Le député Alquier
L'AFFAIRE DE NÎMES, 1790
réponse du député Alquier

Réponse au Rapport de M. Teissier-Marguerittes, député du Gard
fait à l’Assemblée Nationale le 31 octobre 1790 par
Charles-Jean-Marie Alquier (*).
extrait du Moniteur Universel n° 52, du Lundi 21 février 1791, pages 433 à 435.

 

(*) NDLR : « Charles-Jean-Marie Alquier, né à Talmont (Vendée) le 13 octobre 1752, mort à Versailles, le 3 février 1826, avocat, magistrat, homme politique et diplomate français. Franc-maçon, il signe à l'installation de la loge l'Harmonie à La Rochelle (1779).
Aux États généraux de 1789, Alquier se montra le champion des idées nouvelles, et se signala à l'assemblée par son anticléricalisme.
À l’Assemblée nationale, il prononça un rapport sur la collision sanglante que les premiers décrets de l'Assemblée avaient fait éclater à Nîmes entre les catholiques et les protestants, détermina la formation d'une nouvelle municipalité, provoqua la poursuite des agitateurs qui s'étaient opposés à la proclamation de la loi nationale, et fit annuler les procédures commencées sur les autres événements du mois de juin 1790. (sources Wikipedia)»
 
Affaire de Nîmes.
M. Alquier rend compte, au nom des comités des recherches et des rapports, de tous les événements arrivés à Nîmes depuis le 2 mai 1790 (Il est impossible de le suivre dans les détails de ces faits, dont le récit a duré cinq heures. Nous nous bornons à extraire la dernière partie de ce rapport.)
 
M. Alquier… Tel est le tableau trop étendu, mais trop vrai, des malheurs de Nîmes. Beaucoup d’autres crimes, sans doute, ont été commis ; c’est une vérité qu’on entrevoit avec effroi, et les horreurs que je vous ai retracées ne rendent que trop vraisemblables tous les genres de forfaits.
Je crois vous avoir démontré, dans la première partie de mon rapport, que la division qui régnait à Nîmes, que les troubles du 2 ou du 3 mai étaient l’effet des insinuations artificieusement suggérées par un parti de factieux qui, en alarmant le peuple sur l’anéantissement du culte catholique et sur la prétendue captivité du roi, avaient pour but de soulever l’opinion publique contre les lois qui nuisaient à leur intérêt personnel. Les évènements qui ont suivi, et dont les résultats ont été si douloureux, ont encore la même cause. En effet dans l’histoire des malheurs de Nîmes vous retrouverez partout les traces du fanatisme et de la révolte au milieu des mouvements inséparables d’une grande révolution. Nîmes avait joui de la plus parfaite tranquillité ; toutes les opinions, tous les intérêts s’étaient rapprochés à une époque que je ne ferai que rappeler : la convocation des états généraux. Les cahiers de la province avaient été rédigés en commun ; on ne s’était occupé des protestants que pour adoucir leur sort ; ils étaient si peu suspects que plusieurs d’entre eux furent députés, et il semblait que rien ne pût altérer la paix dans un pays où toutes les distinctions, soit politiques, soit religieuses, s’étaient confondues dans le zèle public. Ce n’est qu’au mois de novembre, et, il faut le dire, ce n’est qu’à l’époque de vos décrets sur le bien du clergé que la fermentation se manifeste à Nîmes. Alors paraissent des écrits incendiaires, alors on alarme le peuple sur le sort de la religion ; on excite sa fureur contre les protestants ; sous le voile des alarmes religieuses, des projets sinistres se manifestent. De tels desseins veulent être protégés dans leur accroissement ; il ne faut pas que dans leurs développements ils éprouvent des contrariétés. La municipalité va être formée ; sa surveillance pourrait être funeste ; il est important que des opinions contraires à celles des factieux n’y dominent pas, et des prêtres s’emparent des élections. Ils emploient la religion pour abuser et l’argent pour corrompre ; ils forment à leur gré le corps municipal, et, forts de l’autorité de leurs créatures, ils ne mettent plus de bornes à leur audace.
Elle s’accroît bientôt par les troubles qu’occasionne dans la légion un règlement de la municipalité ; des assemblées nocturnes dans les églises, une délibération séditieuse ne sont points réprimées ; des moines colportent publiquement, impunément, des écrits affreux qui appellent la guerre civile. Tout annonce des préparatifs ; les protestants sont menacés, des armes prohibées sont fabriquées en grand nombre. La ville retentit des cris de vive la croix ! à bas la nation ! La cocarde blanche est arborée, elle occasionne une émeute. On la quitte, mais on lui substitue une distinction particulière à laquelle se rallie le parti séduit par les factieux, parti ouvertement favorisé par trois municipaux dont les discours et la conduite ne laissent pas de doutes sur les motifs de cette protection. Une nouvelle délibération du 1er juin 1790 confirme celle du 29 avril. Plus coupable encore, elle annonce une coalition déjà formée, et la municipalité n’agit pas. La distinction du Pouf rouge entretient l’animosité dans la légion ; elle éclate le 13 juin. Les dragons protestants sont attaqués ; les chefs des factieux se retranchent dans les fortifications ; ils tirent sur les officiers municipaux. Deux fois ils enlèvent le drapeau rouge, deux fois ils s’opposent à la publication de la loi martiale, qui eût fait cesser le désordre, et donnent ainsi lieu à tous les forfaits qui se sont commis, soit dans la ville soit dans les campagnes voisines. Voilà, je le répète, l’ouvrage du fanatisme et de la révolte ; voilà ce qu’auraient dû prévenir la sagesse, le zèle et le patriotisme des officiers municipaux, et ce qu’a produit leur faiblesse ou leur complicité.
Rapprochez du tableau que je viens de vous représenter les évènements qui, à la même époque, se passaient dans quelques autres grandes villes de la même contrée ; vous voyez partout les mêmes agents, les mêmes citoyens, la même marche ; partout les délibérations des soi-disant catholiques deviennent les manifestes de la guerre civile, et la cocarde blanche le signe de l’insurrection. Rappelez-vous encore les troubles que, dans les mêmes temps, on fomentait à Toulouse, ceux que l’on craignait à Paris pour le mois de mai, et vous jugerez que les évènements qui se sont passés à Nîmes tiennent à des projets plus vastes, que la surveillance des corps administratifs et le courage des gardes nationales ont heureusement déconcertés.
On a publié que les protestants avaient excité les troubles de Nîmes : cette assertion est répétée dans vingt libellés. Pour donner quelque vraisemblance aux projets que l’on a feint d’attribuer aux non-catholiques, on a rappelé des évènements passés et consacrés par l’histoire des guerres de religion ; et c’est par ce rapprochement perfide qu’on est parvenu à persuader au peuple que les protestants devaient égorger tous les catholiques, établir des républiques fédératives en France, et placer à Nîmes le centre des relations politiques et religieuses du calvinisme. Ils ont été en butte à la haine d’un parti aussitôt qu’un parti s’est formé contre la constitution, à l’époque de vos premiers décrets sur les biens du clergé, et devenus l’objet d’un vil ramas de calomnies artificieusement pratiquées contre eux pour exciter des troubles et faire éclater la contre-révolution même. Il est faux qu’ils aient été des agresseurs dans la journée du 13. Les vingt dragons postés à l’évêché étaient tous protestants ; douze seulement étaient alors au poste ; ils furent provoqués par un billet et attaqués par des hommes à houppes rouges. Ce furent les dragons qui réclamèrent la proclamation de la loi martiale et qui contraignirent même les officiers municipaux à sortir avec le drapeau rouge. Cette marche il faut l’avouer, n’annonce pas les agresseurs. On les accuse d’avoir expédié des courriers dans la nuit du 13 au 14 juin 1790 pour de procurer des secours. J’ignore si le fait est vrai, mais il est vraisemblable, car les mêmes précautions furent prises par le parti contraire. Froment et Descombier écrivirent à M. Bonzol pour obtenir des troupes : on fit sonner le tocsin dans les villages voisins ; on publia même, et c’était alors une insigne fausseté, que les Capucins avaient été égorgés, et, à la demande de plusieurs hommes à houppes rouges, envoyés de Nîmes, les habitants prirent les armes. Il n’est donc pas vrai que les protestants aient excité les troubles de Nîmes et qu’ils aient été les agresseurs ; cela n’est même pas vraisemblable. Je ne vous rappellerai pas l’infériorité de leur nombre, qui, comparativement, est pour la ville de Nîmes, comme 1 est à 3, et pour le surplus du département, comme 1 est 8 ; mais je demanderai quel intérêt avaient les protestants à exciter des troubles ; qu’avaient-ils à regretter, que perdraient-ils ? Ce n’est point aux protestants que la révolution enlevait des privilèges flatteurs, des dignités éminentes, un rand éclatant dans la contrée, des richesses immenses ; ils gagnaient tout à la révolution, ils devaient la bénir, car ils étaient privés de tout sous l’ancien régime. Ils recouvraient la plénitude des droits civils, et, voués aux manufactures et au commerce, ils désiraient la tranquillité publique et voyaient avec transport s’établir parmi eux un gouvernement libre, dont l’heureuse influence devait ajouter à leur fortune en agrandissant leurs relations commerciales. De tels hommes n’ont pas excité les troubles de Nîmes ; et cependant, ils ont été accusés d’avoir prémédité les plus affreux attentats, et les crimes commis pendant la guerre, qui a véritablement existé pendant quatre jours à Nîmes, ont été annoncés à la France entière comme le fruit d’un projet longtemps réfléchi.
Enfin nos comités ont été convaincus jusqu’à l’évidence que les troubles de Nîmes, excités par un parti opposé à la révolution, ont pris leur source dans la différence des intérêts et des opinions politiques, et nullement dans la diversité des opinions religieuses. Vous êtes sans doute touchés, comme ils l’ont été, des malheurs d’un peuple qu’on a égaré ; vous plaignez surtout ces hommes utiles et vraiment estimables, ces artisans et ces travailleurs à la terre qui, plus faciles à séduire et dévoués avec le plus d’ardeur à servir des projets dont on leur cachait la perfidie, ont éprouvé tant de pertes et tant de malheurs dans les fatales journées des troubles du mois de juin. Enfin, vous sentez qu’il est temps de rétablir la paix dans Nîmes et dans les départements voisins ; que toutes les mesures qui pourraient développer avec force le sentiment encore vif de leurs maux dans les habitants de cette malheureuse contrée doivent être repoussées comme une calamité publique. M. Teissier (dit Marguerittes) demande que la procédure soit continuée, il offre la preuve d’un long amas de crimes commis, dit-il, par des protestants, et dont-il vous distribué le tableau et les détails. Vos comités ont pensé qu’une telle mesure produirait l’effet le plus funeste, qu’elle réveillerait l’esprit de parti et les haines que le temps a peut-être amorties. Si des crimes sans nombre ont été commis à Nîmes pendant la guerre qui a duré quatre jours, il y a aussi des milliers de coupables. Les étrangers venus à Nîmes sont ceux dont la violence et dont la rage ont été les plus funestes ; ils sont maintenant répandus dans différentes municipalités, dans différents districts ; l’information couvrirait un territoire immense et répandrait de toutes parts l’inquiétude et l’effroi. D’ailleurs, que pourrait attendre la justice d’une information où la vérité n’aurait d’autre organe que celui des coupables ou des victimes ? Doutez-vous que le parti qui demande à grands cris qu’on suive la procédure ne soit pas préparé à cette nouvelle guerre, et que la vengeance n’ait pas déjà désigné ses victimes ? Épargnons aux habitants de Nîmes et de nouveaux malheurs et de nouveaux crimes peut-être ; déjà trop de sang et trop de larmes ont coulé ! Ensevelissons dans l’oubli le souvenir de désastreuses journées. Invitons les habitants de Nîmes à se réunir, à confondre leurs sentiments et leurs vœux, à chercher les douceurs de l’union la plus inaltérable et dans la tranquillité publique la consolation des malheurs dont ils ont été victimes. Cependant, vos comités ont cru devoir fixer vos regards et votre sévérité sur quelques coupables qui leur paraissaient devoir être responsables à la France entière des événements déplorables arrivés les 14, 15 et 16 juin 1790. Vous vous rappelez l’enlèvement du drapeau rouge, les violences exercées pour empêcher la proclamation de la loi martiale, les coups de fusil tirés sur l’escorte des officiers municipaux. Un attentat a seul causé les meurtres nombreux commis pendant quatre jours ; il a coûté la vie à plus de deux cents citoyens, et vos comités l’ont regardé comme impardonnable. Il n’y a plus de sureté, plus de force publique, si la loi martiale est repoussée par la violence, et ci ce crime qu’on devrait regarder comme lèse-nation, peut jamais être soustrait à la vengeance des lois. D’après ces considérations, vos comités m’ont chargé de vous présenter le projet de décret suivant :
« L’Assemblé nationale, après avoir entendu son comité de recherches et des rapports, considérant que l’élection de la municipalité de Nîmes a été l’effet de l’intrigue et de différentes distributions ; que cette municipalité a favorisé les troubles en permettant qu’on arborât publiquement la cocarde blanche, en ne réprimant pas les propos séditieux manifestés par les délibérations des 20 avril et 1er juin ; considérant que les évènements désastreux qui se sont passés dans cette ville le 29 mars, les 2 et 3 mai, 13, 14, 15 et 16 juin 1790, ont été l’effet des séductions employées par les ennemis du bien public pour égarer le peuple et troubler la paix du royaume ; considérant que la plus grande partie de ces malheurs n’aurait pas eu lieu si la proclamation de la loi martiale n’avait pas été arrêtée le dimanche 13 juin ; que ceux qui ont provoqué et commis des violences contre les officiers municipaux qui la proclamaient sont seuls responsables de tous les délits qui ont suivi, et doivent en être considérés comme les seuls auteurs, décrète :
Article I. Qu’il sera procédé à l’élection d’une nouvelle municipalité ; que le roi sera prié de donner à cet effet les ordres nécessaires au procureur syndic du district, et de faire passer à Nîmes des forces suffisantes pour assurer la liberté et la tranquillité des élections ;
II. Qu’il sera informé devant le tribunal de Montpellier, et à la requête de l’accusateur public, contre ceux qui, le dimanche 13 juin, se sont opposés à la proclamation de la loi martiale, ont dispersé à coup de fusil l’escorte des officiers municipaux, ont enlevé deux fois les drapeaux rouges, et ont entraîné et retenu de force dans une maison l’officier municipal chargé de la proclamation.
III. Que la procédure commence sur les autres événements des 13, 14, 15 et 16 juin, ainsi que celle qui sont relatives aux journées du 29 mars, 2 et 3 mai, cesseront d’être poursuivies et seront regardées comme non avenues ; en conséquence, que les accusés actuellement décrétés seront incessamment mis en liberté.
IV. Enfin l’Assemblée nationale, profondément touchée des malheurs et des pertes dont les citoyens de Nîmes ont eu à souffrir, les invite à se prémunir contre les suggestions qu’on pourrait employer encore pour les désunir et pour les plonger dans de nouveaux troubles ; elle les exhorte à sacrifier, pour le bien de la paix, le souvenir et le ressentiment de leurs maux, et à chercher dans l’union la plus durable et dans la tranquillité publique la consolation et l’oubli des malheurs qu’ils ont éprouvés pour avoir ajouté foi aux perfides inspirations de quelques hommes malintentionnés. »


La Révolution à Nîmes, suite d'articles.
> La révolution à Nîmes   Les massacres de juin 1790, la religion, le tribunal révolutionnaire, la guillotine et la Terreur



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