouvrages de ceux dont elle était composée, et que si quelqu'autre lui en
présentait, elle en dirait simplement son avis ; qu'aucun académicien ne
pourrait mettre un ouvrage en lumière, sans l'avoir auparavant communiqué à
l'académie, et en avoir eu l'approbation ; qu'aux assemblées, le directeur, en
l'absence du protecteur, se placerait au haut bout de la table, le chancelier et le secrétaire à ses côtés,
et les autres
académiciens autour de la table, comme la rencontre les rangerait ; que le
secrétaire tiendrait le registre, où il écrirait avec exactitude, mais
brièvement, tout ce qui se passerait en chaque assemblé,. Les statuts ayant été ainsi déterminés, tous les académiciens promirent de les
observer, et les signèrent.
On
résolut dans la séance du mercredi 20 de mai suivant, de lire à l'avenir
quelque ouvrage de prose ou de poésie, et d'en remarquer les beautés et les
défauts. On prit en même temps pour la prose les œuvres de Saint-Evremont, et
pour les vers les pièces de Racine.
La
devise de l'académie ne fut déterminée que le 27 du même mois. On choisit sur
plusieurs autres celle que François Graverol avait proposée, qui était des plus
heureuses et bien digne de sa préférence.
C'était une couronne de palme , avec ces mots : ÆMVLA
LAVRI (1), symbole parfait du désir qu'elle avait d'imiter l'Académie
française , dont on sait que la devise est une couronne de laurier , avec ces
mots : À l'immortalité. II fut en même temps délibéré de faire faire un
sceau , où cette devise serait gravée, et de le remettre entre les mains du
chancelier, pour l'employer suivant les statuts.
On ne laissa pas néanmoins de critiquer la devise que
l'académie venait d'adopter. Quelques-uns soutinrent que la palme n'était point
assez souple pour en faire des couronnes, ou que du moins si l'on faisait des
couronnes de palme, ce n'était point pour les savants, mais pour les guerrier,
Graverol répondit à ces deux points de critiques avec, beaucoup d'esprit et
d'érudition, dans une séance du mercredi 3 de juin de la même année 1682. Il
appuya ses raisons de plusieurs passages tirés des meilleurs auteurs de
l'antiquité.
Sur leur témoignage, il fit voir d'un côté que la palme
était flexible, et que les vainqueurs ne la portaient pas seulement à la main,
mais encore sur la tête ; et de l'autre , que ces sortes de couronnes n'étaient
pas moins pour les savants que pour les vaillants hommes ; que la palme était
si propre aux muses et aux gens de lettres, qu'elle avait été consacrée à
apollon plutôt que le laurier ; qu'on la préférait même aux autres arbres pour
faire des couronnes aux muses, et qu'enfin il était constant qu'on attachait
autrefois des palmes aux portes des plus fameux orateurs.
La
réponse de Graverol fut trouvée si judicieuse, et les autorités dont il l'avait
appuyée si précises, au jugement de l'académie, qu'elle délibéra d'en insérer
le précis dans ses registres.
(1) Actuellement, la devise inscrite au fronton de l'hôtel de l'Académie au
16 rue Dorée est : NE QUID NIMIS (Rien de trop !).
XX. - L'académie de cette ville nomme un secrétaire en
l'absence du marquis de Péraud. Elle charge deux de ses membres de travailler à
obtenir des lettres-patentes pour son établissement et fait écrire en son nom
à divers seigneurs de la cour pour cet objet.
Cependant le marquis de Péraud , secrétaire de la nouvelle
académie de Nîmes,
ayant été obligé de faire un voyage de trois mois vers le milieu de ce
mois de juin, prit congé d'elle le mercredi 10 du mois. Sur quoi l'on nomma
l'avocat Saurin pour faire, en son absence , les fonctions de sa charge.
De
plus, il fut délibéré que jusqu'à son retour les conférences se feraient à
l'évêché, où l'évêque Séguier avait offert de donner une salle propre pour les
assemblées.
Dans la séance du 17 du même mois, l'académie résolut de
travailler sans délai à obtenir des lettres-patentes pour son établissement, et
d'en donner les soins à François-Faure de Fondamente, le même à qui le célèbre
Pelisson, son parent, a adressé l'histoire de l'académie française, et à Pierre
Chazel, alors avocat, devenu dans la suite procureur du roi au présidial de
Nîmes. Ils étaient tous deux membres de l'académie, et se trouvaient à Paris
pour leurs affaires particulières. On ne pouvait rencontrer de conjoncture plus
favorable, outre qu'ils étaient parfaitement capables l'un et l'autre de bien
conduire toute cette négociation.
Saurin fut en même temps changé de faire des lettres à ce
sujet, au nom de la compagnie, pour le chancelier de France, qui était alors
Michel le Tellier ; pour le prince Louis-Auguste de Bourbon, légitimé de
France, duc du Maine, à qui le roi venait dans ce même mois-là de donner le
gouvernement de Languedoc ; pour le duc de Noailles, Iieutenant général en
cette province . et pour Claude de Bezons qui en avait été intendant.
Ce n'est pas tout, comme il fallait avoir des appuis à la
cour qui favorisassent les députés, il fut résolu dans une séance tenue
extraordinairement le samedi 18 de juillet suivant,
d'écrire encore au cardinal de Bonsy, à Colbert et au marquis de Louvois et de
Châteauneuf, ministres et secrétaire d'état, et l'on chargea de même Saurin de
faire toutes ces lettres.
Les députés ne manquèrent pas d'agir avec tout le zèle
qu'on demandait d'eux. Ils en rendirent compte à l'académie, par deux lettres
qui furent lues dans la séance du mercredi 29 du même mois de juillet. Ils lui
marquèrent que le chancelier avait dit que leur affaire était favorable, et
qu'on lui donnât un placet ; qu'en conséquence on lui avait remis une minute
des statuts, et un mémoire pour les lettres-patentes ; que son secrétaire
avait assuré que ce magistrat en parlerait au roi d'une manière avantageuse ;
que le duc de Noailles d'un côté en avait déjà fait un long discours à ce prince, et de l'autre avait recommandé l'affaire au
chancelier, en lui représentant que les académiciens de Nîmes ne pouvaient être
que favorablement écoutés, ayant un évêque à leur tête ; que le duc du Maine
avait promis de parler au roi en leur faveur, et qu'enfin ils employaient de
leur part les moyens les plus propres pour avoir un succès prompt et heureux.
XXI. -
On projette dans cette académie de faire une histoire de Nîmes. Henri Cassagues
s'en charge. Ce projet reste sans exécution. ( An de J.-Ch. 1682.)
Le
reste de la séance fut employé à lire l'oraison funèbre de la duchesse
d'Aiguillon, et à entendre les
remarques que Teissier avait faites sur cette pièce d'éloquence.
On s'entretint ensuite de la nécessité qu'il y avait de
travailler à une histoire exacte de la ville de Nîmes. Ce fut Saurin qui en
porta la proposition. II représenta qu'on n'avait que quelques discours sur ses
antiquités, d'un vieux style, et composés sans art et sans politesse ; qu'il
serait avantageux pour la patrie et glorieux pour l'académie, que quelqu'un de
ses membres mit au jour une histoire complète et régulière de cette ville, dont
l'ancienneté et les révolutions fourniraient
une matière abondante et agréable. Sur cette invitation, Henri Cassagnes,
trésorier du domaine de la sénéchaussée, l'un des académiciens, témoigna
beaucoup de goût pour entreprendre cet ouvrage. De manière qu'il fut exhorté
d'y travailler, et l'on chargea Guiran, Graverol et Saurin, de lui communiquer
les mémoires et les livres qui dépendraient d'eux et qu'ils croiraient convenir
à son dessein.
En
conséquence, Cassagnes commença cet ouvrage, et en lut même le premier chapitre
à une des séances suivantes. Mais ce projet s'évanouit bientôt, et ne fut plus
qu'une belle idée sans exécution.
XXII.
- Succès des députés de l'académie à la cour. Le roi lui accorde des
lettres-Patentes sous le titre d'académie royale de Nîmes. On envoie des
lettres d'académicien au marquis de Châteauneuf, secrétaire d'état. (An de
.J.-Ch. 1682.)
Les mouvements et les sollicitations des députés de
l'académie à la cour, ne tardèrent pas à produire d'heureux succès. On voit par
leurs lettres du 5 d'août de cette année 1682, lues à la séance du 15, qu'ils
avaient été favorablement accueillis par tous ceux à qui l'académie avait écrit
pour cet objet.
Le duc
du Maine en avait parlé au roi, ainsi qu'il l'avait promis. Pelisson s'y était
aussi employé. On n'y trouva de difficulté que sur l'article des privilèges
qu'on s'attachait à demander conformes à ceux de l'académie française.
On
opposait au sceau que pareilles lettres patentes obtenues depuis peu pour
l'académie de Soissons, n'avaient été scellées que sur ce que cette compagnie
déclara ne prétendre aucuns privilèges. Cet exemple récent faisait naître
l'obstacle.
Enfin la demande des lettres-patentes ayant été rapportée
par le marquis de Châteauneuf au conseil du roi tenu à Versailles le 10 du même
mois d'août, le roi la reçut de la manière la plus favorable. Il accorda des
lettres, portant que les assemblées et conférences qui avaient commencé,
seraient désormais continuées sous le titre d'académie royale de Nîmes ;
que l'évêque Séguier pourrait s'en dire le chef et le protecteur ; que le nombre des académiciens serait fixé à vingt-six,
tous habitants de la ville ; que l'académie pourrait avoir
un sceau avec telle marque et figure qu'il lui plairait, pour sceller tous les
actes qui émaneraient d'elle ; que les statuts et règlements qu'elle avait déjà
faits, ainsi que ceux qu'elle pourrait faire à l'avenir, demeureraient
autorises et confirmés ; et qu'enfin les vingt-six académiciens jouiraient des
mêmes honneurs et privilèges que ceux de l'académie française établie à Paris.
Cette
nouvelle ayant été écrite le 12 du mois, par les députés à Saurin, celui-ci la
communiqua, le mercredi 19. à l'académie assemblée ce jour-là chez le marquis
de Pélaud, qui était depuis peu de retour de son voyage.
Les députés ajoutèrent que le conseil du roi avait
retranché des projets qu'ils avaient présentés, le titre de Française,
qu'on avait d'abord voulu donner à la nouvelle académie ; parce qu'il était
particulièrement affecté à celle de Paris, et qu'il avait mis à la place celui
de Royale ; qu'à l'égard des
statuts, on en avait seulement rejeté le dix-huitième article, qui réglait la
manière dont les matures politiques et morales devaient être traitées, article
qui néanmoins était tiré mot à mot des statuts de l'académie française.
Le marquis de Chateauneuf fit connaitre, en signant les
lettres-patentes, que si l'offre d'une place d'académicien accompagnait le
remerciement qu'on lui ferait, elle lui serait très-agréable.
Sur l'avis que les députés en donnèrent l'académie, il
fut résolu dans la séance du mercredi 26 de ce mois d'août, d'envoyer des
lettres d'académicien à ce ministre, conçues en des termes les plus honorables
qu'il se pourrait, et l'on chargea Claude Rouverié de Cabrières de les dresser.
Il fut dit aussi qu'on y joindrait une lettre de remerciement très-respectueuse,
dont on commit le soin à Saurin.
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