III
La Loi du 11 Prairial An III (30 mai 1795)
Les émeutes du 12 germinal an III (1er avril 1795)
et du 1er prairial (20 mai 1795) avaient abouti à une défaite du parti
jacobin. Bien qu'elle eût porté, le 12 floréal (1er mai 1715) un décret
punissant de mort les prêtres émigrés déjà rentrés en France ou qui y
rentreraient la Convention ne tarda pas à se montrer plus favorable qu’en
ventôse, à là tolérance religieuse. Lorsque le 11 prairial (30 mai 1795),
Lanjuinais, après avoir signalé la suppression des cultes comme une des
causes qui éloignaient de la République beaucoup de bons citoyens, proposa,
au nom des Comités de Salut Public, de Sûreté et de Législation, la
restitution des églises à leur ancienne destination, son projet fut approuvé
par la convention.
L'article 1er du décret stipulait : « Les citoyens
des communes et sections de communes de la République auront provisoirement
le libre usage des édifices non aliénés destinés originairement à l'exercice
d'un on de plusieurs cultes. Ils pourront s'en servir sous la surveillance
des autorités constituées tant pour les assemblées ordonnées par la loi que
pour l'exercice de leur culte. »
Par l'article 2, ces édifices étaient remis, à
l'usage des citoyens dans l'état où ils se trouvaient, c'est-à dire vides et
ordinairement délabrés, à la charge de les entretenir ou réparer.
Si des citoyens de la même commune exerçant des
cultes différents ou prétendus tels, réclamaient concurremment l'usage du
même local, ce local devait leur être commun et les municipalités, auraient à
fixer pour chaque culte les jours et heures les. plus convenables:
Mais la générosité de la Convention exigeait une
rançon à l'octroi de la liberté.
L'art. 5 portait : « Nul ne pourra remplir le
ministère d'aucun culte dans les-dits édifices à moins qu'il ne se soit fait
décerner acte, devant la municipalité du lieu où il voudra exercer, de sa
soumission aux lois de la République. Les ministres des cultes qui auront
contrevenu au présent article, et les citoyens qui les auront appelés ou
admis, seront punis chacun de mille livres d'amende, par voie de police
correctionnelle. (1) »
(1) Bulletin des Lois, n° 878.
A peine connue à Nîmes, cette loi reçut l'acte de
soumission prescrit de dix-huit prêtres. A leur tête, marchait M. de
Rochemore, vicaire général de M. de Balore, alors émigré à Constance. Détenu
à la Citadelle depuis le 18 brumaire an II (8 novembre 1793), M. de Rochemore
n'a cessé d'administrer le diocèse de Nîmes. Il n'a jamais quitté la ville
épiscopale, il sait combien le peuple tient aux cérémonies du culte public.
Il vient d'être rendu à la liberté et, sans avoir le temps de consulter son
évêque, il donne au clergé l'exemple de la soumission exigée par la loi du 11
prairial. Voici l'acte qui est inscrit sur les registres de la Municipalité
de Nîmes :
« Le vingt-un prairial, an troisième de la
République une et indivisible, se sont présentés devant le corps municipal,
en assemblée publique, les citoyens Pierre-Joseph Rochemore, Henri Paulhan,
Joseph Paulhan, André Calvet, François Soulier (ou Pontier), Louis Garcin,
Pierre-Nicolas Féraud, François Jouve (ou Jeune ou Jeano), Jean-Louis Manier
(ou Maury), Jean-Pierre Pagès, Pierre Nicolas, Charles Bouschet,
Hyacinthe-Joseph Gachier (ou Gautier), Jacques Puget, Henri Cornu, Etienne
Couturier (ou Coudurier), Jean Barthélemi Ruelle, Pierre Durand, lesquels ont
déclaré en conformité de la loi du onze prairial, présent mois, vouloir
remplir le ministère du culte catholique dans les édifices à ce destinés dans
la commune et se soumettre aux lois de la République, dont ils ont requis
acte que le corps municipal leur a donné conformément à la loi. (1) » (9 juin 1795).
(1) Original d'une lecture difficile aux Archives
municipales de Nîmes. D, 9, page 143. - Archives départementales du Gard, I
L. 8, 211.
Par cet acte, ces prêtres acquéraient légalement le
droit d'exercer publiquement le culte et rendaient plus sûre la
jouissance des églises déjà concédées. L'église Saint-Paul de Nîmes venait
d'être livrée au culte, pour la première fois après la tourmente, le jour de
la Fête Dieu (4 juin, 16 prairial.) La veille même de la soumission des
dix-huit prêtres, un arrêté municipal avait accordé provisoirement l'église
des Carmes à plusieurs pétitionnaires (20 prairial, 8 juin).
L'administration du département du Gard s'empressa
d'adresser une circulaire explicative de la nouvelle loi aux directoires des
districts de son ressort (24 prairial, 12 juin 1795),(1). La liberté des
cultes est consacrée pour toutes les religions, dit-elle, il n'y a ni
privilégie ni, faveur pour aucune, mais protection pour toutes. La
distribution des édifices nécessaires à l'exercice de chaque culte doit être
proportionnée aux besoins relatifs des diverses: croyances. Les districts
devront renseigner au plutôt le département sur la manière dont les
municipalités ont appliqué la loi.
Une lettre du Comité de législation du 29 prairial
communiquée aux districts, le 24 thermidor an III (11 août 1795) par Noaille,
procureur général syndic, exprime bien l'esprit libéral de la loi. Les
ministres du culte devront faire acte de soumission aux lois de la
République. Mais cette soumission exigée du déclarant ne se rapporte. pas au
passé :
Ainsi il ne doit être question d'aucune recherche
ni examen sur la conduite ou les opinions politiques du déclarant. La loi
n'exige de lui, à cet égard, qu'une seule chose, c'est qu'il demande, acte de
sa soumission aux lois de la. République.
Cette formalité étant remplie, l'administration qui
revoit sa déclaration n'a rien à lui demander au-delà toute recherche, toute question ultérieure
seraient un abus d'autorité. « Il serait inutile de vous observer que la
Constitution civile du clergé n'est plus une loi de la République, s'il ne
s'était élevé à cet égard des prétentions qui ne peuvent désormais être
autorisées. » (2)
(I) Arch. départementales. du Gard, 2 L 4, 35.
(2) Ibidem.
La loi du 11 prairial fut reçue dans le Gard avec
la plus vive faveur et porta la paix et le contentement jusque dans les
villages les plus reculés de nos montagnes. Ainsi la municipalité de Revens,
accusant réception de cette loi, des lettres du district et du département
sur l'exercice du culte, écrit au procureur syndic du Vigan : « Ce qui a
produit une joie sans égale à nous de voir que la Convention Nationale
continue à rétablir le libre exercice des cultes dans toute son intégrité et
de voir même que l'administration du département et du district y fixe son
attention. Et nous croyons bien que cela produira un grand effet pour la paix
et l'union entre tous nos frères, car nous pouvons vous observer que depuis
la destruction du culte et la clôture des temples, nous avons vu presque tous
nos concitoyens fort outrés, qu'il n'aurait fallu peut-être qu'un moment qui
leur eût paru favorable pour se révolter, certains. (sic). Et depuis le
rétablissement du culte, nous les avons vus devenir doux comme des agneaux. »
(2)
Dans la joie de la liberté religieuse reconquise,
legs citoyens, catholiques et protestants, s'empressent de demander aux
municipalités l'usage deus édifices du culte. Pendant l'été de 1795, on voit,
dans un bon nombre de communes du Gard, les églises se rouvrir et les
cérémonies du culte traditionnel s'y dérouler comme jadis. A Nîmes, nous
avons vu, quatre églises étaient déjà concédées aux catholiques, dès le 20
prairial ; l'église des Capucins, appelée alors paroisse Saint-Denis, ne
tarda pas à être de nouveau livrée au culte. De leur côté, dès le 27 prairial
(15 juin), les protestants furent autorisés par le Directoire du département
à reprendre le libre usage de leur culte dans la ci-devant église des
Dominicains (2) .
(1) Archives départementales du Gard, 9 L. 4, 32.
(2) Archives départementales du Gard, 1 L. 4, 32, n° 138.
Quarante jours après, trois pétitionnaires se
présentent devant la municipalité, au nom de la société des Protestants de la
commune, annoncent leur intention de célébrer leur culte dans la partie du
Grand Couvent vendue par la nation au citoyen Valz et promettent, tant pour
eux que pour leur commettants, la plus parfaites soumission aux lois de lia
République. (7 thermidor, 25 juillet) Ils firent l'ouverture de cette,
chapelle le dimanche 13 août (26 messidor an III): (1)
Alais la, Cathédrale fut réconciliée le jeudi 16
juillet, trois messes y furent célébrées, le dimanche suivant 19 juillet (2)
Les protestants, ayant acquis l'église des ci-devant Pénitents, exercèrent
leur culte (3).
A Uzès, les catholiques furent autorisés à jouir
'de trois églises : La Cathédrale, Saint-Etienne et Saint-Laurent (28
messidor, 16 juillet). Jean Giraud, Jean-Joseph Meyrueis, Barthélémy Bournet
furent les premiers prêtres qui officièrent dans ces églises. Le temple fut
rendu aux protestants, et le pasteur Bétrine si installa. (4)
A Saint-Gilles qui compte 5500 catholiques, 400
protestants et 60 cakers (sic), les catholiques ont arrenté les trois églises
du pays, la ci-devant Collégiale, celles des Pénitents Blancs et de la
Congrégation des filles. On proclame les lois, dans cette dernière, le jour
de la décade. Les abbés Henri Boissier, Mathieu Laty et Pierre Clavière,
après avoir fait l'acte de soumission obligatoire le 2 messidor (20 juin
1795) exercent leur culte dans l'ancienne Collégiale. Il ne s'est présenté
aucun ministre des autres cultes, (5).
(1) Archives départementales du Gard, 1 L 4, 22. - Borel,
Histoire de l'Eglise réformée de Nîmes, page 458.
(2) Recherches historiques sur Alais, page 130. - Goiffon,
Monographie, Alais, page 94.
(3) Arch. dép. du Liard, 2 L, 4, 35.
(4) Marcel Fabre. Le culte de la Raison et de l'Etre
suprême à Uzès-- Revue duc Midi, 1913, page 465.
(5) Archives départementales du Gard, 4 L 4, 65.
Parmi les principales églises qui furent rouvertes,
à cette époque, signalons la Collégiale Notre-Dame
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