Notice sur Auguste Bosc
 sculpteur nîmois du XIXe siècle
par Jules Salles, membre-résidant de l'Académie de Nîmes.
Extrait des Mémoires de l'Académie, 1880.
Pièce lue dans la séance publique du 29 mai 1880.


Statue de Jean-Reboul, oeuvre de Auguste Bosc - Inaugurée, le 17 mai 1876 aux Jardins de la Fontaine.

En me chargeant de vous présenter une notice sur notre confrère défunt Auguste Bosc, vous m'avez place dans une position exceptionnelle et probablement unique jusqu'à ce jour, qui consiste à ne pas avoir un mot à dire sur les travaux littéraires de notre cher confrère, en tant que membre de l'Académie de Nîmes. Comment pourrais-je, en effet, évoquer les souvenirs de sa plume, alors que, non seulement il n'a jamais collaboré à nos travaux, mais n'a fait même que des apparitions bien rares à nos séances. Était-ce par timidité et méfiance de lui-même, était-ce par suite de l'insuffisance de ses études classiques ou de la nonchalance naturelle à son caractère ? Je n'ai pas mission d'en rechercher les causes, me bornant à signaler le fait, et je m'y arrêterai d'autant moins que, si Bosc n'a rien écrit avec la plume, sa plume à lui était le ciseau, qu'il savait si bien manier, et dont il a laissé l'empreinte et sur nos monuments, et sur nos places publiques, et sur ces bustes qui ont immortalisé dans les familles le souvenir de membres qui ne sont plus. C'est donc de Bose, sculpteur, que nous allons nous entretenir, le suivant dans sa carrière d'artiste, et tâchant de vous faire connaitre, dans l'ordre où elles ont été produites, les diverses œuvres qui laisseront son nom à jamais gravé dans le souvenir de ses compatriotes.

Auguste Bosc naquit à Nîmes, le 27 mars 1827, dans la rue des Lombards. Ses parents, qui exerçaient la profession de boucher, avaient pour voisin un marchand d'estampes d'origine italienne ; et, s'il faut tenir compte de ces premières impressions qui décident quelquefois de la carrière d'un homme, c'est en faisant de longues stations devant la vitrine du marchand de gravures coloriées, que l'enfant ressentit les premières effluves de cet art qui arracha un jour à Corrège la fameuse exclamation : Anche io son pittore ! Dés l'âge de 6 à 7 ans on le surprenait, le crayon à la main, griffonnant des bonshommes sur un morceau de papier, et, quand nous disons bonshommes, le terme est impropre ; car, chose singulière pour un futur statuaire, c'étaient des chevaux que l'enfant aimait surtout à reproduire.

Deux amis de sa famille, M. Noury et le docteur Recolin, reconnaissant en lui de sérieuses dispositions pour les arts du dessin, décidèrent son père à l'envoyer à l'école municipale, dirigée á cette époque par notre regretté confrère Numa Boucoiran, et obtinrent son admission, bien qu'il n'eût pas encore l'âge voulu par les règlements.

Il ne tarda pas à s'y distinguer, et remporta de nombreux prix depuis les classes inférieures jusques à celle du modèle vivant.

M. Paul Colin dirigeait alors la classe de modelage il s'empara de notre jeune élève, qui annonçait déjà des dispositions pour la sculpture, et c'est en voyant un morceau d'ornement modelé par Bosc, que l'illustre Pradier, venu à Nîmes pour exécuter les cinq belles statues qui décorent la fontaine de l'Esplanade, engagea la municipalité à donner une petite pension à notre jeune élève, promettant de le recevoir dans son atelier et de le pousser dans une carrière où il tenait lui-même le premier rang, et où il était appelé le dernier des Grecs.

Avant de quitter Nîmes, Bosc avait déjà donné une preuve de son savoir-faire, en modelant une petite statue de la République, laquelle, moulée et mise dans le commerce, se vendit en nombreux exemplaires et semblait prédire à son auteur un avenir brillant.

Voilà donc notre jeune compatriote lancé dans la carrière artistique, mais comme élève seulement ; car, en arrivant à Paris, il comprit aussitôt qu'il ne savait rien et qu'il fallait recommencer son éducation de province, s'il voulait se faire plus tard un nom dans cette pléiade de talents qui illustraient la capitale de la France.

Admis à l'École des Beaux-Arts, il se mit à l'étude avec la plus grande ardeur, et la ville de Nîmes, reconnaissante des morceaux de sculpture qu'il envoyait chaque année, et qui attestaient de notables progrès, renouvela plusieurs fois a son protégé la modeste pension qu'elle lui accordait pour subvenir à ses besoins les plus pressants.

Malheureusement, la mort de Pradier vint porter un coup funeste à l'avenir de notre ami. Nul doute qu'avec les conseils de ce maître et sa puissante protection, Bosc n'eut continué de vivre à Paris et ne fut parvenu à se faire une place honorable dans un art auquel il se livrait avec tant d'ardeur. Nous n'en voulons, pour preuve que le buste du maire d'alors, M. Vidal, que Bosc a exécuté en marbre, et qui lui valut une médaille à l'exposition universelle de 1855. Ce buste, que nous avons revu souvent, est peut-être, avec celui du colonel Blachier, ce que notre jeune sculpteur a produit de meilleur : la ressemblance du visage, le mouvement de la tête, le manteau qui drape la poitrine, tout cela est exécuté de main de maitre et suffirait pour faire la réputation d'un artiste.

Mais Bosc devait monter plus haut : il rêvait déjà de grandes compositions ; un buste ne lui suffisait plus, il lui fallait le corps entier, c'est-à-dire la statuaire dans ce qu'elle a de plus noble et de plus élevé.

Trois Églises allaient s'élever successivement dans la ville de Nîmes.

Bien qu'il appartînt par sa naissance à la religion protestante, on fit au jeune Bosc une large part dans les travaux de sculpture qui furent commandés pour l'ornementation de ces monuments religieux.



À l'église Sainte-Perpétue, il fut chargé des deux anges qui ornent la façade, et à propos desquels nous écrivions alors les lignes suivantes que nous nous bornons à transcrire :

« La qualité de l'expression est un des caractères distinctifs du talent de Bosc : les deux anges qui vont bientôt être placés sur la façade de l'église Sainte-Perpétue peuvent en fournir un frappant témoignage. Ils représentent "l'ange de la rédemption et l'ange du châtiment". Le premier s'appuie sur la croix, qu'il offre au pécheur repenti : le second tient en main l'épée flamboyante. Sur les traits de l'un, quelle douceur, quelle tendresse ! Dans la tête de l'autre, quelle noblesse et quelle fermeté aussi ! Ses lèvres serrées refusent de faire grâce ; ses yeux sont fixes et inexorables comme le destin. La largeur et en même temps la simplicité des draperies fait encore mieux valoir le soin consciencieux avec lequel l'artiste a étudié chacune de ces têtes, qui peuvent supporter la critique la plus sévère ».

À part ces deux grandes statues, Bosc en exécuta deux autres en plus petites dimensions, pour le maître-autel, et enfin cette touchante figure de la sainte martyre, sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure.

Pour Saint-Paul, on lui commanda un chemin de croix en harmonie avec le style roman de l'édifice. Ce style, à la fois simple et grave, demandait un travail qui, tout en conservant ce que l'archaïsme du moyen âge avait de bon, emprunté à l'art antique l'élégance des formes, la simplicité d'ordonnance et ce souffle d'en haut qui, répandu sur l'image taillée, lui donne quelque chose de plus que la beauté des lignes et la perfection du contour.

C'est en s'inspirant de cette pensée que Bosc entreprit les quatorze compositions qui se développent dans la nef de Saint-Paul. Toujours vrai, naïf même parfois dans son dessin, aussi éloigné de la manière que de la trivialité, il a réussi à spiritualiser l'art grec, en le trempant aux sources vives de fart chrétien.

Nous n'entrerons pas dans le détail de chacun de ces bas-reliefs qui offrent, il est vrai, des degrés différents dans leur mérite de composition et d'exécution, mais dont quelques-uns sont vraiment bien remarquables et dignes de figurer à côté des belles peintures de Flandrin. Ils furent tous préparés à Paris, sous les yeux de notre éminent compatriote Jalabert, et aussi avec les conseils de l'habile architecte Espérandieu, enlevé aux arts par une mort prématurée.

Enfin, dans la nouvelle église Saint-Baudile, qui fut érigée la dernière, nous retrouvons encore trois sculptures de Bosc sur la façade du monument. D'abord une statue de S. Baudile, malheureusement placée à une telle hauteur qu'il est impossible d'en apprécier le travail. Puis, dans le tympan de la porte principale, un bas-relief de 3 mètres environ, représentant Jésus-Christ enseignant, et enfin, sur le fronton au-dessus, un autre bas-relief sur lequel est figurée la croix byzantine, soutenue par deux petits anges aux ailes déployées.


Consécration de l'église Saint-Baudile le 28 novembre 1877..
Sur le fronton, la statue de  St Baudile, oeuvre d'Auguste Bosc, mise en place le  22 octobre 1877.


L'inauguration de ce monument n'eut lieu qu'en 1877. Mais dans l'intervalle de ces travaux, Bosc produisit un grand nombre de bustes et de médaillons,
genre dans lequel il excellait, et parmi lesquels, outre les portraits de M. Vidal et du colonel Blachier dont nous vous avons déjà parlé, nous citerons ceux de MM. Béchard, de Surville, de l'Espée, Saunier, de MMmes Silhol, Calderon, Blachier, Meynier de Salinelles et bien d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, et dont quelques-uns lui valurent des médailles d'or aux expositions de Nîmes et de Montpellier.

Nous voici arrivés, Messieurs, au point culminant de la carrière de Bosc, la période de la statue d'Antonin.

Personne n'ignore que la Grèce est le pays du monde qui a produit le plus de sculptures : le goût des statues de divinités et d'hommes célèbres devint tellement général dans ce petit coin de terre, que de tous les arts du dessin il n'y en a pas qui ait été cultivé avec plus de passion, et qui ait absorbé plus de dépenses : la Grèce entière fut à la longue couverte, pour ainsi dire, de statues des dieux et des hommes. Dans les premiers temps de la République, les Romains érigèrent un petit nombre de statues ; mais après avoir fait la conquête de la Grèce, après en avoir enlevé à différentes époques et apporté à Rome un grand nombre de statues, le goût de ces ouvrages de l'art devint peu à peu tellement vif que, selon l'expression d'un auteur ancien, on aurait pu, à une certaine époque, compter à Rome plus de statues que d'habitants.

Vous voyez que notre beau pays de France est encore bien en arrière de ses devanciers : il faut cependant reconnaitre que, depuis le milieu de ce siècle, que nous y soyons poussés, soit par le caprice de la mode (la mode l'ait parfois irruption dans le domaine de l'art), soit par un sentiment d'honneur et de gratitude envers les gloires de notre patrie, depuis quelques années, disons-nous, le goût de la statuaire publique, si je puis m'exprimer ainsi, est redevenu en honneur, et chaque ville veut montrer sur ses places quelques-unes des illustrations qui ont pris naissance dans son sein.


La statue d'Antonin, oeuvre d'Auguste Bosc, fut mise en place le 8 octobre 1874.

Nîmes n'a pas voulu rester en arrière de ses émules, et, en digne fille de Rome, elle a tenu à perpétuer à jamais le souvenir d'Antonin, dont la famille était originaire de notre ville. La municipalité, présidée en 1864 par le maire, M. Paradan, chargea Auguste Bosc de cet important travail et vota une somme importante pour l'envoyer à Rome, afin qu'il s'inspirât. des plus beaux spécimens de la statuaire antique. Si notre mémoire ne nous fait pas défaut, il fut même convenu que Bosc devait exécuter entièrement son œuvre dans la ville éternelle. Mais il faut bien reconnaitre que, malgré l'amour profond de son art et la parfaite compréhension des modèles antiques, qui auraient dû dominer chez lui tout autre sentiment, Bosc avait dans le caractère une certaine nonchalance, un manque d'énergie, qu'il ne pouvait pas parvenir à dominer entièrement. La nostalgie s'empara. de ses esprits au bout de quelques mois, et, après avoir terminé sa maquette, il revint dans son pays natal pour exécuter en marbre la belle statue qui comptera, dans sa carrière d'artiste, comme son œuvre capitale, celle où il a dépensé tout ce qu'il pouvait donner d'efforts et de talent. Permettez-nous de nous arrêter quelques moments sur cette œuvre importante, dans l'exécution de laquelle on reconnait aussi bien le mérite de l'artiste que la main du praticien le plus exercé.


Tout d'abord, commençons par faire la part de certaines critiques, qui ont reproché à la statue d'Antonin de ne pas être complètement originale, et de rappeler un peu trop certaines statues d'empereurs romains que renferme le musée du Vatican, et surtout celle de César-Auguste, découverte aux environs de Rome il y a peu d'années, et sur laquelle nous avons fait nous-même un travail que nous avons lu dans une de vos séances. Ce reproche n'est pas précisément fondé.

Pour ce qui est du masque, de la ressemblance des traits, Bosc ne pouvait faire autrement que de copier le plus exactement possible les portraits qui existent, soit en marbre, soit en bronze, sur les médailles antiques. Et c'est ce qu'il a fait, et ce dont nous avons à le louer sans aucune restriction. Quant au geste et à la pose du corps, on conviendra, si l'on a visité les divers musées d'Italie, qui renferment un si grand nombre de statues d'empereurs dans toutes les poses possibles, qu'il était assez difficile d'en inventer une nouvelle qui répondit aux exigences du sujet et aux conditions de la statuaire antique. Certes, un grand génie eût peut-être résolu le problème ; mais n'oublions pas que nous sommes en présence d'un jeune homme presque à ses débuts, d'un artiste de second ordre, d'un artiste de province pour tout dire, et que nous n'avons pas le droit d'exiger de lui ce qu'on aurait pu demander á Phidias ou á Praxitèle.

Cela posé, allons nous asseoir sur un banc du square, où la verdure fait si bien ressortir le marbre de Carrare dans lequel a été taillée la statue d'Antonin, et rendons justice au travail consciencieux de notre compatriote : louons comme il convient, d'abord l'exacte ressemblance de la tête, qui rappelle bien les portraits de cet empereur, qui mérita le surnom de Pieux et qui se plaisait à répéter ces belles paroles de Scipion : « J'aime mieux conserver la vie d'un seul citoyen que de faire périr mille ennemis ». - C'est bien là ce qu'exprime son geste, le bras étendu, comme pour rendre la justice et protéger les chrétiens, dont il fit cesser les persécutions. Si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, notre cité était encore troublée par des discordes civiles et religieuses, que ce bras protecteur d'Antonin soit un signe de paix et d'apaisement, rappelant à tous les partis que la fraternité et la concorde sont les plus belles vertus d'un peuple.

Antonin fut presque le seul de tous les souverains de Rome qui, pour parvenir au trône et s'y maintenir, put se passer de supplices. Peu de guerres vinrent ensanglanter ce règne de vingt-trois ans, qui fut une longue paix, et voilà pourquoi il nous est représenté avec son épée qu'il a détachée de la ceinture et qu'il tient renversée à la main; un manteau couvre ses épaules avec des plis savamment agencés, et tels que Bosc les avait appris de son illustre maître Pradier.

Une des grandes difficultés de la statuaire, c'est de pouvoir exécuter une figure vont on puisse faire le tour sans rencontrer une ligne qui choque le dessin et le bon goût. Bosc a parfaitement résolu le problème dans sa statue d'Antonin, et bien qu'on doive se plaire de préférence à la contempler de trois quarts, il n'est aucun autre point de vue qui offre des parties défectueuses. Louons aussi, comme il le mérite, le travail de la cuirasse, dont tous les détails sont exécutés avec beaucoup de soin, comme aussi la juste et savante imitation du costume romain.

La statue d'Antonin était à peine terminée, que Bosc eut la douleur de perdre son premier professeur, M. Paul Colin, qui dirigeait avec beaucoup de talent la classe de modelage à l'école publique de la ville. Personne, mieux que son élève, n'était en état de le remplacer dans ces fonctions. La municipalité le nomma sans hésiter, et bientôt après votre Compagnie lui fit l'honneur de l'admettre au nombre de ses membres.


Il me reste à vous parler, Messieurs, de la dernière œuvre de notre compatriote, et j'avoue que j'aborde avec quelque peine et quelques appréhension cette partie ingrate de ma tâche : car il s'agit de toucher à une ouvre qui a excité l'attention et la sympathie de toute notre population méridionale, et qui devait couronner la carrière et la réputation du sculpteur. Vous avez déjà nommé la statue de notre immortel confrère Reboul. Cette œuvre répond-elle à tout cc qu'on était en droit d'espérer de l'auteur inspiré par un tel modèle ? Hélas! non, Messieurs, je le dis avec un profond regret; mais je dois avant tout rendre hommage à la vérité, et je crois avoir fait la part assez belle à l'éloge dans la carrière de notre statuaire, pour avoir le droit de signaler le côté faible qui s'attache invinciblement à toute œuvre humaine.

Il me semble donc que, si j'avais eu à faire passer à la postérité le souvenir de Reboul, j'aurais cherché à reproduire, dans une attitude fière, noble et inspirée, celle que savait prendre le poète quand il nous disait ses beaux vers, et surtout l'expression de sa noble tête, qui rappelait les plus beaux profils romains, et dont les traits sculpturaux semblaient avoir été modelés tout exprès pour une statue antique. J'aurais cherché à trouver dans le costume une tournure et des plis qui, sans trop s'écarter du costume moderne, auraient pu s'allier un peu mieux à la sévérité et à la noblesse de l'art.

Dans nos fréquents voyages à Rome, nous allons souvent nous promener le dimanche matin à la place Montanara, rendez-vous des ouvriers de la campagne, et là, nous regardons avec étonnement de simples paysans vêtus de haillons et qui, drapés dans un manteau en guenilles, ont autant de noblesse que les empereurs romains posés sur un socle de marbre, à deux pas de là, dans le musée du Capitole.

Je sais bien que le paletot, le gilet et le pantalon à sous-pieds du XIXe siècle sont peu poétiques et difficiles à se plier aux lois de la statuaire ; cela est possible cependant : je n'en veux d'autre preuve que la statue d'Arago, due au ciseau de Mercié, qui figurait à l'un de nos derniers salons parisiens et qui orne aujourd'hui une des places publiques de Perpignan. Dans celle du boulanger-poète, je retrouve bien sa première dénomination, mais la seconde me fait défaut ; et si je le regrette, c'est surtout pour la mémoire de Reboul. Je sais bien que Bosc pourrait me dire ceci:
« Libre à vous de personnifier Reboul comme vous l'entendez, comme vous avez pu le voir quelquefois, mais comme n'avait pas l'habitude de le contempler notre population nîmoise : la grande majorité de ses concitoyens ne l'avait vu qu'à son four ou dans ses promenades solitaires ; bien peu ont assisté aux séances de l'Assemblée constituante, où il siégea pendant une ou deux sessions ; bien peu l'ont entendu, comme, vous, réciter des vers dans les moments d'inspiration, et moi-même je ne l'ai jamais oui parler dans aucune réunion et je ne pouvais, par conséquent, reproduire ce que je n'avais jamais vu ».
Voilà ce que Bosc aurait pu répondre à notre critique ; mais nous n'accepterons pas ces explications.
« Un artiste de votre talent, lui aurions-nous répliqué, doit s'élever au-dessus de ces considérations, se monter au diapason du sujet qu'il traite et se pénétrer de cette idée, que l'art du statuaire ne doit pas se borner à la transcription littérale, à l'imitation sèche et exacte de ce qui est, mais y voir toujours une interprétation large de la nature, une transformation hardie de la réalité. Reconnaissons à votre décharge qu'à l'époque où vous avez pétri la terre glaise pour composer votre statue, vous commenciez à ressentir les premiers symptômes de la maladie qui vous a emporté ; déjà vous n'aviez plus ni la fougue de la jeunesse, ni la vigueur du corps et de l'esprit, conditions indispensables pour produire une œuvre saine et vigoureuse ».
Peut-être aussi que Bosc subissait malgré lui l'influence d'une école qui a pris naissance de nos jours, et qui, sous le nom d'intransigeante, de réaliste, d'impressionniste, de luministe, pense qu'une œuvre offre assez de qualités, quand elle reproduit fidèlement un des côtés quelconques de la nature humaine, école dont le chef en peinture se nomme Manet, et Zola en littérature. Je ne sais le temps que dureront de tels errements; mais, sans vouloir faire la part trop grande à l'idéal, dont il est de mode de se moquer dans la nouvelle école, et qui, selon nous, devrait être le but poursuivi par l'artiste et par l'écrivain, il nous est impossible d'admettre qu'il y ait autant de mérite à reproduire un tas de pierres sur une grande route qu'une tête de Pérugin ou de Fra-Angelico.

Certes, Raphaël avait pu voir souvent la Fornarina pétrir de la pâte ou raccommoder des bas ; ce n'est pas dans ces moments qu'il l'a prise pour retracer son visage sur ses toiles immortelles ; et s'il ne s'était pas préoccupé du côté idéal qu'il trouvait dans son modèle, nous n'aurions pas les admirables figures de Vierges qu'il a su transporter dans ses tableaux, et qui ont fait l'admiration de toute sa postérité. Mais je ne voudrais pas prolonger une digression qui nous mènerait trop loin et risquerait de fatiguer votre attention. Je rentrerai donc dans mon sujet en reconnaissant que la statue de Reboul, à part les réserves que j'ai cru devoir faire, est I'œuvre d'un ciseau habile à tailler le marbre ; qu'un des côtés de la physionomie de Reboul a été fidèlement rendu ; que le bas-relief ornant le piédestal, et reproduisant la touchante poésie de l'Ange et l'Enfant, est traité avec un sentiment exquis, digne des beaux vers qui ont tant contribué à la gloire du poète, et que l'ensemble de cette œuvre répond même aux besoins et aux instincts de cette école réaliste contre les tendances de laquelle j'ai cru devoir protester. Il est possible que ce soit elle qui ait raison, et que l'avenir donne tort à ceux qui pensent que l'art doit poursuivre un autre but que celui de reproduire une effigie vulgaire, sous quelque aspect et dans quelques conditions qu'elle se présente. Alors seulement nous ferons notre meâ culpâ. Mais jusque-là nous croirons que la mission de l'art est plus élevée, que la beauté et le charme de la sculpture, comme de toute œuvre d'art, ne consistent pas seulement dans la pureté du dessin et dans le choix des formes que l'artiste découvre dans l'immense tableau que la nature déroule autour de lui, mais encore, et plus encore dans un concours de rapports et de perfections que sa pensée créatrice ménage ingénieusement dans l'ensemble et le détail de ces mêmes formes ; et pour compléter notre pensée, nous dirons : Là où finit le modèle, l'artiste commence, et la sphère de l'idéal apparait à ses yeux.

Eh bien ! cet idéal, Messieurs, vous le trouverez au fond d'une chapelle obscure de l'Église Sainte-Perpétue. C'est dans la période la plus virile de son âge et de son talent (1864), que Bosc exécuta la statue en pierre, qui me paraît résumer toutes les qualités de l'art sérieux et tel que je le voudrais toujours. De la main gauche, Sainte Perpétue tient la palme du martyre ; de l'autre, elle relève les plis de son manteau sur la poitrine, comme pour voiler la partie la plus séduisante des formes féminines. « Avant de la livrer aux bêtes, lisons-nous dans la tradition légendaire, on lui donna un habit flottant pou la couvrir ; secouée par la vache qui allait bientôt la dévorer, et voyant son habit déchiré par le côté, elle l'ajusta et le recouvrit, songeant moins à sa douleur qu'à garder partout l'honnêteté. » Bosc s'est bien inspiré de ces paroles. Mais c'est surtout la tête et l'expression du regard levé au ciel, comme s'il voyait déjà la récompense promise aux élus, qu'il faut admirer et louer sans restriction aucune. Je ne sais si je me trompe dans mes appréciations, mais cette remarquable statue me représente le talent de notre regretté confrère, dans ce qu'il a de plus poétique et de plus élevé, et c'est dans cette chapelle de Sainte-Perpétue que ma pensée va le chercher pour lui rendre l'hommage qui lui est dú.

Ici ma tâche est à peu près terminée. Je ne voudrais pas m'appesantir sur les dernières années de notre cher confrère, assombries par une cruelle maladie. Vieillard avant l'âge, il a vu comme un nuage éteindre la vivacité de ses yeux et réduire à néant les brillantes facultés dont la Providence l'avait doué, et, chose bien triste à dire pour notre pauvre humaine nature, il a eu cela de commun avec beaucoup d'autres hommes distingués, avec notre illustre Reboul. Son labeur incessant, son éloignement de toute société, qui lui faisait négliger même ses amis, l'isolement dans lequel il travaillait dans son atelier, tout cela contribua à affaiblir les facultés de son cerveau, et il s'éteignit dans les bras de sa famille le 10 décembre 1879.

Toutefois, s'il est triste de voir finir misérablement des êtres si richement doués à leur début, il est doux de penser que leurs œuvres survivront, et, comme celles de Bosc, éterniseront sa mémoire dans le souvenir de la postérité.

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Document origine Conseil Général

Encouragement au jeune Bosc, élève sculpteur.
Séance du 26 août 1850 du Conseil général du Gard

M. de Pontmartin a la parole, au nom de la commission des objets divers, et fait le rapport suivant :
« Votre commission des voeux et objets divers m'a chargé de vous faire un rapport au sujet de la demande relative au jeune Bosc, dont le talent, pour la sculpture, donne les plus belles espérances.
Nous avons eu sous les yeux une lettre de M. le Préfet, favorable à M. Bosc ; une lettre de la commission des beaux-arts , écrite dans le même sens, et deux certificats très flatteurs, signés, l'un de M. Numa Boucoiran, l'autre de M. Pradier. Enfin, l'on nous a fait voir quatre morceaux de sculpture , qui révèlent les plus brillantes dispositions.
La question semble donc bien facile à résoudre ; une seule difficulté se présente : M. le Préfet n'a point compris dans ses propositions du budget les 400 fr demandés pour M. Bosc, et qui, joints à la somme votée par le Conseil municipal de Nîmes, compléteraient la pension destinée à faire vivre cet artiste à Paris. Nous ne trouvons au budget que le nom de M. Simil , artiste peintre, qui a joui pendant trois ans de cette allocation.
Les attestations et les demandes relatives à M. Bosc sont, en effet, arrivées trop tard, ainsi que l'indiquent les documents précités, pour que son nom pût être porté sur le budget, et y remplaçât le nom de M. Simil , qui, nous le répétons, a touché la pension pendant trois ans, terme fixé pour la durée des allocations de ce genre .
Le travail de votre commission devait-il se borner uniquement à remplacer, sur cette ligne du budget, le nom de M. Simil par le nom de M. Bosc ? C'est ce qui a paru évident à la majorité ; d'autant plus que le conseil municipal de Nîmes, ayant cessé dé pensionner le jeune Simil, les 400 fr. votés par le Conseil général seraient insuffisants et sembleraient n'avoir plus de sens.
Pourtant, je dois ajouter que les événements politiques, ayant empêché M. Simil d'aller passer un an en Italie pour y compléter ses études, et ce jeune homme, proposant de faire ce voyage à ses frais si l'on consentait à lui accorder, pour cette année seulement et sans tirer à conséquence, cette somme de 400 fr, la minorité de votre commission a pensé que l'on pourra continuer, à M. Simil , pour cette année seulement, cette allocation, sans préjudice, bien entendu, d'une somme égale à accorder supplémentairement à M. Bosc.
Quoi qu'il en soit, Messieurs, et sans s'arrêter à cette opinion de quelques-uns de ses membres, la majorité de votre commission a décidé que l'allocation de 400 fr serait purement et simplement transférée de M. Simil à M. Bosc. »

Les conclusions du rapporteur sont adoptées.
Néanmoins ; M. de Pontmartin reprend, en son nom personnel, la proposition de continuer, en faveur du jeune Simil et pour cette année seulement , l'allocation annuelle de 400 fr dont ce jeune artiste jouissait dans les budgets précédents.
II a pris des renseignements sur les ressources de ce jeune homme, qui sont encore insuffisantes, et qui cependant, avec l'allocation proposée, lui permettraient d'aller en Italie continuer ses études.
Cette proposition, n'étant qu'un amendement à celle de la commission, est mise aux voix.
Mais le vote ayant donné 16 voix contre 16, elle est rejetée.
Quelques membres demandent que l'épreuve soit renouvelée comme douteuse ; d'autres, au contraire ; qu'elle reste définitive, et qu'il soit passé à l'ordre du jour.

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