Les
Manifestations Viticoles du Midi en 1907
L'élément déclencheur de la crise viticole est le phylloxéra.
Cet insecte originaire de l'Est des États-Unis est muni
d'un suçoir qu'il enfonce dans la racine pour en absorber la sève.
Un cep de vigne attaqué dépérira rapidement et mourra au bout
de trois ans. Découvert pour la première fois en France en 1863
(1), il se répandra dans tous les pays viticoles européens et
Méditerranéens à une vitesse vertigineuse. Trente ans ont été
nécessaires pour en maitriser ses effets. La pratique de la greffe
de cépages européens sur des plans américains, immunisés
depuis toujours contre cet insecte, a permis de circonscrire
définitivement ce fléau.
Mais entre temps des pratiques pour le moins frauduleuses avaient été pratiquées par des commerçants peux scrupuleux. On va trouver sur le marché des vins de plus en plus trafiqués. Les produits les plus divers sont employés pour délayer deux ou trois fois un litre de vin : "de l'eau à laquelle le chimiste rajoute ses ingrédients : acide tartrique, acide citrique, acide sulfurique, sucre, colorant, et, pour que cela ait encore en semblant de goût, des arômes artificiels, de Bordeaux ou Bourgogne" (2). Au début du XXe siècle, la tension monte chez les vignerons. La pression est telle que le pire peut arriver. Du côté du gouvernement rien n’est fait, ou plutôt tout ce qui est entrepris ne va pas dans le bon sens. Depuis 1892, les vignerons réclamaient la suppression du sucrage officiel et le rétablissement des droits de douane sur les importations de vin, la production locale devenant excédentaire. Dans un petit village de l'Hérault, Marcellin Albert, petit victiculteur et bistroquet d'Argelier organise une première manifestation. Il seront 87 à manifester le 11 mars 1907 à Argeliers ; 10 à 15 000 à Capestan le 21 avril ; 20 000 à Lézignan le 28 avril ; 50 000 à Bézier le 12 mai ; 180 000 le 19 mai à Perpignan ; 250 000 à Nîmes le 2 juin ; 800 000 dans les rues de Montpellier le 9 juin. Le 19 juin, suite à une action maladroite du gouvernement avec l'arrestation du Maire de Narbonne, Ernest Ferroul "tribun véhément entraîneur de foules" , c'est une véritable émeute qui noie la sous-préfecture de Narbonne. L'armée ouvre le feu sur les manifestants sur ordre de Clémenceau et les responsables du mouvement seront arrêtés. NIMES
- Manifestation Viticole du 2 juin 1907.
Lors
de la manifestation de Nîmes, les édiles prudents avaient pris en
main son organisation.
Le maire de Nîmes, le Docteur Crouzet, en accord avec le Comité d’action viticole organise à Nîmes la manifestation du 2 juin 1907. Les délégations seront réunies par cantons et par ordre alphabétique de cantons. Le drapeau national sera le seul admis dans le cortège. Les musiques sont exclues de la manifestation, seuls seront admis les clairons et les tambours. Le défilé commencera à 1h30 de l’après-midi au lieu de rassemblement, Boulevard de la République (avenue Jean-Jaurès), il suivra le quai de la Fontaine, le boulevard Gambetta, boulevard Amiral Courbet, le tour de l’Esplanade, la place des Arènes, le boulevard Victor Hugo, Alphonse Daudet, le quai sud de la Fontaine et redescendra le Boulevard de la république (Jean-Jaurès). La population de Nîmes est appelée à pavoiser. Dès l’aube, des véhicules envahissent la ville, il fait un temps radieux, la ville est pavoisée, les étaux des halles sont pris d’assaut, ainsi que les boulangeries et les boucheries… les plus aisés déjeunent au restaurant. À partir de midi la circulation des tramways et bloquée, toute la circulation est interrompue, on rentre les chaises et les tables des terrasses de café, dans la rue des manifestants s’échangent des bouteilles de vin de leur pays, des banderoles émergent au dessus des têtes, les forains installés sur l’avenue ne sont pas en reste, ils affichent aussi leur solidarité aux vignerons, le réputé marchand de chichi et de sucreries nîmois "Mignon" affiche "Le raisin pour le vin, le sucre pour les berlingots"... Une des principales revendications des viticulteurs étant l'abolition du sucrage du vin, cette mesure étant une des causes, par la fraude qu'elle induit, de la surproduction de vin. Cette manifestation fut un grand succès pour les organisateurs, la participation fut estimée entre 200000 et 300000 selon les diverses sources. Nota : Sage précaution, pour éviter les débordements le circuit officiel évitera de passer devant la Préfecture. -oOo- (1)
Origine du Phylloxéra dans le midi, Drouin de Lhuys, Séance du
26 octobre 1874 du congrès International Viticole de Montpellier.
C’est un grand spectacle que cette vaste conspiration de toutes les forces vive de la science pour combattre le Phylloxéra, ce fléau qui menace de tarir l’une des principales sources de la richesse de notre pays. L’Assemblée Nationale en fait le sujet de ces délibérations, le gouvernement s’en émeut, l’institut de France ouvre une enquête solennelle. La grandeur de l’effort n’est que trop justifiée par l’importance des intérêts qu’il s’agit de sauver. Mais quel est donc le terrible ennemi qui les met en péril et provoque de notre part de si formidables préparatifs de guerre ? Mesurez sa taille, examinez ses armes, visitez ses remparts : Que trouvez-vous ? Un puceron minuscule, une imperceptible tarière, une étroite fissure du sol. Parcourons ses lugubres étapes : En 1865, l’insecte apparaît pour la première fois sur un seul point du Vaucluse (une première apparition avait été constatée à Pujaut, dans le Gard en 1863, suite à une expérience malheureuse d'un pépiniériste, ce dernier circonscrira cette première attaque). En 1867, on remarque une large tache dans le département du Vaucluse. En 1868, les deux rives du Rhône sont attaquées, en 1869, l’épidémie arrive aux portes de Nîmes, d’Aix, de Montélimar, des vignes sont atteintes dans l’Hérault et le Var. En 1870, le mal prend un développement, et en 1871, toute la vallée du Rhône, de Valence à la mer, est sous le coup du Phylloxéra, les taches deviennent de plus en plus larges dans l’Hérault et le Var ; en 1872, le fléau gagne du terrain dans ces deux départements. Au premier rang des procédés curatifs se place la submersion hivernale, dont les résultats sont incontestables. L’inventeur de cette méthode (Planchon) a déjà de nombreux imitateurs, et personne n’hésite à recouvrir à la submersion partout où elle est possible. Elle noie le Phylloxéra, sans porter préjudice à la vigne. Seulement, ce système ne peut être étendu aux terrains éloignés des cours d’eau. On propose, il est vrai, de faire dériver par un canal, les eaux du Rhône dans plusieurs de nos départements viticoles (Dumont). Suite du congrès international Viticole de Montpellier, compte rendu de Léon Marès en 1874. Jusqu’à présent, une seule opération a réussi, c’est la submersion, parce que l’eau joue le rôle d’insecticide. Si nous ne pouvons pas trouver d’insecticide, une seule planche de salut nous reste, ce sont les plans américains, assez robustes pour vivre avec le Phylloxéra, que nous cultiverons comme on cultive en Amérique, ou comme porte-greffe de nos plants français. (2) En 1901, des élus de communes viticoles ayant assistés à la réunion de la fédération du Sud-Est de Montpellier rejettent à l’unanimité le projet Augé, et insistent pour que seule la loi relative à la répression des fraudes actuellement pendante devant le parlement permettra la relève de la viticulture. Tout ceci n’est qu’un vœu pieux, nous sommes en 1901 et la crise viticole ne fait que commencer, elle débouchera dans le midi sur les manifestations viticoles de 1907, cet événement très grave provoquera des morts, le tocsin sonnera dans la plupart des villages viticoles. Comment en est-on arrivé là, cinq ans se passent et la révolte gronde le gouvernement ne prend que des mesures maladroites, il abaisse les taxes sur le sucre en 1903, cette mesure laxiste permet aux agriculteurs d’augmenter leurs récoltes, mais à plus malin, malin et demi, certains feront du vin avec cette recette pour le moins sulfureuse : "Un kilo d’acide tartrique, acide citrique et acide sulfurique, on jette dessus un litre d’eau froide pour éviter l’explosion ( !) on rajoute 60 litres d’eau bouillante, on agite avec un bâton en incorporant 100 kg de sucre, il faut remuer une demi-heure, ce sirop mélangé à 6 hectos de vin peut être délayé 2 ou 3 fois, un ajout d’arôme artificiel, Bordeaux ou Bourgogne permet de lui donner un semblant de goût." Cette recette était publiée dans certains journaux de l’époque nul doute qu’elle a dû inspirer pas mal de gens avides de profits faciles, en attendant le vin issu de la grappe ne se vend plus. Il y a tout de même un espoir, à Maraussan dans l’Hérault la première cave coopérative viticole verra le jour cette année-là (elle a fêté son centenaire en 2001 et avait à cette date, 1880 adhérents, avec 436 000 Hectos produits annuellement elle est aussi la première coopérative par son volume !!!). Extrait du site "Culture Gouvernement" Cave coopérative de Maraussan : Première cave coopérative de vente en France, elle est créée le 23 décembre 1901 par 128 viticulteurs de Maraussan. La construction décidée par l'assemblée générale du 19 février 1905 est confiée aux ingénieurs Paul et Carles (de Balaruc). Qualifié à l'époque de "gigantesque bâtisse", elle était conçue à l'origine pour une capacité de production de 20 000 hectolitres. En cours de construction, elle a reçu la visite de Jean Jaurès le 2 mai 1905 et a été inaugurée le 22 août à la veille des vendanges de la même année (en présence d'un ministre belge).
Nîmes - Le Serment des Fédérés Départ de la manifestation devant les Jardins de la Fontaine. Autour des Arènes - Photo collection Musée du Vieux Nîmes Manifestation viticole à Nîmes le 2 juin 1907, délégation de
Clarensac - Photo collection J. Allier Boulevard Victor-Hugo La manifestation passe devant la Maison Carrée Place de la Comédie, entre la Maison Carrée et le Grand Théâtre -oOo- |