
1879
De
toutes les questions que le Conseil municipal eut à aborder en 1879, la plus
complexe et la plus grave était celle des halles centrales. On réclamait
beaucoup contre l'état de nos marchés centraux indignes, il faut le
reconnaître, d'une grande ville. L'exécution projetée avait suscité beaucoup
de projets et éveillé bien des jalousies pour le choix de l'emplacement. Les
intérêts privés s'agitaient et multipliaient les obstacles pour écarter
l'adoption du projet concurrent.
Il
se présentait à cet égard une conception grandiose qui pouvait, en résolvant
la question, contribuer dans la plus large mesure à l'embellissement de notre
ville et à l'assainissement de certains quartiers. Il était de prime abord
évident qu'il convenait de choisir l'emplacement nouveau, à proximité de
l'emplacement ancien. A cet égard, le plus sage était de se servir de tout le
pâté de maisons situé entre la rue de l’Agau et la place Belle Croix. C'était
faire pénétrer le jour et la lumière dans les vieilles rues des Orangers et
de l'Ancienne Poste et rendre obligatoire l'élargissement des artères
existantes entre le boulevard et la rue de l'Agau.
C'était
également embellir la rue de l'Agau dans sa section la moins large et la plus
ancienne.,L'élargissement de la rue Saint Castor s'imposait par suite. Dés
lors, l'ensemble des grands travaux à exécuter comprenait l'agrandissement et
la régularisation de la place de la Cathédrale sur laquelle on aurait érigé
la statue de Fléchier, répondant ainsi au voeu exprimé par Mgr Besson, le
prolongement de la rue Guizot jusqu'à la rue de la Madeleine et de la rue de
la Trésorerie jusqu'à cette même rue, et enfin à la place de l'ancien couvent
des soeurs de la Miséricorde, on aurait créé un square, au centre duquel
aurait été placée la statue de Guizot, qui trouvait sa place naturelle à côté
de la rue qui porte son nom.
Plusieurs
entrepreneurs, entre autres MM. Benoît et Delmas, présentèrent à la ville,
des projets avantageux, en vue de l'érection des Halles centrales. Une
commission fut nommée dans le sein du Conseil municipal avec mission
d'étudier les transformations à opérer. Ses travaux marchèrent trop lentement
et de fatales tergiversations entravèrent son action. Ce ne fut qu'au mois de
mai 1880 que l'on put se mettre d'accord. M. Bouet, rapporteur, fut chargé de
soutenir le projet Benoît et Delmas qui avait rallié enfin les avis de la
majorité.
On
s'était décidé à l'emplacement que je signalais ci-dessus entre la place
Belle Croix, rue des Orangers. rue Xavier-Sigalon et rue de l'Ecole-Vieille.
Le cahier des charges fut dressé et le Conseil l'approuva. Nous verrons dans
le chapitre suivant ce qu'il en advint et combien ceux qui avaient empêché de
résoudre dès le principe cette importante question furent ceux-là même qui
dans la suite y perdirent le plus.

1884
Ce
que les républicains ont appelé, pompeusement, l'ère des grands travaux entre
dans la période d'exécution, à dater de 1884. Ces grands travaux se réduisent
en somme, à l'érection des Halles centrales, au percement de nouvelles rues,
et à la construction d'un nouveau Lycée. Il est inutile de faire remarquer
que les précédentes administrations ont exécuté des travaux, à tout le moins
aussi grandioses et aussi utiles que ceux-là, ainsi que l'on a pu le voir au
cours des pages qui précèdent ; mais on sait combien les républicains aiment
à user de périphrases sonores pour exprimer les choses les plus simples.
II
est cependant intéressant d'examiner comment, dans ces circonstances, la majorité
républicaine du Conseil municipal se montra soucieuse des intérêts de ses
commettants.
Deux
entrepreneurs se présentaient pour exécuter le percement des nouvelles rues:
MM. Pocheville et Bastide, d'une part; MM. Bayle et Charrier, de l'autre. Les
deux premiers étaient nîmois, mais catholiques. Les deux autres étaient
étrangers à notre ville, mais M. Charrier était protestant. MM. Bastide et
Pocheville demandaient pour exécuter les travaux projetés, 100000 francs de
moins que leurs concurrents, en second lieu la compagnie Bayle, dans le cas
où la ville prolongerait plus tard jusqu'à la place du Château la nouvelle
artère qu'elle ouvrait de la Banque à la place Belle-Croix, exigerait une
indemnité très considérable pour la cession des terrains à la voie publique,
tandis que la société Bastide et Pocheville s'engageait à céder gratuitement
les terrains qu'elle aurait acquis. Cette dernière offrait, en outre, un
cautionnement plus important et plus sérieux que la compagnie Bayle.
C'étaient
là des avantages évidents qui ne parurent point toucher ni la commission des
finances, ni celle des travaux publics, car leur rapporteur, M. Goulard,
conclut à l'adoption du projet présenté par la compagnie Bayle et Charrier.
Après
lui, MM. Margarot, Bertrand, Aubert, Maruéjol, Manse insistèrent avec la
dernière énergie pour le triomphe de la compagnie Bayle. En vain, un
républicain catholique du Conseil, M. Jouve, essaya-t-il de plaider la cause
du bon sens et de l'honnêteté, le siège de la majorité était fait. La
compagnie étrangère. fut préférée à la compagnie nîmoise, catholique (1), et,
par un aveuglement inconcevable, la municipalité républicaine ne songea même
pas à imposer aux étrangers concessionnaires, l'obligation de n'employer que
des ouvriers nîmois. Il en fut de même, du reste, pour les travaux de
construction du nouveau Lycée ; toute latitude fut laissée aux entrepreneurs
pour chercher au dehors les éléments de leur personnel, de telle sorte que de
ces vastes entreprises, une portion minime tourna seule au profit des
habitants, sur lesquels on faisait néanmoins .peser les plus lourdes charges
pour de longues années (2).
(1) Votèrent pour cette dernière : MM. Blanchard, Rigal,
Bouet, de Bernis, de Gorsse, de Castelnau, Boyer, Langlade, de Mérignargues,
Berger. Ad. Pieyre, de Trinquelagues, de Surville, Valat et Jouve. (Séance
du 31 janvier 1883).
(2) Cette coupable incurie de la majorité républicaine
provoqua un légitime mécontentement dans la population ouvrière nîmoise. Pendant
un mois l'agitation fut considérable et dans de nombreuses réunions publiques
ou privées la municipalité fut l'objet d'ordre du jour sévères et mérités.
Au
cours des travaux exécutés par MM. Bayle et Charrier sur la face Est de la
place des Halles, les ouvriers mirent à découvert une magnifique mosaïque,
une des plus belles et des mieux conservées que l'on connaisse. Elle forme un
carré long composé de deux parties bien distinctes. La première qui mesure
environ quatre mètres sur cinq est entourée d'une riche grecque et partagée
en vingt caissons distribués comme suit :
Quatre
dans la largeur et cinq dans la longueur. Chacun de ces caissons contient un
motif particulier entouré aussi d'une grecque formant encadrement. Quatre de
ces caissons, au centre, font place à un véritable tableau mesurant ainsi
environ deux mètres de chaque côté.
Ce
panneau central montre un personnage assis sur un trône élevé, avant à sa
droite une femme presque nue accoudée sur son siège. Au premier plan un jeune
homme est debout au pied du trône et tient en laisse un lion et un sanglier.
La scène représente l'intérieur du palais et l'on voit dans l'arrière-plan
des gardes armés. L'ensemble est d'un goût artistique très élevé et d'une
richesse de coloris rare.

La
deuxième partie n'a aucun des caractères de la première : c'est une sorte de
frise de soixante-dix centimètres de largeur environ et courant sur un des
petits côtés du rectangle dont je parlais plus haut. Cette frise est une
suite de rinceaux fort élégants dans lesquels sont représentés des animaux
avec une vérité de coloris remarquable (1). Au-delà de cette frise, on voit
des traces d'une autre mosaïque, vestiges incomplets qui ne permettent pas
d'en mesurer ni l'étendue ni l'importance (2). A côté de cette importante
trouvaille, les travaux entrepris, soit aux Halles, soit sur l'emplacement
des nouvelles rues, mirent à jour diverses pièces antiques qui sont venues
grossir le trésor archéologique de notre musée (3).
(1) M. G. Maruéjol donna dans un numéro du journal Némausa
une description fort complète et bien étudiée de cette mosaïque, développant
cette thèse que l'artiste avait voulu, dans le motif central, représenter
le mariage d'Admète.
(2) Le tout a été enlevé par un artiste nîmois, mosaïste
distingué, M. Mora, qui fit cette opération avec une très grande habileté. La
mosaïque a été transportée au musée provisoire de la rue Neuve des Pères (élevé
sur l'emplacement du square de la Mandragore).
(3) On découvrait notamment un médaillon en mosaïque, rue
Arc du Gras, malheureusement fort endommagé. Il a été placé au musée
provisoire.
Ce panneau mesure environ un mètre cinquante de côté et
semble représenter un berge à l'ombre. On y distingue parfaitement la tête,
les bras et la boulette du berger. A ses lieds est un chien eu repos. Ce
médaillon est d'un grain plus fin que la grande mosaïque dont je parle plus
haut. On y remarque deux pierres précieuses.
On découvrit également une autre mosaïque formée de cubes
blancs et noirs n'offrant rien de particulier sinon la disposition bizarre
des rectangles qui la composent et constituent un dessin curieux dont on ne
possédait jusqu'ici aucun spécimen. Cette mosaïque figure au musée.
Sous la maison où se trouvait le pensionnat de jeunes
filles des demoiselles Canal, place Belle-Croix, on trouva le squelette d'un
prêtre enterré sans bière dans la chaux. A côté sa trouvaient d'autres
ossements humains. Ces débris étaient dans un caveau appartenant à un ancien
couvent.
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La
construction des Halles, menée par l'entrepreneur, M. Aubert, de Nîmes, avec
une louable rapidité, fut terminée vers la fin d'octobre de cette année. M.
Margarot, maire, voulut que leur inauguration fût marquée par une fête
particulière et dont on avait jusque-là eu peu d'exemple à Nîmes. Le local
s'y prêtait du reste et la fête, fort originale, réussit complètement.
L'enceinte des Halles servit de théâtre à une kermesse, et les étaux destinés
aux maraîchères et aux poissonnières abritèrent les dames appartenant à la
meilleure société de Nîmes.
Ces
comptoirs transformés en corbeilles de fleurs, furent pendant deux jours
assaillis par une foule d'acheteurs empressés. Malheureusement, M. Margarot,
au lieu de faire de cette inauguration une réjouissance publique à laquelle
pouvait s'associer la population tout entière, lui donna le caractère étroit
et mesquin d'une manifestation de coterie. Le peuple nîmois, contenu par les
grilles des portes ne put pénétrer dans l'enceinte et regarda ce spectacle
avec une indifférence mêlée d'étonnement. Il y assista, il n'y prit point
part (1).
(1) Pendant que la coterie opportuniste se livrait à ces
ébats, les travailleurs républicains placardaient une protestation sur les
murs de la ville, où on lisait entre autres choses ce qui suit : Au moment où
la misère avec son bileux cortège sévit sur la classe productive, la
bourgeoisie rapace qui nous gouverne actuellement fête l'inauguration des
Halles centrales. Ne ressentez-vous pas, travailleurs, l'insulte grossière
qui est jetée à votre face par ceux qui vivent du superflu du produit da votre
travail ?
Les protestataires : Brucet Isidore, Soulier César, Geay
Pierre, Barrial Jean, Geay Joanin, n'avaient pas tous les torts. M. Margarot
n'avait pas même songé â affecter les recettes de la fête aux pauvres de la
ville.
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