IV
La Réaction jacobine
Soupçonneux et ombrageux de sa nature, l'esprit
jacobin se réveilla à la vue du renouveau religieux. Il trouva des prétextes,
sinon des raisons; dans les imprudences du clergé réfractaire, en plusieurs
départements comme dans le Gard : rentrée de quelques prêtres émigrés, refus
de plusieurs de faire l'acte de soumission demandé, prétention d'exercer
quand même le culte public, hostilité ouverte contre tes soumissionnaires et
les constitutionnels. M. de Bausset fait retomber en partie le réveil de la
haine mal assoupie du gouvernement (1) sur ces hommes inquiets, qui ne surent
user de la liberté que pour agiter des questions indiscrètes, pour faire un
mélange grossier et incohérent des idées politiques et des principes
religieux, pour transporter le sanctuaire sur le sommet des volcans. (1)
C'était faire le jeu des révolutionnaires : ceux-ci, pour s'assurer le
pouvoir et perpétuer leur oeuvre, font décréter par la Convention que les
deux tiers du nouveau Corps législatif devront être pris parmi seps membres.
(5 et 13 fructidor an III, 22 et 30 août 1795). Confiants dans l'avenir ils
peuvent maintenant se livrer à leur passion antireligieuse et votent la loi,
du 20 fructidor (6 septembre 1795).
Par cette loi, la Convention charge ses Comités de
gouvernement de faire observer, par tous les moyens qui sont en son pouvoir
les lois rendues précédemment contre les prêtres déportés et rentrés sur le
territoire de la République, ils sont déclarés bannis à perpétuité (art.
1er). «Les ministres des cultes qui ayant refusé l'acte de soumission
exigé par la loi du 11 prairial, ou ayant ajouté des restrictions à cet acte,
ou l'ayant rétracté exerceront encore un culte quelconque dans les édifices
publics ou dans les maisons particulières ou partout ailleurs, seront sur le
champ arrêtés et conduits dans les maisons de détention d'un des départements
les plus voisins de leur domicile. » (article 111) (2).
Ainsi, voilà de nouveau les prêtres insermentés
frappés d’ostracisme : toute restriction à la formule du 11 prairial est
déclarée nulle, à tout prêtre qui n'a pas souscrit cette formule est interdit
non seulement le culte public, mais même le culte privé.
(I) Exposé des principes sur le serment de liberté et
d'égalité et sur la déclaration exigée des ministres du culte, par la loi du
7 vendémiaire an IV. Seconde édition, p. 45.
(2) Bulletin des lois, vol. V, n• 1084; Duvergier,
Collection des Lois, t. VIll, p. 325.
Cette loi du 20 fructidor ne devait pas rester
lettre morte, elle favorisait si bien les passions jacobines qui avaient paru
un instant sommeiller. Les divers organismes révolutionnaires entrent aussi
tôt en jeu : le Comité de Sûreté générale (23 fructidor), la Commission des
administrations civiles, police et tribunaux (3e jour complémentaire an III)
écrivent aux départements pour presser l'exécution de la loi. Fidèle à ces
diverses instructions, le Directeur du département du Gard se fait rendre
compte, par son Procureur général syndic de l'exercice des cultes dans
l'étendue de son ressort. (6 vendémiaire an IV, 28 septembre 1795) (1) Les
municipalités n'ont pas toutes montré de l'empressement à transmettre les
déclarations des ministres des cultes, on se plaint de la publicité donnée au
culte en diverses localités les municipalités sont coupables de n'avoir ni
empêché ni dénoncé cette publicité.
Considérant que toute indulgence devient un crime
quand la loi a prononcé, qu'un ménagement quelconque peut compromettre le
salut et la république dans 'un moment surtout où ses ennemis se liguent pour
l'anéantir, le Directoire prend un arrêté sévère.
Dans les 24 heures après la réception de cet
arrêté, les municipalités du ressort devront adresser aux administrations de
leurs districts des expéditions des déclarations qu'elles ont reçues des
ministres des cultes, en exécution de la loi du 11 prairial. (art. 1er)
Il leur est défendu de recevoir les déclaration des
individus compris sur la liste des émigrés jusqu'à ce qu'ils aient obtenu
leur radiation (art. 2). L'exercice d'un culte quelconque n'est autorisé qu'à
l'intérieur des édifices à ce destinés, tout acte extérieur du culte est
punissable (art. 3). Il est défendu de sonner les cloches pour le service du
culte. En cas de contravention, le sonneur et les officiers municipaux seront
poursuivis (art. 4). A l'expiration du délai fixé par l'article 1er de la loi
du 20 fructidor dernier, les Municipalités feront arrêter les prêtres
déportés rentrés dans le territoire de la République et qui n'auraient pas
profité du bénéfice de la loi.
(I) Archives départementales du Gard, I L 5, 10, p. 154,
n-196.
Ils seront traduits devant le Tribunal criminel du
département, qui pourra prononcer contre eux les peines portées par les lois
contre les émigrées. (art. 6)
Le délai de quinze jours prévu par la loi du 20
fructidor étant expiré au moment de l'application de l'arrêté du 6
vendémiaire, on pouvait donc faire la chasse aux prêtres émigrés rentrés dans
leur patrie.
Trois semaines après la loi du 20 fructidor, la
Convention décrétait de nouvelles entraves à la liberté religieuse dans une
loi en 33 articles sur l'exercice et la police extérieure des cultes. C'est
la loi du 7 vendémiaire an IV (29 septembre 1795). Un article punissait les
outrages au culte (article 2). C'était l'unique disposition libérale. Il est
exigé de tout ministre un nouveau serment civique ainsi conçu :
« Je reconnais que l'universalité des
citoyens français est le souverain, et je promets soumission aux lois de la
République. » (art. 6)
Toute addition ou toute restriction à cette formule
est considérée comme nulle et non avenue. Tout individu qui exercera le culte
sans avoir fait cette déclaration sera condamné à l'amende, à
l'emprisonnement, et en cas de récidive à dix ans de gêne (art. 7). Le
bannissement à perpétuité devait punir toute rétractation ou modification du
serment civique (art. 8). .(1)
(1) Bulletin des lois, n-1134. - Duvergier, Collection
des lois, t. VIII, p. 364.
Cette loi, en exigeant un nouveau serment civique,
mettait la conscience des prêtres en face d'un problème troublant à résoudre
dans leur for intérieur et occasionnera dans notre département la fermeture
de la plupart des églises, dès le commencement de novembre. La persécution
religieuse va reprendre comme aux plues mauvais jours. Repentante du pieu de
liberté laissé à l'Eglise, la Convention ne veut pas partir sans renouveler
contre les catholiques ses lois tyranniques. En vertu de son décret du 3
brumaire an IV (25 octobre 1795), « les lois de 1792 et 1793 contre
les prêtres sujets à la déportation ou à la réclusion seront exécutées dans
les vingt-quatre heures de la promulgation du présent décret et les
fonctionnaires publics qui seront convaincus d'en avoir négligé l'exécution
seront condamnés à deux années de réclusion. (art. 10) (1)
Enfin le lendemain 4 brumaire an IV (26 octobre
1795) la Convention, avant de se séparer voulut assurer l'impunité eaux
crimes commis par seps membres et par ses partisans, elle vota une amnistie
générale. Mais de cette mesure gracieuse, elle eut bien soin d'excepter, avec
les complices de la journée du 13 vendémiaire et les émigrés, les prêtres
déportés ou sujets à la déportation (2). Une heure après cette dernière
manifestation de sa haine, religieuse, la Convention avait vécu (4 brumaire
an IV). Par cet acte suprême, elle permettait à des scélérats du Gard, tells
que Pallejay, Pélissier et Gisquet d'échapper au châtiment de leurs forfaits
(2) et condamnait à la geôle les confesseurs de la foi.
Pendant les quinze mois écoulés depuis le 9
thermidor an II (27 juillet 1794), l'esprit jacobin et l'esprit
libéral avaient tour à tour régné à la Convention au gré des circonstances
politiques. Les lois du 3 ventôse et du 11 prairial, malgré leurs
restrictions, avaient fourni l'occasion à la foi chrétienne et au sentiment
religieux, naguère comprimés par la Terreur, mais toujours vivaces, de se
manifester hautement, de se livrer avec enthousiasme aux exercices du culte
public. Les derniers décrets de l'Assemblée expirante allaient, pour un
temps, arrêter ces heureux effets, provoquer de nouvelles rigueurs contre les
prêtres insermentés et la fermeture des églises. La voie de la persécution
religieuse était donc ouverte au Directoire exécutif.
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