La Guillotine à la Place des Carmes
par M. Edouard BONDURAND, 1922
Membre honoraire de l’Académie de Nîmes
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- Les Etats-Généraux de
l'ancienne France ont toujours comporté des cahiers qui étaient mis sous les
yeux du pouvoir central. Ces cahiers devinrent si importuns, dans une
monarchie orientée vers l'absolutisme à partir de Richelieu, qu'on cessa, de
convoquer les Etats Généraux entre 1614 et 1789. En 1789, les cahiers du
Tiers Etat furent signés par tous les habitants des communes dans leurs
assemblées primaires. Après la Révolution, en dehors des temps de crise, sous
des régimes réguliers, le droit de pétition des habitants des villes, aux
maires, peut être considéré comme un prolongement des cahiers du tiers de
1789. C'est leur transformation, amenée par le changement des circonstances,
dans l'éternelle imperfection des organisations politiques et sociales.
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- En 1811, dans l'éclat militaire, de l'Empire, la condition du
peuple laissait beaucoup, à désirer. La pétition adressée par les habitants
du quartier des Carmes au maire de Nîmes, et revêtue de 65 signatures de notables,
jette un jour inattendu sur les restes de barbarie qui subsistaient encore à
Nîmes à cette époque de gloire. Qui de nous prouvait penser que la guillotine
était l'hôtesse habituelle de la place des Carmes ?
- Nous savons que, sous
la Terreur, elle fut en permanence à l'Esplanade. Mais alors, celui qui se
serait avisé de signer une protestation aurait signé son arrêt de mort.
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- Aussi, l'instrument
national, comme l'appelaient seps fanatiques, fonctionna-t-il sans le moindre
obstacle, jusqu'à épuisement des bourreaux.
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- Avec la paix civile,
il devint un objet d'horreur et de dégoût, et, au cours du XIXe siècle, ce
fut une lutte entre les divers quartiers de Nîmes, à qui ne l'aurait pas.
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- Quand la place des
Carmes en fut débarrassée, la place des Arènes le reçut.
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- En 1839, l'exécution
de la femme Philippe, de Beaucaire, fut suivie de la prise d'assaut de
l'échafaud par la foule, qui dégrada la machine, sous les yeux de la police
impuissante. Impuissante, par suite d'un malentendu des autorités. L'avocat
général, au nom du procureur général, avait invité le maire de Nîmes à faire
prendre les mesures nécessaires. Mais la gendarmerie refusa d'escorter le
corps de la suppliciée jusqu'au cimetière. Elle y fut contrainte par un ordre
du général. De son côté, la troupe, aussitôt après l'exécution, au lieu de
rester à son poste pour empêcher l'envahissement de la place, reçut, du chef
de bataillon, l'ordre de se retirer.
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- En 1843, à l'occasion
d'une exposition, sur la place des Arènes, de plusieurs condamnés pour vol,
il fallut mobiliser quatre compagnies du 1er de ligne, pour contenir la
curiosité turbulente de la population, suivant l'expression de M. Girard,
maire, dans une minute de lettre au commandant de la, place.
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- En 1856, à l'occasion de l'exécution de Flandrin, le baron
Dulimbert, préfet du Gard, invita le maire à lui indiquer un autre
emplacement que la place des Arènes, qui offrait de nombreux inconvénients au
point de vue de la circulation, disait-il. Un arrêté préfectoral du 29 mars
de la même année, fixa le lieu des exécutions au point situé à l'extrémité
méridionale du Cours neuf. Cela répondait alors à l'alignement de la rue du
Mail.
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- Revenons à la pétition
de 1811, tendant à débarrasser la place des Carmes. Le style en est diffus,
tout en le respectant, j'ai tâché de l'aérer, en coupant les phrases
interminables, par la substitution d'un temps de l'indicatif â l'abus du
participe présent.
-
- Parmi les signataires,
figure un conseiller municipal : Cavalier-Bénézet. Le maire d'alors était M.
Boileau de Castelnau aîné.
- Les registres de
délibérations municipales et ceux de correspondance du maire ont disparu, les
premiers, de partie de 1800 à partir de 1811 ; les seconds, de partie de 1803
à partir de 1812, de sorte que je n'ai peu savoir la suite donnée à la
pétition.
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- La première signature
apposée au bas de la pétition est celle d'un Guizot. Il s'agit probablement
de l'oncle paternel de François Guizot. La famille Guizot possédait son
habitation rue de la Garrigue.
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- La pétition rappelle
les deuils cruels causés par la guillotine pendant la Terreur. Le père de
François, Guizot y avait péri. Le dossier de sa condamnation est aux Archives
départementales du Gard.(*)
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- (*) "GUIZOT André François, homme de loi, domicilié à Nismes, département du
Gard, condamné à mort, le 19 germinal an 2, par le tribunal criminel dudit
département, comme contre-révolutionnaire."
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- François, né à Nîmes
en 1787, fut emmené à Genève par sa mère dès la, mort tragique de son père;
en 1794. Là, il fit de fortes études. Venu à Paris en 1805, il était, en
1811, à la veille d'épouser Mlle Pauline de Meulan. Entièrement absorbé par
le haut enseignement et la politique, il n'a plus participé que de loin à la
vie nîmoise. Mais il ne l'a jamais perdue de vue, et il a certainement
contribué, pendant la Monarchie de juillet, à doter Nîmes et le Gard
d'administrateurs distingués et dévoués, comme le baron de Daunant et M.
Girard, en qualité de maires, le baron de Jessaint et M. Darcy, en qualité de
préfets. La correspondance administrative de ces hommes d'élite est un régal
de simplicité, de courtoisie et d'amour judicieux du bien.
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- Mes aimables et
indulgents confrères voudront bien m'excuser de ce petit excursus en dehors
de la guillotine.
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- -oOo-
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- A Monsieur le Maire
- de la Ville de Nîmes.
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- Monsieur l
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- Les
soussignés, encouragés dans leur demande par le désir généralement manifesté
de leurs concitoyens aussi bien que par les sensations pénibles qu'ils, oint
éprouvées eux-mêmes, à l'occasion de l'objet de leur réclamation, ont
l'honneur de vous exposer
-
- Que
la place des Carmes, affectée spécialement, depuis assez longtemps, aux
exécutions de la Justice, doit, par sa position, faire partie du tour de ville
des embellissements duquel on s'occupe en ce moment. Ce quartier même est
actuellement celui vers lequel sont dirigés les travaux et l'attention des
administrateurs éclairés qui dirigent l'exécution de ces projets.
-
- Il
semble que cette place, consacrée jusqu'ici à un échafaud et à de tristes
spectacles, contrasterait bien péniblement, aux yeux du public, avec tout le
reste des boulevards, si on la laissait plus longtemps destinée à cet emploi,
alors surtout qu'on travaille, avec tant de soins et de succès, à égayer et
l’embellir tous ces boulevards, par la construction de nouveaux édifices, par
la restauration des anciens; et par des plantations nombreuses et variées.
-
- En
effet, cette triste machine dressée sur une place aussi fréquentée, et qui ne
se pose et ne s'enlève, comme on le sait, que dans le milieu de la nuit, et y
reste même jusqu'au lendemain, a souvent exposé beaucoup de gens à une
rencontre aussi inopinée que fâcheuse. En sorte qu'on est parfois exposé,
dans les nuits sombres, à aller, pour ainsi dire, se heurter contre elle. Ce
qui ne laisse pas de produire des impressions bien pénibles sur ceux à qui
cela peut arriver, en éveillant en ceux les souvenirs, nombreux et récents
encore, des calamités multipliées auxquelles notre ville a été en butte
pendant si longtemps, et dont une grande quantité des survivants ont été les
victimes, en perdant les objets de leurs plus chères affections.
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- En
conséquence, les soussignés ont l'honneur de vous présenter cette pétition,
Monsieur le Maire, vous priant de vouloir bien prendre en considération leur
juste demande d'examiner s'il ne parait pas d'une convenance nécessaire et
absolue, d'après les motifs ci-dessus détaillés, de désigner un autre lieu
pour ces exécutions, et de délibérer, dans votre sagesse ou (celle) du
Conseil, où se doit transporter désormais cette machine, en fixant
l'emplacement propre à cet objet.
-
- Les
soussignés ne doutent pas, Monsieur Je Maire, que vous n'accédiez à leur
réclamation, et que vous ne vous occupiez, avec le zèle qui caractérise votre
administration, de l'accomplissement du projet qu'ils vous présentent. C'est
ce qu'ils attendent de votre justice et de vos bonnes intentions de favoriser
les vœux honnêtes de vos concitoyens. Ils apprendront avec reconnaissance
l'issue heureuse de vos délibérations à ce sujet.
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- Nîmes, ce six mai dix huit cent onze.
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- Ont
signé :
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- Guizot,
S. Chabanel, Roux Amphoux, Roque, Rebufat, Froment, Fabre, Bourely Cadet, Valeton,
Bourely aîné, J. Hugue, Brunel, Ve Ducros, Garrigue, Sigory, marchand
mercier, Laporte. Daussat, Gerval « frères », Delord aîné, Brun, Vve Roger,
Fabrot, Guibal, Th. Lafont. Rouverol,
Figuier, S. Darne, Souchon, Mazodier aîné, Condriau, F. Ferréol, Chastan, J.
Baumier fils, J. Béchard-Chazoul, F. Lavondès, Argand, J. Viguier, J.
Cavalier-Bénézet, Poinso, Gille, Salaville-Laval, Cas. Froment, Polancher,
Peloux, Delord cadet, Grapon, apothicaire, Boisson, Et. Durand, Coullomb,
Soty, Laffite, Dumas, Deroy, Gaillan, Ferriol, Garcin, Aumeras, Augier,
David, Londès, Belille, Garcin, Delord, D. Canonge, Baumier neveu.
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- (65 signatures)
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- (Archives communales de
Nîmes, I. 3.)
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- Edouard Bondurand, 1922.
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