La construction des halles centrales

de Nîmes par Adolphe Pieyre, 1887


NDLR : Avertissement aux lecteurs, Adolphe Pieyre, historien nîmois, nous donne une version personnelle et engagée de la gestion municipale, un complément d'information est nécessaire. Faisant partie de l’opposition catholique, une critique systématique des chantiers initiés par la majorité municipale républicaine, est pour lui de rigueur.

Il est vrai que l’ancienne municipalité avait réalisé de grands travaux sans dilapider inutilement les fonds public, les églises St Baudile, Ste Perpétue, St Paul. « Tout ces investissements sont indispensable au bien être de la population ! ! ! » Un lycée, des écoles laïque, quelles dépenses inutiles, il y a déjà des établissements d’enseignement religieux, pourquoi dépenser l’argent du contribuable pour l’enseignement public, c’est superflu ! Notre écrivain est pourtant un homme intelligent, mais ses passions religieuse et politique l’ont aveuglées. Le passé rejoint le présent, sous d’autres formes la mauvaise foi partisane au sein de nos Conseils Municipaux, reste toujours présente.


 

 

1879

De toutes les questions que le Conseil municipal eut à aborder en 1879, la plus complexe et la plus grave était celle des halles centrales. On réclamait beaucoup contre l'état de nos marchés centraux indignes, il faut le reconnaître, d'une grande ville. L'exécution projetée avait suscité beaucoup de projets et éveillé bien des jalousies pour le choix de l'emplacement. Les intérêts privés s'agitaient et multipliaient les obstacles pour écarter l'adoption du projet concurrent.

 

Il se présentait à cet égard une conception grandiose qui pouvait, en résolvant la question, contribuer dans la plus large mesure à l'embellissement de notre ville et à l'assainissement de certains quartiers. Il était de prime abord évident qu'il convenait de choisir l'emplacement nouveau, à proximité de l'emplacement ancien. A cet égard, le plus sage était de se servir de tout le pâté de maisons situé entre la rue de l’Agau et la place Belle Croix. C'était faire pénétrer le jour et la lumière dans les vieilles rues des Orangers et de l'Ancienne Poste et rendre obligatoire l'élargissement des artères existantes entre le boulevard et la rue de l'Agau.

 

C'était également embellir la rue de l'Agau dans sa section la moins large et la plus ancienne.,L'élargissement de la rue Saint Castor s'imposait par suite. Dés lors, l'ensemble des grands travaux à exécuter comprenait l'agrandissement et la régularisation de la place de la Cathédrale sur laquelle on aurait érigé la statue de Fléchier, répondant ainsi au voeu exprimé par Mgr Besson, le prolongement de la rue Guizot jusqu'à la rue de la Madeleine et de la rue de la Trésorerie jusqu'à cette même rue, et enfin à la place de l'ancien couvent des soeurs de la Miséricorde, on aurait créé un square, au centre duquel aurait été placée la statue de Guizot, qui trouvait sa place naturelle à côté de la rue qui porte son nom.

 

Plusieurs entrepreneurs, entre autres MM. Benoît et Delmas, présentèrent à la ville, des projets avantageux, en vue de l'érection des Halles centrales. Une commission fut nommée dans le sein du Conseil municipal avec mission d'étudier les transformations à opérer. Ses travaux marchèrent trop lentement et de fatales tergiversations entravèrent son action. Ce ne fut qu'au mois de mai 1880 que l'on put se mettre d'accord. M. Bouet, rapporteur, fut chargé de soutenir le projet Benoît et Delmas qui avait rallié enfin les avis de la majorité.

 

On s'était décidé à l'emplacement que je signalais ci-dessus entre la place Belle Croix, rue des Orangers. rue Xavier-Sigalon et rue de l'Ecole-Vieille. Le cahier des charges fut dressé et le Conseil l'approuva. Nous verrons dans le chapitre suivant ce qu'il en advint et combien ceux qui avaient empêché de résoudre dès le principe cette importante question furent ceux-là même qui dans la suite y perdirent le plus.

 


 

1884

Ce que les républicains ont appelé, pompeusement, l'ère des grands travaux entre dans la période d'exécution, à dater de 1884. Ces grands travaux se réduisent en somme, à l'érection des Halles centrales, au percement de nouvelles rues, et à la construction d'un nouveau Lycée. Il est inutile de faire remarquer que les précédentes administrations ont exécuté des travaux, à tout le moins aussi grandioses et aussi utiles que ceux-là, ainsi que l'on a pu le voir au cours des pages qui précèdent ; mais on sait combien les républicains aiment à user de périphrases sonores pour exprimer les choses les plus simples.

 

II est cependant intéressant d'examiner comment, dans ces circons­tances, la majorité républicaine du Conseil municipal se montra sou­cieuse des intérêts de ses commettants.

 

Deux entrepreneurs se présentaient pour exécuter le percement des nouvelles rues: MM. Pocheville et Bastide, d'une part; MM. Bayle et Charrier, de l'autre. Les deux premiers étaient nîmois, mais catholiques. Les deux autres étaient étrangers à notre ville, mais M. Charrier était protestant. MM. Bastide et Pocheville demandaient pour exécuter les travaux projetés, 100000 francs de moins que leurs concurrents, en second lieu la compagnie Bayle, dans le cas où la ville prolongerait plus tard jusqu'à la place du Château la nouvelle artère qu'elle ouvrait de la Banque à la place Belle-Croix, exigerait une indemnité très considérable pour la cession des terrains à la voie publique, tandis que la société Bastide et Pocheville s'engageait à céder gratuitement les terrains qu'elle aurait acquis. Cette dernière offrait, en outre, un cautionnement plus important et plus sérieux que la compagnie Bayle.

 

C'étaient là des avantages évidents qui ne parurent point toucher ni la commission des finances, ni celle des travaux publics, car leur rapporteur, M. Goulard, conclut à l'adoption du projet présenté par la compa­gnie Bayle et Charrier.

 

Après lui, MM. Margarot, Bertrand, Aubert, Maruéjol, Manse insistèrent avec la dernière énergie pour le triomphe de la compagnie Bayle. En vain, un républicain catholique du Conseil, M. Jouve, essaya-t-il de plaider la cause du bon sens et de l'honnêteté, le siège de la majorité était fait. La compagnie étrangère. fut préférée à la compagnie nîmoise, catholique (1), et, par un aveuglement inconcevable, la municipalité républicaine ne songea même pas à imposer aux étrangers concessionnaires, l'obligation de n'employer que des ouvriers nîmois. Il en fut de même, du reste, pour les travaux de construction du nouveau Lycée ; toute latitude fut laissée aux entrepreneurs pour chercher au dehors les éléments de leur personnel, de telle sorte que de ces vastes entreprises, une portion minime tourna seule au profit des habitants, sur lesquels on faisait néanmoins .peser les plus lourdes charges pour de longues années (2).

 

(1) Votèrent pour cette dernière : MM. Blanchard, Rigal, Bouet, de Bernis, de Gorsse, de Castelnau, Boyer, Langlade, de Mérignargues, Berger. Ad. Pieyre, de Trinquelagues, de Surville, Valat et Jouve. (Séance du 31 janvier 1883).

(2) Cette coupable incurie de la majorité républicaine provoqua un légitime mécontentement dans la population ouvrière nîmoise. Pendant un mois l'agitation fut considérable et dans de nombreuses réunions publiques ou privées la municipalité fut l'objet d'ordre du jour sévères et mérités.

 

Au cours des travaux exécutés par MM. Bayle et Charrier sur la face Est de la place des Halles, les ouvriers mirent à découvert une magnifique mosaïque, une des plus belles et des mieux conservées que l'on connaisse. Elle forme un carré long composé de deux parties bien distinctes. La première qui mesure environ quatre mètres sur cinq est entourée d'une riche grecque et partagée en vingt caissons distribués comme suit :

 

Quatre dans la largeur et cinq dans la longueur. Chacun de ces caissons contient un motif particulier entouré aussi d'une grecque formant encadrement. Quatre de ces caissons, au centre, font place à un véritable tableau mesurant ainsi environ deux mètres de chaque côté.

 

Ce panneau central montre un personnage assis sur un trône élevé, avant à sa droite une femme presque nue accoudée sur son siège. Au premier plan un jeune homme est debout au pied du trône et tient en laisse un lion et un sanglier. La scène représente l'intérieur du palais et l'on voit dans l'arrière-plan des gardes armés. L'ensemble est d'un goût artistique très élevé et d'une richesse de coloris rare.

 


 

La deuxième partie n'a aucun des caractères de la première : c'est une sorte de frise de soixante-dix centimètres de largeur environ et courant sur un des petits côtés du rectangle dont je parlais plus haut. Cette frise est une suite de rinceaux fort élégants dans lesquels sont représentés des animaux avec une vérité de coloris remarquable (1). Au-delà de cette frise, on voit des traces d'une autre mosaïque, vestiges incomplets qui ne permettent pas d'en mesurer ni l'étendue ni l'importance (2). A côté de cette importante trouvaille, les travaux entrepris, soit aux Halles, soit sur l'emplacement des nouvelles rues, mirent à jour diverses pièces antiques qui sont venues grossir le trésor archéologique de notre musée (3).

 

(1) M. G. Maruéjol donna dans un numéro du journal Némausa une description fort complète et bien étudiée de cette mosaïque, développant cette thèse que l'artiste avait voulu, dans le motif central, représenter le  mariage d'Admète.

(2) Le tout a été enlevé par un artiste nîmois, mosaïste distingué, M. Mora, qui fit cette opération avec une très grande habileté. La mosaïque a été transportée au musée provisoire de la rue Neuve des Pères (élevé sur l'emplacement du square de la Mandragore).

(3) On découvrait notamment un médaillon en mosaïque, rue Arc du Gras, malheureusement fort endommagé. Il a été placé au musée provisoire.

Ce panneau mesure environ un mètre cinquante de côté et semble représenter un berge à l'ombre. On y distingue parfaitement la tête, les bras et la boulette du berger. A ses lieds est un chien eu repos. Ce médaillon est d'un grain plus fin que la grande mosaïque dont je parle plus haut. On y remarque deux pierres précieuses.

On découvrit également une autre mosaïque formée de cubes blancs et noirs n'offrant rien de particulier sinon la disposition bizarre des rectangles qui la composent et constituent un dessin curieux dont on ne possédait jusqu'ici aucun spécimen. Cette mosaïque figure au musée.

Sous la maison où se trouvait le pensionnat de jeunes filles des demoiselles Canal, place Belle-Croix, on trouva le squelette d'un prêtre enterré sans bière dans la chaux. A côté sa trouvaient d'autres ossements humains. Ces débris étaient dans un caveau appartenant à un ancien couvent.

La mosaïque d’Admète, Musée des Beaux Arts de Nimes.

 

 

Cette mosaïque de sol ayant orné une pièce de maison romaine, est sans aucun doute la plus grande et la plus belle parmi celles trouvées à Nîmes.

Elle fut découverte en 1883, lors de la construction des Halles, dans un état de conservation remarquable, car enfouie à 1,80 m sous terre.

Ses dimensions sont exceptionnelles : 8,39 mètres de long et 5,93 mètres de large, soit 50 m² de superficie.

Le panneau central l’emblema représentant le Mariage d’Admète, est réalisé comme un tableau à l’aide de petits éclats de pierres et de verres.

On y voit le roi Pélias trônant à droite, qui désigne Admète, accompagné d’un lion et d’un sanglier dociles, à qui il donne en mariage sa fille Alceste. Il avait fait serment de choisir celui qui viendrait la chercher sur un char traîné par des bêtes féroces.

Il était impossible de composer une telle mosaïque sur place, mais par panneaux en atelier, qui ont été ensuite montés in situ. C’est à l’aide de cubes de 5 à 8 mm que le mosaïste a cherché à rendre autant que possible ces effets de la peinture, et l’illusion du modelé et des reliefs.

Pour les couleurs, le mosaïste a utilisé toute la gamme des calcaires que l’on peut trouver dans les environs de Nîmes. Seuls les blancs sont de marbre de Carrare et les verts sont en émail.

Déposée puis restaurée par le mosaïste Mora, les manques sont comblés par des tesselles modernes blanches (carré supérieur gauche et extrémités du tableau).

D’après les calculs de proportions, cette maison avait sa façade sur la Via Domitia (rue Nationale) et s’étendait à la rue Général Perrier, parallèlement à la rue des Halles.

 

La construction des Halles, menée par l'entrepreneur, M. Aubert, de Nîmes, avec une louable rapidité, fut terminée vers la fin d'octobre de cette année. M. Margarot, maire, voulut que leur inauguration fût marquée par une fête particulière et dont on avait jusque-là eu peu d'exemple à Nîmes. Le local s'y prêtait du reste et la fête, fort originale, réussit complètement. L'enceinte des Halles servit de théâtre à une kermesse, et les étaux destinés aux maraîchères et aux poissonnières abritèrent les dames appartenant à la meilleure société de Nîmes.

 

Ces comptoirs transformés en corbeilles de fleurs, furent pendant deux jours assaillis par une foule d'acheteurs empressés. Malheureusement, M. Margarot, au lieu de faire de cette inauguration une réjouissance publique à laquelle pouvait s'associer la population tout entière, lui donna le caractère étroit et mesquin d'une manifestation de coterie. Le peuple nîmois, contenu par les grilles des portes ne put pénétrer dans l'enceinte et regarda ce spectacle avec une indifférence mêlée d'étonnement. Il y assista, il n'y prit point part (1).

 

(1) Pendant que la coterie opportuniste se livrait à ces ébats, les travailleurs républicains placardaient une protestation sur les murs de la ville, où on lisait entre autres choses ce qui suit : Au moment où la misère avec son bileux cortège sévit sur la classe productive, la bourgeoisie rapace qui nous gouverne actuellement fête l'inauguration des Halles centrales. Ne ressentez-vous pas, travailleurs, l'insulte grossière qui est jetée à votre face par ceux qui vivent du superflu du produit da votre travail ?

Les protestataires : Brucet Isidore, Soulier César, Geay Pierre, Barrial Jean, Geay Joanin, n'avaient pas tous les torts. M. Margarot n'avait pas même songé â affecter les recettes de la fête aux pauvres de la ville.

 

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