Après avoir postulé en qualité de procureur, au Présidial et
au Tribunal du district à Nimes, Jean-Antoine Courbis, âgé de 42 ans, fut élevé
successivement au titre d'électeur, de procureur-syndic du district et, le 7
septembre 1793, à celui de maire de Nîmes.
A cette date, la municipalité et les autres corps constitués
furent renouvelés en entier. Déjà et lors du fédéralisme, Courbis avait été
persécuté et obligé de fuir. Pendant son administration comme maire, il fut
accusé par ses propres acolytes de despotisme et de malversation. Le
Représentant du peuple Boisset le destitua, mais la Société populaire le
protégea chaleureusement. Giret et Moulin ses amis se rendirent à Paris pour
solliciter. Voulland, député d'Uzès, fit un rapport. à l'Assemblée nationale,
laquelle, par un décret, le réintégra dans ses fonctions.
Dès ce moment, dans le département du Gard, mais à Nîmes
surtout, la terreur fut à l'ordre du jour. Gourbis victorieux, le cœur ulcéré,
donna un libre cours à l'exaltation de ses idées politiques, à ses rancunes, à
ses vengeances. Très-intelligent, habitué aux affaires, d'un caractère sombre,
énergique, impérieux, il dicta des ordres et agit en maitre. Il dominait la
municipalité, le Comité révolutionnaire, la Société populaire, le district et
surtout le tribunal criminel. A Nîmes, le représentant du peuple Borie ; à Paris,
le député Voulland, Meyère, Fauvetty et Subleyras, jurés et juges, le
soutenaient par leur autorité.
Les listes de proscription étaient en général dressées chez
Courbis. Les juges, avant jugement, se rendaient chez lui pour se concerter et
prendre le mot d'ordre. Sa maison était située à côté du Palais-de-Justice.
Des fenêtres de cette maison, prenant jour sur l'Esplanade,
ses complices et convives assistaient parfois aux sanglantes exécutions.
On l'a vu s'asseoir à la table d'Allien, le geôlier des Capucins,
partager ses repas et fraterniser le verre à la main.
On l'a vu faire le branle autour de la guillotine, en
compagnie de Borie, Giret, Moulin etc. etc. de filles publiques.
On l'a vu menacer, intimider des témoins à décharge, servir
de témoin contre des malheureux qu'il avait fait dénoncer et dresser lui-même
des listes accusatrices. « Il faut, demain matin, venir déposer contre
Berthézène, dit-il à Allien, assure un témoin. Mais fo...., je ne le connais
pas, dit Allien. - « C'est égal; moi et Moulin nous déposerons et tu diras
comme nous.
C'est lui qui disait en voyant une belle maison en face de
l'Esplanade : Voilà une jolie acquisition à faire pour la Nation ; il n'y
aurait qu'un mandat d'arrêt à lancer contre la propriétaire (c'était une dame
de Nimes) ; quant aux moyens, il n'y a pas tant de mystère pour en chercher, on
en trouve quand on en veut.
Ensemble avec Borie, il épura et sans-culotisa, disait-il,
la garde nationale, qui de huit bataillons fut réduite à quatre.
Pour en faire partie il fallait avoir manifesté son
improbation contre les égoïstes, les fanatiques, les fédéralistes et les
aristocrates, gens à poursuivre, dévoiler et exterminer.
Il avait épousé la sœur de Pallejay ; aussi le fit-il nommer
Président du tribunal criminel; on verra plus loin dans ses lettres qu'il avait
une jolie fortune, deux maisons et une propriété rurale très-considérable, qui
provenait des biens du clergé ; il cherchait à en vendre une partie.
Nul ne fut plus redouté que Courbis, nul ne fut plus adulé :
cadeaux, présents délicats, petits soins, flatteries, politesses, visites
obséquieuses, enfin courtisaneries de toute espèce, étaient prodigués à Courbis
et à sa femme. Pour sauver sa tête, celle d'un parent ou d'un ami, l'homme ne
se dégrade pas, il se transforme. Que d'hommes ont joué et jouent la comédie
pour obtenir le bienveillant sourire d'un protecteur !
Après la chute de Robespierre, Courbis incarcéré fut
massacré, le 6 prairial an 3 (4 juin 1794), dans les prisons de la Citadelle ;
on dit qu'un jeune homme dont l'honorable père était monté sur l'échafaud lui
porta un coup de sabre à travers le corps.
II fut longuement interrogé par Cazalis et Chauvard (son
interrogatoire, en 240 pages d'écriture, n'a pas été retrouvé jusqu'à ce
moment, ainsi que certains autres, dans les archives du Palais).
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Jean-Marie Pallejay, âgé de cinquante ans, ex-président du
Tribunal du district à Beaucaire, fut élevé au titre de président du Tribunal
criminel révolutionnaire, par l'influence de Courbis, son beau-frère.
Dans son interrogatoire il dit : « Je n'ai pas assisté à tous les jugements à cause des voyages
chez moi ou d'indispositions que j'ai eues et que j'ai souvent prétextées pour
éviter les occasions de prononcer la peine de mort, je confesse que je l'ai
toujours fait avec répugnance, mais les lois étaient sévères, et nous ne
pouvions éviter de les appliquer contre les coupables. Je n'ai jamais agi pour
satisfaire mes propres ressentiments ni ceux des autres, je n'ai jamais été
guidé que par le devoir et les lois. »
Il résulte, en effet, d'une note de frais s'élevant à 14 fr. que, le 5
thermidor an II, ordre fut donné à un gendarme de le ramener de son village de
Rochefort et par la force sur son siège.
L'accusateur public Bertrand, dans un de ses écrits,
s'exprime ainsi : « Je ne dirai
rien de Pallejay, parce que Pallejay n'a jamais parlé, et qu'il n'a jamais su
même prononcer le jugement le plus simple, je ne sais donc pas ce qu'il tient ;
je sais seulement qu'il n'était pas membre du conseil général de la commune. »
Ces appréciations sévères, exagérées, peut-être à dessein,
avaient-elles pour but de provoquer l'indulgence en sa faveur, c'est possible !
Arrêté et incarcéré après le 9 thermidor, il eut le bonheur
d'échapper au massacre de certains prisonniers. En ce moment de réaction que
tout homme d'honneur doit flétrir, la vengeance populaire le couvrit-elle de
son dédain en lui laissant la vie?
Condamné plus tard à mort, la cour de cassation admit son
pourvoi et il fut rendu à la liberté.
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