LA JEUNE FILLE AU CHEVREAU
une oeuvre de Marcel Courbier, 1925
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 Marcelle Battu, le modéle, est une jeune fille nîmoise de 17 ans. Elle aura un destin tragique.
Voir son histoire dans la presse locale en fin d'article.
 
Lors de la réunion du Conseil Municipal du 30 décembre 1925, la municipalité décide d'acquérir « La Jeune Fille au Chevreau » une œuvre de Marcel Courbier (1898-1976), statuaire à Paris et originaire de Nîmes (1) pour en orner le Jardin de la Fontaine. Le prix de cette œuvre serait de 15000 frs. La moitié serait payée par l'État, en vertu d'un engagement du Ministère des Beaux-Arts par courrier en date du 14 décembre. A cette somme s'ajouteraient seulement les frais de port et d'emballage.
Cette œuvre étant jugée d'une haute valeur artistique par sa grâce rustique et sa fine plasticité, la commission des objets divers décide d'accueillir favorablement cette proposition et vote pour provision une somme de 8500 frs représentant la part de la ville ainsi que les frais.
 
(1) Marcel Courbier, artiste Nîmois, Prix de Rome était propriétaire d'une maison située au 1bis rue Sully à Nîmes. C'est la maison où habitait dans sa jeunesse le peintre conteur Gérard Lattier, cela l'inspirera pour le thème de son tableau "HISTOIRE DE LA BATTUE".  
 
Avant sa mise en place au Jardin de la Fontaine, ce groupe sera exposé au Salon de 1926, et reproduit dans L'Illustration avec ce commentaire : « Dans une tradition qui évite les mièvreries auxquelles avait conduit la recherche de la grâce à tout prix, il faut ranger M. Courbier avec sa Jeune fille au chevreau. Le corps nerveux a les maigreurs de la jeunesse sans pauvreté. C'est de la vie bien observée. »
Le 22 avril 1942, M. Inard, Rapporteur de la Commission des travaux Publics, expose au Conseil Municipal :
«  A la suite d'un acte de vandalisme, le Groupe « La Jeune Fille au chevreau», placé dans la partie haute du Jardin de la Fontaine, a été mutilé. Le bras de la Jeune fille ainsi qu'une oreille du chevreau ont été cassés. Le sculpteur contacté se charge de l'exécution des travaux de restauration pour une somme comprise entre six et sept mille francs. »
Le 29 mai suivant, M. Gaussorgues, adjoint au maire, communique : « Le sculpteur refuse de revoir son devis, suite à un fait nouveau, la découverte du bras de la jeune fille ». La municipalité décide tout de même d'honorer les conditions de la proposition initiale.
 
La Jeune fille au Chevreau, endommagée en 1944
Document Collection Philippe Ritter
 
Cette dernière sera effectuée par Courbier lui-même. Probablement endommagée une nouvelle foi en 1944, elle sera déposée et stockée par les services municipaux dans un local du jardin de la Fontaine. À ce jour, personne ne sait où sont passés ses vestiges.
 
 
Un industriel de passage à Nîmes commandera directement à Courbier une copie en bronze, tirage unique en réduction. En 1943, cette œuvre fut présentée une première fois à l'occasion de l'Exposition des Beaux-Arts de Nîmes. « L'esprit qui se dégage de cette œuvre et le traitement délicat sont à rapprocher de la Jeune fille à la gazelle d'Henri Bouchard, présentée au Salon de 1909, que Courbier a pu voir par la suite ».
Le sculpteur, Courbier, ami de Jean Moulin, réalisera plusieurs monuments à la Résistance, et ne songea probablement pas à réparer sa sculpture. Le groupe en pierre ayant aujourd'hui disparu, cette version en bronze permet de le documenter très utilement et témoigne de son existence.
Grace au don Mme Maria Hugentobler-Moser, la copie bronze de « La Jeune Fille au Chevreau », sera présentée du 29 février au 25 mai 2008, au Musée des Beaux-Arts de Nîmes, rue cité Foulc, à l'occasion de l'exposition « Collections dévoilées ».
Le musée conserve également de Courbier un Portrait d'Armand Coussens (1881-1935), graveur et directeur de l'École de dessin de Nîmes.
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Article Midi Libre le N°4, du 30 aout 1944 - Document collection Philippe Ritter
Les femmes tondues de Nîmes exposées à la populace.
 
A la libération, accusée d'avoir eu une relation avec un officier Allemand, la jeune fille d'origine nîmoise ayant servi de modèle, sera tondue et exécutée. Peu après cet événement, des éléments nouveaux vont sortir... rumeurs ou preuves d'innocence : nul ne le saura. La justice des vainqueurs ne sera jamais remise en cause. Tout cela laissera un goût amer à certains. La victoire eut été beaucoup plus belle si elle avait su garder une certaine sérénité.
 
Arrestation de Marcelle Polge, née Battu.
 
  
                                  Georges Mathon, mars 2008
 
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L’affaire Marcelle Polge, née Battu
 à travers la presse locale.

Samedi 23 Septembre 1944
LA RENAISSANCE Républicaine du Gard
N°24.
Organe du Comité Départemental de Libération.
 
Préliminaires :
La salle est archi-comble quand le commandant déclare l’audience ouverte.
Dehors c’est au moins un millier de personnes qui déferlent depuis les grilles jusqu’à l’Esplanade.
La cour examine d’abord le cas d’un milicien, Beaume Hilaire, agriculteur à Laudun, qui, avant-hier, avait lancé une fausse dénonciation contre le maire de Laudun. Son état mental, nettement déficient par suite d’une trépanation de guerre, lui vaudra de n’être condamné qu’à 10 ans de prison.
 
Les accusés :
Une rumeur. Voici qu’entrent dans le prétoire les deux vedettes de la journée, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Tristes vedettes, Mme Polge, née Battu Marcelle, à la silhouette bien connue. Même dépouillée de sa longue chevelure platinée, elle en impose encore par sa prestance. Derrière, son petit mari, effacé, timide, paraissant jouer le rôle d’utilité dans l’étrange ménage.
Mme Polge est accusée d’intelligence avec l’ennemi, à cause de ses relations avec les Allemands, et notamment le commandant Saint Paul. Son époux, Albert Polge, est accusé de complicité.
 
L’interrogatoire :
Aux questions posées par le commandant Audibert, Mme Polge répond avec beaucoup de sang-froid et de précision. Il apparaît qu’elle a dû mettre soigneusement au point un système de défense, et qu’elle s’y tient. Elle explique comment elle est entrée en contact avec le commandant Saint Paul, à l’occasion d’une levée de réquisition sur un appartement qu’elle convoitait, comment ces relations devinrent de plus en plus « amicales » et comment elle s’en servit pour rendre service à de nombreuses personnes.
Sur une question du Commissaire du Gouvernement, elle nie avoir été en relations assidues avec Fitze et avoir connu Kichner et Munoz autrement que de vue.
 
Les témoins :
Jean Polge, le frère de l’inculpé, est entendu à titre de renseignements. Le Commissaire du Gouvernement le prie de se tenir à la disposition de la justice pour complicité morale. Sa déposition n’apporte rien de nouveau.
Mme Jouve, du service B des F.F.I, qui a participé à l’arrestation des Polge, indique que ceux-ci se cachaient.
Mme Dugas aura son petit succès par sa faconde et son pittoresque. Elle a connu Mme Polge au salon de coiffure de son beau-frère, Mr Guilhem. Elle l’accuse d’avoir vendu sa sœur, Mme Guilhem, à la Gestapo. Cela aurait été déclaré par Lacassagne, au cours d’une confrontation, à la suite d’un procès intenté contre lui par Mr Guilhem pour menace de mort. Mais d’autre part, le témoin avoue avoir fourni 1 kilo de viande à Mme Polge. (Mme Guilhem est bouchère). Après un débat assez orageux, la situation ne s’est pas notablement éclaircie.
La déposition de Mme Guilhem n’ajoute rien à celle de sa sœur.
Mme Danand vient à son tour à la barre. Elle est la femme d’un officier qui, après avoir été rapatrié d’Allemagne a été arrêté par la Milice, transféré à la Gestapo et ne se trouve pas encore libéré. Coup de théâtre : Mme Danand, d’une voix nette, prononce contre Albert Polge une grave accusation. Celui-ci aurait participé avec Garette, Rocque et Rondeaux, à des tortures infligées à son mari dans les caves de la Milice. Elle le tient d’un co-détenu de son mari, Mr Escoty, auquel celui-ci aurait fait des confidences alors qu’ils se trouvaient ensemble dans les geôles de la Gestapo.
 
A la Cour Martiale de Nîmes
La femme POLGE est condamnée à mort
 
A la Cour de Justice
L’EXECUTION DE LA FEMME POLGE A ETE DIFFEREE
Le Commissaire du Gouvernement près la Cour de Justice communique :
L’exécution de la femme Polge a été différée par décision du Commissaire du Gouvernement, en raison des graves révélations faites par la condamnée, lesquelles exigent des vérifications auxquelles il est procédé en toute diligence.
 
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Lundi 25 Septembre 1944
ROUGE-MIDI
Organe régional du Parti Communiste Français.
 
 
La Cour Martiale de Nîmes :
présidée par le commandant Audibert, se réunissait à Nîmes pour juger les affaires Baumes Hilaire et Polge qui n’avaient pu passer à l’audience de la veille à cause de l’inhumation des martyrs du 2 Mars. Le siège du Commissaire du Gouvernement est occupé par le capitaine Servigne.
Beaume Hilaire, cultivateur à Laudun, âgé de 51 ans, 3 fois cité Médaille militaire et croix de guerre est aussi un grand mutilé. Après avoir accusé le maire de Laudun, celui-ci s’est rétracté à la précédente audience et a nié les faits qu’il lui reprochait. Mr Bauquier plaide que son client est un blessé de guerre et qu’il ne possède pas toutes se facultés mentales. Il lit une lettre du maire de Laudun, qui malgré son emprisonnement fait appel à l’indulgence et à la pitié de la Cour, et demande son acquittement.
 
Affaire Polge :
Les époux Polge sont ensuite introduits au box des accusés. L’accusation reproche aux époux Polge leurs relations avec les autorités allemandes et les accusent d’intelligence avec l’ennemi. Jean Polge est prié de se tenir à la disposition de la Cour pour responsabilité morale.
L’interrogatoire des accusés est ensuite mené. Mme Polge née Marcelle Pattus (Battu) est née en 1907, on lui reproche ses relations assidues avec le commandant Saint Paul, ses fréquentations avec Georgette et Yvette, interprètes, ses relations avec Mr Fritz directeur de l’Office allemand de placement, enfin ses moyens d’existence vraiment somptueux.
Polge Albert est né en 1909 au Tonkin, il était employé au métro et habite 29 avenue de la Plateforme (1). L’accusation lui reproche surtout ses complaisances et sa complicité. Il déclare qu’il connaissait le commandant Saint Paul comme fréquentant sa maison mais nie avoir appartenu à la Gestapo ou à la Milice.
 
(1) Nota : Rebaptisée, Avenue Franklin Roossevelt  le 25 avril 1945, nom du président des E.U. décédé le 12 avril 1945, peu avant la capitulation de l'Allemagne survenue le 7 mai 1945 à 2h45 du matin .
 
Les témoins :
Le premier témoin entendu est Polge Jean, il parle des relations de sa belle-sœur avec le commandant Saint Paul, avec la famille Messimbourg, et donne à la Cour des renseignements sur un témoin à décharge, Mr Pierre Simon, soldat au maquis, qui lui a promis de venir déposer à cette audience.
Mme Jouve lui succède, elle appartient au 2ème Bureau de renseignements F.T.P. Elle a participé à la perquisition des appartements des époux Polge et à leur arrestation.
Mme Dugas, bouchère à Nîmes, vient ensuite déclarer que Mme Ponge a dénoncé sa sœur, Mme Guilhem, à la Gestapo. Ces explications confuses manquent de précision.
Mme Guilhem est plus affirmative et indique que Mme Polge est la maîtresse d’un officier allemand. Elle reconnaît cependant que celle-ci fit des démarches en faveur de son fils pour lui éviter le départ en Allemagne, mais que ce service était rétribué par des soins de beauté donnés gracieusement par son fils à Mme Polge.
Mme Danan parle de l’arrestation de son mari, torturé à la Milice en présence, dit-elle, de Garette, Roques et Polge.
Les dépositions de Mr Collet, surveillant de prison en retraite, sur la réquisition des appartements des époux Polge, et de Mr Escotti sur Polge, tortionnaire manquent de précision et n’apportent aucune clarté nouvelle à l’instruction.
Mr Mazer vient attester qu’il a été « tiré » des mains de la Gestapo par Mme Polge.
Enfin le dernier témoin. Clamens vient déclarer, que Polge, à son avis, n’a jamais appartenu à la Milice, ni à la Gestapo et qu’il y a certainement une erreur car il n’était pas à l’arrestation de Danan.
 
Le réquisitoire :
La parole est donnée à Mr Servigne qui, avec beaucoup de talent et une belle éloquence fait le procès des époux Polge, ce couple étrange accusé d’intelligence avec l’ennemi, et demande pour eux deux la peine de mort.
Des applaudissements éclatent dans l’assistance, le président menace de faire évacuer la salle. Il parle ensuite de cette femme vertueuse, véritable déesse antique, aux agissements bizarres, jouant l’ignorance, l’innocence et même la pureté. Il indique que ses dépenses ne correspondaient pas à ses biens et que ses fautes sont supérieures à ses bienfaits, si bienfaits il y a eu. Puis s’adressant au mari étonnant aveugle, amoureux jusqu’à la complaisance, mais surtout profiteur transformé en policier, il indique que Polge a collaboré avec Garette et participé aux expéditions et qu’il est responsable solidaire des crimes qui se sont commis à la Milice, et en terminant il rappelle les souffrances de la Patrie et c’est au nom de ces souffrances qu’il réclame le châtiment suprême pour ce qui, un peu d’or, ont trahi la France.
La défense : Me Gony lui succède et après avoir recherché tous les faits susceptibles d’amoindrir la faute des époux Polge, il termine sa belle et brillante plaidoirie en demandant à la Cour de faire son devoir confiant dans son verdict qui ne peut être que dicté par leurs consciences de juges.
 
Les condamnations :
Après délibération la Cour condamne la femme Polge, coupable du crime d’intelligence avec l’ennemi à la peine de mort, à l’unanimité, avec saisie de tous ses biens. Pour son mari, Polge Albert, coupable également de crime d’intelligence avec l’ennemi, il ordonne un supplément d’enquête à la majorité.
Baumes Hilaire obtient les circonstances atténuantes et est condamné à dix ans de prison.
L’audience est levée à 18 heures et la Cour de Justice se rendra Lundi.
 
Dernière minute :
Nous apprenons à l’instant que la femme Polge née Marcelle Battut a été condamnée à mort par la Cour Martiale.
 
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Lundi 25 Septembre 1944
LA RENAISSANCE Républicaine du Gard
N°25.
Organe du Comité Départemental de Libération.
 
L’exécution de la femme Polge est différée
Le commissaire du Gouvernement communique :
L’exécution de la femme Polge a été différée par décision du commissaire du Gouvernement près la Cour de Justice, en raison des graves révélations faites par la condamnée, lesquelles exigent des vérifications et recherches auxquelles il est procédé en toute diligence.
 
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Mardi 3 Octobre 1944
MIDI LIBRE
N°33.
Organe régional du Mouvement de Libération Nationale.
 
La « femme » Polge a été exécutée
Marcelle Polge a été exécutée hier matin Lundi à 7 heures, à la Maison Centrale.
 
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Mardi 3 Octobre 1944
La voix de LA PATRIE du Midi
N°33.
Fondé sous l’oppression allemande en 1942.
 
La femme Polge a été exécutée
Marcelle Battut, épouse Polge, récemment condamnée à mort par la Cour Martiale, a été exécutée hier matin à la Maison Centrale.
On sait qu’après avoir signé son recours en grâce, la condamnée avait mis en cause diverses personnalités. Les vérifications opérées n’avaient rien apporté de nouveau. La femme Polge a du se rétracter.
Son mari, dont le cas fit l’objet d’information, comparaîtra ultérieurement.
 
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Documentation et numérisation, Philippe Ritter, pour WWW.nemausensis com - Mars 2008.
 
CONCLUSIONS
 
Cette histoire tragique nous laisse un goût amer. La victoire des armées alliées contre le nazisme aurait pu se passer de ces règlements de comptes animés plus par un esprit de vengeance que par un esprit de justice.
Avec un procès bâclé ayant effacé les preuves en éliminant le principal témoin, nul ne pourra savoir le degré de son implication.
A-t-elle trahi sa patrie ? Ou bien a-t-elle eu seulement de mauvaises fréquentations pour améliorer son train de vie ? S'est-elle servie de ses relations pour sauver des vies ? Combien ? Qu'elle est la part du bon et du mauvais dans son comportement ?
Dans son réquisitoire M. Servigne fait pencher la balance du côté du mal tout en refusant d'argumenter (Il indique que ses dépenses ne correspondaient pas à ses biens et que ses fautes sont supérieures à ses bienfaits, si bienfaits il y a eu.) et ce, malgré des témoins à charge plus que douteux, aucune précision n'est apportée quant aux accusations, seulement des témoignages indirects, "un tel a dit..."  Il a joué les effets de manches avec un auditoire surchauffé qui l'applaudissait à la fin de chaque phrase.
Ces fameux moyens qui lui permettaient un train de vie somptueux paraissent dérisoires, avec quelques coupes de cheveux gratuites de la part d'un coiffeur en remerciement "d'un piston" lui évitant une déportation aux S.T.O. en Allemagne, et un seul kilo de viande donné par un boucher. Où sont les preuves de malversations importantes dans ce procès ? Tout est subjectif et sans véritable preuve !
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