LE CULTE CATHOLIQUE
dans le Gard sous la Convention Thermidorienne
par M. le Chanoine Albert Durand, 1922

 
II
 
La Séparation de l'Église et de l'Etat
 
Mais jusqu'ici, et pendant toute la durée de la mission du représentant Perrin, rien n'est changé dans la politique religieuse de la Convention. Aucune loi persécutrice n'a été abrogée, elle ne désavoue ni les représentants en mission, animés encore de l'esprit jacobin, ni les autorités locales qui se plaisent eaux mesures tracassières et vexatoires. Elle avait manifesté seulement de la bienveillance aux ci-devant ministre du culte (1) en décrétant que les pensions précédemment accordées, mais suspendue depuis le 1er germinal (21 mars 1794), leur seraient de nouveau payées ainsi que les deux trimestres en retard (18 thermidor, 5 août 1794). Le deuxième jour des sans-culottides, de l'an II (18 septembre 1794), Cambon, dans un rapport sur les finances, fit adopter un décret dont l'article 1er était ainsi conçu :
 
La République ne paie plus les frais ni les salaires d'aucun culte.
 
La motion est adoptée sans débat. Ainsi s'inaugure, en France, un régime inconnu jusqu'alors chez toutes les nations, la séparation de l'Église, et de l'Etat, régime en vertu duquel l'Etat ne reconnaissant aucun culte doit rester étranger à toute manifestation religieuse. Par cet acte, la Convention déchire les engagements solennels de la Constituante qui s'était emparée des biens de l'Eglise, mais en garantissant la dotation du clergé comme une dette nationale. (2)
 
La Convention restait donc hostile à la tolérance. Aussi quand le 1er nivôse (21 décembre 1794), Grégoire, l'Evêque constitutionnel de Loir et Cher, vint à la tribune lire son fameux discours sur la liberté des cultes, couvrit-elle la voix de véritables, hurlements, l'on décréta l'ordre du jour aux cris répétés de Vive la République et en agitant les chapeaux comme l'on faisait pour célébrer une victoire (3). Dix-huit jours plus, tard (22 nivôse an III, 11 janvier 1795) elle votait un décret très sévère contre les prêtres insermentés qui rentreraient en France.
 
(1) Quelques districts crurent ne devoir payer la pension qu'à ceux qui avaient renoncé au sacerdoce; cette interprétation ne prévalut pas e: les prêtres non abdicataires, qui avaient prêté le serment de liberté égalité, reçurent la pension à laquelle Ils avaient droit. Ce décret ne vise que les pensions, quant au traitement du clergé constitutionnel, il était à la charge des municipalités.
(2) Observons que, par cette loi, la. Convention ne prétendait pas priver les ecclésiastiques des pensions viagères qui leur avaient été accordées, mais que pouvaient toucher ceux-là seulement qui avaient prêté le serment de liberté-égalité.
(3) Gazier, Etudes sur l'histoire religieuse de la Révolution, p. 242..
 
Mais des pétitions arrivent de toutes parts à la Convention pour réclamer la liberté du culte, des manifestations religieuses se produisent, çà et là, exigées par les populations, les Vendéens, dans la Pacification de la Jaunaie (29 pluviôse an III, 17 février 1795) obtiennent pour leurs prêtres l'autorisation d'exercer leurs fonctions. C'est alors que la Convention, cédant aux vœux de l'opinion publique, se décide à reconnaître la liberté religieuse.
 
Cinq jours après la Pacification de la Jaunaie, cette liberté est enfin accordée par une loi sur la Police des cultes votée, sur un rapport de Boissy, d'Anglas plein d'injures à l'adresse die toutes les religions (3 ventôse an III, 21 février 1795). En voici les dispositions :
 
Art. I - Conformément à l'article VII de la Déclaration des Droits de l'homme et à l'article 122 de la Constitution, l'exercice d'aucun culte ne peut être troublé.
 
Art. II - La République n'en salarie aucun.
 
Art. III.- Elle ne fournit aucun local, ni pour l'exercice des cultes, ni pour le logement des ministres.
 
Art. IV.- Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l'enceinte choisie pour leur exercice.
 
Art. V - La loi ne reconnaît aucun ministre du culte, nul ne peut paraître en public avec les habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses.
 
Art. VI - Tout rassemblement de citoyens pour l'exercice d'un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités constituées. Cette surveillance se renferme dans des mesures de police et de sûreté publique.
 
Art. VII - Aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, ni extérieurement, de quelque manière que ce soit. Aucune inscription ne peut désigner le lieu qui lui est affecté.
Aucune proclamation ni convocation publique ne peut être faite pour y  inviter les citoyens.
 
Art. VIII - Les communes ou sections de commune en nom collectif, ne pourront acquérir ni louer de local pour l'exercice des cultes.
 
Art. IX - Il ne pourra être formée (sic) aucune dotation perpétuelle ou viagère, ni établie (sic) aucune taxe pour en acquitter les dépenses.
 
Art. X - Quiconque troublerait par violence les cérémonies d'un culte quelconque, ou en outragerait les objets, sera puni, suivant la loi du 22 juillet 1791 sur la police correctionnelle.
 
Art. XI - Il n'est point dérogé à la loi du 2 sans-culottide, 2e année, sur les pensions ecclésiastiques et les dispositions en seront exécutées suivant leur forme et teneur.
 
Art. XII - Tout décret dont les dispositions seraient contraires à la présente loi est rapporté, et tout arrêté opposé à la présente loi, pris par les représentants du peuple dans les départements, est annulé. (1)
 
Cette loi du 3 ventôse qui, organisant an France le régime de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, n'accordait la liberté qu'avec parcimonie et restriction, fut saluée, avec allégresse par l'immense majorité des citoyens. Les catholiques de Nîmes et du département du Gard.se hâtent d'en profiter et de se livrer à des manifestations publiques.. Le représentant du peuple, Girot-Pouzol, arrivé à Nîmes, le 30 pluviôse an III (18 février 1795) est témoin de l'exaltation et de l'exubérance du sentiment religieux dans cette ville.
 
(1) Bulletin des lois, 1, 126. - VIIe Série. T. XXXXI, 1922-1923.
 
Le 9 ventôse (27 février 1790, vers huit heures du soir un rassemblement d'environ 50 femmes a lieu sur la petite place qui est au devant de l'hôpital des malades. On chante quelques cantiques et l’on finit par crier à plusieurs reprises :
 
Vive Jésus ! Vive Marie ! Vive le Roy ! Vive Louis XVII !.
 
Cette troupe s'achemine le long de la rue de la Carreterie, grossissant toujours ; dans certains quartiers, elle chante les mêmes cantiques et pousse les mêmes cris. Parvenue à la Grand'Rue, la troupe se trouve grossie d'environ 600 femmes ; une trentaine d'hommes se mettent à la suite de cette procession nocturne, les uns armés d'un gros bâton, les autres portant leur sabre en bandoulière. (Cette troupe s'arrêta, d'une manière bien marquée, dans la rue Dorée devant la mansion du citoyen André où, selon l'expression de l'Agent National, « elle répéta les cérémonies ci-dessus décrites ; de là, celle se porta sur la place qui est devant la Maison commune, où elle en fit de même; après quoi l'attroupement se dissipa. » (1).
 
L'agent national s'inquiète de cette manifestation, en avise le représentant du peuple et convoque ses collègues pour les consulter sur les mesures à prendre. Le chef de la légion s'émeut aussi et croit devoir informer Girot Pouzol de cet événement. Les attroupements devant les portes des boulangers continuent toujours ; mais le peuple prend tranquillement ses malheurs et patiemment, sa misère, comme il l'a toujours fait. Depuis le décret de la Convention sur la liberté des cultes, plusieurs femmes se sont rassemblées et vont pair la ville en procession à la nuit tombante, chantant des noëls et des cantiques. Il y a des personnes qui m'ont dit avoir entendu qu'elles criaient après leurs cantiques :
 
Vive le Roi ! ,A bas la Nation ! » (14 ventôse) (2)
 
(1) Arch. dép. du Gard, 1 L 6,10. - Lettre de l'agent national du district de Nîmes à Girot Pouzol (10 ventôse, an III.)
(2) Arch. du Gard, 1, L 6, 10.
 
Le 18 ventôse (8 mars 1795), Simon Peschaire, l'agent national du district de Nîmes, écrit de nouveau au représentant du peuple et lui demande de faire dune proclamation sur la loi relative à la liberté des cultes «parce que je l'entends autour de moi, dit-il, expliquer de mille manières différentes. Dans la commune de Besouce qui est du district de Nîmes, à la vérité, une des plus fanatiques, l'an se préparait déjà à monter les cloches au clocher, la Municipalité en tête de cette cérémonie et lorsque j'ai demandé à la Municipalité compte de ce fait, « elle m'a dit que les communes`voisines du district de Beaucaire en faisaient autant. (1)
 
Ce même jour, avant l'arrivée officielle de la loi sur la liberté des cultes, des prêtres insermentés ont célébré deux messes à l'Hôpital des malades et une autre chez Salvy, rue Séguier. (2)
 
Le 13 germinal an 111 (4 avril 1795), l'administration du distinct du Vigan signale à Girot-Pouzol, plusieurs rassemblements relatifs à l'exercice du culte qui se sont produits dans les environs, à Arre au Plan, commune de Bréau, à Avèze,, à Bez. A Arre, à Bez la messe a été dite par un prêtre émigré. La tranquillité publique n'a été troublée nulle part. Les officiers municipaux sont mandés au Vigan et exhortés à user de tous lies moyens qui leur sont confiés par la loi, pour faire, cesser les dits rassemblements. ;Mais il est bien vraisemblable qu'il y a eu connivence ou au moins indulgence de leur part.
 
Les uns à peu près illettrés ont cru, disent-ils, ces assemblées autorisées par le décret du 3 ventôse. D'autres, au jour de ces assemblées, étaient dans la montagne pour acheter du blé. Ceux d'Avèze se disposaient à avertir le district au moment où ils ont été mandés. (3)
 
(1) Archives départementales du Gard, I L 6, 10. - 18 ventôse an III.
(2)Ibidem.
(3) Archives départementales du Gard, 1 L 6, 10.
 
C'est un peu partout, dans diverses communes du département, tout d'abord dans des maisons privées que les citoyens se livrent paisiblement à l'exercice de leur culte. A Aiguesmortes, en particulier, tout se passe dans le plus grand ordre et conformément aux lois, selon le témoignage de l'Agent national. Mais le prêtre qui y dit la messe est un insermenté qui s'est soustrait à la déportation et à la réclusion. Est-il libre de remplir de semblables fonctions ? Demande l'Agent (25 germinal an III, 16 avril 1795). (1)
 
Dans certaines paroisses, on commence à solenniser les offices publiquement A Saint-Marcel de Carreiret le 8 mars 1795, troisième dimanche de Carême, le Père Chrysostome bénit, en présence d'un peuple nombreux, l'église paroissiale, profanée par un curé intrus, il exige des assistants une promesse formelle de fidélité, organise une procession à travers les rues du village et chante la messe. Le soir il y a les vêpres, l'exposition et la bénédiction, le chant de deux psaumes d'action de grâces. On n'avait pas encore reçu, dit le procès-verbal de la cérémonie, le décret du 3 ventôse, qui, en proclamant la liberté des cultes, interdisait toute cérémonie, hors de l’enceinte choisie pour leur  exercice. (2)
 
Un autre héros, l'abbé Pialat commence, le 25 mars, à célébrer publiquement la messe à St-Bauzile, sur les confins du département du Gard. Le dimanche des Rameaux, 29 mars (9 germinal), il chante la grand'messe dans un devois ou pâturage, environ 3500 personnes y assistent, près de 390 fidèles y font la sainte communion. Il rencontre quelques difficultés et des menaces à Pompignan. Mais le dimanche de Quasimodo (12 avril 1795, 23 germinal), il célèbre une messe très solennelle dans la cour de Mirabel (commune de Pompignan). Les musiciens de Gangues exécutent les chants liturgiques et les communions y sont au nombre de trois cents (3) .
 
(I) Archives départementales du Gard, I, L 6, 10. .
(2) Albert Durand, Le P. Chrysostome, p. 50, 51.
(3) Sarran, L'abbé Piatat, pp. 103-109.
 
Un vent de tolérance commence alors à souffler. Les autorités locales n'hésitent pas à livrer les églises aux catholiques. A Nîmes, la Municipalité ordonna la démolition de la Montagne élevée dans la ci-devant cathédrale et du massif sur lequel était établi l'autel à l'Etre Suprême (2 germinal an 111, 22 mars 1795.) (1) L'édifice est ensuite loué au citoyen Laurent Bourrely et rendu au culte, sous la réserve que la municipalité aurait le droit d'y faire la lecture des lois et d'y tenir les, assemblées communales, et électorales. (2)
 
Bientôt aux prêtres restés cachés pendant la Terreur viennent se joindre les prêtres reclus à la Citadelle et que leur âge et leurs infirmités avaient dispensés de la déportation. Girot-Pouzol les rend à la liberté les 5 et 6 floréal (24 et 25 avril 1795). Dès lors à Nîmes et dans le Gard, on assiste à un vrai renouveau du culte catholique, A Nîmes, les prêtres libérés disent d'abord la messe dans des chambres. D'autres vont dans diverses communes du département. Louis Dorée, ancien chanoines de la collégiale de Beaucaire, administrateur apostolique dit diocèse d'Arles, préside à la réorganisation du culte dans la terre d'Argence.
 
A Aramon, le capucin P. Léon (Jean-Louis Pellenc) exerce les, fonctions ecclésiastiques dans l'église des Récollets, à partir du 21 avril 1795 et va remplir aussi son ministère dans les paroisses voisines : Montfrin, Théziers, Domazan, Saze, Fstézargues, etc.
 
Dans la région de Roquemaure, les abbés Antoine Bérard et François Xavier Durand se livrent à toutes les ardeurs de leur zèle, et préparent, à Notre-Dame de Rochefort, de nombreux enfants à la première communion. (3)
 
(1) Archives municipales de Nîmes, D, 9, p. 143.
(2) Goiffon. Les Evêques de Nîmes au XVIII siècle, page 244.
(3) Chanoine Albert Durand, Le culte catholique sous la Terreur.
 
M. Bérard a commencé un registre de baptême, dès le 12 mars (1795), dans l'église Saint-Joseph de Roquemaure (1). A Pont-Saint-Esprit, l'église Saint-Pierre est bénite, et réconciliée par le Père Chrysostome, le 22 mars, dimanche de la Passion. (9 germinal) Le curé M. Antoine Benoît et l'abbé Marsolier y célébrèrent la fête de Pâques. (2)
 
Pendant la Terreur, les prêtres se sont contentés d'écrire les actes de baptême et de mariage sur des feuilles volantes, sans signatures. Mais en ce printemps; de 1795; on reprend la tenue régulière des registres de catholicité. A Nîmes, à la Cathédrale, c'est Henri Cornu, à peine sorti de la Citadelle qui signe les actes, à Saint-Baudile, Pierre-Marie-Nicolas Féraud, ancien minime et le Père Barnouin continuent leur ministère ininterrompu pendant la Terreur. Mais nous touchons au moment où s'ouvrent officiellement les églises.
 
M. l'abbé Pagès et M. l'abbé Nicolas, ces intrépides apôtres qui n'ont jamais cessé, pendant les jours les plus sombres de la tourmente, de remplir les fonctions ecclésiastiques, viennent sur les ordres de M. de Rochemore, se mettre à la tête de la paroisse Saint-Charles et bénissent cette église la, veille de l'Ascension, le 31 mai 1795 (24 floréal an III).
 
Quelques jours après, une loi allait donner aux citoyens le libre usage des églises non aliénées. C'est la loi du 11 prairial.
 
(1) Communication de M. Chobaud.
(2) Albert Durand. Le Père Chrysostome, p. 51.

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