CREATION DU MONT-DUPLAN en 1861

 

Le mont Duplan au début du XXe siècle

 

Historique du Mont-Duplan

 

La colline dont nous avons entrepris de dresser la Florale (1), est connue sous le nom de Mont-Duplan, elle est située au Nord-Est de la ville de Nîmes, et fait partie d'une immense falaise néocomienne contre laquelle viennent butter les sables pliocènes à Ostrea undata. Le groupe des garrigues de Nîmes, auquel se rattache le Mont-Duplan, est classé par les géologues dans le sous-étage Cruassien, décrit par M. A. Torcapel (2).

 

(1) Henri Noël, Florale dit Mont-Duplan (Bull. Soc. ét. sc. natur. de Nîmes, 1897. n° 2).

(2) Th. Picard, Classification nouvelle des formations sédimen. Mires du Gard (Bull, Soc, ét. sc, natur. de Nîmes, 1895-1896.)

 

C'est à sa base que les juifs de Nîmes avaient leur cimetière au moyen-âge, comme l'ont prouvé les épitaphes hébraïques qu'on y a rencontrées au XVIIe siècle. II s'y trouvait depuis un temps qu'il est très difficile de préciser, mais qui était déjà éloigné ait XIe siècle.

 

A cette époque, Pons Salomon fut nommé au canonicat de Notre-Dame (Cathédrale de Nîmes), et il fit donation en faveur de l'Eglise et des chanoines, d'une métairie située sous les murs de Nîmes, près de la route d'Arles, de deux champs, et de deux vignes, avec la réserve de l'usufruit durant sa vie. L'une de ces deux vignes était située sur une des collines qui sont autour de la ville, vers le Nord, et qui porte dans la charte cette dénomination : in poio judaïco, c'etait le Mont-Duplan. La charte est datée d'un mardi d'avril, le roi Henri régnant, sans marquer l'année du règne ; c'était Henri Ier, nous croyons que c'est en 1055.

 

Voici par ordre chronologique, les noms successifs donnés à la colline :

- Poium Judaïcuna, 1030 (Germer-Durand, Cartulaire de Notre-Dame de Nîmes, chapitre 3, page 231)

- Poium Judïcum, 1055 (Ménard, Histoire de Nîmes, I, preuves, page 22, colonne 2)

- Podium Judeuin 1380 (Compoix de Nîmes)

- Puech Juzieu , 1479 (La Taula del Poss. de Nîmes)

- Puech-Jésiou 1671 (Compoix de Nîmes)

- Puech-Jasieu (Ménard, tome III, page 33)

- Mont Cousieu (André Duchesne, Histoire du Languedoc, chapître 6)

- Un document inédit de 1360 (J. S. Simpon, Histoire des Juifs de Nîmes au moyen-âge, page 11) met ce fait hors de conteste. On y lit en effet ces mots :

« in quemdam locum voratum cimiterium judeorum et in quo antiquitatus solebant sepeliri judei et judee ....et qui locus vocatur Poduis Judeus » (J. S., Histoire de Juifs de Nîmes, page XIV)

 

Un document historique, disparu aujourd'hui , mais cité dans l'Histoire de Nîmes (Ménard, Histoire de Nîmes, tome I, page 142, 166, tome III, page 9) nous apprend que le prieur de Saint-Baudile donne aux juifs au XIVe siècle, le cimetière de Posterla (1) qui était en deçà des pâturages de son monastère, moyen­nant neufs sols ou une livre de poivre pour chaque ensevelissement.

 

(1) Ce mot de Posterlea ou Posterula, petite porte, ne peut s'appliquer ici qu'à la porte d'Uzès, qui était située à la Croix de fer, à l'endroit où se trouve la rue qui porte son nom en souvenir.

 

Nous ne savons à combien s'élevait cette redevance au XIe ou au XIIe siècle. Ce que nous savons, c'est que le poivre étant à cette époque une denrée d'une grande rareté, et par suite, d'un prix très élevé, la concession du cimetière israélite devait être une source de sérieux revenus pour le monastère.

 

Le poivre qu'elle rapportait revenait à l'origine aux chanoines de la Cathédrale, à laquelle l'abbaye de Saint-Baudile était unie ; plus tard, il fut soi­gneusement partagé entre le prieur du monastère et l'abbé. Lorsque l'abbaye fut remise aux, mains de Seguin, abbé de la Chaise-Dieu (1), l'obligation de ce partage devint une clause particulière de l'acte de donation.

 

(1) Ménard, Histoire de Nîmes, tome I, page 172.

 

Il ne se fit néanmoins pas toujours avec une grande exactitude. En 1109, le prieur de Saint-Baudile, Hugo de Ortensis, se plaignit au vicomte Bernard-Atons, de ce que, en violation du pacte fait avec Seguin, l'abbé Pierre de la Tour-Magne ne partageait plus avec lui le poivre provenant de la sépulture des juifs.

 

Le vicomte fit venir le prieur et l'abbé dans un plaid au château des Arènes, devant de nombreux témoins, et là, après que le prieur eut exposé sa plainte, et que lecture eut été donnée du traité signé avec Seguin, il fut décidé que le pacte était régulier et devait être maintenu dans toute sa teneur.

 

L'épice précieuse continua donc à être partagée entre le prieur et l'abbé de Saint-Baudile. Elle était apportée au prieuré après chaque ensevelissement par un des bailes ou chefs de la communauté.

 

Le 2 septembre 1360, Durant Roche et Comprat Mossé; traitèrent avec Raymond de Gardie, prieur de Saint-Baudile, pour une nouvelle concession de l'antique cimetière de Puech-Jusieu (1).

 

(1) II était limité par la vigne de Raymond de Laleca, crieur public; l'ancien mur ; la terre de Guillaume Perrier, sergent royal ; et le chemin qui conduit, aux moulins à vent.

 

La concession fut accordée aux bailes, assistés de Maïmonet, de Nîmes, et de Bonnet Roche, tous quatre stipulant au nom de la communauté, par acte notarié.

 

Le 17 du même mois, maître Moïse Boniaque, médecin, et Bonfils Durant ayant remplacé les bailes cités plus haut, il est fait une nouvelle confirmation de la concession. Raymond de Gardie, au nom du prieuré, tant pour lui que pour ses successeurs, les bailes, au nom de la communauté, s'engagent à observer les clauses du traité aussi longtemps qu'il plaira au roi de laisser résider les juifs en France (1).

 

(1) Voici ces clauses. Pour tout juif de Nîmes ou du dehors qui sera enterré au lieu appelé cimetière des juifs ou Podius Judeus, il sera payé 9 sous tournois de monnaie courante, ou une livre de poivre. Les bailes apporteront la somme ou le poivre au prieuré de Saint-Baudile, aux frais et dépens de la Communauté. Item. -Tout décès .d'un juif nîmois ou étranger qui devra être enterré au dit cimetière, sera dénoncé au prieuré avant l'ensevelissement. Item. Le prieur aura le choix entre la livre de poivre et les 9 sous.

 

Les bailes jurèrent sur la loi de Moïse la stricte observance de tous les articles du contrat qui fut ratifié, pour le prieuré, par le chapitre (1).

 

(1) Le chapitre était composé de : Pons de Cubières, sacristain du prieuré de Saint-Baudile, Guillaume de la Chaise-Dieu, Jean Ransier, l'abbé Jean des Hours, Jacob d'Espagnac, Arnaud de l'Epine et Bérard de Pompignac, moines de la Chaise-Dieu.

 

L'acte fut passé par devant M. Guillaume de Guiraudel, notaire, en présence de Guillaume Deleuze, prieur de Sainte-Margueritte-de-Peyrolle, Pierre de Malgrel, damoiseau du diocèse de Cahors, et Pierre de Vendamine, de Rodez, témoins (1).

 

(1) J. Simon, Histoire des Juifs de Nîmes. Document inédit, n° 4

 

Un document de 1260, nous dit :

 

«  . . . . sicut descendunt muri veteres a cruce Posterle et claudunt cimiterium judeorom versus sanctum Baudilium (1).

 

(1) Archives communales, MM. 13, N° 1

 

L'emplacement qui correspond exactement à ces indications est la partie inférieure de la pente septentrionale du Mont-Duplan, à l'endroit où se joignent les rues Bonfa, de la Posterle et Michel de Cubières, en face, et à quelques mètres de l'ancienne maisonnette d'octroi. Il est situé ait pied même des côteaux qui portent les moulins à vert. L'ancienne muraille était à deux pas, ainsi que la porte d'Uzès, auprès de laquelle devait se trouver une porte secondaire, plus petite, appelée Posterla.

 

Le sol, à l'emplacement que nous désignons, recouvre encore aujourd'hui des ossements humains. On y a trouvé plusieurs inscriptions funéraires datant de l'époque gallo-romaine; et on a découvert, il y a peu de temps, en posant les fondations d'une maison, plusieurs urnes qui se sont malheureusement effritées aussitôt qu'elles ont été exposées à l'air

Il y avait donc là, sans aucun doute, sur le bord de l'ancien chemin d'Uzès, une vaste nécropole romaine qui contournait le Mont-Duplan, en partant de l'emplacement actuel de la rue d'Aquitaine, et aboutissait aux casernes d'artillerie. Il paraîtrait même que le cimetière catholique actuel ne serait que la continuation de cette ancienne nécropole.

 

Selon toutes probabilités, c'est cette nécropole même qui fut concédée aux juifs, soit qu'ils y eussent déjà possédé des sépultures à l'époque romaine, soit que le monastère de Saint-Baudile, dont ils ont été les redevables pendant tout le moyen âge, leur eût accordé, de préférence à tout autre, un terrain antérieurement consacré à des sépultures non chrétiennes (1).

 

(1) Goiffon, Notes d'Histoire et de Statistiques sur les paroisses du diocèse de Nîmes. tome 1, page 354.

 

Aménagement du Mont-Duplan

 

Au commencement de notre siècle, le cimetière catholique se trouvait au pied dû Mont-Duplan, près du chemin d’Uzès. On a cessé d'y enterrer en 1830.

 

La colline des moulins à vent, comme on l'appelait alors, n'était qu'un roc dénudé et stérile (2), comme l'avait été quarante ans auparavant, la colline de la Tour-Magne.

 

(2) Les femmes du quartier venaient y faire sécher leur linge

 

Les plantations faites sur ce point par le baron d'Haussez et M. Cavalier, avaient si bien réussies, que M. Duplan, alors maire de Nîmes, jugea à propos de couvrir les pentes de la colline des moulins à vent, d'arbres et d'arbustes verts, et de créer ainsi, presque dans la ville, à portée d'un quartier populeux qui s'accroît sans cesse, une promenade agréable autant qu'hygiénique.

 

Le Conseil municipal adopta son idée et confia à M. Pessard, alors Garde Général des Forêts, cette tâche difficile. Cette création a changé très heureusement l'aspect triste et morne de cette portion de Nîmes.

 

Depuis, le nom de l'administrateur intelligent qui avait conçu cette amélioration et qui la réalisa, est resté, par un juste retour, à la promenade tout entière, qui s'appelle aujourd'hui le Mont-Duplan. Le Conseil municipal émit ce vœu le 7 février 1861, et il fut approuvé par l'Empereur le 6 avril de la même année.

 

Histoire du dernier Moulin du Mont Duplan

 

Le moulin en 2002

 

Les travaux ont été dirigés avec beaucoup d'habileté par M. Pessard (1). Mais il lui fallut vaincre certaines difficultés dont la plus grande fut l'achat des moulins disséminés sur la colline. Ils étaient au nombre de sept ou huit, dont trois sur la plate. forme supérieure. Ils furent successivement achetés, après de nombreux pourparlers, au nom de la ville, à des prix variant de 100 à 300 francs, mais quelques. uns ne le furent que sur la menace d'une expropriation.

 

(1) Les détails qui suivent m'ont été fournis par M. Pessard lui-même, avec une amabilité dont je tiens à le remercier ici !

 

Seul, M. Rouvière-Cabane refusa énergiquement de vendre le sien, pour se venger de la ville, qui avait fait construire un caniveau devant sa maison. M. Pessard, pour l'obliger à céder, planta tout autour de son moulin, dans sa propriété même, mais rien ne put le décider.

 

A sa mort, sa fille vendit la tour et les deux ares de terrain qui l'entourent .à Mme Peladan, qui en est la propriétaire actuelle, pour la somme de 500 francs. Cette dernière l'a considérablement aménagé et a même fait installer au sommet un petit observatoire. On jouit de cet endroit d'un panorama splendide. Cette tour est située en face la corderie Rouzeau.

 

Un peu plus loin, on remarque trois autres tours très bien conservées. Dans le quartier de la Croix-de-fer, au-dessus des carrières, plusieurs de ces moulins, qui ont servi ensuite de télégraphes aériens, sont encore habités.

 

Plantations du Mont-Duplan

 

Ces difficultés surmontées, M. Pessard commença les travaux en 1858 ; ils ont été terminés en 1861 ; mais le Mont Duplan n'a été réellement achevé que quatre ans plus tard, car il fallait remplacer les arbustes à mesure qu'ils dépérissaient.

 

Il fit agrandir par des coups de .mines les crevasses et les fissures naturelles afin de ménager dans le rocher la place nécessaire au développement des arbustes. On transporta ensuite la terre siliceuse qui se trouvait dans le cimetière, puis on traça les sentiers. C'est dans cette terre seule que les résineux ont trouvé tout d'abord leur subsistance. Plus tard, en 1882 et 1883, lors du creusement des caves des Halles Centrales, les terres qui en provenaient y ont été transportées.

 

Les plants, tous fournis en mottes, provenaient de la pépinière de M. Brunel-Tholozan, route de Beaucaire, derrière le' lavoir de Grézan ; de celle de M. Albéric Boyer, au Pont-de-Cart, de celle de M. Dussaud, boulevard du Viaduc. D'autres plants ont été envoyés de la pépinière de M. Cavène, de Bagnols (1)

 

(1) L'essence qui domine. est le pin d'Alep.

 

En outre, M. Pessard a fait de nombreux semis de diverses essences, mais principalement de chênes verts. Malheureusement, la plupart de ces graines ont été étouffées lieu après par les terres apportées.

 

Les rares chênes qui ont poussé, sont, on le remarque, très rabougris. Leurs racines se développent en attendant le moment où les pins disparaissant, leur laisseront l'air et la place nécessaires pour s'élancer et les remplacer. C'est, en prévoyance de ce .fait que M. Pessard avait semé des glands.

 

Tous ces travaux ont coûté la somme de 13.500fr., dont 4.000 consacrés à des coups de mine.

 

Ajoutons que la ville de Nîmes a décerné en 1861 à M. Pessard, en reconnaissance de ses services, une médaille d'or.

 

En 1869; une Société, dite des Eaux de Nîmes, substituée à celle des Eaux. du midi, dont faisait partie le Marquis de Preignes, concessionnaire d'une dérivation des eaux du Rhône à prendre au Pouzin, fit ouvrir au pied du Mont-Duplan, une galerie dans la roche calcaire, sur une longueur de huit à dix mètres, pour l'adduction des eaux destinées à l'alimentation de la ville.

 

Ce souterrain aboutissait à un vaste réservoir creusé dans les terrains sableux de l'ancien cimetière, et, de là, à une conduite de distribution en maçonnerie dont on aperçoit encore l'amorce sur le côté gauche de la route d'Uzès.

 

Les travaux du canal ayant été abandonnés, cette galerie, ainsi que le réservoir à la suite, ont été comblés, vers 1883, avec les matériaux de démolition provenant de l'établissement des Halles centrales et du percement des nouvelles rues. C'est sur le terre plein formé par ce remblai que les jeunes soldats vont journellement s'exercer.

 

Actuellement, le :Mont-Duplan est une de nos plus belles promenades (1).

 

(1) Sa superficie totale est de 7 hectares 50 ares.

 

Aussi est-il fréquenté par de nombreuses personnes qui viennent respirer avec délices les vivifiantes émanations qui s'en dégagent.

 

H. NOEL, 1899.

 

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