ADRESSE
Des Directoires du Département du Gard
et du District de Nismes, à l'Assemblée Nationale.

Suivit du

COMMENTAIRE

De cette adresse, dans lequel on dévoile le pernicieux projet de quelques citoyens qui, si l’on y prend garde, auront bientôt bouleversé la France, parce qu’ils ne peuvent parvenir à leurs fins que par la plus grande anarchie.
ʺQui potest capere, capiat !...ʺ que celui qui peut comprendre comprenne !

ADRESSE


Nismes le 3 septembre 1790

Messieurs,
Les directoires du département du Gard, et du district de Nismes (A), se réunissent pour vous présenter un même vœu (B) sur la situation de cette ville infortunée, dont ils voudroient réparer et faire oublier les malheurs.
De grands et cruels désordres ont obligé la justice de porter ses regards sévères sur les journées des 13, 14 et 15 juin dernier. Il importoit aux bons citoyens que les auteurs de ces troubles fussent connus, que leurs projets fussent dévoilés (C), qu'il devînt manifeste aux yeux de la France que les désordres de Nismes sont le crime des ennemis de la constitution.
La preuve de ces attentats est suffisamment acquise, la cause du patriotisme est justifiée (D) ; il faut écarter aujourd'hui le glaive de la justice, suspendu sur les tête des coupables (E). Que la commune de Nismes, Messieurs, vous doive ce nouveau bienfait ! Raffermissez la paix dans son sein, ramenez-y l'union et la confiance. Daignez solliciter du meilleur des rois le pardon de tous ces délits commis dans ces trop fameuses journées qui ont vu les citoyens armés contre les citoyens, afin que, comme accusateurs, accusés, témoins ou complices, ils se traitent et s'aiment en frères (F).
Ceux-là seuls sont dignes de haine qui, dans leur pensée cruelle, ont préparé dès longtemps les malheurs de leur patrie ; qu'ils soient seuls exposés à la vengeance des lois.
Eloignez-les à jamais d'une ville qu'ils ont remplie de désolation, et où leur présence jeterroit de nouveau l'épouvante et le désespoir. Leur dessein fut d'arrêter la marche de la constitution par une guerre civile : le tribunal des crimes de lèse-nation doit prononcer sur leur attentat (G). Épargnez à des magistrats qui ont vu de trop près les malheurs de leur patrie le pénible devoir de juger leurs concitoyens, de peur que la rigueur des lois ne paroisse être encore que la vengeance des hommes (H).
Mais nous vous en conjurons ; au nom de la tranquillité, au nom de l’humanité qui respire dans vos décrets, sauvez tous ceux qui, égarés par des insinuations perfides, n’ont été que les aveugles instruments des passions de quelques scélérats. Cette amnistie salutaire fur le premier vœu du corps administratif assemblé pendant les troubles de Nismes (1) ; ce fut même sa promesse (I).

(1) Proclamation du corps administratif du département du Gard, pour le retour et la tranquillité publique du 10 juin 1790.

Vous ne désavouez pas ces sentiments de bienveillance et de pitié, qui peuvent seuls rétablir la paix (K). Le sang versé par les mains de la justice réveilleroit les haines ; un acte de clémence rapprochera les esprits, raffermira la concorde, et conduira les citoyens du pardon à l’oubli du passé.
Après avoir jeté un voile sur nos malheurs, vous voudrez sans doute les soulager (L). Il en est d’irréparables, mais qu’une médiation sensible et généreuse peut adoucir.
Dès le mois de juillet, nous avons sollicité des secours extraordinaires (M), destinés indistinctement à tous ceux qui ont souffert ici dans leurs propriétés ou dans leurs personnes. Ecoutez nos instances réitérées, que dicte le devoir le plus impérieux. Non, vous ne repoussez pas, Messieurs, cette juste prière ; vous l’appuierez auprès du roi, qui daignera l’accueillir avec sa bonté paternelle ; et vous voudrez que nous puissions effacer jusqu’aux dernières traces de nos infortunes, afin de ne plus laisser d’aliments aux agitations ni aux haines populaires.
Ainsi les noms du roi et de l’assemblée nationale ne retentiront aux oreilles des peuples que pour leur rappeler ceux de protection et d’humanité, d’amour et de reconnaissance (N).

Signé : Chabaud, vice-président ; Viguier, Sauvaire, Baragnon, Ménard, David, membres du directoire du département ; Griolet, procureur-général-syndic ;
Meynier fils, commissaire du roi ;
Lagarde, président du directoire du district ; Vincens, vice-président ; Hébert, Bonicel, Chapelle, membres du directoire du district de Nismes, et Mazauric, procureur-syndic.
Rigal, secrétaire-général.
Nous adhérons, le 19 septembre 1790.
Roques, ci-devant Clausonnette, président du département ; J. Julien-Trélis, membre du directoire.


COMMENTAIRE

De l’adresse des Directoires du Département du Gard, et du District de Nismes, à l’Assemblée Nationale, du 3 septembre 1790.


(A) Les directoires du département du Gard, et du district de Nismes…
Il est important de faire observer, d’abord, que les directoires du département du Gard, et du district de Nismes, sont composés de membres du Club des prétendus amis de la constitution de cette ville. Cette société est formée de 417 citoyens, dont 63 catholiques, 1 juif et 355 protestants. (*)
(*) NDLR : 63+1+355=419 et non pas 417.
On remarque dans ce nombre 12 faillis et quatre décrétés de prise de corps. N’est-il pas évident que ce club n’est autre chose qu’une faction protestante ? On en sera convaincu lorsqu’on saura que le juif et presque tous les catholiques n’y sont jamais ; que cependant on ne laisse pas, lorsque le club fait imprimer, de faire aussi, malgré leur absence, imprimer leurs signatures ; que tous les catholiques de bon sens se retirèrent lorsqu’ils s’aperçurent que cette société n’étoit autre chose qu’une cabale ; et que le très-petit nombre de catholiques qu’on y voit encore sont de ces sortes de gens, assez communs à Nismes, qui, se décorant du fastueux titre de négociants, ne soutiennent leur débile crédit qu’à force de ramper auprès des protestants, qui leur donnent à vivre bien plus par politique que par pitié. Ce sont là des plastrons et des mannequins du parti. Faut-il faire une démarche hasardée ; faut-il sonder le gué ; faut-il jeter la pierre et cacher le bras ; ce sont ces misérables catholiques qu’on emploie. Rebut de leur pays comme de la nature, ils sont descendus si bas, si bas, que leur vue ne peut plus porter jusqu’aux objets au-dessus d’eux, et qu’ils sont contenus même de leur honte et de leur bassesse.

(B) Ils se réunissent pour nous présenter un même vœu…
Et quel vœu ? le vœu de ceux qui ont pillé et massacré, ou ordonné le le pillage et le massacre ; en un mot, le vœu du club ou des protestants. Mais ce n’est point du tout le vœu de la majorité, le vœu des catholiques ou des honnêtes gens, ce qui est synonyme ; ce n’est point du tout le vœu des accusés MM. Descombiés, Pélatan, Folacher, etc. etc.. qui réclament sans cesse d’être admis à leurs faits justificatifs, d’être jugés. En faut-il une preuve par écrit ? la voici : c’est l’adresse que M. Folacher, avocat et électeur de la ville de Nismes, vient d’envoyer à M. le président de l’assemblée nationale : il suffit pour démontrer qu’aucun des accusés ne doit craindre de voir éclairer sa conduite, et que ce sont leurs calomniateurs seuls qui doivent trembler l’approche du flambeau de la vérité.

Adresse de M. Folacher, avocat, électeur de la ville de Nismes, à l'Assemblée nationale, sur l'amnistie sollicitée par les directoires du département de Gard & du district de Nismes
Monsieur le président,
C’est du fond d’un cachot, que j’ai l’honneur de vous écrire, non pour vous demander grâce, l’innocent n’en a pas besoin, mais pour m’opposer de toutes mes forces à une amnistie vivement sollicitée par les directoires du département du Gard et du district de Nismes, sans la participation ni l’aveu des accusés ; amnistie qui n’a d’autres but que de soustraire les vrais coupables à la vengeance et à la sévérité des lois.
Tranquille sur le témoignage de ma conscience, je proteste à la face de la France et de l’Europe entière, que jamais je n’accepterai d’amnistie, et que tant qu’il me restera un souffle de vie, je l’emploierai, avec tout le courage que donne le sentiment de l’innocence, à réclamer un jugement qui prononce l’accusation intentée contre moi, et sur les réparations que j’ai droit de prétendre.
Daignez, monsieur le président, recevoir ces protestations, et les mettre sous les yeux de l’auguste sénat qui préside au destin des françois. Puissent-elles accélérer la décision que nos contrées attendent de sa sagesse avec la plus vive impatience !
Puissent, surtout, les peuples voisins de Nismes, plus indignés qu’alarmés de la tyrannie qui opprime cette ville, voir bientôt émaner de l’assemblée nationale un décret qui, en aceillant la demande en renvoi formé par la municipalité, ordonne que l’instruction de cette horrible affaire sera recommencée devant des juges libres et exempts de prévention ! Ainsi la confiance que l’empire françois doit aux nouvelles lois se maintiendra dans des contrées dont l’opinion peut influer beaucoup sur leur durée : ainsi les ennemis du bien public perdront un prétexte dont ils pourroient peut-être profiter, si le décret qui va être rendu pouvoit tromper les espérances d’un peuple juste et désabusé.
Daignez donc, M. le président, recevoir encore et mettre sous les yeux de nos augustes représentants l’adhésion que je fais à la demande en renvoi formée par la municipalité de Nismes.
Je suis avec un profond respect, etc…
Signé Folacher
Des prisons de Villeneuve de Berg, ce 13 octobre 1790.

Que nous représente maintenant le vœu des directoires, ou du club, ou du consistoire, ou des protestants de Nismes ? une nouvelle machination, au moyen de laquelle on veut étouffer la voix des veuves et des orphelins qui redemandent leurs époux et leurs pères massacrés ; au moyen de laquelle on veut faire succomber les accusés sous le glaive de la justice, parce qu’ils dévoileroient tôt ou tard la vérité, que les directoires cherchent à masquer après l’avoir circonvenue.

(C) Il importoit aux bons citoyens que les auteurs des troubles fussent connus, que leurs projets fussent dévoilés…
Oui ; mais comment parvenir à les connoître, lorsque les auteurs eux-mêmes de ces troubles dirigoient par la crainte, ou peut-être par des sentiments moins excusables les officiers de justice ? En faut-il une démonstration ? je vais la donner, et je défie les directoires, le club et le consistoire réunis de le réfuter. D’où vient n’a-t-on décrété que ceux qu’on avoit mis en prison, de l’autorité privé du parti protestant ? D’où vient que dans le nombre de deux cent maisons pillées, il n’y en a pas une seule d’un protestant ? D’où vient qu’après avoir pillé et détruit tous les effets et tous les meubles de M. Bragouse, on n’a fait aucune dégradation à la maison qui appartient à la veuve Tansard protestante ? D’où vient qu’en saccageant l’édifice immense du collège, on n’a respecté que deux seules pièces, et que ce sont celles qui renfermoient une grande quantité de meubles qu’un protestant, le sieur Amalric, avait fait venir de Paris pour revendre ? d’où vient qu’en pillant et dévastant la maison de sieur Veyrat, on brise toutes les auges de pierre, qui renferment de l’huile, qu’on la répand, et qu’on conserve l’huile du sieur Lombard-Boissier, protestant ? D’où vient que plus de 600 prêtres ou catholiques, sans armes et sans défense, ont été massacrés, qu’à peine 19 protestants, dont le plus grand nombre encore a été tué dans des villages assez éloignés de Nismes, ont perdu la vie ? d’où vient aussi cette affectation de ne décréter que des catholiques, quand ce ne sont que des protestants qui ont pillé et massacré ? Mais dira-t-on, ces catholiques n’ont été décrétés que d’après les faits résultants de l’information. Quoi ! vous osez encore le dire ? et quelle peut être cette monstrueuse information, faite par des juges effrayés ou corrompus ? quelle peut être cette monstrueuse information dans laquelle on ne voit figurer, parmi les catholiques, que des affiliés du consistoire ou du club, ou des infortunés auxquels on faisoit dire tout ce qu’on vouloit, en les payant ou les menaçant de la lanterne ? Ah ! croyez-moi, ne parlez plus de cette monstrueuse information ; elle vous fait plus honte encore que le massacre dont vous vous êtes souillés, parce qu’elle décèle que vous n’éprouvez pas même du remord d’avoir commis tant de crimes. Mais qu’il me soit permis de vous interroger encore : d’où vient que, dans la nombreuse liste des proscrits, on ne trouve que des catholiques ? Avoient-ils, comme les protestants, des émissaires qui parcouroient, huit jours avant le massacre, tous les lieux circonvoisins, et donnoient rendez-vous à leurs brigands pour se rendre à Nismes le dimanche au soir, ou le lundi de très-grand matin ? Avoient-ils des dragons soi-disant nationaux, mais véritablement protestants, ou membres du club, pour commencer le massacre, en tirant lâchement sur des gens désarmés, et se borner à imaginer, pour excuser cette honteuse barbarie ; de supposer un billet qu’on n’a jamais pu produire, puisqu’il n’a jamais existé ? Ah ! très-certainement non, les catholiques n’avoient point parmi eux de semblables scélérats ; et s’ils ont montré du courage dans cette terrible circonstance, ce n’a pas été comme leurs ennemis, en assassinant par derrière leurs malheureux concitoyens.

(D) La preuve de ces attentats est suffisamment acquise, la cause du patriotisme est justifiée…
Quoi ! vous osez même en imposer à l’assemblée nationale ! Et où est-elle cette preuve ? Vos sourdes menées n’ont-elles pas empêché jusqu’à présent les accusés de faire juger leurs faits justificatifs ? Pourquoi l’avez-vous empêché ? c’est que vous n’ignorez pas qu’ils feroient connoître à toute la France que les protestants de Nismes, n’ayant point dégénéré de leurs factieux et cruels ancêtres, n’ont commis le massacre du mois de juin que pour s’emparer de toutes les administrations. Ils n’ont exécutés au moment de l’assemblée électorale que pour la dominer, et chasser par la crainte ou la proscription, les électeurs catholiques. On peut se rappeler que dans le mois de mai, à la veille des assemblées primaires, les protestants vouloient en faire autant ; mais que la prudence et la fermeté du maire, et du corps municipal de Nismes, suffirent dans ce moment pour l’empêcher.

(E) Il faut écarter aujourd’hui le glaive de la justice suspendu sur la tête des coupables…
Quelle révoltante hypocrisie ! On plonge le poignard dans le sein catholique, on les ruines, on les calomnies, et leurs bourreaux, leurs voleurs, leurs calomniateurs font demander par des directoires qui les protègent, le pardon de ceux qu’on a massacrés, pillés et calomniés ! Juste Dieu ! quel est donc cet exécrable abus de mots et des choses ! Allez, vils assassins, ceux que vous voulez faire croire criminels ont su démasquer votre fausse pitié qu’ils méprisent. Ils ne demandent point de grâce, ils veulent être jugés, et ils ont encore assez d’énergie et de caractère pour prouver que leurs accusateurs sont les seuls coupables. Qu’ils tremblent donc, les assassins, il ne faut qu’un instant pour déchirer le voile de l’hypocrisie et du mensonge. Le jour de la justice et de la vérité arrivera bientôt, et la foudre de ces divinités vengeresses saura bientôt aussi quels sont ceux qu’elle doit frapper.

(F) Afin que, cessant de se considérer réciproquement comme accusateurs, accusés, témoins ou complices, les citoyens se traitent et s’aiment en frère.
Qui pourroit promettre un semblable bonheur lorsqu’il connoît les protestants ? Qui ne sait pas que leur unique but est d’exciter les haines, les dissensions, la guerre civile ? Quel est celui qui se rappelle assez peu ce qu’il a lu dans l’histoire, pour ne pas voir que les protestants ne tendent qu’à bouleverser tout en France ; que leur but est d’y établir, à la faveur de l’anarchie, leurs républiques fédératives tant désirées ? Qui pourroit se méprendre sur les prétentions factieuses des protestants, lorsqu’il les voit emprunter aux juifs du comtat Venaissin deux millions pour salarier dans le royaume des boutefeux et des espions ; lorsqu’il les voit encore s’imposer entre eux de fortes taxes pour entretenir clandestinement des troupes ; faire des achats considérables d’armes, de poudre et de munitions, se retrancher à Nismes, dans les Cévennes et le Bas-Languedoc, et s’y mettre à l’abri des événements ? Et pourquoi ? pour tout oser, lorsque la guerre civile qu’ils formentent sera devenue générale dans le royaume. Qui pourroit ne pas être convaincu de ces vérités, lorsqu’il voit l’ame de ce parti, le ministre R……, traverser toute la France, pour prendre ou donner du guet, partout où ses affidés sont répandus, et laisser à Toulouse, à Montauban, à Bordeaux les étincelles qui ont produits depuis de grands incendies ? Qui pourroit ne pas être convaincu, lorsqu’il voit ce R……, en arrivant à Paris, ramper bassement, tout républicain qu’il est, aux pieds des Polignac, qu’il appelle maintenant des créatures du despotisme, et auprès desquels il ambitionnoit alors de placer sa femme ? Qui pourroit ne pas être convaincu, lorsqu’il voit ensuire ce R……, non moins bas, non moins flagorneur auprès des Necker et des La Fayette, les appeler tour-à-tour ses héros, s’étayer de leur crédit, les exalter dans la prospérité, et les abandonner quand il croit que la faveur les abandonne ?qui pourroit méconnoître le but et le projet des protestants et de R…… lorsqu’il voit celui-ci exciter les troubles par ses écrit incendiaires, mander au sieur A….. de Nismes, que, puisque la guerre civile est indispensable, autant vaut qu’elle commence à Nismes, pourvu qu’on ait soin d’y faire les dispositions convenables ? Qui pourroit ne pas être convaincu, lorsqu’il voit de R…… détourner les procès-verbaux, les lettres, et tout ce que la municipalité de Nismes adresse à l’assemblée nationale, et faire, au moyen de détestable ruse, mander par un décret le vertueux maire de Nismes à la barre ? Qui pourroit ne pas être convaincu, lorqu’il voit ce R…… écrire à un membre du club, après que ce décret fut rendu : Nous avons obtenu tout ce qu’il étoit possible d’obtenir, et même plus que je n’espérois, en faisant mander le maire à la barre ; c’est à vous maintenant de justifier cette mesure en vous procurant des témoins pour tous les faits contenus dans l’adresse, et que je n’ai avancés que d’après vous. Nous devons beaucoup à M. Barnave qui s’est montré autant notre défenseur que celui de la révolution ; il a surtout appuyé sur le silence des officiers municipaux dont aucune des nombreuses lettres n’a été lue à l’assemblée ? Qui pourroit ne pas être convaincu, lorsqu’il voit ce R…… détourner insidieusement les comités de l’assemblée de s’occuper des dépêches d’un courrier extraordinaire qu’il contraignit, par cette ruse, à se rendre sans réponse auprès de la municipalité de Nismes, qui l’avoit envoyé ? Ces dépêches étoient cependant si importantes, que jamais le massacre de la Saint-Antoine (13 juin) n’auroit eu lieu si l’assemblée nationale avoit répondu. Qui pourroit ne pas être convaincu, lorsqu’il voit ce R…… composer ou faire composer les libbellés diffamatoires dans lesquels, usant d’une vieille manœuvre qui a souvant réussi à ses prédécesseurs, il suppose que ses protestants sont persécutés, quand ce sont eux qui persécutent, qu’ils sont massacrés, quand ce sont eux qui massacrent ? Qui pourroit ne pas être convaincu, enfin, lorsqu’il voit ce R…… faire insérer dans le Moniteur, dans la Chronique de Paris, et plusieurs autres journaux pour lesquels il fait souvent des articles, que c’est actuellement du nom de protestants qu’on qualifie tous les patriotes et les amis de la constitution, comme s’il n’étoit pas reconnu et démontré aujourd’hui que ces protestants, qui se décorent du nom imposant de patriotes et d’amis de la constitution, ne sont autres chose que ses ennemis, puisqu’ils pillent, qu’ils massacrent, et qu’ils n’accueillent les décrets de l’assemblée nationale qu’autant qu’ils leurs avantageux, et cela pour perpétuer les désordres, faire dissoudre la monarchie, et fonder, comme je l’ai déjà dit, la république que depuis deux cents ans ces factieux sujets cherchent à établir ? Et ce sont de semblables gens qui se disent frères ; mais ils ont été nos bourreaux ! Et ce sont de semblables gens qui demandent une amnistie pour nous ; mais ceux sont nous qu’ils ont assassinés !....
Non, non, point d’amnistie ; si les protestants sont des calomniateurs et des assassins, que le fer de la loi s’appesantisse sur leurs têtes. Tel sera toujours le langage des catholiques de Nismes.

(G) Le tribunal des crimes de lèse-nation doit prononcer sur leur attentat.
Eh quoi ! misérables, vous demandez une amnistie pour les uns et vous voulez qu’on punisse les autres ! Eh bien ! nous, que vous accusez, nous n’en voulons pour personne, et nous réclamons, pour être jugés, et le droit de l’homme et du citoyen, et tout ce que les hommes peuvent avoir de sacré. Nous déclarons à la face de l’univers que si on ne nous juge pas, on commet envers nous l’injustice la plus révoltante. Mais quel est le but de votre hypocrite pitié, en feignant de pardonner aux uns, et en voulant que le tribunal du lèse-nation prononce sur ce que vous appelez l’attentat des autres ? Quel est votre but ? Je vais le dévoiler aux yeux de la France étonnée.
Ceux pour qui vous demandez une amnistie sont de ces citoyens actuellement nombreux à Nismes, que vous avez intimidés, et auxquels vous avez fermé la boucle par vos cruautés et vos injustices ; en un mot, ce sont ces citoyens pauvres que vous entretenez dans la crainte et dans l’espérance, en les menaçant de leur ôter le peu de travail, ou pour mieux dire, le peu de pain que vous leur donnez, et leur faisant entendre que vous les en priverez tout-à-fait, s’ils ne se conforment point à vos désirs.
Les citoyens que vous désignez au tribunal des crimes de lèse-nation sont ceux qui vous ont échappé pendant le massacre, malgré toutes les précautions que vous aviez prises, parce que l’être suprême veut que la vérité ne puisse pas entièrement être bannie de la terre. Ce sont, puisqu’il faut le dire, les citoyens que vous voudriez perdre, parce que vous craignez avec juste raison que, par leur talent, leur fortune, leur caractère ou leur énergie, ils se montrent tels qu’ils doivent être les traits de cette divine vérité que vous avez tant défigurée dans vos libellés ; et qu’en déchirant le voile dont vous vous enveloppez ils ne fassent voir le scélérat assassin sous le masque de patriote. Voilà pourquoi vous avez tenu dans les fers M. Vigne ; voilà pourquoi vous y tenez encore MM. Descombiés, Pélatan, et tant d’autres que vous avez si souvent voulu faire assassiner ; voilà pourquoi vous tenez par une odieuse proscription, éloignés de leurs foyers tant dhonnêtes citoyens ; voilà pourquoi vous voulez-les noircir aux yeux de l’univers ; et si vous cherchez maintenant à les traduire devant le tribunal des crimes de lèse-nation, c’est que vous pensez pouvoir vous débarrasser d’eux en les accusant d’un crime chimérique. Quel est en ceci votre dessein ? de faire croire que les troubles de Nismes ont eu pour cause un projet de contre-révolution, et d’accréditer par-là les libellés que vous avez répandus et que vous ne cessez de répandre pour justifier l’horrible massacre que votre ambition vous a fait commettre.

(H) Epargnez à ces magistrats qui ont vu de trop près les malheurs de leur patrie, le pénible devoir de juger leurs concitoyens, de peur que la rigueur des lois ne paroisse être encore que la vengeance de l’homme...
Tartufes méprisable ! croyez-vous qu’on soit dupe de votre hypocrisie ? Pensez-vous qu’on ne voit pas que vous dites tout ceci pour empêcher que de nouvelles informations soient faites par des juges étrangers, hors de portées d’être intimidés par vos brigands, ainsi que l’ont été les magistrats de Nismes, par les bas-officiers protestants de votre légion ? Vous croyez donc que la France ignore les déportements de ces bas-officiers ? Vous croyez donc qu’on ne ait pas qu’ils firent les plus criminelles menaces à M. Fajon et aux conseillers présidial, parce qu’ils ordonnèrent l’élargissement de M. Vigne fut obligé de se travestir pour échapper au fer assassin de ces bas-officiers ? Vous croyez donc qu’on ne sait pas que les menaces de vos bas-officiers, d’autant plus redoutables qu’elles avoient récemment été précédées d’affreux massacres ; en ont imposé aux magistrats, et les ont non-seulement empêché de faire sortir de prison Descombiés, mais encore de juger ses faits justificatifs ? Ah ! si vous croyez qu’on a oublié tout cela, c’est que le ciel commence à prendre pitié des malheureux opprimés, et qu’il veut que vous fassiez la fin des scélérats, qui ne périssent jamais que des suites de leur aveuglement.

(I) Cette amnistie salutaire fut le premier vœu du corps administratif assemblé pendant les troubles de Nismes ; ce fut même sa promesse…
On ne voudra pas le croire, mais c’est la vérité. Un corps administratif, qui a vu de sang-froid massacrer les citoyens, même sur le seuil de la porte du lieu des assemblées, s’avise de proclamer la grâce… de qui ? de ceux qu’il a souffert qu’on massacrât ! Et il n’a recours à l’assemblée nationale que pour ratifier la promesse et les exceptions qu’il a faites ! Quel despotisme insupportable ! Quels hommes que ceux qui, dans un moment où l’on préconise de toutes parts la liberté, cherchent à charger leurs compatriotes de chaînes dont les Phalaris et les Néron auroient osé charger à peine leurs victimes !

(K) Ces sentiments de bienveillance et de pitié peuvent seuls rétablir la paix…
Vos bouches parlent de paix, et vos mains attisent le feu de la guerre, qu’une horrible politique vous fait désirer. Ce n’est point en calomniant des innocents, après les avoir assassinés ; ce n’est pas en mettant en usage tout ce que le pouvoir arbitraire a d’odieux ; ce n’est pas en persécutant les catholiques de la manière la plus inquisitoriale et la plus cruelle, que vous voulez sincèrement la paix ; d’ailleurs, ne savons-nous pas que votre bilan est d’entretenir la guerre ; que vous ne négligez rien pour cela ? Et si l’on avoit besoin d’une preuve, ne la trouveroit-on pas dans l’adresse même que je réfute ? Peut-elle avoir été faite dans un autre dessein que de porter le désespoir dans l’âme de ceux qu’elle calomnie, désespoir qui doit être d’autant plus vif, qu’il est causé par une fausse pitié, par une hypocrisie qui ne peuvent trouver modèle que dans le parti protestant. Si vous désiriez véritablement la paix, et que vous ne fussiez pas comparables, vous qui osez nous inculper, s’écrient les malheureux que la tyrannie du parti protestants tient encore dans les fers ; si vous désiriez véritablement la paix, vous vous rappelleriez qu’elle ne peut s’établir que quand on n’étouffera plus la voix de l’accusé qui demande à prouver son innocence ; vous vous rappelleriez, qu’on doit laisser faire le procès de ceux qui ont conseillé, favorisé, ou commis les pillages, les sacrilèges et les assassinats : vous ne feindriez pas d’ignorer qu’il n’est point d’autres coupables de ces crimes que les protestants ; mais alors, on verroit pour qui votre adresse est faite. Pensez-vous toutes fois qu’on ne devine pas ? Si cela étoit, vous seriez bien aveuglés. Résumons nous, et disons : qu’il ne faut point de coupables : c’est une loi constitutionnelle, mais qu’importe les lois à ceux qui ont à commettre, ou cacher des criminels ?

(L) Après avoir jeté un voile sur nos malheurs, vous voudrez sans doute les soulager…
Arrêtez ! vous vous trahissez vous-même. Car si vous voulez jeter un voile sur nos malheurs, est-ce dans d’autres vues que d’empêcher ceux que vous avez accusés de se justifier ? Est-ce dans d’autres vues que d’empêcher les véritables criminels, tous de votre parti, d’être connus ? Est-ce dans d’autres vues que d’empêcher la manifestation des troubles de Nismes, et peut-être de ceux du reste de la France ? Ah ! je le vois, vous voulez précipiter la vérité dans l’abîme de l’oubli, comme vous avez précipité vos concitoyens dans l’abîme du trépas. Mais je ne vous quitterai point un seul instant ; je vous étreindrai dans mes bras, je vous poursuivrai jusques dans la nuit éternelle : et si, comme je dois le craindre, un crime de plus ne vous coûte rien, vous n’anéantirez pas pour cela la vérité ; elle me survivra, car je l’ai gravée en caractères ineffaçables, et j’en ai multiplié les copies à l’infini.

(M) Dès le mois de juillet, nous avons sollicité des secours extraordinaires.
Pourquoi donc ne sollicitez-vous point des secours d’un autre genre pour empêcher les prêtres et les catholiques d’être pillés, emprisonnés, massacrés ? Mais auroit-on eu besoin de ces secours extraordinaires que vous sollicitiez, si vous n’aviez pas fait venir vos hordes de brigands des Cévennes, de la Vaunage et de la Gardonenque ? Si, pour les engager à entrer dans la ville, vous ne leur aviez promis le pillage des maisons catholiques ? si vous ne les aviez encouragés au massacre, en mettant certaines têtes à prix ? Que faisiez-vous alors, et pourquoi ne réclamiez vous point de secours extraordinaires ? que dis-je ? vous les aviez réclamés, avec cette différence que c’étoit pour piller et assassiner, tandis qu’en juillet vous avez réclamé que pour ne pas payer vous-mêmes les immenses dégâts que vous aviez occasionnés. Cependant, lorsque vous fîtes venir ces hordes barbares, il existoit un décret qui défend aux gardes nationales d’entrer sur le territoire sans en être requises par cette municipalité elle=même. Il en existoit un autre qui porte que les municipalités dont on aura requis les secours, seront obligées de les fournir, sous peine d’être responsable des évènements. Vos brigands avoient-ils été requis par la municipalité de Nismes ? Non, sans doute, quoique vous vouliez lui faire payer les chemises et les bas que vous leur aviez fournis. Or donc, si, comme cela est de toute justice, les municipalités qui vont fondre sur une autre, malgré ses proclamations et ses oppositions, doivent être responsables des évènements, des désordres qui résultent de ces infractions, surtout lorsque le pillage et les assassinats en sont la suite ; qui, faut-il que nous attaquions ? qui ? ceux qui ont provoqué ces excès, ils doivent en être garants. Oui, ils le doivent, sans cela il n’est plus de bonne foi, il n’est plus de justice sur la terre.

(N) Ainsi les noms du roi et de l’assemblée nationale ne retentiront aux oreilles des peuples que pour leur rappeler ceux de protection et d’humanité, d’amour et reconnoissance.
Roi, assemblée nationale, protection, humanité, amour et reconnoissance, ces mots-là sont-ils faits pour vous ? N’est-ce pas vos protestants qui disoient aux infortunés qu’ils massacroient : criez donc maintenant vive le Roi , n’est-ce pas vos protestants qui, en se disant amis de la constitution, ont toujours éludés les décrets de l’assemblée nationale lorsqu’ils contrarioient leurs intérêts ? n’est-ce pas vos protestants qui, dans le moment où les lois leur accordoient une protection bienfaisante, ont cherché à tout bouleverser dans le royaume ? n’est-ce pas vos protestants qui, dans un siècle où l’humanité est tant préconisée, se sont livrés au pillage et aux massacres ? N’est-ce pas, enfin, vos protestants qui, pour preuve d’amour et de reconnoissance envers le roi et son auguste compagne, les ont odieusement calomniés, et ont assassiné ceux qui leur donnoient tous les jours de véritables preuves de leur amour et de leur reconnoissance ? Ah ! ne profanez plus les mots dont il vous est impossible de connoître la valeur, et apprenez que la protection est due à des accusés qui veulent prouver leur innocence ; que l’humanité demande justice pour les veuves et les orphelins de ceux que vos protestants ont massacrés ; que c’est aux coupables seuls de trembler et de demander une amnistie ; et que c’est à ceux qui seront condamnés de demander une grâce qui flétriroit l’innocent dans l’opinion publique.

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La Révolution à Nîmes, suite d'articles
> La Révolution à Nîmes les massacres de juin 1790, la religion, le tribunal Rélutionnaire, la guillotine et la Terreur..

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