La Guerre de Cent Ans à Nîmes
en 1355
 
 
 
...le Prince Noir engage une expédition au cœur du Languedoc, les Nimois se fortifient, trois portes de la ville seulement restent ouvertes : la porte des Arènes, celle des Carmes et celle de la Bouquerie...
 
La région nîmoise n'a subi que les contre-coups de la lutte séculaire contre les Anglais; le détail en serait monotone, ce sont des levées d'impôts, des innovations fiscales, les envois répétés de troupes en Guienne, des menaces de débarquement sur les côtes, les pestes et les pillages commis par les bandes de routiers. On ignore les moratoires, et les saisies judiciaires se précipitent. Sur mer la situation n'est pas meilleure, le roi de Majorque menace les côtes; les Gênois produisant de vieux parchemins, vont jusqu'à dire que les marins aigues-mortais ne peuvent armer de bateaux sans leur permission.
 
Au milieu du siècle les Anglais développent leurs succès militaires au point que le fameux Prince Noir (1) engage une expédition au cœur du Languedoc (2). Il est heureusement arrêté par les milices de notre sénéchaussée en 1355 (3).
 
« Le prince de Galles en partant de Narbonne mit le feu au bourg, et s'avança jusqu'à Capestang, dans le dessein de pénétrer jusqu'à Avignon: mais il jugea à propos de ne pas pousser plus avant, parce qu'il apprit que le comte d'Armagnac et le connétable ayant enfin assemblé une armée aux environs de Toulouse, marchaient d'un côté, tandis que les milices de la sénéchaussée de Beaucaire s’avançoint de l’autre ; pour tâcher de l’envelopper. Il prit donc le parti de rebrousser chemin, et de se retirer dans les montagnes du Cabardez et du diocèse de Carcassonne ; portant également dans sa retraite le fer et le feu dans tous les lieux qui se rencontrèrent sur son passage. (Dom Vaissete - Histoire Générale de Languedoc ) »
 
Il faut prévenir son retour et les Nimois se fortifient trois portes de la ville seulement restent ouvertes : la porte des Arènes, la plus forte, celle des Carmes, celle de la Bouquerie ; on remet en état les barbacanes, les ponts-levis, les herses ou « sarrasines »; on surhausse les deux tours romaines qui flanquent la porte des Carmes, et on surmonte celle-ci d'une échauguette. Le château des Arènes est mis de même en état, et c'est vers ce temps qu'on construit la porte de la Couronne. (plan des fortifications ci-dessus)
 
Quant à la garnison elle se formait ainsi : de 700 à 1.000 hommes pouvaient être appelés et répartis en 70 dizaines sous les ordres d'un « dizainier » ; la compagnie comprenait 50 hommes sous les ordres d'un cinquantenier ; il y en avait 14 qui plaçaient leurs gens le long du rempart à raison d'un chef de famille par créneau, ou de deux en deux créneaux, selon les besoins. En cas de péril extrêmes tous les membres de la famille venaient se grouper derrière leur chef pour l'aider à défendre son créneau. A chaque archère, on plaçait un arc ou une arbalète; on comptait 2.000 arbalètes dans l'arsenal de la ville. Chacune des trois portes était gardée par une dizaine et deux sentinelles; deux cinquanteniers étaient de garde chaque jour.
 
Ces précautions généralisées dans toutes les villes se montrèrent efficaces; quand le Prince Noir revint en 1356, il ne put s'enfoncer en Languedoc; il fila en Auvergne, ravagea cette province puis le Berry et le Poitou. La défaite du roi Jean (4) augmenta les charges de la guerre des frais de rançon. On institua un impôt personnel, le « capage », et un impôt sur le sel, la « gabelle » qu'on ne pardonna jamais à la royauté. (5)
 
L'année 1358 fut marquée à Nimes par deux incidents qui nous replacent dans l’atmosphère de l'époque.
 
Le premier survint à l'occasion de la provision annuelle que les cardinaux d'Avignon faisaient à Nimes; ils achetaient en bloc aux vignerons du pays, par l'intermédiaire des consuls, la quantité qu'il leur fallait. Les princes d'Eglise exigeaient que le vin leur fût vendu non par barriques, mais au poids, et ils se plaignirent de n'avoir pas eu le poids convenu cette année-là. Le pape Innocent VI (6) intervint dans ce différend commercial et plaça la ville entière en interdit pendant un an. Du reste les Nimois savaient riposter à l'occasion; les collecteurs des taxes pontificales n'étaient pas toujours bien reçus; une fois: ils furent chassés de la ville à coups de bâton.
 
Le deuxième incident de cette année fut provoqué par la nouvelle que des Provençaux complotaient une expédition en pays nîmois; un chevalier de notre ville, Rati, un descendant d'Italiens, accusa formellement un Génois, Baudo Doria, d'être l'instigateur du complot. L'enquête établit que c'était Rati lui-même qui avait fomenté le projet et exploité le vieil esprit d'animosité qui opposait Tes deux rives du Rhône. Il fut décapité sur la Place.
 
Extrait de Ecole Antique de Nîmes - Nîmes à la fin du Moyen-Age de Marcel Gouron, 1933
 
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NOTA
(1) Le Prince Noir
Son nom est Édouard de Woodstock. Il est prince d'Aquitaine, prince de Galles et duc de Cornouailles. Il est le fils aîné du roi d'Angleterre, Édouard III.  Il a été  choyé par son père, ne négligeant ni son éducation ni son instruction de prince. Son père l'appelait « The Boy ». Son surnom est dû à la couleur de son armure. Le 12 juillet 1345, il est fait chevalier par son père.
En compagnie de son père, il participe à la bataille de Crécy en 1346 qui voit la victoire des anglais sur les français.
En pleine guerre de Cent Ans, en 1355, son père l'envoie protéger les possessions anglaises en Aquitaine contre les français. Un courrier du roi, Jean II le bon, prévient de son arrivée. C'est un guerrier, recherchant les victoires, la gloire et des butins. Il est sanguinaire, même envers les femmes et les enfants. Il constitue une armée et entâme des raids contre les français. Cette dernière, plutôt disparate, est composée de Gallois, d'Irlandais, de Flamands, d'Artésiens, d'Allemands et de Gascons. Il entre dans Toulouse le 26 octobre 1355.
 
(2) Itinéraire du Prince Noir, depuis Bordeaux le 4 octobre 1355.
Le 4 octobre départ de Bordeaux ; 6 octobre Langon ; 8 et 9 octobre Bazas ; 10 octobre Castelnau (Landes) ; 13 octobre Monclar ; 14 au 16 octobre Nogaro ; 17 octobre Plaisance ; 21 octobre Mirande ; 24 octobre Simorre ; 25 octobre Lombez et Samatan ; 26 octobre Toulouse ; 27 octobre La Croix Falgarde ; 29 octobre Montgiscard ; 30 octobre Baziège, Villefranche, Avignonet, 31 octobre Mas Sainte Puelle Castelnaudary ; 1 et 2 novembre St Matin Lalande, Labordes, Pexiora, Villepinte, Alzonne, Alzau ; 3 novembre Carcassonne ; 6 novembre Le Bourg est livré aux flammes ; 7 novembre Trèbe, Milhan (Milleret), Rustiques, Puichéric, Castelnau d’Aude, Sérame, Canet ; 8 Passage de l’Orbieu à Villedaigne, Arrivée à Narbonne ; 10 novembre Le bourg de Narbonne est incendié, Cuxac d’Aude, au soir le Prince couche à Aubian près de l’Etang de Capestang ; 11 novembre Ouveillan, Capestang ; 12 et 13 Homps, Laredorte, Azille, Pépieux, Siran, Lavinière, Ventajou, Lamigran, Félines d’Hautpoul ; 14 novembre Peyriac Minervois, Buadelle, Villepeyroux, Conques, Pennautier ; 15 novembre Un détachement va brûler Pezens pendant qu’une colonne se détachant du gros va brûler Limoux. En rejoignant le gros qui se rend à prouille après avoir brulé Montréal, les villages de Lasserre et de Fanjeaux sont également brûlés. La rencontre se fait à Villasavary ; 16 novembre l’Armée entière passe à Belpech ; 17 novembre l’Armée gagne la région Toulousaine en passant par Mazères et Calmon.
 
(3) La Sénéchaussée de Beaucaire.
Nimes était le siège de la sénéchaussée de Beaucaire et de Nîmes, qui se composait des vigueries suivantes :
 Aiguesmortes, Alais (Alès), Anduze, Bagnols (sur Cèze), Beaucaire, Lunel, Nîmes, Roquemaure, Saint-André (Villeneuve les Avignon), Saint-Saturnin-du-Port, (Pont-Saint-Esprit), Sommière, Uzès, Le Vigan et Meyrueis, Montpellier, Le bailliage de Gévaudan, Le bailliage du Velay, Le bailliage du Vivarais (Ardèche).
 
(4) La défaite du roi de France, Jean le Bon
Le 19 septembre 1356, l'armée française est écrasée par les archers anglais au nord de Poitiers. Le roi Jean II le Bon est lui-même fait prisonnier. Une belle légende garde le souvenir du dévouement légendaire du jeune fils de Jean le Bon. Au cœur de la bataille de Poitiers, lorsque les chances de vaincre sont quasiment anéanties, Jean II ordonne à ses trois fils aînés, le dauphin Charles, Louis duc d'Anjou et Jean duc de Berry, de prendre la fuite. Le roi veut protéger sa descendance, et donc sa succession. Seul, le jeune Philippe, âgé de 14 ans, reste auprès de son père, pour le soutenir jusqu'au bout, non par les armes, mais par les paroles : «Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche !»
 
(5) La Gabelle
Le Languedoc sera soumis au régime fiscal de la "petite gabelle", la vente du sel était assurée par les greniers à sel, mais où la consommation restait généralement libre.
Dans les régions de "grande Gabelle", le foyers devaient y acheter obligatoirement une quantité fixe annuelle de « sel du devoir », ce qui transformait la gabelle en un véritable impôt direct.
 - La Gabelle, (impôt sur le sel) sera instaurée pour financer les charges de guerre contre l’Anglais et la rançon du roi Jean, par la suite elle perdura jusqu’à la révolution, elle ne sera jamais acceptée par le peuple.
 
(6) Le Pape Innocent VI - De 1352 à 1362 (Etienne Aubert)
Il renoua avec l'austérité de Benoît XII, de toute façon, aurait-il voulu qu'il en soit autrement, le trésor pontifical n'existait plus, en 1358, il fut même obligé de vendre argenterie et bijoux personnels. Maladroite, sa politique ne connut pas un grand succès.
De plus, c'est l'époque des grandes compagnies, qui coutent si cher à Avignon et qui lui feront construire les remparts, de la famine et la peste qui ravagent à nouveau la ville. Accablé par tant de soucis, Innocent VI déclina rapidement et mourut le 12 septembre 1362. Son tombeau est situé à la Chartreuse de Villeneuve les Avignon, qu'il fonda en 1356, à l'emplacement de sa livrée.
Ses prédécesseurs en Avignon : Clément V (1305-1314) ; Jean XXII (1316-1334) ; Benoît XII (1334-1342) ; Clément XI (1342-1352)
 
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