ADRESSE
AUX NISMOIS
Imprimerie Pierre Beaume,
imprimeur du Roi, imprimeur de la ville sous l’ancien régime &
libraire près de l’hôtel de ville.
Nismes le 4 juillet 1790
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NDLR
: Ce texte étant le premier d’une série d’articles sur
l’histoire de la Révolution à Nîmes, et surtout, le premier sur
l’Affaire de Nismes, les massacres des 13 au 16 juin 1790, nous
tenons à placer les lecteurs dans ce contexte.
Comment
passer l’éponge à travers une amnistie générale au non de la
réconciliation entre deux communautés, sans que la justice des
hommes fasse son travail ? Comment les familles qui ont perdu des
êtres chers, qui ont vu leurs foyers pillés, ont-elles pu faire
leur deuil, les criminels n’ayant pas été punis ?
Il
faut savoir qu’au cours de ces trois journées c’est plusieurs
centaines de Nîmois qui ont perdu la vie dans des conditions
horribles.
Le
devoir d’une société digne était d’enquêter pour découvrir
les responsables directs ainsi que les personnes qui ont œuvré à
pousser des personnes faibles, voire peu instruites, à devenir de
véritables bourreaux. Sans dévoiler les détails donnés dans les
documents qui suivent, les auteurs de ce carnage ne seront pas punis.
Les protagonistes n’étant plus depuis longtemps de ce monde, la
justice devient, grâce à notre publication, un devoir de mémoire.
-oOo-
Le 4 juillet
1790
Messieurs,
Le
désir seul d’établir sur des bases inébranlables la paix &
la concorde nous a fait prendre la plume. Instruits par les affreux
malheurs que nous avons éprouvés combien elles sont nécessaires,
nous avons lieu de croire que nous trouverons tous les cœurs ouverts
pour les recevoir. Nous devons sans doute verser d’éternelles
larmes sur le sort de nos infortunés compatriotes qui ont succombé
sous les détestables coups de la guerre civile. Nous devons faire
aussi à ceux qu’ils laissent après eux tout le bien qui sera en
notre pouvoir ; mais nous devons en même temps prendre toutes les
précautions possibles pour nous mettre à l’abri d’une calamité
semblable à celle qui nous fait répandre tant de larmes.
Nous
en possédons le moyen ; il faut messieurs, oublier le passé ; il
faut renoncer mutuellement à toute haine & à toute vengeance.
Ce projet héroïque est digne des Nîmois ; il est digne de ceux
dont les opinions religieuses ne sont divisées que par de faibles
nuances, & qui, prenant pour base de leur conduite le même code
de morale, les saintes Écritures, peuvent y lire à tout instant :
«
Aimez-vous d’un amour sincère ; détestez le mal ; attachez-vous
au bien ; aimez-vous mutuellement avec une charité vraiment
fraternelle ; bénissez ceux qui vous persécutent ; ne rendez à
personne le mal pour le mal ; faites du bien à tous devant Dieu &
devant les hommes ; conservez la paix autant qu’il vous sera
possible ; ne vous vengez point, mais laissez exhaler votre colère.
C’est à moi dit le Seigneur, que la vengeance appartient ; c’est
moi qui rendrai justice. »
Ces
sublimes paroles, j’aime à le croire, Messieurs, vont désormais
servir de règle à votre conduite ; vous les graverez dans vos
cœurs & vous aurez sans cesse présent à la mémoire que
« Notre Dieu est un dieu de paix &
non de désordre & de dissension. »
Si quelqu’un d’entre
nous, ce que nous ne saurions croire, pouvoit combiner encore quelque
projet pernicieux, qu’il prenne garde, il ne sauroit réussir. Et
si la Religion ne suffit pas pour éteindre en lui la soif de se
venger, que la politique du moins le retienne. Supposons, en effet,
contre toute apparence, qu’il existe un homme aussi mal
intentionné ; supposons encore qu’il est à la tête d’un
parti puissant ; que pourra-t-il faire ? Donner des fers à
l’autre parti ; en un mot, remporter sur lui la victoire la
plus complète. Mais cette victoire ne coûtera-t-elle rien au
vainqueur ? Et s’il peut la trouver douce, qui lui garantira
que les suites ne seront pas cruelles ? Qui l’assurera que la
liberté, ses possessions, ses amis, ses parents, ses enfants, son
frère seront respectés ; & quel est le monstre qui
voudroit à ce prix acheter un triomphe ? Cependant il n’en
est point d’autre dans la guerre civile, puisqu’elle joint à
toutes les horreurs qui composent son être, celle de rompre
jusqu’aux liens du sang, & d’éteindre tout sentiment
d’humanité.
Que cet abominable fléau
soit donc repoussé loin de nous ; qu’aucune raison ne puisse
nous le faire accueillir ! Que verrions-nous à son approche ?
Nos édifices renversés, la hache & le feu portés dans nos
possessions & dans nos moissons, le sang couler à grands flots,
les entrailles de nos amis, de nos frères cruellement déchirés, &
les seins de nos pères & de nos enfants entr’ouverts &
sanglants monter à nos yeux éplorés leurs cœurs livides &
palpitants.
Éloignons
de nos yeux ces exécrables images : aucun d’entre nous n’est
capable de les considérer de sang-froid, & chacun d’entre nous
est prêt à faire les plus grands sacrifices pour que notre Cité
n’en offre jamais le modèle. Gémissons à jamais sur les
déplorables malheurs qui nous ont affligé ; mais employons
tous les moyens qui sont en notre pouvoir pour les empêcher de se
reproduire. Nous y parviendrons facilement, si nous n’avons point
égard aux différences qui distinguent nos opinions religieuses ;
si comme nous le prescrivent nos devoirs nous nous aimons en frères,
& si nous faisons bien attention que nos divines Ecritures nous
disent, qu’il ne doit exister nulle
distinction entre le Juif & le Gentil, & que Dieu est le Dieu
de tous les hommes.
S’il falloit ajouter
d’autres considérations à cette considération puissante, nous
nous mettrions sous les yeux les paroles de celui qui en se mettant à
la tête de la révolution a été le premier des Rois (Louis XVI)
qui ait voulu reconnoître les droits sacrés de l’homme si
longtemps méconnus. « Nous exhortons,
vous dit-il tous les bons citoyens à s’abstenir dans leurs
discours comme dans leurs écrits que tous reproches ou
qualifications capable d’aigrir les esprits, fomenter les divisions
& servir même de prétexte à de coupables excès. »
(Paris - Proclamation
du 28 mai 1790)
Nous ajouterons encore que
ceux qui ont le bonheur d’approcher ce père du peuple lui ont
entendu dire, mais non sans attendrissement, il y a fort peu de
jours : « Je voudrois que
l’Assemblée Nationale fût assez heureuse pour persuader à tous
les hommes qui peuplent le globe, qu’ils sont frères & qu’ils
ne doivent jamais cesser de vivre en amis. »
Qui mieux que nous
maintenant est à portée d’apprécier ces paroles ? Qui plus
que nous doit admirer le sentiment qui les a dictées ? Ainsi
donc qu’elles ne soient pas perdues pour nous & qu’elles nous
persuadent qu’il faut désormais ne nous donner mutuellement que
les noms d’amis & de frères. Prenons l’engagement le plus
solennel de nous souvenir sans cesse « que
nous sommes appelés à un état de liberté, non d’après
l’Apôtre, pour vivre suivant la chair, mais pour nous servir les
uns les autres avec une charité spirituelle. Les œuvres de la chair
sont les inimitiés, les dissensions, les jalousies, les animosités,
les querelles, les factions, les meurtres ; les fruits de
l’esprit religieux sont : la charité, la paix, la patience,
l’humanité, la bonté, la douceur et la modestie. »
Employons, Messieurs, tous
les moyens qui sont en notre pouvoir pour mettre ces vertus en
pratique, & pour y parvenir avec plus de facilité, hâtons-nous
de signer, même s’il le faut de notre sang, le pacte qui doit nous
engager.
PACTE
FÉDÉRATIF
Nous Citoyens de Nismes
soussignés, sans distinction d’état ni de religion, instruits par
les déplorables malheurs que nous avons éprouvés de
l’indispensable nécessité de conserver la paix & la concorde,
& voulant désormais les établir sur des bases inébranlables,
JURONS
de repousser loin de nous toute inimitié & toute haine
particulières, & de pardonner tous ceux contre qui nous
pourrions avoir quelque grief ;
De nous prêter
mutuellement dans toutes les occasions, secours & assistance sans
avoir égard à la différence de culte ;
De nous réunir
indistinctement pour combattre les ennemis qui pourroient avoir de
mauvais desseins contre qui que ce puisse être d’entre nos
concitoyens ;
De respecter, protéger &
conserver autant qu’il sera en nous, les propriétés, la vie &
la liberté de nous ;
De ne tirer aucune
vengeance de ceux d’entre nous qui ont pu s’égarer ou se rendre
coupables, promettant de laisser un libre cours à la justice qui
doit prononcer sur leur sort ; de plaindre ceux qu’elle pourra
condamner, & de reconnoître solennellement pour nos frères ceux
qu’elle absoudre ;
De ne donner jamais sous
prétexte de religion à aucun d’entre nous ni exclusion, ni
préférence pour les affaires, le travail ou le service ;
De ne jamais faire entrer
dans nos discours, ni dans nos écrits aucuns reproches, ni aucunes
qualifications capables d’aigrir les esprits & de fomenter des
divisions ;
De verser jusqu’à la
dernière goutte de notre sang pour soutenir la Constitution décrétée
par l’Assemblée Nationale & sanctionné par le Roi.
Enfin, de nous aimer tous
non-seulement comme des amis, mais encore comme des frères.
Tel est le serment que
nous faisons devant l’Être-Suprême & sur l’Autel de la
Patrie ; serment dont nous déposons l’acte solennel dans les
Registres de la Maison Commune.
La
personne qui propose ce pacte fédératif, en a le meilleur augure,
pourvu qu’il soit vite fait ; & elle le considère même
comme un moyen infaillible de consolider la paix. Elle invite donc
tous les bons citoyens à concourir de tout leur pouvoir à la
formation d’une Assemblée dans laquelle il doit être approuvé &
signé. On le rédigera comme on voudra ; celui qui en est
l’Auteur ne tient nullement à sa rédaction, mais à son idée,
parce qu’il croit qu’elle peut être utile à ses concitoyens.
Fait
à Nîmes le 4 juillet 1790.
À
Nismes, de l’imprimerie de pierre Beaume.
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