La
Bagarre de Nîmes
les 13, 14, et 15 juin 1790
extrait l’Histoire
de Nîmes par Pierre Louis Baragnon père, 1832
Tome III, page 478
à 528
|
NDLR : Dans ce texte excellemment
documenté, l’auteur par ses commentaires nous donne une vision très engagée des
évènements. En essayant de démontrer que telle ou telle religion est coupable,
il oublie de préciser que cette terrible « Bagarre de Nîmes » n’est
qu’un ensemble de comportements individuels criminels, n’ayant rien à voir
avec la doctrine originale des deux religions concernées.
En d’autres lieux,
d’autres temps et avec d’autres religions, l'histoire se répète inexorablement.
A Nîmes, depuis le 1er du mois de juin 1790, une division bien
prononcée s'était mise dans les rangs de la légion. Ce jour avait été destiné
aux processions de la Fête-Dieu ; les officiers municipaux n'avaient demandé au
major qui la commandait alors (1) que deux détachements, l'un de quatre cents
hommes pour border la haie, et l'autre de deux cents au plus pour faire des
patrouilles ou former des piquets, et avaient en même temps prié cet officier
de défendre à tout garde national qui ne serait pas de service, de sortir en
armes, sous aucun prétexte ; mais, loin de se conformer à cette sage réquisition,
il avait fait prendre les armes aux quarante-cinq compagnies.
(1) Le colonel, M. du Caylar, abreuvé de
dégoûts, avait donné sa démission.
Plusieurs d'entre elles feignirent de se, croire menacées, se fournirent de munitions et
arrivèrent à l'esplanade, lieu du rendez-vous, avec leurs armes chargées. Les
autres s'en plaignirent ; on contraignit les coupables à jeter les amorces et à enlever les pierres à feu :
l'irritation fut réciproque fut à son comble.
Les dragons étaient surtout l’objet de la jalousie ou de la
haine des compagnies des faubourgs. Composés de jeunes gens les plus riches de la ville, à peine comptait-on dix catholiques dans leurs rangs. Couverts de riches uniformes et d'armes éclatantes, ils affectaient de nommer les légionnaires des faubourgs du nom de Cébés, qui
signifie mangeurs d'oignons, aliment de la classe pauvre. Cette expression offensait ces derniers, presque tous mal aisés, mal vêtus, dont les yeux étaient déjà blessés par un luxe insolent qui détruisait l'égalité militaire à laquelle ils croyaient avoir
le droit de prétendre.
Les compagnies de cultivateurs, presque toutes sans
uniformes, se distinguèrent des autres citoyens par une
simple houppe rouge au chapeau ; mais il ne serait
pas exact de dire que les catholiques l'eussent
choisie pour signe de ralliement, car deux compagnies
protestantes, commandées par les sieurs Roubel et Rigal, composées de travailleurs de terre, l'avaient arborée les premières, et ne
la quittèrent qu'au moment des
troubles.
Au milieu de cette disposition fâcheuse des esprits,
l'assemblée électorale ouvrit ses séances le 4 juin. Dès le 5, quelques électeurs
affectèrent des craintes pour leur sûreté ; la garde tut
renforcée, et, sur la demande des commissaires du roi, la compagnie de dragons fut
spécialement chargée des patrouilles et du maintien de l'ordre autour
de la salle.
Les premières opérations de l'assemblée
furent de se constituer et de voter une adresse au roi et à l'Assemblée nationale.
Les élections suivirent sans aucun retard ces préliminaires ; et l'on
procéda à la formation de l'administration départementale tous les choix
furent conformes à l’opinion de la majorité.
Plusieurs jours s'écoulèrent sans évènements fâcheux, malgré
l'effervescence des esprits, mais l'insolence des dragons,
accrue par la prédilection que l'assemblée électorale montrait pour eux,
augmentait chaque jour ; leurs patrouilles parcouraient sans nécessité des rues
populeuses, et bravaient la foule épouvantée. Il s'élevait à chaque
instant de nouvelles rixes entre eux et le reste de la population. Déjà les travailleurs
de terre s'étaient réunis en grand nombre, montés sur des ânes avec le dessein de parodier
leurs promenades militaires : la municipalité parvint à arrêter cette
dangereuse plaisanterie. Tout présageait une collision.
La commune crut y parer en ordonnant aux dragons de cesser leurs
patrouilles, et en les réduisant à conserver un piquet de vingt hommes
stationné dans la cour de l'évêché. L'assemblée électorale, qui ne put
s'opposer à cette mesure prudente, en
détruisit tout l'effet en votant publiquement des éloges aux dragons sur leur conduite, et en ordonnant
qu'ils soient consignés dans ses procès-verbaux.
Le 13 juin, époque funeste dans l'histoire de
Nismes, était un dimanche, jour de repos, jour que le désœuvrement consacre
presque toujours aux émeutes dans les temps de troubles. Dès le matin les
officiers municipaux s'étaient aperçus que la compagnie de garde à la commune,
composée ordinairement de soixante hommes, était plus que triplée et avait
chargé ses armes : un d'eux voulut faire quelques représentations à ce sujet,
il fut insulté.
Lauze de Peret prétend que, dans la même
matinée, plusieurs compagnies à houppes rouges s'étaient armées et avaient
traversé la ville dans un appareil menaçant. Cet écrivain est le seul qui nous
ait transmis cette circonstance, et il tombe peu de lignes après, en contradiction avec lui-même, car il assure que
tous les bons citoyens s'attendaient si peu aux troubles de la soirée, étaient
au nombre de plus de quinze cents réunis au club, sans armes et sans défiance.
Quoi qu'il en soit, il n'est que trop vrai qu'une rixe s'engagea vers les six
heures du soir entre les dragons postés à l'évêché, et quelques personnes du
peuple, et que, semblable au feu mis à des matières combustibles cette rixe
devint bientôt un vaste incendie qui embrasa toute la ville.
Si nous en croyons encore Lauze de Peret, les dragons paisibles dans
leur poste de l'évêché ne faisaient pas même sentinelle; ils étaient en
petit nombre, et ils n'avaient que cinq mousquets à leur disposition; c'est alors,
dit-il, qu'un homme à pouf rouge se présente, accompagné de deux des siens, et donne au
portier un billet adressé au chef des dragons. Cet écrit
est, en effet, remis au sieur Paris, lieutenant, qui commandait le
poste et qui veut, conduire à la commune celui qui en était le porteur ; mais,
au moment où il part avec quelques-uns des
volontaires à ses ordres, son détachement est
assailli par plus de deux cents hommes à houppes rouges, qui font
pleuvoir sur lui une grêle de pierres et l'attaquent à coups de
pistolet. C'est alors, sans doute (dit
l'écrivain du club), que la défense devient
légitime. Dix dragons poursuivent cette troupe ennemie et font
sur elle une décharge de mousqueterie. Les gens à houppes rouges fuient, et les dragons,
renforcés par vingt-cinq légionnaires de
garde à l'Hôtel de Ville, les
chassent jusques à la belle-croix.
Le récit de cet événement prend une couleur bien différente dans les
brochures catholiques. Si on les en croit, les dragons avaient maltraité
et arrêté sans aucun prétexte un individu qui s'était présenté à la porte de
l'évêché ; les camarades de ce dernier, sans armes,
se bornaient à réclamer à grands cris sa délivrance, lorsqu'on fit feu sur eux.
Il est, certain qu'un billet ou prétendu, billet, par
lequel on signifiait aux dragons l'ordre de sortir de l'évêché, fut le prétexte
des, premières
hostilités. A-t-il existé ? Que contenait-il ? Il n'a jamais été représenté. Il est certain encore
que lorsque les dragons firent feu sur le peuple à la place de l'évêché les légionnaires
catholiques n'avaient point d'armes à feu.
Trois officiers municipaux étaient à la
commune dans ce moment fatal ; deux d'entre eux, MM. Ferrand et Pontier,
revêtus de leurs écharpes, se portent à l'évêché. Ils n'ont d'autre escorte
qu'un détachement de la compagnie de garde à la commune, protestante et la même
dont plusieurs soldats avaient occasionné les troubles de mai. Ils parviennent cependant à faire entrer les
dragons dans l'évêché, et le feu cesse pour quelques instants ; mais, l'escorte des officiers municipaux prend le
parti des dragons, d'autres volontaires de la même compagnie accourent et se
joignent à eux. Les dragons
ouvrent les portes de l'évêché, malgré les observations de M. Ferrand, et la
lutte recommence. Les légionnaires à houppes rouges avaient aussi reçu des renforts
; ils s'étaient procuré des armes : dès lors, un véritable combat s'engage, la
place de l'évêché, celle de la belle-croix, et les rues voisines en deviennent le théâtre.
Les dragons sont forcés d'abandonner leur poste et de se replier sur l'Hôtel de
Ville, entraînant avec eux M. Ferrand, qui courut les plus grands dangers. De
retour à la commune, on veut le contraindre à se mettre de nouveau à la tête
d'un détachement que commandait le major de la légion, dont le projet était de
retourner sur la place de l'évêché. Les sabres sont levés sur sa tête ; la
pointe des baïonnettes le menace. On le frappe, et il ne doit la vie qu'à
l'humanité de M. Paris qui le protège : on lui permet enfin de rentrer dans la
commune.
M. Belmond, resté seul en l'absence de MM.
Ferrand et Pontier, n'est pas plus heureux ; la compagnie de garde s'en empare
; on l'oblige à prendre le drapeau rouge et à le porter lui-même ; on le frappe ;
on le fait marcher à coups de crosse de fusil, et en le force à précéder la
troupe. Nous le laisserons raconter lui-même les dangers qu'il a courus, et
dont il a dressé procès-verbal.
« À
sept heures, à peu près, du soir (dit-il), j'étais
avec MM. Pontier, et Ferrand occupé à régler
un compte. Nous entendîmes du bruit dans la cour et, du haut de
l'escalier, nous vîmes venir à nous plusieurs dragons parmi lesquels était le sieur
Paris. Ils nous dirent qu'on se battait à la
place de l'évêché, parce qu'un quidam était venu remettre un billet au portier,
dans lequel il lui dit de ne plus, admettre
les dragons, dans l'évêché, sous peine de la vie. Je leur
dis alors qu'ils auraient dû arrêter ce quidam, et
fermer les portes. Ils me dirent que cela n'avait
pas été possible. Incontinent
MM. Ferrand et Pontier mirent leurs écharpes et sortirent.
Peu d'instants après, plusieurs dragons, parmi lesquels
je ne reconnus que les sieurs Lézan du Pontet,
Paris le cadet et Boudon, ainsi qu'un grand nombre de légionnaires, vinrent me demander
que le drapeau rouge sortît. Ils coururent à la porte de la salle du
conseil, et la trouvant fermée, ils m'en rendirent responsable.
J'appelle un valet-de-ville : on n'en trouve pas. Je
demande les clefs à la concierge, qui me dit
que M. Berdincq les a emporté : les volontaires
travaillent à enfoncer la porte ; les clefs arrivent. On ouvre la porte,
on prend le drapeau rouge, on me le remet, on m'entraîne dans la cour et de là sur la place. C'est en
vain que je veux faire des observations sur les préliminaires à remplir,
sur mon état on me répond qu'il y
va de ma vie, et que ma robe imposera aux perturbateurs du repos public. Je représente que ce n'est pas à moi à porter le drapeau, on ne m'écoute pas. Je
marche donc, suivi d’un piquet du régiment de Guienne, d’une partie de la
compagnie n°1, et de plusieurs dragons. Un jeune homme, armé d’une baïonnette, est toujours à côté de moi. La
fureur est peinte sur le visage de tous ceux qui me suivent et ils se permettent envers moi des injures et des menaces
auquelles je ne m'arrête point.
Je passe par la rue des Greffes : on trouve que je n'élève pas assez le drapeau rouge, et qu'il n'est point assez déployé. Arrivé au corps de garde de la porte de
la Couronne, le détachement se met en ordre de bataille, et l'on dit à l’officier qui commande ce poste de nous
suivre. Il répond qu'il ne le saurait sans Une réquisition par écrit de la
municipalité. Ceux qui m’entourent me disent de la faire; je demande une plume, une écritoire, et l’on me rend encore responsable de ce que je n'ai ni l’une ne ni
l'autre. Les propos insultants que m'adressent, et les gestes menaçants que se
permettent contre moi des volontaires et plusieurs soldats de Guienne, m'inspirent
de la frayeur. On me rudoie, on me frappe. Le
sieur Boudon apporte du papier, et j'écris : je requiers la troupe de prêter main-forte.
Alors l’officier du régiment de Guienne se, met en devoir de nous suivre.
À peine
ai-je fait quelques pas, qu'on me demande la réquisition que je viens décrire :
on ne
la trouve pas. On
vient à moi, on dit a que je ne l'ai pas faite, et je suis sur le
point d'être
accablé, lorsqu'un légionnaire la tire toute chiffonnée de sa poche. Les
menaces redoublent ;
on se plaint avec fureur que je n'élève point assez le drapeau rouge, et l'on me
dit que je suis assez grand pour l'élever davantage.
Mais bientôt
paraissent des légionnaires à poufs rouges, quelques-uns armés de fusils, le
plus grand nombre avec des sabres. On tire de part et d'autre:
La troupe de ligne et les gardes nationaux se rangent en bataille dans une espèce d'enfoncement,
et on veut me faire aller seul en avant. Je m'y refuse parce que j'aurais été
entre deux feux. C'est alors que les injures, les menaces et les mauvais
traitements sont portés à leur comble. On me saisit au milieu de la troupe qui
m'environne, et, à grands coups de culasse de fusil, on me force d'aller en
avant. J'en reçois un entre les deux épaules, me fait venir le sang à la bouche.
Cependant, ceux da parti opposé s'approchaient davantage, et l’on ne cessait de
me crier d'aller en avant. Je m'avance avec le
drapeau rouge, je les atteints, je les
conjure de se retirer, je me jette à
genoux, je les persuade; mais ils
m'entraînent avec eux, et il n'en reste que
très-peux ils me font entrer par la
porte des Carmes, prennent le drapeau, et
me conduisent chez une femme, dont j'ignore le nom. Je crachais le sang à pleine bouche ; a elle me donna tout, ce qu'elle put trouver de plus propre à me remettre, et peu de temps après .je me fis conduire chez M. Pontier. »
M. Aigon , autre officier municipal , fut forcé de fuir de la commune
après avoir reçu plusieurs blessures , et se :vit sur le point de perdre
la vie.
MM. Ferrand et Pontier, de nouveau réunis à l’Hôtel-de-Ville, où s'étaient rendus les
commissaires du roi, reconnaissent avec ces derniers la nécessité de faire
publier la loi martiale, mais il est indispensable de la faire appuyer par
le régiment de Guienne, et le lieutenant-colonel refuse de faire marcher sa
troupe sans une réquisition écrite : les deux officiers
municipaux la signent. (1)
.(1) Au moment où les officiers
municipaux signaient cette réquisition, un malheureux volontaire, attaché à une
des compagnies catholiques, poursuivi, cherche un refuge dans les bras des
officiers municipaux, et pénètre dans la salle du conseil : il y est massacré inhumainement, dit M. de
Marguerittes sur les sièges consulaires, traîné dans l'escalier, et laissé à la
cour.
Le drapeau rouge sort encore une fois de la commune ; il est escorté
par des légionnaires :, on dirige vers les casernes où le régiment de Guienne est réuni.
L'escorte est renforcée, chemin faisant, par plusieurs compagnies toutes
protestantes (1) qui s'étaient rassemblées sur l'esplanade, et poursuit sa
route. Sur le point d'arriver à la hauteur du collège, on aperçoit
une troupe ennemie retranchée derrière le rempart et une tour qui en
dépend.
(1) M. de Marguerittes se sert de l'expression compagnies à
plumets blancs. Il paraît que les protestants arboraient le
panache blanc de Henri IV, par opposition aux catholiques dont ils voulaint comparer
la houppe rouge à l'écharpe de la ligue.
Le feu s'engage de part et d'autre ; il se soutient ; mais
une décharge de mousqueterie, faite à propos, met en fuite tout le détachement, qui
se dissipe, abandonnant l'officier municipal et le drapeau confié à
sa garde.
Pendant ce désordre, le commissaire du roi et M. Pontier avaient atteint
les casernes pour hâter la marche du régiment de Guienne. M. Ferrand resté seul avec celui
qui portait le drapeau, les suivait lentement ; mais il se voit cerné par
un détachement de légionnaires à houppes rouges qui enlèvent le drapeau, et
l'entraînent lui-même dans la maison Froment, attenante aux remparts, d'où il obtient enfin la
permission de rentrer chez lui.
Les catholiques qui avaient pris les armes étaient peu nombreux. Dès le
premier instant du tumulte, le major avait convoqué toutes les compagnies à plumets blancs
elles avaient pris les armes, tandis que quinze compagnies
catholiques ne s'étaient pas même réunies, et attendaient les ordres de leurs chefs.
Leurs armes étaient en grande partie chez leurs capitaines (1).
(1) Un fait certain et digne de remarque,
c'est que, le 14 au soir, on trouva chez Descombiés,
qui, de sa personne, s'était réuni à Froment,
tous les fusils de- sa compagnie sans qu'il en manquât un seul. Il est évident que les
volontaires qui la composaient, n'avaient pas suivi leur
chef.
Les volontaires de trois compagnies seulement
s'armèrent, ne prenant conseil que de leur ; plusieurs même des individus qui les composaient restèrent neutres ; les autres
s'étaient retranchées dans une tour attenante à la maison Froment, faisant face
aux Calquières, près de la porte des Carmes, et dans les tours de l'ancien
château (sur la porte Auguste), qui
faisait partie du couvent des
Dominicains: Ils maîtrisaient de là la place des Carmes et la
ligne des remparts, depuis les casernes jusques aux Calquières : leurs détachements
avaient occupé dans la journée les petites rues qui aboutissent à la grand'rue et à la
belle-croix.
Le régiment de Guienne n'avait pris aucune part à ce qui se
passait ; il était renfermé dans la cour des casernes, et n'en sortit que sur la réquisition de M. Pontier et du
commissaire du roi. Mais le chirurgien-major arrive dans le même moment ; il annonce que le feu a cessé, que tous les
légionnaires se sont retirés dans leurs foyers, qu'en un mot la ville est calme et les rues désertes : son rapport est confirmé par un sergent, et le régiment
rentre dans ses quartiers.
La tranquillité, comme on le pense, était loin d'être rétablie. Il est
facile de se fixer sur la position des deux partis. Cent vingt catholiques au plus étaient retranchés
sur les remparts et dans la
maison Froment, la plupart mal armés, ayant contre
eux toutes les compagnies protestantes et les auxiliaires qui leur arrivaient à chaque instant. Ces dernières étaient maîtresses de tout le reste de
la ville, et assurées de l'artillerie gardée par le régiment de Guienne, qui la leur livra le lendemain, tandis que quinze compagnies catholiques, c'est-à-dire,
toute la masse de ce parti, restaient dans l'inaction.
La nuit du 13 au 14 se passa en préparatifs d'une part, et en précautions du
côté des assiégés pour se garder. Leurs chefs Froment
et Descombiés, ne pouvant espérer aucun secours de
la ville, écrivirent à Montpellier à M. de Bouzol,
commandant en second la province du Languedoc, et envoyèrent
des émissaires dans les villages voisins.
Les deux exprès adressés, à M. de Bouzol furent arrêtés
à Uchaud, et leurs lettres interceptées : les
protestants de ce village en firent trophée et vinrent
les déposer à l’assemblée électorale. On a
fait à Descombiés et à Froment un crime de cette
démarche, certes bien légitimée par la position critique où ils se trouvaient ;
on a voulu y voir l'existence d'un complot formé longtemps à
l’avance : nous reproduisons les deux lettres dans leur
entier (1). Tout homme impartial qui les lira n'y trouvera qu'un cri de
détresse : les signataires réclament des secours, et du moins on ne saurait disconvenir qu'ils s'étaient
adressés à la principale autorité
de la province. Ceux, qui depuis longtemps réchauffaient
le fanatisme de leurs sectaires, et firent
envahir Nismes par plus de quinze mille étrangers, furent certainement plus coupables, ou si l'on veut plus prévoyants.
(1) Lettre de Descombiés.
« Les dragons protestants ont attaqué, sur les six heures du soir, les catholiques : plusieurs ont été tués et
beaucoup de blessés ; le désordre est
affreux; l'alarme est générale; le drapeau
rouge a été repoussé et arraché des mains du municipal, et la municipalité est
dispersée. Vainement ai-je
cherché à voir l'un d'eux, ils se sont retirés après avoir fait ce qu'on peut attendre de magistrats
patriotes et généreux.
Il est cependant absolument nécessaire de
ramener l'ordre
dans la ville ; et le seul moyen qu'il y ait , c'est de nous donner un secours assez fort pour en imposer
aux ennemis de la paix,
quels qu'ils soient. Je vous prie donc, Monsieur, en ma qualité de
notable si de la municipalité, et vu les circonstances, de vouloir envoyer, sans perdre un seul moment,
un ordre au régiment du roi, dragons, pour se rendre en cette ville.
Je m'oblige à faire
approuver ma réquisition par toute la municipalité, et comme citoyen et comme
bon Français.
J'ai l'honneur de vous assurer,
Monsieur, que la présence de ce régiment ramènera tous les esprits à la paix,
et fera finir tous les
malheurs arrivés et prêts à se renouveler, desquels je ne puis avoir l'honneur
de vous donner encore un détail circonstancié. Je suis, etc…
DESCOMBlÉS, ancien page
du roi, notable , électeur.
Lettre de Froment.
Monsieur, vainement
j'ai réclamé jusqu'à ce jour l'armement des compagnies catholiques ; malgré l'ordre que
vous aviez bien voulu m'accorder, les officiers municipaux ont cru « qu'il
était de la prudence de retarder la livraison des fusils jusqu'après l'assemblée électorale.
Aujourd'hui les dragons protestants ont attaqué et tué plusieurs de nos catholiques
désarmés : vous pouvez juger du désordre et de l'alarme qui règnent dans la ville. Je vous supplie, en
ma qualité de citoyen et de bon Français, d'envoyer de suite un ordre au
régiment du roi, dragons, pour venir mettre le bon ordre dans la ville, et en
imposer aux ennemis de la paix. La municipalité est dispersée ; personne n'ose sortir
des maisons ; et, si elle ne vous fait aucune réquisition dans le moment, c'est
que chacun de ses membres tremble pour ses jours, et n'ose se montrer. On a
sorti deux drapeaux rouges, et les officiers municipaux, sans gardes, ont été
obligés de se réfugier chez de bons patriotes. Quoique simple citoyen, je me
permets de réclamer auprès
de vous, parce que je pense que les protestants ont déjà envoyé dans la Vaunage
et la Gardonnenque, pour demander ides secours, et que l'arrivée des
fanatiques de ces contrées exposerait tous les bons Français à être égorgés.
Daignez avoir égard à ma demande ; je l'attends de votre bonté et de votre
justice. Je suis, etc…
FROMENT, capitaine de la compagnie n.° 39. Ce 13 juin
1790, à onze heures du soir.
Nos lecteurs peuvent apprécier le ton de la lettre Froment ; à coup
sûr ils n'y distingueront pas le style d'un homme accrédité par une protection puissante auprès de M.
de Bouzol , et qui fût, depuis
longtemps, en relation avec lui.
Ils n'avaient pas en effet perdu de temps.
Des émissaires envoyés à l'avance et se relayant de proche en proche, faisaient accourir toutes les forces de la
Vaunage, de la Gardonnenque et des communes protestantes les plus éloignées.
Dès les trois heures du matin, l'esplanade commença de se couvrit de
volontaires étrangers : on en attendait de toutes parts.
Plusieurs officiers municipaux avaient passé
la nuit à la commune, au milieu des menaces. M. de La Baulme, l'un d'eux, se
transporte, à cinq heures du matin, chez M. Vigier-Sarrazin, président du club
et de l'assemblée électorale ; il y trouve une partie des électeurs du
département réunis, et leur propose de se concerter avec
la municipalité et les chefs des troupes déjà arrivées, pour inviter les
étrangers à demeurer aux avenues de la ville. Le projet est adopté ; la
réquisition est dressée et signée ; un des électeurs offre même d’aller au-devant
des volontaires de son canton pour les prévenir. M. de La Baulme, d'accord avec
ses collègues, se rend avec M. Vincent Valz sur l'esplanade pour parler aux chefs des corps qui y
stationnaient. À peine y sont-ils arrivés, deux groupes différents les
entourent et les séparent. M. de La Baulme recoit, au défaut des côtes, un coup
qui lui enlève la respiration; les sabres sont levés sur sa tête ; il va périr
; heureusement, M. Vincens-Valz le rejoint, M. Chabanel pare les coups multipliés qui sont
portés à l'officier municipal (1), et parvient à conduire MM. de La Baulme et Vincens-Valz dans la maison de M. Mazel,
située au bout de l'esplanade ; mais celui-ci craint encore pour leur,
vie, il les engage à fuir, et ils s'échappent par les jardins. Il ne fut dès
lors plus possible d'éviter l'irruption dont la ville était menacée.
(1) Les traits d'humanité dans les
sanglantes journées de la bagarre furent rares. Nous nous plaisons à conserver
le souvenir de tous ceux que nous ont transmis les récits du temps. On doit
remarquer que nous en nommons avec complaisance les auteurs, tandis que, si
nous ne pouvons taire les crimes nombreux qui furent commis, nous évitons de
désigner les coupables.
M. Chabanel eut encore, dans la journée
du 14, le bonheur d'aider puissamment à la conservation du Petit-Couvent :
c'est une justice que lui ont rendue les religieuses dans une enquête faite
devant les officiers municipaux, le 10 janvier 1791.
Bientôt un nombre effroyable de milices étrangères
couvrit l'esplanade ; cerna la ville et inonda les rues : on peut, sans
exagération, le porter à quinze mille hommes. Les procès-verbaux de l’assemblée
électorale constatent l'existence d'un camp fédératif de douze mille hommes ;
un écrit publié par le club, intitulé : Vérités historiques, dit que plus de
quinze mille hommes offrirent leur secours : les brochures catholiques du temps
sont d'accord sur ce point avec les aveux de leurs ennemis. Il est certain que ces renforts arrivèrent aux protestants
de plus de douze lieues, et devaient être prêts à marcher depuis longtemps.
Toute cette foule arriva à Nismes, poussée par le fanatisme,
la soif du sang et l'ardeur du pillage. Les communes dans lesquelles les
protestants dominaient, forcèrent les catholiques à les suivre, en les menaçant
de les mettre au premier rang, s'ils éprouvaient de la résistance : il en est
dans lesquelles on fit marcher jusques aux curés (1).
(1) M. de Marguerittes rapporte, dans
son Compte-rendu, que le dimanche 13, avant même que les combats eussent
commencé, la garde nationale catholique d'un village qui se trouve sur la
route, ayant refusé de marcher sans une réquisition de la municipalité de
Nismes, fut menacée, insultée et obligée de suivre le plus grand nombre : voilà
comment (ajoute l'orateur) des légionnaires catholiques et même des curés se
sont trouvés mêlés avec les pillards.
Aucune garde nationale des contrées
catholiques ne se mit en chemin : celles de la banlieue et des principaux villages qui environnent Nismes
se réunirent cependant et s'avancèrent, le 15 au matin, jusques au pont de Car (pont situé sur le Vistre, route
de Beaucaire), sous le
commandement de M. de Montval. Un exprès vint en prévenir les officiers
municipaux qui se trouvaient encore à la commune ; mais M. Ferrand n'eut rien
de plus empressé que de le renvoyer pour engager le rassemblement à se retirer
et à ne pas venir aggraver, par des démonstrations impuissantes, le sort des
vaincus (1) : il obéit.
(1) Le secours qui arrivait dans ce moment
était insuffisant : la disposition des esprits de ceux qui le composaient, et
le peu d'autorité que le commandant aurait exercé sur eux, le rendaient
dangereux. Il se livra à plusieurs désordres dans la campagne, selon le rapport
de M. Alquier.
Quant à ce que nous avons dit de la
prudence de M. Ferrand, voir le Résumé des procès-verbaux.
La milice nationale de Beaucaire s'était mise
en même temps en mouvement ; mais on fit marcher des troupes à sa rencontre
pour lui fermer le passage si elle persistait à vouloir arriver à Nismes : on
lui dépêcha des émissaires chargés de lui persuader que la querelle était
purement politique ; que la tranquillité était rétablie, et que sa présence
était inutile : elle rentra dans ses foyers.
Ainsi, le champ le plus vaste et le plus
libre fut ouvert au désordre. La haine, le fanatisme
religieux purent se satisfaire. Donnerai-je le détail des massacres du 14. Donnerai-je la liste des citoyens arrachés à leurs foyers, traînés sur
l'esplanade et lâchement égorgés, après avoir été exposés à mille tortures
avant de recevoir le coup mortel ? Peindrai-je Louis Deymon, revenant
paisiblement de la chasse, poursuivi, blessé, porté sur une
chaise à l'esplanade, et auquel on n'ôte la vie qu'après lui avoir coupé les
pieds et les mains à coups de sabre ; Claude Daudet, assassiné par celui-là même
auquel il avait sauvé la vie peu de jours auparavant ; Bataille, pendu à un réverbère, qui voit
casser la corde, conserve un reste d'espoir, se sauve et est percé de mille
coups dans une cheminée de la maison de M. Mazel, où il était parvenu à se
réfugier ; Gas, coupé à morceaux, dans le sang duquel ses assassins se lavent
les mains, et dont on jette les restes mutilés sur les décombres de sa maison que l'on venait de démolir ; un jeune Froment, étendu sur une table, déchiqueté à coups de
sabre, et dont la tête est promenée par la ville ; violet, pendu vivant par le menton
à un crochet de boucher, endurant pendant
plus d'une heure cet horrible supplice, et criblé
de plusieurs coups de feu, quand les cris que lui arrache la douleur fatiguent
ses bourreaux ? Faut-il montrer à nos lecteurs un malheureux catholique qui se
place sous la sauvegarde d'un de ses voisins, que l'on traîne à l'esplanade,
que l'on force d'assassiner un de ses frères, et qui, saisi d'horreur, expire,
peu de jours après ; de crainte et de remords ? Notre plume se refuse à décrire
des scènes aussi affreuses : Nismes a vu reparaître, dans ces jours de deuil,
ceux de la Michelade, et le soleil a éclairé ces nouvelles horreurs, lorsque du
moins la nuit avait protégé de son ombre les meurtres du seizième siècle.
Quel était le crime de tous ceux qui furent
assassinés le 14 ? Avaient-ils pris les armes ? Non, répondra l'histoire
inexorable. Les assiégés de la maison Froment et des tours des Dominicains
tenaient encore quand les assassinats ont commencé : mais d'ailleurs, lorsqu'il
est certain que quinze compagnies catholiques n'ont eu aucune part aux combats
du 13 ; lorsqu'il est bien constaté que toutes leurs armes ont été trouvées
chez les capitaines où elles étaient déposées ; lorsqu'il est constant que le
nombre des victimes a dépassé, du côté des catholiques, celui des combattants,
il est bien évident que les assassinats furent commandés par la haine et le fanatisme, et que le choc des deux partis ne saurait
les excuser (1).
(1) Avaient-ils pris les armes, Chas ,
avocat, fils de l'ancien consul, jeune homme de plus haute espérance, qui fut
tué, le lundi 14, causant avec des amis sur le seuil de sa porte ; ce jeune
Joseph Bouchon, âgé de quinze ans, qui, le même jour, fut frappé d'une balle
étant à sa fenêtre où il dessinait ; ce Pierre Bouquet, marchand fripier, qui,
venant de tenir un enfant sur les fonts baptismaux, s'arrêta un instant sur sa
porte, et reçut un coup de feu ?
Dans ces sanglantes journées,
aucun catholique ne pouvait paraître dans les rues, ou même se montrer aux
fenêtres, sans qu'on lui tirât dessus. Les assassins se vantaient hautement de
leurs crimes ; celui de Chas était connu, et la tête d'une des victimes, du nom
de Jean-Baptiste Mercier, portée en triomphe dans les rues, fut clouée, comme
un trophée, à la façade de l'Hôtel de Ville.
Mais, comment d'ailleurs
pallier les tentatives faites pour pénétrer dans le couvent des Ursulines ? Comment
excuser le pillage du couvent des Capucins, et le massacre de tous les
religieux qui ne purent se dérober par la fuite au sort qui leur était réservé
?
L'esplanade est située
entre les deux couvents ; la vue des deux édifices religieux blessa sans doute
les regards du rassemblement formé sur la place, et, dès le matin, une
compagnie s'introduisit dans le monastère des Capucins, sous le prétexte d'en
faire la visite. Elle put se convaincre qu'aucun étranger n'y était caché, et
qu'il ne recélait aucune arme. Il paraît
même que cette démarche, dirigée par un chef prudent, fut dictée par de bonnes intentions pour contenter le
rassemblement et éviter les désastres de la soirée. Dans l'après-midi,
plusieurs coups de feu partent du côté de l'auberge du Luxembourg (1).
(1) M. de Marguerittes, dans son
Compte-rendu, dit :
« L'inexpérience d'un volontaire
étranger fait partir un coup de fusil au milieu des troupes campées à
l'esplanade, etc. »
Nous lisons dans le Résumé des
procès-verbaux de la commune :
« Sous le faux prétexte qu'on a tiré
quelque coup de fusil du couvent de ces religieux sur des volontaires campés à
l'esplanade, etc. »
Quand nous avons avancé que les coups de
fusil étaient partis dans la direction du Luxembourg, nous avons pour garants
la déclaration de plusieurs des religieux échappés au massacre, qui ont été
entendus comme témoins devant MM. Ferrand et Razoux, et surtout l'attestation
verbale que nous a donnée à nous-mêmes un des cénobites, dont nous avons déjà
signalé l'existence.
S'il nous est permis de donner notre
opinion, d'expliquer la mort de M. Massip, et de faire concorder le récit de M.
de Marguerittes avec la déposition des religieux, nous dirons que des
malveillants, postés autour du Luxembourg ou dans l'angle de la rue Notre-Dame,
tirèrent sur le rassemblement placé à l'esplanade plusieurs coups de feu qui
n'atteignirent personne, et n'avaient d'autre but que d'exciter un mouvement;
que ces coups de feu mirent l'épouvante dans la troupe, et que, dans le
désordre qui en fut la suite, la maladresse d'an légionnaire donna la mort à
Massip.
Au même instant, M. Massip, officier
municipal de Saint-Cosme, qui faisait partie des légionnaires étrangers campés
sur l’esplanade, tombe atteint d'une balle : tout fuit et se disperse (1) ; la
place demeure déserte. Mais bientôt l'épouvante cesse ; des malveillants
répandent le bruit que le coup qui a tué Massip est parti du couvent des
Capucins, quoique les fenêtres en soient exactement fermées. Sans autre examen,
le monastère est forcé (2).
.(1) Un fait bien convenu, c'est que,
dès l'instant où les coups de feu se firent entendre, l’épouvante fut telle
parmi les légionnaires étrangers, qu'ils s'enfuirent dans toutes les
directions. La plupart se précipitèrent dans les fossés qui séparaient alors
l'esplanade du couvent des Capucins, et un des religieux, dans sa déposition,
dit avec justice qu'ils n'auraient pas choisi ce refuge si les coups de fusil
fussent partis du couvent. (Déposition du frère Ignace, du 27 août 1790)
(2) Résumé des procès-verbaux.
Deux sapeurs donnèrent l'exemple et
attaquèrent seuls les premiers la porte du couvent.
Le cénobite que nous avons interrogé
sonna en vain lui-même le tocsin pour appeler du secours ; il ne vit arriver
que des ennemis, et put distinguer un détachement du régiment de Guienne, de
garde à la porte de la Couronne, qui, les bras croisés, restait témoin
impassible de tout le désordre.
La déclaration de tous les cénobites est
uniforme sur un point, c'est qu'il n'y avait chez eux ni étrangers, ni armes;
que par conséquent, il était impossible que l'on eût fait feu du couvent : d'ailleurs,
la visite du matin prouve cette vérité jusques à l'évidence.
On y massacre cinq religieux, dont un, âgé de
quatre-vingt-deux ans, retenti dans son lit par une paralysie, est haché à
coups de sabre, et cette cruelle exécution ne contente pas ses bourreaux, qui
mettent le feu à sa paillasse pour brûler ses restes palpitants : avec les
religieux périrent deux jeunes clercs qui balayaient l'église, et un garçon
jardinier. Tels étaient les seuls étrangers que l'on trouva dans la maison (1).
(1) Nous avons donné ici la version
adoptée par M. de Marguerittes dans son Compte-rendu. Nous devons à la vérité
de faire connaître les renseignements verbaux que nous avons recueillis, et ce qui
résulte de la déclaration particulière des religieux entendus devant M.
Ferrand. Il paraît que trois cadavres ont été vus dans le couvent ou dans le
jardin, indépendamment des cinq religieux qui furent massacrés. L'un est celui
d'un enfant, trouvé à la porte du chœur avec un arrosoir à ses côtés ; le
second est celui d'un jeune homme en chemise, étendu à la porte de la
sacristie, et le dernier a été aperçu dans le jardin.
L'opinion du cénobite que nous avons
interrogé est que l'enfant trouvé à la porte du chœur était attaché au couvent;
que le jeune homme dont le corps a été rencontré à la porte de la sacristie
n'appartenait point au monastère, et que celui qui fut tué dans le jardin lui
était également étranger. Il pense que, dans le désordre affreux qui régna
pendant plusieurs heures au milieu d'une foule d'assassins et de pillards qui
ne se connaissaient point, ils ont pu, par méprise ou par tout autre motif, se
tuer entre eux ; car il est bien positif que tous les religieux qui ont déposé,
ont déclaré que le jeune homme tué près de la sacristie leur était inconnu. Le
jardinier attaché au couvent s'enfuit dès le commencement du tumulte, avec le
supérieur, du nom de père Pascal, et se réfugia dans un des jardins du faubourg de Roussy. Le
jeune garçon jardinier se cacha, avec trois religieux, sur les voûtes de
l'église : tout le monde, à Nismes, l'a connu sous le nom de Lallemand,
concierge du palais de justice ; il n'est décédé que depuis peu de temps.
Les autres Capucins n'échappèrent à la mort
que par la fuite ou en se cachant pour la plupart sur la voûte de l'église, les
plafonds du dortoir et ceux de la bibliothèque : ils purent de leur retraite
entendre les cris de mort et les menaces proférées contre eux (1).
.(1) Si l'on désire
connaître le sort de tous les religieux qui remplissent le couvent, cinq furent
tués, trois se cachèrent sur la voûte de l'église, deux sur le plafond de la
bibliothèque, trois autres sur celui du dortoir, et trois enfin dans une ruelle
ou impasse fermée par un mur qui sépare l'église des Capucins des murs du
Luxembourg. Le supérieur, de soixante-dix ans, fut à temps de sortir, entraîné
par le jardinier ; six avaient fui en franchissant les murs du jardin, et se
sauvèrent à travers les champs ; un des frères était absent de Nismes. La
plupart de ceux qui s'étaient cachés dans le couvent, furent recueillis dans la
soirée par le sieur Pierre Paulhan, fenassier, qui leur donna asile dans sa
maison pendant deux jours et deux nuits, à la sollicitation de sa femme qui
était catholique. Roussillon, sellier, contribua puissamment à cette bonne
œuvre : ce fut lui qui, dans la soirée du 14, s'introduisit dans le couvent,
fit sortir les religieux de leur retraite, et guida leurs pas vers Paulhan
Tout est livré au pillage ;
tout est détruit, portes, fenêtres, meubles, ustensiles. La bibliothèque,
enrichie de celle de l'illustre Fléchiez, et la pharmacie, la plus belle de la
ville , le patrimoine des pauvres, sont entièrement
dévastées. Quatre calices, leurs patènes, deux ciboires, le linge, les ornements
sacerdotaux sont volés dans la sacristie ; les nombreux dépôts que la confiance
des peuples faisait remettre entre les mains de ces pieux cénobites (1) sont
violés.
.(1) Le club, dans sa brochure intitulée
: Vérités historiques, convient de l'enlèvement d'un ciboire, et prétend que le
voleur fut livré à toute la rigueur des lois. Les officiers municipaux firent
signer à chacun des religieux qui reparurent à Nismes, un état de tous les
effets et de toutes les sommes qui avaient été pillés dans leurs cellules : il
s'élève à une somme considérable.
Le couvent des Ursulines fut plus heureux.
Dès le matin les religieuses qu'il renfermait avaient pu entendre les menaces
dirigées contre elles (1), et en frémissaient encore, lorsque, dans la soirée
après la dévastation des Capucins, un étranger placé à la porte de leur
monastère, tire un coup de pistolet, et s'écrie que le coup est parti des fenêtres du couvent.
.(1) Plusieurs des sœurs entendues en
témoignage déclarent qu'elles ont, plusieurs fois dans la matinée, entendu des
voix qui disaient : enfonçons la porte de ce couvent ; d'autres répondaient :
non, il faut commencer par les Capucins. La sœur converse Combe Saint-Joseph
dépose : « Que le 14 juin, vers les huit heures du matin, se préparant à ouvrir la porte à
Pourcherol, le boulanger qui leur portait du pain, elle le vit aux prises avec
une foule de légionnaires armés, qui
voulaient s'emparer du pain, disant : il n'en « faut pas porter à ces b...sses !
il ne faut pas que les b...sses en mangent ! L'un d'eux la couchant en joue, lui ayant dit : c'est toi
qui ouvres, b...sse ! elle ferma de suite la porte du couvent, sans recevoir le pain, ce qui porta Mme la supérieure à faire dire au
sieur Chabanel, dont la compagnie était de garde auprès du couvent, et qui, de concert avec le sieur Bertrand dit des grignons, avait
,« veillé à sa sûreté, de vouloir bien les faire pourvoir du pain qui leur
manquait, ce qu'il fit, et paya en même temps le pain de la première corbeille,
que les légionnaires avaient ,pris, etc.
Il court au-devant d'une troupe qui s'avance,
et l’engage à enfoncer les portes ; mais un des nouveaux arrivants a vu la manœuvre du
misérable calomniateur, il le confond en présence de toute la troupe en
découvrant le bassinet de son arme à feu qui fume encore. Le peuple est aussi terrible dans sa
justice que dans ses vengeances, et l'imposteur est assommé sur la place.
Cependant, le nombre des catholiques
retranchés était singulièrement diminué la plupart avaient fui pendant la nuit.
Ils occupaient cependant encore la maison Froment, la tour attenante et une
partie des remparts (1).
(1) Les brochures catholiques les
réduisent à quarante-cinq. Cette version semble peu croyable, cependant peu
échappèrent à la mort, et le résumé des procès-verbaux ne fait mention que de
quatre cadavres trouvés dans la tour des Jacobins, et de vingt-neuf cadavres
dans celle attenante à la maison Froment. Cette tour fut leur dernier refuge et
le poste où ils se défendirent le plus longtemps : nous devons dire aussi que
plusieurs durent parvenir à se sauver avec les chefs.
Assiégés par des forces centuples, attaqués
avec de l'artillerie (1), ils se défendent avec courage.
(1) On peut voir encore les traces de
quelques coups de canon mal dirigés dont les boulets ont frappé la façade de
l'église des Dominicains, qui sert aujourd'hui de grand temple aux protestants.
Un projet de capitulation est proposé et
accepté. Il est violé à l’instant même ; la tour Froment est forcée ; tout ce
qui s'y trouve est massacré ; les principaux chefs, F. Froment, Folacher et
Descombiés , parviennent à se sauver (1).
(1) Les deux partis se sont
réciproquement accusés d'avoir violé la capitulation. Lauze de Peret, prétend
que, lorsque l'on portait des paroles de paix, des coups de fusil partis du
côté du rempart firent évanouir toute espérance de conciliation. Nous nous
bornerons à rapporter la version présentée à l'Assemblée nationale par M. de
Marguerittes. Il atteste dans son Compte-rendu, qu'il fut généralement convenu
que tous les assiégés mettraient bas les armes, les feraient porter au palais,
et que les chefs s'y rendraient eux-mêmes pour s'y mettre sous la sauvegarde de
l'assemblée électorale ; que cette proposition fut acceptée par les capitaines
; qu'à l'instant même la paix fut publiée ; mais que, malgré la capitulation,
l'attaque continua : la soif du sang et l’ardeur du pillage rendirent les
assaillants sourds à la voix de l'humanité. Froment, receveur -du clergé,
ajoute-t-il, avait alors dans sa caisse plus de 36 000 fr. qui devinrent la
proie des pillards.
Quelques fuyards avaient pénétré dans le collège,
à l'insu même du recteur, et s'étaient cachés dans les greniers ; mais ce
bâtiment fut visité dans la soirée, trois fugitifs y furent découverts et
égorgés; le collège lui-même fut dévasté ; tous les effets des régents et des
pensionnaires pillés : le supérieur n'échappa à la mort que par la fermeté de l'officier
municipal forcé de présider â la visite.
Le massacre dans les rues et dans les maisons
se prolongea pendant toute la journée du 15, jusques à l'arrivée de la garde
nationale de Montpellier, qui parvint à ramener un peu d'ordre. Le club, dans
un écrit publié en son nom, dit lui-même :
« La
journée du 15 ne fut, pour ainsi dire, consacrée qu'à la vengeance ; mais son
règne fut trop prolongé et les lois et l'humanité y furent trop souvent
outragées. » Quel aveu !
Les écrits du temps varient singulièrement
sur le nombre des victimes. La municipalité de Nismes dont le courage et la
fermeté ne se sont jamais démentis dans les recherches qu'elle a faites pour faire
connaître la vérité, signale dans ses procès-verbaux environ cent cinquante
décès, et annonce qu'il lui est impossible de compléter ce tableau. Les
brochures catholiques ont porté le nombre des morts, les unes à huit ou neuf cents, les autres à quatre ou cinq
cents. M. de Marguerittes, dans son rapport à l'Assemblée
nationale, soutient que plus • de trois cents personnes ont été immolées le
mardi et le mercredi après le combat, et que l'on avait eu la barbare précaution
de remplir de chaux les fosses où l'on jetait les cadavres, pour que l'on ne
pût ni connaître, ni compter les victimes. Le club annonce plus de deux cents meurtres.
L'humanité frémit à cet affreux calcul ;
mais l'histoire doit le transmettre à la postérité, afin que nos descendants
connaissent à quels excès peuvent porter le fanatisme et les discordes civiles
: nous ne nous écarterons pas de la vérité en fixant à plus de trois cents le
nombre des catholiques tués en combattant ou égorgés sans défense. Un plus
grand nombre maltraités, arrêtés arbitrairement le 16, remplirent les prisons,
et durent s'estimer heureux d'y trouver un refuge. Les protestants n'eurent à
regretter que vingt et un d'entre eux, et le nombre même n'aurait point été
aussi grand, si des représailles déplorables n'avaient été exercées dans la campagne contre des
protestants paisibles (1).
(1) M. et Mme Noguier furent tués dans
leur maison de campagne à Courbessac. Les plus remarquables de ces victimes
furent MM. Maigre père et fils, qui, après avoir fui de leur campagne, furent
assassinés à Remoulins, avec des détails qui font frémir l'humanité. Vengeance
déplorable, parce que rien ne peut excuser un crime, même à titre de
représailles !
Nismes, pendant plusieurs jours, fut semblable à une
ville prise d'assaut. Indépendamment des Capucins, de la maison Gas et du collège,
dont nous avons raconté les désastres, on pilla le couvent des Jacobins. Les
religieux, instruits par le malheur des Capucins, avaient fui, mais tout fut
détruit dans leur monastère, qui devint inhabitable.
La maison Froment fut non seulement pillée,
mais presque démolie ; celle de l'abbé Cabanel eut le même sort ; on n'épargna
celle de M. Bragouse, curé de Saint-Paul, que parce qu'elle ne lui appartenait
pas, mais on la dévasta (1). Plusieurs maisons de campagne et une foule
d'appartements occupés dans le centre de la ville par des catholiques, furent
saccagés et dévalisés.
(1) Voici dans quels termes on s'exprime
au Résumé des procès-verbaux de la municipalité : « Tous les effets, tous
les meubles de M. Bragouse, curé de la paroisse Saint-Paul, qui ne purent être
volés, sont entièrement fracassés ; ses registres sont mis en lambeaux ; tous
les livres d'une bibliothèque Précieuse sont déchirés ou jetés dans le canal de
la fontaine ; l'argenterie de M. Bragouse, celle
de la paroisse, un ostensoir, une chape de drap d'or, une chasuble
précieuse de la valeur de mille écus, et toutes les provisions de cire d'une
année pour la paroisse, sont volés. On remarque que les plafonds, la cheminée,
les portes, les fenêtres n'ont supporté aucun dégât, aucune détérioration, et
l'on ne peut concevoir pourquoi cette maison n'a point été saccagée comme les
autres, qu'en se rappelant qu'elle appartient à une protestante, Mme Tansard.
Tels ont été les affreux résultats des
sanglantes journées connues sous le nom de bagarre, dans lesquelles le parti
vainqueur abusa si cruellement de son triomphe, et dont aucun historien n'a
tracé un tableau fidèle (1), parce que le gouvernement, entraîné par la marche de la révolution, parut croire à
l'existence d'un complot chimérique, et propagea lui-même les versions
mensongères que les véritables coupables cherchaient à répandre ; parce
qu'enfin les innocents ont été seuls livrés aux poursuites de la justice.
(1) Selon Lacretelle, après un détail
inexact des combats qui s'étaient livrés, ajoute : « Plus de quatre-vingts
catholiques sont massacrés quand il n'y a plus de combat. Parmi eux se trouvaient
quelques prêtres auxquels on reprochait leur fanatisme en les égorgeant. Dans
les journées les plus funestes de la révolution, on n'avait pas encore compté
un si grand nombre de victimes. Qui eut cru, avant la révolution et sous
l'empire d'une philosophie qui
n'invoquait que l'humanité, que, dans le dix-huitième siècle, il s'exercerait
des représailles des massacres commis dans le seizième siècle ? L'assemblée constituante ne vit
rien à condamner dans la conduite des vainqueurs, et pendant longtemps on parla
encore de faire le procès aux vaincus. Les droits civils leur furent
interdits. »
Il est difficile d'entasser plus
d'infidélités dans un récit. L'historien réduit à quatre-vingts le nombre des
victimes assassinées sans combat, et les écrits du club en signalent deux
cents. Il n'y a eu d'autres prêtres égorgés dans les journées du mois de juin,
que les Capucins, victimes innocentes et étrangères à tout ce qui se passait.
Nous sommes à deviner quelles sont les représailles que les protestants,
auteurs, dans le seizième siècle, des massacres de la Michelade et du 15
novembre 1569, épargnés lors de la Saint-Barthélemy en 1572 (où, à Nîmes, il
n’y eut aucune victime) avaient à exercer dans le dix-huitième.
Une circonstance caractéristique de l'époque
prouve que les meneurs, loin de chercher à arrêter les événements du mois de
juin, durent réparer comme une crise salutaire sur laquelle ils comptaient. L'assemblée électorale, dirigée par deux
commissaires du roi, dont l'un était protestant, et l'autre entièrement dévoué
à la secte, présidée par un homme que les suffrages des religionnaires avaient
voulu porter à la mairie, n'interrompit point ses travaux. Immobile et
impassible devant les combats du 13, elle se borna, dans la séance du 14 , à
voter une adresse au roi et à l'assemblée nationale, pour lui rendre compte des
événements, adresse dont la rédaction fut confiée à des commissaires désignés par le président.
Bientôt son inaction parut le fatiguer, ou
plutôt elle dut en connaître toute la honte ; elle s'empare alors du pouvoir et
nomme une commission prise dans son sein, qui, sous le nom de comité militaire et de subsistances, est chargée de pourvoir en effet à la subsistance des troupes qui
inondaient la ville, et de faire, conjointement avec les commissaires du roi et
les officiers municipaux, tout ce qui pourra contribuer au rétablissement de l'ordre (1).
(1) Lorsqu'elle s'empara du pouvoir dans
la journée du 14 juin, il restait encore beaucoup de bien à faire. Le couvent
des Capucins n'avait point été forcé. Tous les massacres particuliers auraient
pu être évités ; mais on ne s'occupa que d'assurer, au contraire, la victoire à
un parti. Les commissaires nommés par l'assemblée furent MM. Chabaud-Latour,
Combet, Legrand, Du Jonquier, Chanut, Molines , de Gis-sac, Astier et Ribot.
Cette mesure prise, elle ne s'occupe plus que de détails indignes d'elle. Elle écoute les
déclarations d'un garde national qui vient attester que des
coups de fusil sont partis du couvent des Capucins, et les consigne dans son
procès-verbal. Un tambour lui rapporte 12 fr. ramassés sous les
fenêtres du couvent, et jetés, dit-on, au peuple pour le séduire (1).
(1) Le moyen eût été bien trouvé pour
arrêter une troupe de pillards et d'assassins ; mais, dans les moments de
désordre et de fureur populaire, les fables les plus absurdes sont accréditées.
Elle vote gravement des applaudissements en faveur
du tambour, et donne les 12 fr. aux pauvres, elle entend un sieur Robin,
catholique, que la frayeur emmène dans son enceinte, et qui vient rétracter l’adhésion
qu'il avait donnée à la pétition du 20 avril, signée dans l'église des pénitents.
De plus graves intérêts auraient dû occuper
rassemblée : le sang des citoyens coulait de tous côtés, le canon grondait à
ses portes, et puisqu'elle usurpait l'autorité municipale méconnue, elle aurait
dû aussi en assumer et la responsabilité et les devoirs ; elle aurait dû
s'élancer au milieu des armes et arrêter le massacre, en usant de l'ascendant
incontestable qu'elle avait, et qu'elle seule pouvait avoir sur les volontaires
étrangers (1).
(1) L'assemblée électorale, composée des
citoyens les plus influents de leurs cantons (puisqu'ils avaient été élus par
eus), avait et pouvait seule avoir, par l'ascendant personnel de ses membres
sur les corps qui arrivaient de toutes parts, le moyen ou d'en arrêter la
marche ou d'en diriger l'esprit.
Elle sentit, le 15, que sa cruelle immobilité n'était plus excusable, et prit avec emphase une délibération
pour se transporter en corps, dès le matin, précédée d'un détachement du
régiment de Guienne et d'un drapeau blanc sur l'esplanade, sur le cours, et
dans tous les lieux on stationnait l'armée d'occupation, afin de l'engager à s'abstenir de toute effusion de sang. Mais elle se borne à cette stérile démarche de parade (1) ; elle rentre, et
le massacre continue, et le club vous dit que le 15 est consacré à la
vengeance, et M. de Marguerittes atteste que le 15 et le 16 plus de trois cents
personnes périrent, et les assassinats ne s'arrêtèrent que parce que la garde
nationale de Montpellier, arrivée le 15 au soir, témoin des excès du lendemain
manifesta son indignation et fit connaître l'intention où elle était de faire
cesser le désordre.
(1)
On frémit d'indignation en lisant, dans le procès-verbal des séances de
l'assemblée électorale, que M. le président « a exhorté tous les braves
soldats nationaux à continuer leur vigilance, à s'assurer de la personne des séditieux et des
coupables, mais à s'abstenir de toute effusion de sang et de toute violence,
qui, répugnant sans cesse au cœur humain, le déchireraient plus cruellement
après le retour de la tranquillité publique, qui paraît en ce moment combler
les vœux des bons citoyens. Ces paroles de modération et de paix, portées de
rang en rang, remplissaient l'objet de la démarche de l'assemblée, et devaient
lui faire espérer qu'elles atteindraient à leur but. »
Est-ce là le langage de l'homme de bien
qui veut rétablir la paix ? Est-ce celui du magistrat courageux qui connaît ses
devoirs ?
Il est certain que, sans l’heureuse
intervention de cette légion, dont on avait cherché à arrêter la marche par les
mêmes moyens qui avaient fait rétrograder la garde nationale de Beaucaire, la
faux de la mort se serait promenée plus longtemps dans Nismes. Dès le lendemain
de son arrivée l'organisation de l'armée fut résolue : il fut arrêté que, sous
le prétexte de la récolte, on renverrait tous les habitants des campagnes,
qu'il eût été d'ailleurs impossible d'alimenter plus longtemps. Les forces que
l'on conserva dans Nismes furent réduites à trois mille hommes d'infanterie et
quatre cents hommes de cavalerie. On donna pour général à cette armée M. Aubry,
nommé en même temps colonel de la légion nismoise (1), et pour major-général M.
de Serre, commandant la garde nationale de Montpellier : M. d'Azémar prit le
commandement de la cavalerie, sous le titre de colonel-général.
(1) Aubry, capitaine au corps royal
d'artillerie, s'était mis à la tête des artilleurs qui attaquèrent la maison
Froment. Il remplit dans cette occasion les fonctions d'officier et de simple
canonnier ; il dirigea le feu : il méritait une récompense. Le club le fit
nommer colonel de la légion nismoise, et général des troupes fédérées ; il lui
obtint du ministre de la guerre l'autorisation de remplir ses nouvelles
fonctions en conservant son grade dans l'artillerie, et le mit peu de jours
après à sa tête, en lui conférant les honneurs de la présidence.
Mais on ne put se débarrasser des hordes
indisciplinées qui remplissaient la ville, qu'en leur donnant le spectacle
d'une revue et d'une fédération à laquelle assista le corps électoral ; et,
comme tout devait être contradiction dans ces jours de délire, le serment que l’on
fit prêter aux troupes n'est qu'un serment d'amour, de concorde et de respect
pour la royauté. Nous devons conserver ce monument bizarre, ce serment prêté par
des mains la plupart teintes de sang, si étranger aux lèvres de ceux qui le
prononçaient, sitôt oublié quant aux obligations qu'il imposait envers le
souverain (1).
.(1) « Français patriotes, citoyens
vertueux, nous jurons « devant l'Éternel de nous aimer en frères, de ne faire
tous qu'une même famille, de nous protéger mutuellement contre les efforts des
malveillants que l'erreur aurait mir en place ; de regarder comme mauvais
Français et mauvais citoyens tous
ceux qui manifesteront par paroles ou par écrit des principes contraires à la
nouvelle constitution acceptée ou sanctionnée par le roi, ouvrage célèbre de nos
dignes représentants, et que nous promettons de maintenir au péril même de
notre vie. Jurons, en outre, de ne jamais
donner nos voix pour aucune administration, à tout Français qui persisterait à
jeter de la défaveur sur la nouvelle
constitution.
Jurons encore de protéger nos
propriétés, de payer avec fidélité tous tes impôts établis par la sagesse de
nos représentants.
Déclarons traîtres et parjures tous ceux
qui osent dire que notre bon roi n'est pas libre , et que le bien inappréciable
qu'il fait n'est qu'une suite de la surprise ou de la violence. C'est contre ces traîtres-là
que nous promettons de déployer toutes nos forces.
Jurons, enfin d'obéir
à nos chefs, de nous retirer paisiblement, et
de ne jamais faire usage de nos armes que pour repousser, par la force, ceux
qui voudraient tenter de nous ramener sous notre ancienne oppression.
Eternel, souverain
des êtres ! toi qui lis dans nos cœurs, vois-y notre amour pour notre bon roi,
notre admiration pour ses vertus, et notre profonde reconnaissance pour ses
bienfaits. Nous ne chérissons la vie que pour la dévouer à son service, pour
coopérer à ses sublimes intentions, et pour la perdre pour lui, s'il le faut,
en sauvant sa gloire et son bonheur. Oui ! tels sont nos sentiments
inébranlables ; tels sont ceux de tous les Français, amis d'une sage liberté. »
Le triomphe complet de la
révolution, déjà assuré dans l'assemblée électorale, ne fut plus un instant douteux après ces affreuses journées. Tous les électeurs
catholiques, soupçonnés d'aristocratie, prirent la fuite, et fon peut se
convaincre par les procès-verbaux, que l'assemblée, qui comptait, le 13 juin au
matin, quatre cent trente-cinq électeurs présents, se vit réduite à deux cent
cinq le lendemain, et ne put jamais réunir, dans les dernières séances, plus de
deux cent quatre-vingt-quinze votants.
Dès le 14 au soir, on avait jugé convenable
de faire désarmer toutes les compagnies catholiques, même celles qui n'avaient
pris aucune part à l'action. On contraignit la municipalité à requérir tous les capitaines de ces compagnies de déposer leurs armes, et ils
obéirent. On fit des perquisitions exactes chez eux, on en fit chez Descombiés,
un des capitaines, qui avait payé de sa personne dans les combats du 13 et du
14, et l'on trouva chez lui tous les fusils de sa compagnie, jusques au
dernier. Le désarmement s'étendit dans la banlieue, et s'opéra encore par les
soins de la municipalité de Nismes. Les prisons regorgèrent de catholiques : il
suffisait d'un ordre du colonel de la légion, pour disposer de la liberté des
citoyens (1).
.(1) M. Vigne fut arrêté sans mandat de
justice, et ne fut décrété que plusieurs jours après son emprisonnement.
Un nommé Claude Delon est envoyé au fort
avec cette note, signée Aubry : il est certain qu'il sera décrété sous peu de
jours. Le malheureux y est oublié pendant six mois : à cette époque on ne
trouva pas même contre lui matière à décret et il fut relâché.
Le but des protestants fut rempli : ils
venaient de conquérir le pouvoir et d'asseoir leur puissance sur les cadavres
de ceux avec lesquels ils vivaient en frères deux jours auparavant.
Ils eurent une fausse alarme le 17. Les
communes catholiques des bords du Rhône apprirent que leurs coreligionnaires
étaient égorgés à Nismes ; elles se réunirent, et déjà s'étaient avancées
jusques à Remoulins ; mais, soit qu'elles fussent instruites
de l'inutilité du secours tardif qu'elles apportaient, soit qu'on fût parvenu à
les tromper sur la cause des troubles, cette troupe se retira : son apparition ne fit qu'augmenter les dangers des officiers municipaux
et la rage des vainqueurs (1).
(1) On lit dans le
Résumé des procès-verbaux : Vers les trois heures de l'après-midi, on bat la
générale. Le major de la légion nismoise entre alors avec plusieurs volontaires
dans la salle de la maison commune, où sont assemblés les officiers municipaux.
Il fait prendre de son pur mouvement les fusils qu'on y a déposés, et,
s'adressant à MM. Duroure et Pontier, il leur dit avec fureur : « Je vous
préviens, Messieurs, que, s'il y a quelque bagarre, vous serez les premières victimes
immolées. » A ces mots il pose deux sentinelles de plus à la porte, et leur donne la consigne de ne pas laisser sortir ces
Messieurs.
La dispersion de tout ce qu'il y a d'influent
dans le parti catholique, le sang qui a coulé, ne contente pas ces derniers.
Les formes judiciaires sont bientôt appelées au secours de l'autorité
arbitraire. Le procureur du roi, qui avait déjà témoigné tant de partialité dans
l'information sur les événements des 2 et 3 mai, reçoit des dénonciations, porte des
plaintes, fait entendre des témoins, mais uniquement contre la municipalité et
les catholiques. En vain des veuves, des orphelins dont les pères ont été massacrés,
s'adressent à lui : ils sont repoussés. Les prisonniers sollicitent plus
vainement encore cette justice qui a été si active pour les mettre dans les fers : plusieurs mois s'écoulent, et ils sont livrés à la torture du secret sans
pouvoir être écoutés. Les huissiers refusent de signifier des actes de déni de
justice ; le seul avocat courageux qui embrasse leur défense, M. Vimont, court
vingt fois le danger de perdre la vie : il est obligé lui-même de fuir.
Cependant la municipalité, quoique mutilée
reprenait courage ; elle offrait sa démission, mais restait à son poste et on
ne put lui arracher aucun acte qui démentît la noblesse de sa conduite (1).
(1) Il n'est sorte de vexations que l'on
n'ait fait à M. Ferrand, jusques à lui faire saisir ses meubles pour payer les
dépenses que les bandes de la Gardounenque avaient faites dans certaines
auberges. Nous reviendrons sur cette circonstance.
Nous devons un hommage à la mémoire de
cette municipalité courageuse , et c'est ici sans doute le moment de remplir
nos obligations ; mais il doit suffire de faire connaître ceux qui la
composaient, et de nommer : MM. Murjas ; le baron de La Baulme ;
Duroure ; Vincens-Valz ; Razoux ; Ferrand-de-Missol ;
Pontier de St-Gervazy ; Gas, négociant ; Gaillard ; Fornier de
la Magdelaine ; de Belmond ; chanoine ; de Cabrières ;
Grelleau ; Laporte ; Aigon ; Laurent ; Vidal, procureur de la
commune ; Boyer-Brun, substitut.
Ceux qui sont resté constamment à leur
poste, et que nous voyons figurer dans les délibérations postérieurement à la
bagarre sont : MM. Murjas ; le baron de La Baulme ; Duroure ;
Ferrand-de-Missol ; Ramona ; Gas ; Gaillard ; Grelleau ;
Laporte et Aigon.
M. de Belmond,
chanoine, avait vu ses jours si vivement menacés qu'il n'osa reparaître à
Nismes après les événements.
Le procureur de la
commune, M. Vidal, s'était sauvé au milieu des massacres, en se déguisant sous
les habits d'un garde national : il s'était réfugié à Montfrin, où il dressa
procès-verbal des dangers qu'il avait courus. Il parait qu'il s'éloigna de
Nismes.
M. Boyer fut député à
Paris par le parti catholique, pour faire connaître la vérité à l'Assemblée
nationale. Il y publia une foule d'écrits, et remplit sa mission avec un
courage dont il fut la victime.
Il n'est pas besoin d'ajouter que M.
Vincens-Vals ne courut aucun danger, et eut la plus grande influence dans
l'administration de la commune.
Elle informait et dressait des procès-verbaux
; elle recueillait le nom des victimes ; elle en put bientôt signaler cent cinquante-trois
par leurs noms, décrire leurs supplices : un plus grand nombre resta inconnu,
la chaux avait dévoré les cadavres. Le parti catholique voulut, de son côté,
faire connaître à toute la France les attentats dont il avait été la victime.
Les prisonniers élevèrent leurs voix ; la liberté de la presse en donna aux uns
et aux autres le moyen, et une foule de brochures, de mémoires, sous divers
noms, inondèrent le royaume, mais surtout Nismes et la capitale.
Les protestants cherchèrent séparer entièrement
la religion de la querelle qu'ils s'efforcèrent de présenter comme entièrement
politique. On rappela les religieux échappés aux massacres ; plusieurs d'entre
eux et notamment les Capucins reparurent : l'on
mendia inutilement auprès d'eux des certificats pour excuser un crime sans
exemple (1). La municipalité, de son côté, reçut leurs déclarations et entendit
leurs dépositions : nous sommes assez heureux pour pouvoir en offrir la copie
fidèle.
(1) On ne put obtenir des Capucins aucun
certificat contraire à la vérité ; mais ils rendirent justice à ceux qui les
avaient protégés ; ils attestèrent l'hospitalité généreuse qu'ils avaient reçue
de Paulhan. Deux d'entre eux, les pères Laval et Bernard, déclarèrent que la
compagnie qui s'était présentée le matin pour faire la visite du couvent,
s'était comportée avec beaucoup de décence et d'honnêteté.
Ce certificat fut imprimé et répandu
avec une note que nous copions littéralement.
« Il résulte bien évidemment de
cette pièce que les légionnaires n'avaient aucun mauvais dessein lorsqu'ils entrèrent, pour
la première fois, dans le couvent des Capucins, et que ce ne fut que les coups
de fusil partis dans l'après-midi du monastère qui provoquèrent la fureur des
légions, et furent la cause des malheurs qui s'ensuivirent. »
Il serait plus logicien de dire que, si
la visite du matin fut faite avec égard, c'est parce qu'on ne trouva rien qui pût
éveiller les soupçons, et que dès lors l'agression de l'après-midi n'eut aucun
prétexte.
Si la collision eût été purement politique,
eût-elle été, aussi sanglante ? Les catholiques qui ne faisaient pas partie des
combattants eussent-ils été arrachés de leurs maisons et massacrés ? Aurait-on
supprimé et désarmé toutes les compagnies catholiques sans distinction ? Les
auxiliaires eussent-ils été
tous protestants (1) ? Aurait-on empêché l'arrivée de la garde nationale de
Beaucaire ? Aurait-on cherché à retarder la marche de celle de Montpellier ?
(1) Le club a répété plusieurs fois dans
ses écrits, que de nombreux catholiques se trouvaient dans les rangs des étrangers
venus au secours de Nismes. L'énigme s'explique. Voyez ce que nous en avons dit,
précédemment du compte-rendu de M. de Marguerittes :
« M. de Marguerittes, dans son Compte-rendu,
dit :
« L'inexpérience d'un volontaire
étranger fait partir un coup de fusil au milieu des troupes campées à
l'esplanade, etc. »
Nous lisons dans le Résumé des
procès-verbaux de la commune :
« Sous le faux prétexte qu'on a tiré
quelque coup de fusil du couvent de ces religieux sur des volontaires campés à
l'esplanade, etc. »
Quand nous avons avancé que les coups de
fusil étaient partis dans la direction du Luxembourg, nous avons pour garants
la déclaration de plusieurs des religieux échappés au massacre, qui ont été
entendus comme témoins devant MM. Ferrand et Razoux, et surtout l'attestation
verbale que nous a donnée à nous-mêmes un des cénobites, dont nous avons déjà
signalé l'existence.
S'il nous est permis de donner notre
opinion, d'expliquer la mort de M. Massip, et de faire concorder le récit de M.
de Marguerittes avec la déposition des religieux, nous dirons que des
malveillants, postés autour du Luxembourg ou dans l'angle de la rue Notre-Dame,
tirèrent sur le rassemblement placé à l'esplanade plusieurs coups de feu qui
n'atteignirent personne, et n'avaient d'autre but que d'exciter un mouvement;
que ces coups de feu mirent l'épouvante dans la troupe, et que, dans le
désordre qui en fut la suite, la maladresse d'an légionnaire donna la mort à
Massip. »
Cependant, douze cents
familles fuyaient loin de Nismes ; leurs cris retentissaient dans les contrées
voisines, et il se formait à Jalès un camp fédératif des communes catholiques,
qui, imitant dans un autre but l'exemple qu'on lui avait donné, créa un comité
permanent, chargé de faire cesser l'oppression de ses coreligionnaires de
Nismes, et de solliciter auprès de l'Assemblée nationale la justice qu'ils
avaient droit d'attendre (1).
(1) Tous les faits ont été dénaturés : le rassemblement de Jalès, que l’on
a voulu faire considérer comme un rassemblement séditieux qui avait arboré la
bannière de la révolte, n'était qu'une réunion des gardes nationales des
contrées catholiques du Vivarais, qui, imitant l'exemple des protestants du
Bas-Languedoc, se fédéraient par députations, se donnaient des chefs, et
nommaient des commissaires chargés de faire valoir les réclamations du camp en
faveur des catholiques de Nismes.
Il ne faut
pas confondre cette première réunion avec les levées de bouclier de Charrier et
de Saillan, dont nous aurons occasion de parler.
C'est alors que l'on
s'efforça d'égarer de plus en plus l'opinion sur la nature de la querelle, et
que l'on commença cependant à parler
de réconciliation et d'amnistie.
Il parut, à la date du 4 juillet, sous le titre Adresse aux Nismois, un écrit qui prêchait la concorde (1) : les opprimés l'ont constamment
désavoué. Le directoire du département tint bientôt le même langage (2). Les
catholiques, au contraire, ne cessaient de réclamer justice mais, ils demandaient
d'être jugés par des magistrats moins partiaux que ceux de Nismes (3).
(1) Elle fut imprimée : l’affectation
que l'on y met à citer les textes des saintes Écritures, et la touche de
l'écrit, ne permettent pas de méconnaître son origine.
(2) Adresse à l'Assemblée nationale, du 3
septembre 1790, imprimée et répandue avec profusion.
(3) Les principaux accusés n'ont jamais
tenu d'autre langage. M. Folacher, dans une adresse à l'assemblée nationale
pour réclamer justice, disait : « Pour moi, à qui, l'honneur est plus cher que
la vie, je proteste de nouveau que je n'accepterai jamais d'amnistie, et que je
poursuivrai jusqu'à mon dernier
soupir les réparations que j'ai droit de prétendre. Malheur à ceux qui ont
intérêt à cacher la vérité, si, en me justifiant, je puis contribuer à la faire
paraître dans tout son éclat ! »
M. de Marguerittes, en terminant son
discours devant l'assemblée nationale, a demandé « amnistie pour tous à
l'exception de la municipalité et de lui », dont il a réclamé la mise en
jugement.
L'Assemblée nationale fut trompée sur les évènements,
ou plutôt voulut les faire tourner au profit de la révolution. Il est
impossible de douter de son erreur ou de sa partialité, lorsque l'on voit son
président, son organe, écrire, le 6 juillet, à M. Vigier pour le féliciter sur la conduite ferme et
courageuse de l'assemblée qu'il avait présidée, de cette
assemblée, témoin insensible et partial des massacres, quand un rôle si beau,
si humain, se présentait à elle.
De part et d'autre cependant on avait eu
recours à l'autorité des représentants du peuple souverain ; mais le rapport de
cette affaire fut retardé jusques au 19 février 1791, et les débats se
prolongèrent jusques à la fin du mois. Pendant tout ce temps, le club régna à Nîmes
en maître absolu ; les vexations continuèrent ; les prisons restèrent encombrées
: le parti de la révolution triomphait d'ailleurs avec trop de force à Paris,
pour que justice pût être rendue. Les protestants étaient servis à l'assemblée
par Rabaud-Saint-Étienne et Barnave. Ils furent protégés aux débats non
seulement par ces derniers, mais par Lavie, Merlin et Pétion. La défense de M.
de Marguerittes avait fait cependant la plus vive impression : le rapporteur, M.
Alquier, qui avait rédigé un projet de décret insultant pour la municipalité,
reconnaissait son erreur et consentait à la suppression des motifs qu'il avait
donnés ; mais on sut
paralyser habilement l'effet du discours de M. de Marguerittes en prolongeant
la discussion. Des faits avoués dans une première séance furent déniés peu de jours après ; la discussion
fut fermée quand les principaux orateurs du côté droit voulurent prendre la
parole ; cette partie de l'assemblée, indignée, déserta en corps la séance : on
profita de son absence pour aggraver par des amendements le sort des vaincus,
et l'assemblée ajouta à la rigueur des conclusions de son rapporteur (1).
(1) M. de
Marguerittes, qui dut prévoir le résultat de la discussion, changeant les
conclusions de son discours, tel qu'il a été imprimé, instruit d'ailleurs que
les vexations continuaient à Nismes, et qu'il aurait fallu, aux membres de la
municipalité en fonctions, un courage plus qu'humain pour résister aux outrages
dont ils étaient tous les jours abreuvés, offrit sa démission et celle de ses
collègues ; mais le parti vainqueur ne s'en contenta pas.
M. l'évêque de
Nismes, dans son opinion sur les événements du mois de juin, opinion qu'il fit
imprimer, demandait une amnistie générale du passé, une organisation nouvelle
de la garde nationale, et des éloges pour M. de Marguerittes et la
municipalité. Ce prélat écoutait le cri de la justice sans calculer les
obstacles qu'il devait rencontrer dans les passions tumultueuses qui agitaient
l'assemblée.
M. de
Clermont-Tonnerre adopta les conclusions de M. de Marguerittes : amnistie
générale, justice pour les officiers municipaux.
M. Cazalès pensait
qu'il fallait laisser un libre cours à l'action de la justice ; que c'était le
seul moyen de faire taire les ressentiments particuliers ; il voulait que les
deux partis fussent poursuivis devant un tribunal impartial : ce n'eût pas été
le compte des vainqueurs.
M.Barnave le sentit. Il prétendit que,
s'il fallait poursuivre tous les coupables, le nombre en dépasserait vingt mille, et que ce
serait une véritable guerre civile sous des formes judiciaires ; il soutint que
la municipalité devait être destituée, alléguant faussement qu'elle avait
favorisé le port de la cocarde blanche et la fabrication d'armes dangereuses.
Il combattit jusques à l'opinion du rapporteur, qui consentait à la suppression
du préambule du décret.
M. Garat l'aîné
voulut prendre la parole, et ne fut pas écouté. On refusa d'entendre la
réplique de M. de Marguerittes, malgré les réclamations de M. Madier de Montjau,
qui voulait que l'accusé eût toute latitude pour se justifier. La discussion
fut fermée : le côté droit indigné quitta l'assemblée, et deux amendements
proposés par MM. Lavie et Pétion, en termes injurieux pour la municipalité,
furent applaudis et adoptés.
Nous devons dire et nous pensons que les
événements d'Uzès, qui eurent lieu le 12 février 1791, et dont les récits défigurés
parvinrent à l'assemblée nationale pendant que l'on discutait l'affaire de
Nismes, durent influer sur la décision de cette dernière.
La municipalité fut destituée : une nouvelle
élection fut ordonnée, sans qu'aucun des
membres destitués ne pût être réélu. Les procédures commencées furent renvoyées
devant le tribunal d'Arles, mais
avec mandat de n'informer que contre ceux qui, le dimanche 13 juin, avaient
donné l'ordre de tirer sur les officiers municipaux et d'enlever le drapeau
rouge. Ainsi, les catholiques seuls demeurèrent exposés aux poursuites. La
vindicte publique n'eut point à s'occuper de l'assassinat de plus de trois
cents compatriotes; leurs meurtriers furent honorés, qualifiés du nom de vrais
citoyens, et aucun des maux soufferts par les innocents ne fut réparé.
-oOo-
> Version imprimable PDF
|
La Révolution à Nîmes, suite d'articles.
> La révolution à Nîmes Les massacres de juin 1790, la religion, le tribunal révolutionnaire, la guillotine et la Terreur
> Contact webmaster
|
|