Irruption des Hongrois dans la Province.
Leur défaite par Raymond-Pons.


Extrait de l'Histoire Générale de Languedoc, par Dom Vaissette, 1745.
Livre XII - page 7 à 9 - Chapitre XI.


La Hongrie au Xe siècle

Avertissement : Ce document est en vieux Français. Il a été édité une première fois en 1745, repris et enrichi ensuite par Alexandre Mège en 1840.


923-925 - Cette province se vit inondée vers le même tems d'une multitude de barbares qui y porterent la désolation. Berenger l'empereur et roi de Lombardie ayant fait, par sa mauvaise conduite, un grand nombre de mécontens, les principaux seigneurs de ses états résolus de le détrôner, offrirent sa couronne à Ro­dolphe II, roi de la Bourgogne Transjurane, qu'ils appelèrent à leur secours. Ce prince ayant accepté leurs offres, passa les Alpes en 923. livra bataille à Berenger, le défit entièrement, se fit couronner à Pavie, et repassa les monts bientôt après. D'un autre côté ce dernier pour se soûtenir sur le thrône se li­gua avec les Hongrois.

Ces peuples originaires de la Scythie, s'étoient dejà rendus formidables dans une partie de l'Europe. La férocité de leurs moeurs, la difformité de leurs visages, et leur maniere de combattre, inspiroient éga­lement la terreur. Les enfans étoient à peine sortis du sein de leurs meres, qu'elles leur déchiquetoient le visage pour les accoutumer de bonne heure à souffrir, ce qui les rendoit extrêmement hideux, et plus terribles à leurs ennemis. Ils coupoient leurs cheveux jus­qu'au sommet de la tête, se nourrissoient ordinairement de chair crue et buvoient le sang des animaux ; ils étoient en un mot cruels, vains, perfides, sans foi et sans religion.

Les femmes, également féroces, faisoient comme leurs maris leur principal métier de la guerre et du brigandage. Ces barbares étoient moins propres à former des sieges, qu'à cou­rir et à ravager les campagnes, et cherchoient plûtot à se battre de loin que de près , parce qu'ils n'étoient pas si adroits à manier l'épée qu'à décocher des dards ; ce qu'ils faisoient avec tant de justesse, qu'ils ne manquait ja­mais leur coup, même en fuyant devant leurs ennemis. Ils combattoient toujours à cheval, qu'ils poussoient avec une extrême vitesse ; et quand au premier choc ils trouvoient de la résistance, ils feignoient alors de prendre la fuite ; mais faisant aussitôt volte-face, ils revenoient à la charge avec plus de fureur. Tel est le portrait que les anciens historiens nous ont laissé de ces peuples, qui sous l'empire de Charles le Gras s'emparèrent de la Pannonie à laquelle ils donnèrent leur nom, après en avoir chassé les Huns leurs anciens compatriotes. De là ils étendirent leurs cour­ses dans les provinces voisines, et après avoir ravagé la Germanie, ils passeront dans l'Italie en 900. et y établirent leur demeure. Beren­ger qui régnoit alors dans la Lombardie, au­roit pû traverser leur établissement dans ce royaume, et les chasser de ses états ; mais dans le dessein de s'en servir, soit contre ceux qui lui disputoient la couronne, soit contre ses sujets, dont la fidélité lui étoit suspecte, il jugea à propos de les ménager, et eut recours à leur protection pour se soutenir sur le thrône. Il eut cependant le malheur de tomber enfin dans les embûches d'un traî­tre qui l'assassina vers le commencement de Mars de l'an 924 (925) dans le teins qu'il alloit le matin faire ses prières à l'église.

Les Hongrois qui avoient toûjours été atta­chez à ce prince, résolurent de venger sa mort. Ils prirent les armes sous la conduite de Saler leur roi ou leur génèral, assiégèrent Pavie, capitale du royaume de Lombar­die, et s'en étant rendus maitres, ils livrèrent cette ville au feu et au pillage. Ils coururent ensuite toute l'Italie, et tournant du côté des Alpes, ils passèrent ces montagnes et en­trèrent dans les Gaules, dans le dessein sans doute d'attaquer les états de Rodolphe, en­nemie et concurrent de Berenger. Ce prince averti de leur marche, courut en diligence au devant d'eux pour s'opposer à leur pas­sage, et s'étant joint à Hugues comte de Vienne ou duc de Provence, aussi intéressé que lui à les repousser, ils les obligèrent enfin de s'en retourner sur leurs pas. Ces barbares résolus cependant de pénétrer dans les Gaules , cherchèrent alors un autre pas­sage, et ayant fait un détour ils descendirent enfin dans les plaines de Provence et s'avan­cèrent vers le Rhône. Rodolphe et Hugues en ayant été informez, se mirent aussi-tôt en marche pour leur courir sus, mais ils arrivèrent trop tard ; les barbares avoient dejà passé ce fleuve et étoient entrés dans la Go­thie où ces princes ne jugerent pas à propos de les poursuivre. lis se contenteront de faire main-basse sur ceux de leur arriere-garde qui étoient demeurez derriere.

Les Hongrois eurent à peine passé le Rhône, qu'ils s'étendirent à leur gré dans toute la Gothie, y parleront le fer et le feu, et s'avanceront jusques dans le Toulousain. Leur irruption jetta l'allarme dans tous les esprits, et ceux qui furent assez heureux pour éviter leur glaive, prirent le parti de la fuite, ce qui rendit la province presque déserte. Par bonheur une maladie épidemique se mit quelque tems après parmi les barba­res, dont elle fit périr un grand nombre. Elle consistoit dans une enflûre extraordi­naire de la tête, jointe à la dyssenterie. Ray­mond-Pons comte de Toulouse et marquis de Gothie profita de ce moment favorable pour achever d'exterminer le reste des Hongrois, ou du moins pour les expulser de ses états. Il ramassa tout ce qu'il put de troupes ; et s'étant mis à leur poursuite, il fit passer les uns par le fil de l'épée, et obligea les autres à sortir du païs.

Il est fait mention de ce célèbre évènement dans une lettre que les évêques de la pro­vince de Narbonne écrivirent quelque tems après au pape Jean X. Ils lui marquent que le pays avoit été si cruellement ravagé par les Hongrois, que quoique très-fertile et très-abondant par lui-même, il se trouvoit réduit dans la dernière misère, et que ces barbares avoient fait périr la plupart de ses habitans, ensorte que la province où on voioit auparavant un grand nombre d'illus­tres personnages, surtout dans l'ordre ecclé­siastique, en étoit alors entièrement dépour­vue. Ils ajoûtent qu'enfin par la grâce de Dieu et le secours du jeune prince le marquis Pons, ces barbares avoient été entièrement chassez du pays. Il est aisé de juger par cette lettre jusqu'à quel excez les Hongrois por­tèrent leur fureur et leur barbarie dans tout le Languedoc. Aussi peut-on dire que si leur irruption fut la dernière que cette province éprouva en differens tems de la part de divers peuples barbares, elle fut peut-être la plus funeste. Ces peuples renouvelleront leurs courses en deça des Alpes, et désoleront l'A­quitaine les années suivantes; mais il paroit qu'ils ne mirent plus le pied dans la Golhie. Ce fut 1 durant quelqu'une de ces irruptions qu'ils détruisirent la ville de Javoux, ancienne capitale du Gevaudan, dont la ruine donna occasion à la translation du siège épiscopal du païs dans la ville de Mende.

Suivant un critique moderne, la lettre des évêques de la province de Narbonne au pape Jean X. dont on vient de parler, et qui est sans date, doit être postérieure à l'an 932 par la raison que Pons ne fut pas comte de Toulouse et marquis de Gothie avant celte année. Cet auteur suppose donc que cette let­tre fut écrite au pape Jean XI. ce qui prou­veroit que Raymond-Pons ne chassa les Hon­grois de la Gothie ou Septimanie qu'après l'an 932. et qu'ainsi ces barbares qui entrè­rent certainement dans la province en 924 ­y firent un long séjour. Mais outre que Flo­doard, auteur contemporain, fait entendre assez clairement que les Hongrois périrent ou abandonneront tout-à-fait la Gothie en 924 rien ne nous oblige à renvoyer cette lettre jusqu'en 932. puisque Raymond-Pons étoit véritablement marquis de Gothie dès l'an 924.


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EN SAVOIR SUR L'INVASION DES HONGROIS
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Les invasions des hongrois en 925, par le chanoine Petitalot de Notre-Dame de Rochefort
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