Extrait des Martyrs de la foi rendant la Révolution Française
par l'Abbé Aimé Guillon, 1821, pages 119 à 125
NISMES.


Les terribles journées de juin 1790
La situation des catholiques du Languedoc, où les calvinistes étoient en plus grand nombre que dans les autres provinces de la France, avoit mis les premiers à môme de connottre mieux qu'ailleurs le projet que, dès 1789, les meneurs de l'Assemblée Constituante avoient conçu, de décatholiser la France, suivant l'expression de Mirabeau. La correspondance de lettres et d'intrigues qui existoit entre ces meneurs et les plus ardens religionnaires de la contrée, particulièrement de la ville de Nismes; les espérances que ceux-ci manifestoient sur le triomphe prochain de leur cause , par l'exécution du plan de décatholisation générale ; et, d'autre part, la manière équivoque et tortueuse dont l'Assemblée Nationale s'expliquoit sur l'antique religion des Français, alarmèrent justement les catholiques du Languedoc.
Si le caractère chaud et bouillant des habitants pouvoit faire soupçonner ces catholiques d'avoir mis une exagération évidente dans la manifestation de leurs alarmes, ils envoient été justifiés par les événements qui vinrent bientôt montrer qu'elles n'étoient pas vaines. Mais déjà ils avoient de justes motifs de craindre pour le règne de la Foi : le fameux ministre des protestans Nismois, qui étoit à l'Assemblée Nationale, Rabaud de Saint-Etienne , inondoit Nismes de brochures anti-catholiques autant qu'anti-monarchiques. En même temps, trois protestants, savoir: un nommé Mazel, dont le propos ordinaire étoit que, « depuis trop longtemps on parloit de Jésus-Christ et des Bourbons  » ; un nommé Dupuy-Rubaut et un avocat. appelé Griolet, publioient chaque jour en cette ville un Journal du soir au matin, qui laissoit entrevoir de sinistres desseins contre la Foi romaine et contre la Monarchie. Vers la même époque, un autre journal non moins effrayant, fait à Avignon par l'effréné Tournal qui contribua tant aux massacres exécutés l'année suivante en cette dernière ville ; le Courier d'Avignon annonçoit, d'un ton satisfait, qu'un armurier de Nismes venoit d'acheter à Saint-Etienne en Forez plus de quinze mille fusils; et les catholiques Nismois découvroient que cet achat formidable avoit été fait pour le compte des protestants de leur pays. Ceux-ci étoient les seuls dans Nismes qui fussent armés ; et ils avoient à leurs ordres tous les protestants, également armés, des villes, et des, campagnes du Bas-Languedoc et des Cévennes.
Environnés de ces préparatifs menaçais, les catholiques de Nismes sentirent leur foi s'élever au-dessus du danger, quand ils apprirent que l'Assemblée Nationale avoit rejeté avec une hypocrite supercherie la proposition de déclarer que « la religion catholique continueroit d'être la religion de l’État, et de jouir seule des honneurs du culte public. » Ils se réunirent dans l'église des Dominicains, et y résolurent de demander au Roi et à l'Assemblée Nationale, que la.religion catholique conservât l'honneur d'être la religion de l’État. Leur requête fut signée le 20 avril 1790, par cinq mille citoyens des trois ordres ; mais quand l'Assemblée Nationale en eut fait lecture, elle la traita d'écrit incendiaire, en accusant les signataires d'avoir eu des vues criminelles. Ces catholiques, pensant dans leur bonne foi qu'elle s'étoit méprise réellement sur leurs intentions, se rassemblèrent de nouveau pour développer la pureté de leurs motifs dans une déclaration raisonnée qu'ils envoyèrent avec une nouvelle adresse au Roi , le 1er juin suivant.
Dans le même temps les catholiques de Montauban, d'Alby, d'Usez, et d'autres villes de la même contrée, avoient pris de semblables délibérations, et envoyé de pareilles demandes à l'assemblée. Toutes disoient que « leurs alarmes n'étoient que trop justifiées par les efforts d'une espèce de philosophie qui ne craignoit pas d'enseigner dans ses livres élémentaires, que la religion, les lois, l'indissolubilité du mariage étoient des institutions antisociales. » Les meneurs de l'Assemblée Constituante jugèrent alors qu'il ne falloit pas tarder davantage à soulever ouvertement les protestants contre les catholiques de la ville de Nismes, où paroissoit être le foyer de tant de nobles réclamations du catholicisme. Rabaud de Saint-Etienne écrivit de Paris à son père, qui étoit dans Nismes « Il faut qu'il y ait du sang répandu ; n'importe le plus ou le moins : c'est le moment d'éclater », et la lettre lisoit cet ordre de carnage, fut bientôt connue dans la ville.
On se pressa si bien d'exécuter l'ordre reçu que, le 13 de juin, dès trois heures du matin, plus de six mille protestants des Cévennes, de la Vaunage et de la Gardonenque, appelés par ceux de Nismes, y arrivèrent; et cette ville commença ce jour-là même à devenir un théâtre de carnage. Du 13 au 16, plus de huit cents catholiques y périrent par le fer ou le feu des calvinistes qui, de leur côté, ne perdirent pas seulement vingt hommes dans le combat. Et cependant ces catholiques attaqués, massacrés, lorsqu'ils étoient encore sans armes, seront accusés d'avoir été les agresseurs, et même d'avoir formé le complot d'exterminer tous les protestants. Jusque à quand donc conservera-t-il ses grossiers prestiges, ce stratagème ordinaire des factieux, imputant constamment à leurs victimes l'intention d'avoir voulu les immoler eux-mêmes ?
Le premier acte de leur fureur s'étoit exercé contre le monastère des pauvres religieux capucins, sous le faux prétexte que c'étoit de chez eux qu'étoient partis les premiers coups de fusils tirés sur les protestants, mais plus véritablement pour la raison que, depuis longtemps, les protestants avoient résolu de se faire un prêche de l'église de ces pieux cénobites, et d'établir dans leur cloître, un séminaire de ministres calvinistes ; et voilà pourquoi l'église et le cloître avoient été envahis, profanés, dévastés, et cinq de ces humbles religieux atrocement assassinés : celui-ci aux pieds des autels, celui-là dans le cloître, et d'autres en leurs modestes cellules.
Ce ne fut pas le seul couvent, la seule église que pillèrent ces furibonds ; et il mentit bien impudemment le Courrier d'Avignon, lorsque, pour empêcher de croire que la haine de la religion catholique les eût animés, il assura que les vases sacrés n'avoient pas été profanés par les vainqueurs. Ils le furent très-notoirement dans plusieurs églises ; et quelques jours après, ne vit-on pas, à Massilhargues, des protestants de Nismes danser, vêtus en capucins, et affublés d'étoles, de chapes et de surplis, boire dans des calices à la santé de la Nation A Saint-Geniez, village de la Gardonenque , des protestants du lieu qui y avoient apporté en trophée l'ostensoir de la paroisse de Saint-Paul de Nismes, l'y promenoient au bout d'une pique en signe de triomphe.
Mais il n'entre pas dans notre plan de décrire tous les massacres et toutes les profanations qui eurent lieu dans Nismes en cette occasion. Le peu que nous en avons raconté se trouve exposé d'une manière uniforme par deux historiens d'opinions absolument opposées en matière politique. L'un est L. Prudhomme dans son Histoire des Crimes de la .Révolution, au tome III, page 189 et suivantes, où il parle de l'affaire de Nismes ; et page 225, où il raconte le massacre particulier d'une famille par des protestants à Nismes, le 15 juin de la même année. Le second historien est l'avocat Froment, dans son Mémoire historique et politique sur le massacre des catholiques de Nismes, les 13, 14, 15 et 16 juin, publié à Nice en 1790.
Entre ces deux écrivains se place avec une autorité non suspecte l'impartial Papon dans son Histoire de la Révolution française, en 6 vol. « On eut beau , dit-il (tom. II), dénoncer à l'Assemblée Nationale les meurtres et les pillages faits à Nismes par les protestants, les conjurés obtinrent que les plaintes fussent renvoyées au comité des recherches, où elles devoient rester ensevelies. Ce fut dans ce gouffre d'un oubli complaisant pour le crime, que furent engloutis les réclamations réitérées de la municipalité de Nismes, ses adresses et ses procès-verbaux.» Cependant, le 12 octobre suivant, M. de Marguerittes, maire de Nismes, et membre de l'assemblée, y demanda pie cette affaire fut enfin examinée, et qu'on poursuivit les coupables. Il insista d'autant plus, que leur impunité prolongée faisoit croitre leur audace, et que cette audace menaçoit même les officiers municipaux, au point qu'un protestant officier de l'état-major de la garde nationale de Nismes, venoit de dire hautement dans le club : «  La lanterne est trop douce pour eux ; il faut dresser un échafaud au milieu de la place dite de l'Esplanade, et les y faire expirer sur une roue de charrette. » Le côté gauche de l'Assemblée Nationale invoqua l'ordre du jour contre cette instance de M. de Marguerittes, qui répliqua vivement : «  L'ordre du jour! en est-il de plus pressant que celui-ci  ! » Un aussi noble mouvement d'indignation entrains l'assemblée à décréter que le rapport du comité sur cette affaire se feroit incessamment ; mais il ne le fut qu'en février de l'année suivante. Rabaud de Saint-Etienne et Barnave, protégèrent alors si chaudement la cause des leurs, que l'assemblée défendit de poursuivre la procédure commencée contre les assassins.
Quelques suppositions qu'on ait faites au désavantage des catholiques de Nismes, en attribuant à la chaleur des têtes languedociennes le tort de l'agression dont on vouloit qu'ils fussent coupables, ce ne put être que des conjectures aussi maladroites que mal-intentionnées, puisque le parti protestant se composoit aussi de tètes languedociennes dont -l'ardeur naturelle, d'ailleurs égale, ne pouvoit qu'être extrêmement augmentée par l'esprit essentiel d'une secte contraire qui, domptée depuis nombre d'années, se croyoit autorisée à se rendre enfin dominante.
Les anciennes histoires de Nismes expliquant très-bien le naturel commun et les dispositions diverses des Nismois protestants et des Nismois catholiques, dans tous les temps, depuis l'origine du calvinisme ; ces histoires, disons-nous, concourent à repousser tous les doutes qui pourroient être défavorables à ces derniers dans l'affaire du mois de juin. Deux traits vont nous suffire.
« En 1567, le jour de la Saint-Michel, 29 septembre, le signal en ayant été donné aux protestants de Nismes par leurs chefs, des chanoines, des prêtres, des religieux, le premier consul de la ville avec son frère, et un grand nombre de catholiques, furent impitoyablement égorgés et précipités dans un puits, dont l'eau surnageait, mêlée de sang. L'évêque fut dépouillé de ses habits distinctifs, de sa croix pectorale, de son anneau de pasteur, et trainé en pourpoint au lieu fatal. Les catholiques cependant parvinrent à l'enlever ; et, à la faveur d'un déguisement, il put se réfugier dans une ville voisine ; mais il y mourut bientôt de douleur d'avoir vu l'abomination de la désolation dans le lieu saint. L'église cathédrale avait été souillée, saccagée, et même démolie, ainsi que la maison du prélat et celle des chanoines. Le massacre qui avait commencé dans la nuit du 29 septembre, ne finit que le 1er octobre à midi ; et c'est là ce que les Nismois ont appelé la Michelade. L'assemblée des religionnaires du pays, s'en constituant alors souveraine, décida que l'argenterie de la cathédrale qui étoit d'un prix et d'un travail inestimables, seroit convertie en monnaie, et que les biens-fonds des églises seraient vendus aux enchères publiques : le tout au profit de la secte. L'adjudication de ces biens se fit en effet aux plus offrants, comme si c'étoient des propriétés dont les envahisseurs fussent les arbitres légitimes.
Lorsque, cinq ans après, fut ordonné dans plusieurs villes de France ce massacre d'odieuse mémoire dont partout les protestants devaient être les victimes, les catholiques de Nismes, oubliant tout ressentiment de la Michelade, et loin d'user de représailles en cette rencontre, donnèrent au contraire les plus sublimes exemples de la charité chrétienne. Bertrand de Luc, vicaire général, et Villars, premier consul, assistés des principaux catholiques, jurèrent la main levée à Dieu, de se prendre eux et les protestants en protection et sauvegarde réciproques, et de se maintenir dans la tranquillité les uns les autres sans distinction de religion. » (Ménard - Histoire de Nismes , tome V.)
Mais revenons à l'événement du mois de juin 1790, où tant de catholiques furent massacrés en haine de la Foi dont ils avoient fait des professions si courageuses dans leurs déclarations solennelles des 20 avril et 1er juin. Comme ceux d'entre eux auxquels nous consacrerons des articles nominatifs, avoient tous signé ces généreuses déclarations au péril de leur vie, nous aurons raison d'en conclure qu'ayant persévéré jusqu'à la fin dans les mêmes sentiments, et ayant été immolés en haine de la religion catholique, ils ont droit d'être admis dans le présent Martyrologue.

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La Révolution à Nîmes, suite d'articles
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