AMÉNAGEMENTS DE LA FONTAINE DE NÎMES aux XVIIIe siècle Extrait de Nîmes et ses rues, Albin Michel, 1876, tome I, pages 269 à 282 Jardins Fontaine de Nîmes vers 1835. A l'époque romaine, la source probablement plus abondante qu’aujourd’hui, à cause du voisinage des immenses forêts qui couvraient presque toute la contrée, coulait à travers de fertiles prairies. Les Romains honorant d'un culte particulier les divinités des eaux s'y rendaient pour faire leurs ablutions et avaient construit tout près, en l'honneur de Nemausus ou Nemausa, un temple et des bains publics dont nous voyons encore aujourd'hui les superbes vestiges. Les invasions diverses qui vinrent à de si fréquentes reprises ensanglanter la Gaule Arécomique et la couvrir de ruines, durent naturellement modifier la manière d'être de toute la colonie Nîmoise et de tons les travaux des Romains il ne resta plus que les traces des immenses aqueducs au nombre de six principaux qui sillonnaient tout l'intérieur de la ville. D'un autre côté, la religion chrétienne ayant remplacé le culte des faux dieux, les religieuses de Saint-Sauveur de la Fontaine vinrent s'établir en 991 dans l'ancien temple bâti par les Romains près de la source ; ce couvent acquit bientôt une importance considérable tant par la position distinguée des personnes qui s'y faisaient admettre que par l'étendue des propriétés qui lui étaient constamment données ; de nombreux moulins s'établirent le long des prairies qu'arrosaient les eaux de la source ; les plus rapprochés du creux et les plus importants étaient le moulin de l'Abbesse appartenant au couvent et celui du Viguiers d'Albenas. La situation pittoresque de la source qui sortait du pied du rocher devait naturellement en faire un but do promenade pour les habitants ; aussi voyons-nous qu'en 1643 le premier consul, Louis Trimond, avocat, fit, avec l'autorisation du conseil de ville, planter une allée d'ormeaux depuis le jardin Bernier jusqu'au bassin de la source. Celle-ci n'a pas toujours fourni la quantité d'eau nécessaire pour les besoins des habitants, et lorsque les étés se passaient sans pluie comme cela arrive souvent dans notre Midi, son niveau baissait tellement que le manque d'eau devenait une véritable calamité. Parmi les sécheresses les plus grandes, en cite celles de 1362, 1520, 1561, 1656, 1659, 1666, 1719, 1752, 1755, 1784, 1822, 1837, 1839, 1850 et 1868. La dernière sécheresse de 1868 fut si générale dans toute la ville que la municipalité non-seulement fit rouvrir tous les puits publics, notamment celui de la Grand'Table le 25 juillet, mais qu'elle organisa de plus des trains gratuits pour transporter à Beaucaire toutes les personnes qui avaient du linge à laver. Pour cela, dés billets d'aller et retour furent donnés gratuitement aux nécessiteux qui en faisaient la demande. Cette situation dura tout l'été. Le service de la voirie fut obligé d'installer une machine à vapeur qui, puisant l'eau de la source de la Fontaine, la déversait au-delà du barrage dans le bassin de retenue. En 1666, les eaux avaient tellement baissé, que les lavandières et les blanchisseuses étaient obligées de nettoyer leur linge dans le bassin mime de la Fontaine, ce qui pouvait infecter cette source et causer des maladies aux habitants. Aussi le conseil de ville ordonna- t-il la construction d'un lavoir entre le mur d'enceinte de la source et l'écluse du moulin du Viguier Allumas. Lors des grandes réparations faites à la Fontaine sous Louis XV, on trouva une pierre cassée en deux (conservée au Temple de Diane), nous donnant les noms des consuls et des ouvriers qui exécutèrent ces travaux. M. Auguste Pelet a rétabli cette inscription un peu fruste de la manière suivante : SIMON NOVI AVOCAT SI MON BROVZET BOVRGEIS IA CQVES TAILLARD MARCHANT ET FOVLCARAND VANEL LA BOVREVR ET AVEC LES OVVRIERS SIEVRS IEAN R OVLE POVRCE ET DELON B ONNEVIE SYNDIC LIVRE EN LANNEE (1) MDCLXVI (1) V. Teissier, t. 8 p. 423. En 1730, pendant la tenue des États Généraux de Languedoc à Nîmes, le corps des marchands et fabricants de la ville demanda des secours pour rétablir l'abondance des eaux de la Fontaine, car la muraille qu'on avait établie autour de la source et les trois moulins qui se trouvaient à côté devaient retenir lesdites eaux et les empêcher de suivre leur pente naturelle. À l'appui de leur réclamation, ils produisirent un plan drossé par l'ingénieur Pierre Guiraud, chevalier de l'ordre de Saint-Louis, mais leur demande n'aboutit pas et ce ne fut qu'en 1738 que le conseil de ville décida de nettoyer le bassin de la source et de rouvrir les canaux anciens qui aboutissaient à la ville. L'abbesse du monastère de Saint-Sauveur s'opposa bien à l'exécution de ces travaux en prétendant que la source lui appartenait, mais le conseil passa outre, et en 1739 les états de Languedoc, saisis de la question, chargèrent l'ingénieur Clapies de faire un rapport. C'est alors qu'on découvrit dans le bassin du moulin d'Albenas les premiers vestiges des travaux des Romains ; ces découvertes faisant présumer que ces monuments antiques allaient jusque sous les bâtiments dudit moulin, le conseil de ville délibéra ; le 3 août 1739, de faire l'achat de cette usine. (1) Sur ces entrefaites, nous dit Ménard (2), avait été terminé le projet de l'acquisition du moulin de l'abbesse de Saint-Sauveur. Ce fut avec le sieur de Rougnac, gentilhomme de Beaucaire, qui s'était chargé des intérêts de cette dame, que l’affaire se conclut à Nîmes même, par la médiation de l’évêque de cette ville. (1) V. Archives municipales, registre des délibérations du Conseil de ville. (2) Ménard, t. 6 page 500. Il fut donc convenu que l'abbesse et les religieuses vendraient à la ville le moulin, le jardin potager, le champ et la vigne qu’elles possédaient, moyennant une pension perpétuelle de mille livres qui serait payée du fonds des subventions et, à leur défaut, imposée annuellement sur les tailles, l’abbesse réservant le pouvoir de prendre toujours le titre d’abbesse de la Fontaine. Ces conventions ayant été rapportées au conseil de ville, l’assemblée les approuva et délibéra de les exécuter après en avoir obtenu la permission de l’intendant. Cette autorisation ayant été immédiatement donnée, il fut passé une vente de ces fonds sous seing privé le 7 septembre 1739 en présence de l’évêque de Nîmes, pour être ensuite revêtue de l’autorité publique, après qu’on aurait observé les formalités prescrites pour l’aliénation des biens ecclésiastiques, conformément à l’ordonnance de l’intendant. Après que l’ingénieur Clapiès eut fait la visite et l’examen des réparations qu’on voulait faire à la Fontaine de Nîmes, il en dressa un plan et un devis dans lequel il faisait entrer la construction des deux fontaines qu’il plaçait, l’une au milieu du Cours, et l’autre près des Casernes ; ces différentes pièces ayant été mises entre les mains d’un des syndics généraux de la province de Languedoc, celui-ci les remit pendant les États tenus à Montpellier au commissaire des travaux publics qui les examinèrent avec soin, après quoi l'évêque d'Alais en fit le rapport à l'assemblée le 10 janvier 1740. Il lui exposa que les ouvrages projetée étaient absolument nécessaires, pour soutenir le commerce Nîmes par rapport ses manufactures ; que la dépense en était à la vérité considérable, puisqu'elle se montait en total à près de cent cinquante mille livres, et que, distraction faite du dédommagement des propriétaires des moulins et de la construction des deux fontaines, elle revenait pour des manufactures et fabriques à plus de soixante mille livres ; que cependant la commission des travaux publics avait cru devoir les approuver. En conséquence, l’assemblée délibéra d'accorder douze mille livres pour l'exécution des susdits travaux suivant le projet de l'ingénieur Clapiès. Disons en passant que l'ingénieur Clapiès est, probablement le même, qui de 1720 à 1729 construisit l'aqueduc de 48 arches qui traverse la vallée de l'Auzon et qui amène à Carpentras les eaux de la montagne des Alps. L'ingénieur Clapiès étant mort en 1740, Dardailhon le remplaça ; mais la même année et le 20 décembre, il intervint un arrêt du conseil d'État du Roi, qui ordonna qu’il serait procédé par Jacques-Philippe Mareschal, ingénieur et directeur des fortifications de la province du Languedoc, tant à la visite des ouvrages nécessaires pour les réparations de la Fontaine, qu'à l'examen des différents plans et devis qui en avaient été dressés, avec pouvoir d'y augmenter ou diminuer, même d'en dresser de nouveaux, s'il le fallait, après qu'ils auraient été approuvés par l'intendant, devant lequel l'adjudication des ouvrages ocrait passée, avec pouvoir aussi de commettre; pour la conduite des ouvrages, s'il en était besoin, tel inspecteur que bon lui semblerait (1). Le même arrêt permit au maire, consuls et habitants de Nîmes, de prendre tous les terrains, moulins et autres bâtiments qui seraient nécessaires pour ces ouvrages, en dédommageant les propriétaires suivant l'estimation des experts convenus par les parties ou nommés d'office par l'intendant. (1) V. Ménard, t. 6 page 507. Il fut en même temps donné pouvoir à ce magistrat de juger, sauf l'appel au conseil, toutes les contestations nées et à naître, tant au sujet de ces estimations et dédommagements, que pour ce qui concernait la propriété des terrains, moulins et bâtiments, de même que toutes celles qui étaient survenues ou pourraient survenir à l'occasion de la propriété de la Fontaine et des ouvrages qu'il y aurait à faire. Il est assez intéressant de voir quelle fut alors la procédure suivie, en la comparant à la manière dont les Choses se passent aujourd’hui lorsqu'il s'agit d'exécuter un travail d'utilité publique ; et c'est encore dans Ménard, que nous trouvons détaillées les diverses phases de cette affaire. Les découvertes qu'on faisait chaque jour aux environs de la Fontaine démontraient avec évidence que les premiers moulins situés à l'issue de ses eaux avaient été bâtis sur des monuments antiques. Aussi donnèrent-elles lieu de demander aux propriétaires la production des titres en vertu desquels ils avaient construit et s'étaient approprié l'usage d'une source publique. Il fut donc pris une délibération par le conseil de ville ordinaire, le 18 avril 1841, qui chargea les consuls de former cette demande devant l'intendant à qui l'on a vu que la connaissance de toutes ces contestations avait été renvoyée. Ce magistrat, sur la première requête des consuls, informa le contrôleur général de l'état de l'affaire, lequel répondit que les propriétaires des moulins devaient justifier leur possession par des titres de propriété. Sur la sommation qu'on fit en conséquence à ces derniers, ils représentèrent ces titres, mais ils ne furent pas trouvés suffisants ; d'où il résultait que, ne rapportant aucune concession valable de leurs moulins, la possession n'en était fondée que sur une usurpation. Alors on convoqua le conseil de ville général et extraordinaire qui fut tenu le 10 septembre 1741, pour concerter la manière dont la ville avait à corriger et rectifier les conclusions qu'elle avait prises par ses requêtes dans le cours de ses contestations. Il fut délibéré d'attaquer les acquisitions qu'on avait faites des moulins, de poursuivre la rescision du traité fait avec l'abbesse de former même opposition aux ordonnances qui pourraient déjà avoir été rendues à ce sujet, et enfin de demander que les prétendus titres communiqués par les propriétaires fussent rejetés. Le maire et les consuls se pourvurent en conséquence au conseil d'État du roi, et y demandèrent que ces nouvelles conclusions leur fussent adjugées. Il fallut toutefois, avant la décision de ce différend, en venir à la démolition du moulin de l'abbesse et de celui d'Albenas. Un mémoire en forme d'avis que l’ingénieur Mareschal dressa, portait que ces deux bâtiments arrêtaient les progrès des découvertes et des connaissances dont on avait besoin pour fixer un projet définitif. Sur quoi, le conseil de ville ordinaire délibéra le 28 octobre de se pourvoir devant l'intendant et demanda que, sans préjudice des droits respectifs des parties, l'abbesse et Albenas fussent tenus de faire démolir leurs moulins et en enlever les matériaux ; que faute par eux de le faire, il serait procédé à cette démolition à leurs risques et périls, et que les matériaux seraient déposés entre les mains d'un tiers, on vendus, et le prix déposé en celles du receveur de la ville. Fouilles de la Fontaine de Nîmes en 1742 et restes romains. Ce magistrat rendit deux ordonnances le 24 janvier 1742 ; entièrement favorables à cette demande, et, les deux moulins furent démolis (1). (1) Archives de l'hôtel de ville. Les divers plans, projets et études de Mareschal n'ayant été terminés qu'en 1744, il intervint un arrêt du commit d'État du roi, tenu au camp devant Fribourg, le 26 octobre, qui en ordonna l'exécution. Le devis de Mareschal ayant été publié le, 12 février 1745, l'adjudication des ouvrages eut lieu le 30 mars, de cette même année en présence du lieutenant du maire et du consul qui s'étaient rendue à Montpellier. Elle fut prononcée en faveur d'Hilaire Ricard, architecte de Montpellier, sous le cautionnement de Jacques et Jean-Antoine Giral, architectes de la même ville, pour les finir et les rendre parfaite, dans le terme de trois années. Les travaux furent en conséquence commencés le 22 avril suivant. Sur ces entrefaites, l'intendant avait jugé, définitivement, par une ordonnance en date du 12 février 1745, l'affaire concernant la résiliation demandée par la ville, des contrats d'acquisition des premiers moulins situés à l'issue des eaux de la Fontaine. Cette ordonnance portait que le traité fait avec l'abbesse de Saint-Sauveur en 1739, pour l'achat de son moulin et des autres fonde lui appartenant situés près de la Fontaine, sous la pension perpétuelle de, la somme de mille livres, était rescindé et, les parties remises au même état où elles étaient auparavant. Que les Consuls rendraient à l'abbesse les revenus qu'ils en avaient perçus on dû percevoir ; que de son côté l'abbesse leur restituerait les sommes qu'elle avait reçues en conséquence du traité ; que la ville indemniserait les propriétaires des mouline suivant l'estimation qui en serait faite par les experts, sans comprendre néanmoins dans cette estimation la valeur des matériaux et des agrès de ces moulins, mais seulement la valeur du sol, et que les intérêts des indemnités seraient accordés aux propriétaires à compter du lotir où ils avaient cessé de jouir de leurs fonds, à la charge toutefois, que l'Abbesse ne pourrait en retirer le paiement qu'en assignant un emploi. Pendant ces diverses phases, les travaux avaient continué et pour les parachever, une nouvelle adjudication des ouvrages fut faite par l'intendant de Montpellier Le Nain, le 15 avril 1747, en faveur de trois maçons de Nîmes, savoir : Étienne Roux, Antoine Rey et Simon Dassas, sous le cautionnement de Claude Bruguier, bourgeois de la même ville. Pour compléter l'embellissement des nouveaux canaux de la Fontaine, on résolut alors de donner un alignement régulier aux rues du nouveau faubourg qui allait se former dans ce quartier et de soumettre toutes les maisons à un plan uniforme. Ces divers projets furent approuvés par l'arrêt de Conseil d'État du roi, daté du camp de Hamal en date du 20 août 1747. Les travaux furent donc exécutés tels qu'on les voit aujourd'hui, et en 1754 la ville commença de faire construire avec une exacte symétrie en pierres de taille, jusqu'à la hauteur d'un étage, les murs de face des maisons du Quai, et promit d'abandonner ces murs aux particuliers propriétaires des fonds sur lesquels ils étaient construits, mais à la condition expresse qu'en élevant ces murs et y bâtissant les façades des maisons, ils se conformeraient au plan général. Plan des embellissements projetés en 1755 Enfin en 1755 la ville voulant donner des témoignages publics de sa gratitude envers le vicomte de Saint Priest, intendant du Languedoc, qui l'avait favorisée dans la continuation des travaux de la Fontaine, fit placer les armoiries de ce magistrat sur les piles d'un dos ponts du nouveau canal, à la gauche de celles de l'intendant Le Nain son prédécesseur. En 1786 les Récollets cédèrent à la ville la partie de leur enclos qui avoisinait le canal de la Fontaine, ce qui permit de bâtir les maisons qui le bordent du côté faisant face au Nord. Enfin, c'est à l'ancien maire M. Cavalier et à l'ancien préfet M. d'Haussey que l'on doit la plantation des pins qui s'échelonnent jusqu'au pied de l'esplanade du Mas Rouge celles qui vont jusqu'au pied de la Tourmagne sont dues à l'administration de M. Girard La promenade de la Fontaine a toujours été l'objet de la sollicitude de nos différents administrateurs, et c'est par des achats répétés qu'on est arrivé à en compléter le périmètre actuel. Ainsi, les enclos Beuf et Albezac ont été acquis dès le 24 mars 1829, mais n'ont été livrés au public qu'en 1848 ; le jardin Tachard l'a été le 26 janvier 1838, et la Vente du mas Rouge, appartenant M. Robert, remonte à l'année 1839. Enfin c'est en 1865 et 1867, que la ville a acheté les enclos Méjean, Mollard et Féminier. |