UN ÉVÊQUE D'AVIGNON ET DE NÎMES
SOUS LE PREMIER EMPIRE, 1802-1817.
extrait de la Revue du Midi, 1903, pages 56 à 64.
par Georges Maurin

Un Prélat Constitutionnel
, Jean-François Périer (1740-1824), évêque assermenté du Puy-de-Dôme. évêque concordataire d'Avignon de 1802 à 1817, par M. l'abbé Albert Durand. Paris ; éd. Bloud, 1902.  

Les lecteurs de la
Revue ont eu la primeur de cet important, ouvrage et n'ont pas oublié l'intéressant chapitre qu'à leur intention avait bien voulu en extraire notre collaborateur. Le livre tient les promesses du début. L'auteur s'est livré à de consciencieuses et longues recherches ; il a exploré les archives du Puy-de-Dôme, du Gard et de Vaucluse, sollicité et obtenu de précieuses communications particulières, reconstitué la série des mandements de J.-F. Périer. Un exact appareil critique soutient et porte tout le livre ; une bibliographie complète le précède. Ainsi préparée et élargie, cette biographie se présente comme un document définitif pour le sujet qu'il traite, un des plus importants pour l'histoire générale des rapports de l'Église et de l'État pendant la période révolutionnaire et impériale, le plus considérable à coup sûr pour le diocèse de Nîmes et d'Avignon à cette époque troublée, si près de nous et si lointaine à la fois.
D'aucuns s'étonneront du sujet élu par M. l'abbé Durand et se demandèrent s'il était bien nécessaire de faire revivre avec autant de sollicitude la figure d'un homme dans lequel ils ne peuvent voir qu'un prêtre infidèle et un prélat équivoque A cette critique la réponse est aisée. Ce serait dépouiller la -science historique de sa dignité et de son intérêt que de prétendre la borner aux sujets et aux hommes qui nous font plaisir, et ce serait aussi la réduire à un long et perpétuel panégyrique, qui provoquerait infailliblement le pamphlet adverse. Déjà l'utilité de l'histoire est fort problématique. Les dures leçons de l'expérience de nos ancêtres ne servent pas à grand-chose quand nos passions s'en mêlent. Les foules n'ont pas encore désappris la foi anthropocentrique ; ne sachant plus où la meure dans l'espace, elles l'ont seulement transportée dans le temps. L'immense majorité 'des Français croit encore avec une touchante naïveté que l'avenir de révolution mondiale dépend de son pays, et par conséquent de sa cité, et encore de lui-même, de son action et surtout de son vote. Ce qu'on appelle dans le jargon des réunions électorales le rayonnement humanitaire de la France est une chanson qui pourrait nous coûter bien cher, et de même le solennel refrain des vieilles traditions nationales. Tous les enseignements sont bons qui nous inspirent la modestie ; c'est le commencement de la sagesse et par conséquent celui de la force.
Et certes, cette histoire est de nature à nous inspirer cette précieuse qualité. Voici un fort brave homme d'une intelligence au dessus de la moyenne, d'une rare culture intellectuelle et à qui l'on ne saurait refuser une grande douceur de caractère et une réelle élévation de sentiments. Dans un temps normal, il aurait dignement accompli sa carrière et fait figure d'évêque respecté et aimé de tous. Le voici jeté, par le fait des circonstances, tout à fait en dehors de sa voie, mêlé à des événements auxquels il ne comprend pas grand-chose ; il y perd complètement pied, se laisse submerger par le flot des événements extérieurs, des sentiments intimes les plus contradictoires ; il entre dans la voie des plus lamentables palinodies et, faisant du bien, beaucoup de bien, trouve moyen de se mettre, aux yeux de l'église et de ses fidèles, dans la plus fâcheuse posture qu'on puisse imaginer. Autour de lui, c'est la même confusion, des contradictions de conduite qui déroutent et des évolutions de destinées qui font rêver. Il y a sans doute des dévouements sublimes poussé jusqu'à l'abandon de soi-même le plus complet, dans certains cas jusqu'au martyre. Des prêtres se font emprisonner et meurent obscurément pour leur foi avec une admirable simplicité ; d'autres se condamnent à mener la vie la plus errante et la plus misérable pour donner aux fidèles les secours de la religion. Et voici que, tout à coup, à la suite d'un concordat solennel, par le consentement du Souverain Pontife, constitutionnels et insermentés se trouvent réunis dans la même communion. Bien plus, les positions acquises sont conservées. Les membres de ce clergé insermenté, qui se sont efforcés de se garder purs de toute compromission, qui ont souffert eux-mêmes, qui pleurent des amis, des confrères guillotinés ou fusillés pour leur foi, sont placés sous la direction et l'autorité d'un de ces évêques « jureurs » dont ils ne prononçaient le nom qu'avec horreur, et cela, de par le consentement et l'institution du chef suprême de l'Église. Et, par contre, combien d'anciens Membres de ce clergé constitutionnel sont précipités du haut de leur rêve ambitieux ou de leurs illusions naïves, et sont errants désormais entre une Église qui les repousse et une société qui les ignore ; fort heureux encore si, comme l'ancien évêque constitutionnel d'Avignon, l'abbé Étienne, ils ont observé fidèlement leurs vœux sacerdotaux et peuvent être recueillis dans une cure importante, telle que celle d'Orange.
Jean-François Périer fut, parmi les évêques constitutionnels, un de ceux qui furent conservés par le Concordat et obtinrent un des sièges les plus considérables dans la nouvelle organisation. II le dut en partie à son mérite très réel, beaucoup à la protection de cet affreux Fouché, un de ses anciens confrères de l'Oratoire, enfin et surtout, à sa prudence, qui peut-être mériterait un autre nom. Les actes d'indépendance qu'on lui connaît ne sont pas bien nombreux; on en est réduit 'à compter à son actif de courage une démarche de la plus élémentaire convenance, commandée par les nécessités locales aussi bien que par son devoir d'évêque, telle la réception de Pie VII emmené prisonnier par la gendarmerie impériale à son passage à Avignon en 1809. On s'attend bien, dès lors, que sa biographie ne sera pas écrite pour l'édification des fidèles. Ni héros, ni saint ; pas même un caractère ; un exemplaire quelque peu effacé d'humanité moyenne et bien intentionnée.
La période de son existence la plus tranquille et la plus heureuse à coup sûr fut son séjour dans l'ordre de l'Oratoire; il en fut un des professeurs les plus distingués et en dirigea plusieurs maisons. Cette vie si agitée s'ouvre ainsi dans la paix, et le recueillement ; c'est un très attachant tableau de l'ancienne discipline scolaire dessiné par M. l'abbé Durand avec beaucoup de charme, de science et une visible préférence. Nommé supérieur de la maison d'Effiat en 1788, il recueillit assez de sympathies et témoigna un penchant assez prononcé vers les idées nouvelles pour attirer sur lui l'attention du parti constitutionnel. Il prêta serment, fut élu, en 1791 au siège épiscopal du Puy-de-Dôme et mit beaucoup de ténacité à remplir ses devoirs d'évêque ou se croyant tel. Le schisme le plus complet régna bientôt à Clermont comme partout. Les ouailles demeurées fidèles à M. de Boual, l'ancien évêque, répondirent aux avances de Périer en lui disant des injures, ce qui était un tort, et en le traitant d'intrus, ce qui était vrai. Les partisans de la Révolution se demandèrent ce que voulait cet empêcheur de danser en rond et lui firent bien voir qu'ils ne s'étaient pas émancipés à demi. Il semble bien cependant qu'il y avait dans le Puy-de-Dôme, comme partout, un parti libéral disposé à reconnaître, sinon la légitimité, tout au moins les mérites de l'évêque constitutionnel et à lui tenir compte de ses efforts pacifiques. Seulement, ils attendirent que la tourmente fût passée pour lui témoigner leur sympathie. Son nom est encore aujourd'hui prononcé avec respect dans le Puy-de-Dôme. C'est un hommage posthume très flatteur ; mais sur le moment ou le laissa se débrouiller seul et comme il put. Avant la Terreur, il essaya d'atténuer, dans la mesure du possible, la rigueur des mesures édictées contre les prêtres insermentés; pendant, il agit comme Siéyès et se borna à vivre terré dans sa ville natale ; après la réaction thermidorienne, il fit des mandements pour essayer de ramener ses ouailles, aussi dispersées que possible.
Dans l'Église, comme partout en France, dans la période directoriale, régnait la plus complète anarchie. Les forces individuelles avaient beau jeu pour se déchaîner librement et leur succès était en rapport avec leur brutalité. Tous ceux qui ont alors émergé dans une voie quelconque étaient des hors classe ; ils font figure de condottieris, à commencer par Bonaparte et à finir par cet abbé Bernier qui devait être le négociateur du Concordat et occuper le siège épiscopal d'Orléans.
Jean-François Périer était le contraire d'un audacieux : même ses plus grands éclats de voix avaient une sourdine. Mais il avait une dignité d'âme et une austérité de mœurs qui rendaient son concours précieux. Il est bon de mettre en avant dans des négociations épineuses de belles figures de façade, derrière lesquelles on dissimule les lézardes de la construction. Il serait d'ailleurs injuste de méconnaître la contribution très réelle que les évêques constitutionnels, ceux du moins demeurés fidèles à leurs vœux sacerdotaux, ont apportée au rétablissement du culte. « Les évêques réunis », ainsi s'intitulèrent-ils, tinrent deux conciles nationaux ; dans le second qui s'ouvrit à Paris le 29 juin 1801, ils délibérèrent s'ils devaient donner leur démission pour faciliter l'heureuse conclusion des négociations engagées entre le pape et le gouvernement du Consulat. Périer fut parmi tes plus inclinés vers la conciliation. Il avait une naturellement pacifique et trop de bon sens d'ailleurs pour ne pas se rendre compte du discrédit de l'Église constitutionnelle. Il se démit un des premiers de ses fonctions et l'annonça à ses fidèles dans une lettre pastorale du 8 janvier 1802. « On chercherait en vain dans cette lettre, dit son biographe, le désaveu des doctrines schismatiques, une rétractation, une .marque de repentir. Pas un mot n'indique que le prélat répudie son passé, reconnaît ses torts et ses égarements ». Cette critique est sans doute à sa place sous la plume de l'auteur ; mais je ne la crois pas bien fondée.
Il me semble au contraire que, si Perier et ses collègues avaient tenu un autre langage, celui que pourraient inspirer nos idées contemporaines, ils auraient très sérieusement compromis le succès du Concordat. J'accorde que la très grande majorité du peuple français désirait le rétablissement du culte catholique et romain. Mais les hommes au pouvoir, de qui dépendait le résultat final n'en ressentaient nul besoin et n'éprouvaient pour l'œuvre à laquelle ils collaboraient qu'un enthousiasme des plus modérés. Les conseillers d'État et la majorité des membres du corps législatif étaient des juristes, philosophes spiritualistes plutôt que croyants convaincus. Ils tenaient la religion catholique comme la meilleure manifestation du culte à rendre à l'Être suprême, la mieux adaptée aux besoins de la foule naïve ; tous ou presque tous d'ailleurs imbus par un long atavisme des doctrines Gallicanes et sourdement hostiles au pape. Les militaires étaient de parfaits sceptiques et l'on ne voit pas bien les Augereau, les Masséna et les Moreau se préoccuper de rouvrir les églises. Les diplomates suivaient Talleyrand ; cela suffit. La volonté seule du premier consul maintenait ces négociations, faisait taire, les opposants et remontait les rouages de la machine, détraqués à dessein par ceux qui avaient mission de la faire aboutir. Mais si « Napoléon perçait déjà sous Bonaparte », il n'était pas encore le grand lui qui brisait tous les obstacles.
Lui-même était-il le croyant sincère qui se découvrit ou qu'on découvrit depuis à Sainte-Hélène. Superstitieux d'accord ; mais religieux, point du tout. L'aboutissement du Concordat était pour lui un instrument de règne, s'il avait cru ne pas trouver dans l'avenir un clergé docile, sa -volonté, qui portait tout, aurait faibli et la majorité l'aurait suivi dans la voie du schisme définitif, tout aussi bien que dans celle qu'il       adopta.
C'est ce que comprenait très bien le légat Caprara, chargé de suivre les négociations et investi par le pape des pouvoirs les plus étendus. Aussi accepta-t-il le plus facilement du monde la désignation d'un certain nombre d'anciens évêques constitutionnels pour occuper les nouveaux sièges concordataires. Ses résistances dont les mémoires et les correspondances portent la trace furent surtout calculées et cédèrent toujours au moment psychologique. Il exigea cependant, et c'était le moins qu'il put demander, un acte de soumission aux conditions exigées par le Souverain Pontife et une lettre signée individuellement par chacun de ces prélats dans laquelle il abjurait ses erreurs passées. Les anciens constitutionnels refusèrent tout net. Ici se place un incident mal éclairci et qui donna lieu plus tard à d'aigres polémiques . Après de longues et difficiles négociations, Caprara finit par se contenter d'une simple abjuration verbale attestée par deux évêques. Ce fut Bernier, déjà ordonné évêque d'Orléans, qui fut désigné avec Mgr Pancemont, évêque de Vannes, pour recevoir cette déclaration. Il y avait chez tous les intéressés en présence un vif désir d'aboutir ; Bernier voulait faire signer son concordat coûte que coûte ; le légat se sentait entouré d'hostilités sourdes ; les anciens constitutionnels avaient hâte de sortir de la situation fausse où ils étaient engagés. L'esprit de conciliation souffla, peut-être aux dépens de celui de prévision. Le 30 avril 1802, Jean-François Périer reçut du légat l'institution canonique comme évêque d'Avignon.
Son diocèse comprenait à la fois les départements de Vaucluse et du Gard. On sait en effet que le nombre des diocèses concordataires n'était pas tout à fait égal à celui des départements. Nîmes avait d'abord été désigné pour être le siège d'un évêché, auquel on aurait rattaché l'Ardèche. Mais le gouvernement renonça à son idée première à cause du grand nombre des protestants dans le Gard et reporta son choix â Avignon. La substitution fut acceptée immédiatement par le légat ; heureux s'il n'avait eu à résoudre que des difficultés de cette nature.
La réunion de ces deux départements sous la même direction épiscopale n'était pas une très heureuse idée. Le cours du Rhône axait tracé entre eux une ligne de démarcation bien tranchée, que leur régime politique avait encore plus profondément creusée, Avignon et presque tout le territoire de Vaucluse avaient fait partie jusqu'en 1789 du territoire du Saint-Siège et avaient été gouvernés comme une possession lointaine, avec mollesse et un certain abandon. Les idées révolutionnaires y avaient des adhérents passionnés ; mais l'immense majorité de la population était demeurée papaline ; une noblesse nombreuse, qui vivait surtout des charges pontificales, un clergé presque tout entier ultramontain jusqu'à. la moelle y entretenaient très ardent le culte d'un passé, qui était d'hier. Les mœurs y étaient courtoises ; les habitudes sociales, discrètes ; l'opposition au nouvel évêque pouvait et devait être aigre, souvent injuste, mais dissimulée sous des dehors moelleux et courtois. À ce siège, il fallait un prélat de grande, allure, d'éducation raffinée, point compromis dans l'église constitutionnelle et pouvant entrer en conversation avec l'opinion ultramontaine, sans trop se compromettre.
Dans le Gard, au contraire, la situation religieuse était d'une extrême simplicité et se résumait dans la lutte que l'on connait bien entre catholiques et protestants. Les divisions intimes de l'ancienne église s'effaçaient dès que cette question entrait en jeu, et Gallicans, Jansénistes, Ultramontains se donnaient alors fraternellement la main. Parmi les douze prêtres exécutés à Génolhac en 1793 pour refus de serment, certains avaient été disgraciés par le dernier évêque d'Uzès pour leurs opinions gallicanes ils se retrouvèrent unis dans le même sacrifice de leur vie avec ceux qui les avaient remplacés. Un groupe de royalistes très compact, très ardent (il devait en donner la triste preuve plus tard) confondait assez malheureusement sa foi religieuse avez la fidélité monarchique. Un prélat comme Périer avait siège gagné pour prêcher la paix, la concorde et la tolérance mutuelle ; l'opposition qu'il devait rencontrer était plus politique que doctrinale et lui laissait le beau rôle. Aussi, est-ce dans le Gard que, n'en déplaise au préfet Dubois, il a fait le plus de bien et rencontré le moins de difficultés.
Mais, en attendant, il habitait Avignon, y exerçait son action immédiate et directe, y tenait son conseil et en datait ses mandements et ordonnances. Il évoluait ainsi dans un milieu très peu, favorable à la formation de son expérience épiscopale. Son passé et ses opinions le portaient à s'entourer des membres de l'ancien clergé constitutionnel ; la prudence et les nécessités de sa situation lui dictaient une grande réserve vis-à-vis des insermentés. Mais, où les prendre dans ce département si peu français encore ? Il fit la part beaucoup plus large dans son conseil intime aux premiers qu'aux seconds. Dans le Gard, au contraire, il trouva tout de suite pour 'être son vicaire-général et son alter ego un prêtre de talent et de caractère, l'abbé de Rochemore, universellement apprécié et estimé.
Il est difficile, pour ceux qui n'étudient pas l'histoire ecclésiastique au point de vue professionnel, d'apprécier par le menu une administration diocésaine. Je renvoie donc au livre même de M. l'abbé Durand pour tout ce qui touche les questions de personnel et de théologie. Aussi bien est-il généralement assez sévère dans ses appréciations, à ce double point de vue, pour que je lui en laisse toute la responsabilité. Il parait reprocher à Périer de ne pas avoir choisi son personnel, ou du moins le personnel des postes les plus élevés, dans les rangs des prêtres réfractaires. Le pouvait-il ? C'est là toute la question. Il ne faut pas oublier, quand on traite de cette période, que le Concordat avait fonctionnarisé le clergé. Il fallait donc compter avec la très haute et puissante administration impériale.
Dès le début de son épiscopat, Périer se heurta contre la mauvaise volonté du préfet du Gard, M. Dubois, qui écrivait eu ces termes au directeur des Cultes « Je dois ajouter, quoique à regret, que si le citoyen de Rochemore était privé du titre ostensible de vicaire-général, on en accuserait M. l'évêque             d'Avignon, ce qui achèverait de lui ôter la confiance publique. Nous avions réussi à la lui concilier dans les commencements de son installation, il n'a pas su la conserver.
On lui obéit par attachement pour le Gouvernement, et parce que le citoyen de Rochemore donne l'exemple de cette obéissance et la prêche continuellement. Mais tout se borne là et je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de prélats français aussi peu recherchés que lui. Je suis bien éloigné de vouloir accuser M. l'évêque d'Avignon , je me ferai toujours un devoir de le seconder. Mais je dois la vérité au Gouvernement et je la lui dis, quoiqu'il m'en coûte. Un autre siège lui aurait peut-être assuré plus de succès. »
Nous ignorons quels sujets de reproche avait cet excellent M. Dubois contre son évêque. Il semble faire allusion à une certaine mésintelligence qui aurait existé entre le prélat et son vicaire-général à Nîmes. Mais rien n'autorise elle pareille conclusion. La correspondance de l'abbé de Rochemore avec M. Périer témoigne de la plus entière sympathie. Celui-ci va même jusqu'à écrire à son -vicaire-général à l'occasion d'une demande du Conseil général du Gard pour l'érection d'un évêché à Nîmes. « Je voulais absolument que vous fussiez évêque du Gard. Si je le suis, est bien malgré moi. Aussi, je me réunirai bien volontiers à votre Conseil général ; on peut compter sur mon consentement. Vous aurez un beau chapitre cathédral ; comme le choix ne peut tomber que sur vous, les ecclésiastiques auront enfin un évêque selon leur cœur. »
Or, veut-on savoir quel était le principal reproche que faisait le Conseil général du Gard à son évêque ? La suite de la lettre nous l'apprend : « On semble vouloir dire encore dans cette pétition que je suis ultramontain parce que je réside au milieu de catholiques jadis sous la domination papale. Ces messieurs me connaissent bien peu ; les ecclésiastiques me fuiraient volontiers un reproche tout contraire. Voilà à quoi l'on est exposé lorsqu'on veut tenir le juste milieu de la vérité et de la vertu. »
Il est difficile d'avouer avec plus de simplicité et moins d'amertume la situation fausse où l'on est placé. Mais, si elle était un peu la conséquence du caractère personnel et du passé de Périer, la responsabilité en était encore plus au Gouvernement et à la mauvaise organisation du siège. A Nîmes, l'évêque avait laissé une grande liberté à. M. de Rochemore pour l'attribution des cures, et tout aussitôt est les laïques de l'accuser d'ultramontanisme. A Avignon, son centre d'action, il avait fait la part plus large aux assermentés, et on l'attaque pour son gallicanisme.
A M. Dubois, disgracié comme trop tiède, succéda dans le Gard M. d'Alphonse. Celui-ci était un véritable préfet suivant le cour de l'Empire. Jeune encore, fort intelligent, il avait la décision prompte et la main parfois lourde. Il avait pour mission de conduire militairement la réconciliation entre catholiques et protestants, et il exécuta sa consigne avec conscience et raideur. Le préfet Dubois avait trouvé son évêque maladroit, M. d'Alphonse le trouva trop clérical. Des conflits éclatèrent. Le 21 juillet 1809, Périer écrit au Ministre des cultes pour se plaindre d'un arrêté d'expulsion pris par le préfet contre un de ses vicaires : « Les prêtres de Nîmes s'écrie-t-il, sont effrayés de cet acte de despotisme et prétendent que ce vicaire n'avait pas tort. Que deviendront les prêtres s'ils sont â la merci des maires et des préfets ? Pour le bien de la paix et pour maintenir le bon accord entre le préfet du Gard et moi, j'ai gardé le silence et j'ai placé ce vicaire dans Vaucluse. Cette affaire est finie, il serait très niche de la voir renouvelée. »
Ce n'est qu'un épisode des difficultés soulevées dans le Gard ; les incidents se multiplient avec une fréquence décourageante ; les municipalités font la vie dure aux curés et desservants; le préfet est très nettement anticlérical, comme nous dirions aujourd'hui ; il fait la sourde oreille aux réclamations du prélat sur la détresse pécuniaire d'un grand nombre de prêtres, sur l'absence de presbytères dans beaucoup de communes, sur le rétablissement des églises, Périer prend le parti de s'adresser directement au Ministre des Cultes ; il le fatigue de ses réclamations sans cesse répétées. Celui-ci répond d'ailleurs avec bienveillance ; on sent qu'il parle à un prélat bien en cour. Périer multiplie les témoignages d'admiration à la politique impériale. Il va même dans certaines de ses lettres épiscopales jusqu'à exalter le grand amour de Napoléon pour la paix. « Le fléau de la guerre, s'écrie-t-il en 1804, subsiste encore malgré les vœux les plus ardents de notre auguste empereur pour la paix ». C'était une singulière naïveté ou une adulation bien mal comprise, les deux à la fois sans doute.
Les diocésains de Périer étaient des Bonapartistes fort douteux, il faut bien le dire, Il y en avait encore un certain nombre dans le Gard ; mais point ou presque point dans Vaucluse. On comprend dès lors que les germes de méfiance à l'encontre de leur évêque se soient développés de plus en plus, soigneusement entretenus dans l'ancien Comtat, ce fut bien pis au moment des démêlés de Pie VII avec Napoléon. Quand on apprit en France que le 6 juillet 1809 une troupe de gendarmes et de soldats avait envahi le Vatican et s'était brutalement emparé de la personne du Souverain Pontife, ce fut une explosion de douleur et d'indignation chez tous les catholiques, plus ardente encore dans l'ancienne ville papale. Il aurait fallu que l'évêque d'Avignon fut un héros ou un homme de beaucoup d'esprit pour se tirer honorablement d'affaires .Périer n'était ni l'un ni l'autre ; il fut maladroit avec de très bonnes intentions. Tandis qu'au travers de l'escorte il se frayait un passage auprès du pape à son passage à Avignon, presque en même temps il écrivait une lettre sur l'indépendance des pouvoirs temporels, qui était un acte de basse flatterie
Voilà bien, s'écrie le biographe de Périer, le vieux constitutionnel et le gallican impénitent qui dirigeait alors le diocèse d'Avignon. Oui sans doute, notre prélat choisissait singulièrement son moment pour affirmer que le chef de l'Église n'avait aucun privilège particulier en tant que souverain temporel et que son autorité était exclusivement bornée aux choses spirituelles. Mais il ne faut pas oublier que cette doctrine avait été celle de toute l'église de France et plus particulièrement celle de l'Oratoire. C'est même pour cela que de tout temps les préférences du gouvernement royal avaient été pour cette maison et lui avaient confié la direction de la jeunesse militaire. L'ancien directeur du collège d'Effiat avait été chargé pendant longues années de préparer de bons loyalistes officiers. Rien d'étonnant à. ce qu'il lui en fut resté une marque indélébile.
En tout cas, Périer avait l'éloge lourd et l'intervention maladroite. Ses défauts étaient très apparents ; ses qualités de méthode, d'ordre, d'esprit de suite n'étaient pas de celles qui prennent les foules. Aussi le désaccord s'accentua-t-il de plus en plus entre ses diocésains et lui. Vainement arriva-t-il, malgré vents et marées, à créer un séminaire dans sa ville épiscopale, vainement fit-il dans son personnel les concessions les plus larges à l'esprit ultramontain, l'opposition se fit contre lui de plus en plus ardente.
Elle devint explosive, irrésistible après la chute de Napoléon. Les palinodies politiques de notre évêque pendant la Première Restauration, les Cent Jours et la rentrée définitive des Bourbons sont chose fort triste. Elles le diminuent fort et l'expliquent en même temps. N'oublions pas cependant que le prélat avait à cette époque 75 ans et qu'il était physiquement et moralement usé.
Il était naturel que la réaction s'acharna après lui. Il n'était pas bien difficile de lui faire donner sa démission; Périer était un peu coutumier du fait et il se retira très vite et très volontiers, autant qu'on peut en juger. Mais par un piquant hasard, lui qui était un des prélats les plus compromis, demeura évêque d'Avignon jusqu'en 1821. Fut-ce bien un hasard ? Faut-il croire que la chancellerie pontificale, en adressant ses brefs aux vicaires capitulaires tenant le Siège, ignorait réellement son existence ? Ou bien plutôt, étant donné qu'Avignon était considéré comme légitimement soumis à l'autorité papale et usurpé par le roi de France, n'avait-elle pas trouvé ce biais pour retarder le plus possible la solution de cette question ? Quoi qu'il en soit, l'administration du diocèse fut bien et légalement exercée par Périer. Son autorité était diminuée; ses grande-vicaires, et surtout l'homme et le représentant de la droite, M. l'abbé Goulet, avaient pris de plus en plus de l'influence; mais il demeura le chef incontesté, Il semble bien d'ailleurs que son âge et sa résignation avaient désarmé son entourage immédiat.
Il n'en fut pas de même des autres. Lorsque M. de Mons prit possession en 1823 du siège devenu archiépiscopal d'Avignon, il témoigna vis-à-vis de son prédécesseur d'une extrême réserve. Périer s'éteignit doucement à 84 ans à Avignon qu'il n'avait pas voulu quitter malgré sa nomination au chapitre de Saint-Denis. Les passions ne désarmèrent pas devant la fin dernière ; M. de Mons ne parut pas aux obsèques et de violents pamphlets circulèrent. Cela est triste et M. l'abbé Durand a raison de glisser rapidement sur ces déplorables incidents. Les vieux partis ont l'illusion bien jeune quand ils sont dans l'opposition et les rancunes tenaces quand ils ont repris le pouvoir.
Il ne m'appartient pas de juger la doctrine du premier évêque français d'Avignon. Mais l'homme et l'administrateur sont du ressort de tous et de ce livre, fait pour la vérité, Périer sort à ce double point de vue, mieux connu et plus équitablement apprécié.

GEORGES MAURIN.

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La Révolution à Nîmes, suite d'articles
> La Révolution à Nîmes les massacres de juin 1790, la religion, le tribunal Rélutionnaire, la guillotine et la Terreur..