II
La
Séparation de l'Église et de l'Etat
Mais jusqu'ici, et pendant toute
la durée de la mission du représentant Perrin, rien n'est changé dans
la politique religieuse de la Convention. Aucune loi persécutrice n'a
été abrogée, elle ne désavoue ni les représentants en mission, animés
encore de l'esprit jacobin, ni les autorités locales qui se plaisent
eaux mesures tracassières et vexatoires. Elle avait manifesté seulement
de la bienveillance aux ci-devant ministre du culte (1) en décrétant
que les pensions précédemment accordées, mais suspendue depuis le 1er
germinal (21 mars 1794), leur seraient de nouveau payées ainsi que les
deux trimestres en retard (18 thermidor, 5 août 1794). Le deuxième jour
des sans-culottides, de l'an II (18 septembre 1794), Cambon, dans un
rapport sur les finances, fit adopter un décret dont l'article 1er
était ainsi conçu :
La République ne paie plus les
frais ni les salaires d'aucun culte.
La motion est adoptée sans
débat. Ainsi s'inaugure, en France, un régime inconnu jusqu'alors chez
toutes les nations, la séparation de l'Église, et de l'Etat, régime en
vertu duquel l'Etat ne reconnaissant aucun culte doit rester étranger à
toute manifestation religieuse. Par cet acte, la Convention déchire les
engagements solennels de la Constituante qui s'était emparée des biens
de l'Eglise, mais en garantissant la dotation du clergé comme une dette
nationale. (2)
La Convention restait donc
hostile à la tolérance. Aussi quand le 1er nivôse (21 décembre 1794),
Grégoire, l'Evêque constitutionnel de Loir et Cher, vint à la tribune
lire son fameux discours sur la liberté des cultes, couvrit-elle la
voix de véritables, hurlements, l'on décréta l'ordre du jour aux cris
répétés de Vive la République et en agitant les chapeaux comme l'on
faisait pour célébrer une victoire (3). Dix-huit jours plus, tard (22
nivôse an III, 11 janvier 1795) elle votait un décret très sévère
contre les prêtres insermentés qui rentreraient en France.
(1) Quelques
districts crurent ne devoir payer la pension qu'à ceux qui avaient
renoncé au sacerdoce; cette interprétation ne prévalut pas e: les
prêtres non abdicataires, qui avaient prêté le serment de liberté
égalité, reçurent la pension à laquelle Ils avaient droit. Ce décret ne
vise que les pensions, quant au traitement du clergé constitutionnel,
il était à la charge des municipalités.
(2) Observons
que, par cette loi, la. Convention ne prétendait pas priver les
ecclésiastiques des pensions viagères qui leur avaient été accordées,
mais que pouvaient toucher ceux-là seulement qui avaient prêté le
serment de liberté-égalité.
(3) Gazier,
Etudes sur l'histoire religieuse de la Révolution, p. 242..
Mais des pétitions arrivent de
toutes parts à la Convention pour réclamer la liberté du culte, des
manifestations religieuses se produisent, çà et là, exigées par les
populations, les Vendéens, dans la Pacification de la Jaunaie (29 pluviôse an III, 17
février 1795) obtiennent pour leurs prêtres l'autorisation d'exercer
leurs fonctions. C'est alors que la Convention, cédant aux vœux de
l'opinion publique, se décide à reconnaître la liberté religieuse.
Cinq jours après la Pacification
de la Jaunaie, cette
liberté est enfin accordée par une loi sur la Police des cultes votée,
sur un rapport de Boissy,
d'Anglas plein d'injures à l'adresse die toutes les religions (3
ventôse an III, 21 février 1795). En voici les dispositions :
Art. I - Conformément à
l'article VII de la Déclaration des Droits de l'homme et à l'article
122 de la Constitution, l'exercice d'aucun culte ne peut être troublé.
Art. II - La République n'en
salarie aucun.
Art. III.- Elle ne fournit aucun
local, ni pour l'exercice des cultes, ni pour le logement des ministres.
Art. IV.- Les cérémonies de tout
culte sont interdites hors de l'enceinte choisie pour leur exercice.
Art. V - La loi ne reconnaît
aucun ministre du culte, nul ne peut paraître en public avec les
habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses.
Art. VI - Tout rassemblement de
citoyens pour l'exercice d'un culte quelconque est soumis à la
surveillance des autorités constituées. Cette surveillance se renferme
dans des mesures de police et de sûreté publique.
Art. VII - Aucun signe
particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, ni
extérieurement, de quelque manière que ce soit. Aucune inscription ne
peut désigner le lieu qui lui est affecté.
Aucune proclamation ni
convocation publique ne peut être faite pour y
inviter les citoyens.
Art. VIII - Les communes ou
sections de commune en nom collectif, ne pourront acquérir ni louer de
local pour l'exercice des cultes.
Art. IX - Il ne pourra être
formée (sic) aucune dotation perpétuelle ou viagère, ni établie (sic)
aucune taxe pour en acquitter les dépenses.
Art. X - Quiconque troublerait
par violence les cérémonies d'un culte quelconque, ou en outragerait les objets,
sera puni, suivant la loi du 22 juillet 1791 sur la police
correctionnelle.
Art. XI - Il n'est point dérogé
à la loi du 2 sans-culottide, 2e année, sur les pensions
ecclésiastiques et les dispositions en seront exécutées suivant leur
forme et teneur.
Art. XII - Tout décret dont les
dispositions seraient contraires à la présente loi est rapporté, et
tout arrêté opposé à la présente loi, pris par les représentants du
peuple dans les départements, est annulé. (1)
Cette loi du 3 ventôse qui,
organisant an France le régime de la séparation de l'Eglise et de
l'Etat, n'accordait la liberté qu'avec parcimonie et restriction, fut
saluée, avec allégresse par l'immense majorité des citoyens. Les
catholiques de Nîmes et du département du Gard.se
hâtent d'en profiter et de se livrer à des manifestations publiques.. Le représentant du peuple, Girot-Pouzol, arrivé à Nîmes, le
30 pluviôse an III (18 février 1795) est témoin de l'exaltation et de
l'exubérance du sentiment religieux dans cette ville.
(1) Bulletin
des lois, 1, 126. - VIIe
Série. T. XXXXI, 1922-1923.
Le 9 ventôse (27 février 1790,
vers huit heures du soir un rassemblement d'environ 50 femmes a lieu
sur la petite place qui est au devant de l'hôpital des malades. On
chante quelques cantiques et l’on finit par crier à plusieurs reprises
:
Vive Jésus ! Vive Marie ! Vive
le Roy ! Vive Louis XVII !.
Cette troupe s'achemine le long
de la rue de la Carreterie,
grossissant toujours ; dans certains quartiers, elle chante les mêmes
cantiques et pousse les mêmes cris. Parvenue à la Grand'Rue, la troupe se trouve
grossie d'environ 600 femmes ; une trentaine d'hommes se mettent à la
suite de cette procession nocturne, les uns armés d'un gros bâton, les
autres portant leur sabre en bandoulière. (Cette troupe s'arrêta, d'une
manière bien marquée, dans la rue Dorée devant la mansion du citoyen
André où, selon l'expression de l'Agent National, « elle
répéta les cérémonies ci-dessus décrites ; de là, celle se porta sur la
place qui est devant la Maison commune, où elle en fit de même; après
quoi l'attroupement se dissipa. » (1).
L'agent national s'inquiète de
cette manifestation, en avise le représentant du peuple et convoque ses
collègues pour les consulter sur les mesures à prendre. Le chef de la
légion s'émeut aussi et croit devoir informer Girot
Pouzol de cet
événement. Les attroupements devant les portes des boulangers
continuent toujours ; mais le peuple prend tranquillement ses malheurs
et patiemment, sa misère, comme il l'a toujours fait. Depuis le décret
de la Convention sur la liberté des cultes, plusieurs femmes se sont
rassemblées et vont pair la ville en procession à la nuit tombante,
chantant des noëls et des cantiques. Il y a des personnes qui m'ont dit
avoir entendu qu'elles criaient après leurs cantiques :
Vive le Roi ! ,A bas la Nation ! » (14 ventôse)
(2)
(1) Arch. dép.
du Gard, 1 L 6,10. - Lettre de l'agent national du district de Nîmes à Girot Pouzol
(10 ventôse, an III.)
(2) Arch. du
Gard, 1, L 6, 10.
Le 18 ventôse (8 mars 1795),
Simon Peschaire,
l'agent national du district de Nîmes, écrit de nouveau au représentant
du peuple et lui demande de faire dune proclamation sur la loi relative
à la liberté des cultes «parce que je l'entends autour de moi, dit-il,
expliquer de mille manières différentes. Dans la commune de Besouce qui est du district de
Nîmes, à la vérité, une des plus fanatiques, l'an se préparait déjà à
monter les cloches au clocher, la Municipalité en tête de cette
cérémonie et lorsque j'ai demandé à la Municipalité compte de ce fait,
« elle m'a dit que les communes`voisines du district de
Beaucaire en faisaient autant. (1)
Ce même jour, avant l'arrivée
officielle de la loi sur la liberté des cultes, des prêtres insermentés
ont célébré deux
messes à l'Hôpital des malades et une autre chez Salvy, rue Séguier. (2)
Le 13 germinal an 111 (4 avril
1795), l'administration du distinct du Vigan
signale à Girot-Pouzol,
plusieurs rassemblements relatifs à l'exercice du culte qui se sont
produits dans les environs, à Arre
au Plan, commune de Bréau,
à Avèze,, à Bez.
A Arre, à Bez la messe a été dite par un
prêtre émigré. La tranquillité publique n'a été troublée nulle part.
Les officiers municipaux sont mandés au Vigan
et exhortés à user de tous lies moyens
qui leur sont confiés par la loi, pour faire, cesser les dits
rassemblements. ;Mais il
est bien vraisemblable qu'il y a eu connivence ou au moins indulgence
de leur part.
Les uns à peu près illettrés ont
cru, disent-ils, ces assemblées autorisées par le décret du 3 ventôse.
D'autres, au jour de ces assemblées, étaient dans la montagne pour
acheter du blé. Ceux d'Avèze
se disposaient à avertir le district au moment où ils ont été mandés.
(3)
(1) Archives
départementales du Gard, I L 6, 10. - 18 ventôse an III.
(2)Ibidem.
(3) Archives
départementales du Gard, 1 L 6, 10.
C'est un peu partout, dans
diverses communes du département, tout d'abord dans des maisons privées
que les citoyens se livrent paisiblement à
l'exercice de leur culte. A Aiguesmortes,
en particulier, tout se passe dans le plus grand ordre et conformément
aux lois, selon le témoignage de l'Agent national. Mais le prêtre qui y
dit la messe est un insermenté qui s'est soustrait à la déportation et
à la réclusion. Est-il libre de remplir de semblables fonctions ?
Demande l'Agent (25 germinal an III, 16 avril 1795). (1)
Dans certaines paroisses, on
commence à solenniser les offices publiquement A Saint-Marcel de Carreiret le 8 mars 1795,
troisième dimanche de Carême, le Père Chrysostome bénit, en présence
d'un peuple nombreux, l'église paroissiale, profanée par un curé
intrus, il exige des assistants une promesse formelle de fidélité,
organise une procession à travers les rues du village et chante la
messe. Le soir il y a les vêpres, l'exposition et la bénédiction, le
chant de deux psaumes d'action de grâces. On n'avait pas encore reçu,
dit le procès-verbal de la cérémonie, le décret du 3 ventôse, qui, en
proclamant la liberté des cultes, interdisait toute cérémonie, hors de
l’enceinte choisie pour leur exercice.
(2)
Un autre héros, l'abbé Pialat
commence, le 25 mars, à célébrer publiquement la messe à St-Bauzile, sur les confins du
département du Gard. Le dimanche des Rameaux, 29 mars (9 germinal), il
chante la grand'messe dans un devois
ou pâturage, environ 3500 personnes y assistent, près de 390 fidèles y
font la sainte communion. Il rencontre quelques difficultés et des
menaces à Pompignan. Mais le dimanche de Quasimodo (12 avril 1795, 23
germinal), il célèbre une messe très solennelle dans la cour de Mirabel
(commune de Pompignan). Les musiciens de Gangues exécutent les chants
liturgiques et les communions y sont au nombre de trois cents (3) .
(I) Archives
départementales du Gard, I, L 6, 10. .
(2) Albert
Durand, Le P. Chrysostome, p. 50, 51.
(3) Sarran, L'abbé Piatat, pp. 103-109.
Un vent de tolérance commence
alors à souffler. Les autorités locales n'hésitent pas à livrer les
églises aux catholiques. A Nîmes, la Municipalité ordonna la démolition
de la Montagne élevée dans la ci-devant cathédrale et du massif sur
lequel était établi l'autel à l'Etre Suprême (2 germinal an 111, 22
mars 1795.) (1) L'édifice est ensuite loué au citoyen Laurent Bourrely et rendu au culte, sous
la réserve que la municipalité aurait le droit d'y faire la lecture des
lois et d'y tenir les, assemblées communales, et électorales. (2)
Bientôt aux prêtres restés
cachés pendant la Terreur viennent se joindre les prêtres reclus à la
Citadelle et que leur âge et leurs infirmités avaient dispensés de la
déportation. Girot-Pouzol
les rend à la liberté les 5 et 6 floréal (24 et 25 avril 1795). Dès
lors à Nîmes et dans le Gard, on assiste à un vrai renouveau du culte
catholique, A Nîmes, les prêtres libérés disent d'abord la messe dans
des chambres. D'autres vont dans diverses communes du département.
Louis Dorée, ancien chanoines
de la collégiale de Beaucaire, administrateur apostolique dit diocèse
d'Arles, préside à la réorganisation du culte dans la terre d'Argence.
A Aramon, le capucin P. Léon
(Jean-Louis Pellenc)
exerce les, fonctions ecclésiastiques dans l'église des Récollets, à
partir du 21 avril 1795 et va remplir aussi son ministère dans les
paroisses voisines : Montfrin,
Théziers, Domazan, Saze,
Fstézargues, etc.
Dans la région de Roquemaure,
les abbés Antoine Bérard et François Xavier Durand se livrent à toutes
les ardeurs de leur zèle, et préparent, à Notre-Dame
de Rochefort, de nombreux enfants à la première communion. (3)
(1) Archives
municipales de Nîmes, D, 9, p. 143.
(2) Goiffon. Les Evêques de Nîmes au
XVIII siècle, page 244.
(3) Chanoine
Albert Durand, Le culte catholique sous la Terreur.
M. Bérard a commencé un registre
de baptême, dès le 12 mars (1795), dans l'église Saint-Joseph de
Roquemaure (1). A Pont-Saint-Esprit, l'église Saint-Pierre
est bénite, et réconciliée par le Père Chrysostome, le 22 mars,
dimanche de la Passion. (9 germinal) Le curé M. Antoine Benoît et
l'abbé Marsolier y
célébrèrent la fête de Pâques. (2)
Pendant la Terreur, les prêtres
se sont contentés d'écrire les actes de baptême et de mariage sur des
feuilles volantes, sans signatures. Mais en ce printemps; de 1795; on
reprend la tenue régulière des registres de catholicité. A Nîmes, à la
Cathédrale, c'est Henri Cornu, à peine sorti de la Citadelle qui signe
les actes, à Saint-Baudile,
Pierre-Marie-Nicolas
Féraud, ancien minime et le Père Barnouin
continuent leur ministère ininterrompu pendant la Terreur. Mais nous
touchons au moment où s'ouvrent officiellement les églises.
M. l'abbé Pagès et M. l'abbé Nicolas, ces
intrépides apôtres qui n'ont jamais cessé, pendant les jours les plus
sombres de la tourmente, de remplir les fonctions ecclésiastiques,
viennent sur les ordres de M. de Rochemore,
se mettre à la tête de la paroisse Saint-Charles
et bénissent cette église la, veille de l'Ascension, le 31 mai 1795 (24
floréal an III).
Quelques jours après, une loi
allait donner aux citoyens le libre usage des églises non aliénées.
C'est la loi du 11 prairial.
(1)
Communication de M. Chobaud.
(2) Albert
Durand. Le
Père Chrysostome, p. 51.
|