LA
SITUATION RELIGIEUSE
DU
DÉPARTEMENT DU GARD AU DÉBUT DU CONSULAT
de
1799-1802
Albert
Durand - extrait se la Revue du Midi 1902, pages 227 à 244
|
De notre ouvrage actuellement sous presse : Un prélat constitutionnel, Jean-François Perier
(1740-1824), oratorien, évêque du Puy-de-Mme, évêque concordataire d'Avignon,
nous sommes heureux de détacher pour la Revue du Midi quelques extraits qui
intéressent plus particulièrement le Gard.
Albert Durand
Quelques mois après le 18 brumaire an VIII, à l'arrivée à Nîmes
assermenté du premier préfet, M. Dubois (nommé
le 1er Mars 1800), tous les édifices destinés au culte étaient fermés dans
le département du Gard, à l'exception de deux ou trois. La messe se célébrait
dans des maisons particulières.
Mais déjà le gouvernement consulaire, plus fort et
comprenant mieux la nécessité de la religion et les vœux du peuple, permettait
aux prêtres l'exercice du culte, à la seule condition de promettre fidélité à
la constitution de l'an VIII....
Pendant ce temps, le camp opposé (le camp orthodoxe) recevait tous les jours de nouvelles recrues.
Elles étaient encouragées ,par la politique de Bonaparte, d'abord hésitante,
mais plus tard manifestement favorable à la religion catholique. Le discours de
Milan (5 juin 1800) et l'ouverture de
négociations avec le Saint-Siège (juillet 1800), annonçaient une ère de
pacification. Le ministre de la police, Fouché, dans ses instructions à ses
agents, s'inspirait de ses nouvelles dispositions du Premier Consul, Le 29
vendémiaire an IX (21 octobre 1800),
il écrivait au Préfet du Gard :
« Depuis le 18
brumaire, citoyen préfet, vous savez qu'elle a été l'indulgence du gouvernement
envers les prêtres insermentés. J'en ai autorisé un grand nombre à rentrer dans
leurs foyers, et pour toute condition, je leur ai prescrit de faite la promesse
de fidélité à la République. »
A son tour, le 20 brumaire an IX (11 novembre 1800), le préfet du Gard adresse à ses sous-préfets et
aux maires de l'arrondissement de Nîmes la circulaire du ministre de la police
relative à la conduite que les administrateurs doivent tenir à l'égard du
clergé. « Vous savez, leur dit-il, que la
tolérance religieuse est une des premières bases de notre Constitution.
Demandez i tout citoyen, quelle que soit son opinion, si cette tolérance est un
vain mot ou si elle est un bienfait réel. Qu'on vous cite un seul exemple de
persécution depuis le 18 brumaire. N'en aurez-vous pas mille à citer de
l'indulgence du gouvernement ? Qu'exige-t-il aujourd'hui ? Que désire-t-il ?
D'être assuré que tous ceux qui habitent le territoire de la République seront
soumis à la Constitution (1). »
(1) Archives du Gard, I. V, 1,
Cette bienveillance du gouvernement fit taire les scrupules
qu'éprouvait le clergé insermenté à faire promesse demandée.
Sur la rive droite du Rhône, l'apaisement se faisait peu à
peu comme sur la rive gauche, M. Dubois, préfet du Gard, pouvait, dès le 27 ventôse
an IX (18 mars 1801), écrire au ministre de la police, avec un optimisme un peu
enthousiaste, mais sans trop d'exagération :
« Citoyen ministre,
« L'esprit public
s'améliore dans le Gard ; j'ai la satisfaction 'de me convaincre que le
gouvernement n'aura bientôt plus rien à désirer dans ce département, et je
commence à recueillir les fruits de mon zèle et de ma persévérance.
Déjà l'industrie, se
réveille, l'enthousiasme pour le gouvernement et ses bienfaits s'accroit de la
manière la plus sensible ; une émulation salutaire et l'union la plus intime
règne entre les principales autorités ; le brigandage est puni, et le Gard a
l'avantage d'avoir arrêté plus de brigands qu'aucun département voisin, excepté
les Bouches-du-Rhône et Vaucluse (1).
Il lui manquait encore
un gage précieux pour la tranquillité publique ; depuis plusieurs mois, je
faisais de vains efforts pour l'obtenir ; mes vœux à cet égard viennent d'être
remplis et je dois une partie du succès au citoyen Rochemore, ministre du culte
catholique, ci-devant vicaire-général de l'évêque de Nîmes.
Depuis que
j'administre le département, je l'ai toujours vu disposé à suivre l'impulsion
donnée par le gouvernement, et il n'a rien épargné pour engager, autant qu'il
était en lui, les autres ministres de son culte à faire la promesse de fidélité
à la Constitution. Nous sommes enfin parvenus à déterminer les prêtres qui
dépendaient autrefois du diocèse de Nîmes à accomplir ce devoir de tous les
citoyens.
Le 21. ventôse dernier
(12 mars 1801), le citoyen Rochemore, m'a prévenu que, persuadés par les
conseils de leur ci-devant évêque et de lui, ils se réuniraient le lendemain,
de toutes les communes, pour déposer entre mes mains la promesse de fidélité à
la Constitution, et qu'il espérait que la solennité de leur démarche donnerait
un exemple salutaire et me dédommagerait des inquiétudes qu'une conduite
opposée m'avait données pendant si longtemps.
En conséquence, je me
suis transporté, le 22 ventôse (13 mars 1801), à la salle des séances de la
préfecture, accompagné du secrétaire-général et des membres du conseil de
préfecture. Plus de cinquante ministres du culte catholique s'y sont rendus de
tous les points du département et le citoyen Rochemore m'a adressé la parole au
nom de tous. »
(1) L'abbé Solier, dit Sans-Peur, venait d'être arrêté
(24 février 1801) condamné à mort (5 mars 1801), et fusillé peu après au Vigan,
Voici le texte de l'allocution qu'il prononça et dont M.
Dubois n'envoie que l'analyse au Ministre.
« Citoyen préfet,
Nous venons en ce
jour, comme, ministres de l'Église catholique, apostolique et romaine, donner à
la puissance temporelle les témoignages du respect et de la soumission dont
nous trouvons l'obligation consignée dans les Livres saints. Cette qualité de
ministres du culte catholique qui nous honore et qui nous est si précieuse
indique assez et l'esprit qui nous conduit et le but qui nous amène devant
vous.
Nous venons, dans
l'esprit et selon les règles sacrées de l'Église, avec l'assentiment de notre
premier pasteur, promettre fidélité au gouvernement, pour acquitter un devoir
de nos consciences. C'est dans ces sentiments que nous souscrivons la formule
exigée par le gouvernement, et cette souscription ne devant dans aucun temps
nous engager à rien de contraire à la foi de l'Église catholique, apostolique
et romaine, dont nous voulons vivre et mourir les fidèles ministres.
Chacun de nous, en
conséquence, demande à faire individuellement la promesse voulue par la loi
(1).
(1) Archives du Gard I, V, 4.
Le préfet répondit par le discours suivant :
« Citoyens, la
promesse que je vais recevoir de vous, en exécution de la loi, est un gage
précieux de votre soumission au gouvernement et du désir que vous avez de le
seconder. Je mettrai sous ses yeux les sentiments que vous venez de manifester
et je ne doute pas qu'ils lui soient agréables.
Après avoir donné cet
exemple aux citoyens qui ont confiance dans vos vertus et vos lumières, il vous
reste à employer les moyens qui sont en votre pouvoir pour rattacher au
gouvernement, ce gouvernement qui a sauvé la République, les cœurs timides ou
égarés qui n'ont pas encore su l'apprécier. C'est à vous d'offrir sans cesse le
tableau de ses bienfaits, dont le premier de tous est le rétablissement de la
morale publique ; c'est à vomi de rappeler, lorsque vous en aurez l'occasion,
que ses premiers pas ont été marqués par la justice et la bienfaisance ; c'est
à vous de faire sentir le prix de- cette tolérance, sans laquelle la liberté ne
saurait exister, de cette union qui fait la force et l'union des États, de cet
oubli des maux passés qui peut seul la maintenir. Vous acquerrez aujourd'hui
complètement le beau titre de citoyen français, en remplissant un devoir que
tous les citoyens doivent remplir ; mais vos fonctions deviendront une espèce
de magistrature, si vous faites valoir les droits que vous avez à la confiance
par des conseils qui soient toujours dirigés vers le but du gouvernement et le
bonheur de vos concitoyens.
Quant à moi, citoyens,
je m'applaudis d'être aujourd'hui le dépositaire de votre promesse. Que ne
puis-je vous ouvrir mon cœur ! Vous y liriez que mes sentiments pour vous et
surtout l'estime particulière que j'ai -vouée à celui que vous regardez comme
le premier d'entre vous, sont aussi purs que votre démarche est louable ; vous
y verriez que j'ai effacé jusqu'à la trace la plus légère des inquiétudes et
des chagrins que le spectacle prolongé d'une division d'opinions a pu me
donner. Je me livre tout entier au doux sentiment que vous me faites éprouver
aujourd'hui. Le jour où je vois resserrer l'union des citoyens entre eux est
pour moi un jour de fête. »
'Après ce discours,
chacun des ministres du culte catholique présents prononça et souscrivit
individuellement la promesse exigée par la loi. Parmi ces prêtres quelques-uns
étaient du plus haut mérité et jouissaient d'un puissant prestige. Citons M.
Ferrand et M. Bonhomme.
Dans sa lettre à
Fouché, au sujet de cette soumission, le préfet du Gard ajoute ; « J'espère
citoyen ministre, que vous partagerez avec moi la satisfaction de voir venir au
gouvernement tant de citoyens égarés, dont quelques uns sont réellement très
respectables et dont l'influence pourra être aussi utile qu'elle a été nuisible
sur beaucoup de points du département.
Tous les amis du
gouvernement, quel que soit leur culte, regardent cette démarche comme une
victoire signalée pour l'administration et comme un gage de la tranquillité
future du département...
Déjà cet exemple a été
imité dans les communes dont les ministres n'avaient pu se rendre à Nîmes.
Cependant, celles du second arrondissement, qui appartenaient au ci-devant
diocèse d'Uzès, n'en ont pas encore profité, parce que le ci-devant évêque
émigré ne s'est pas contenté de ne pas autoriser la soumission des prêtres, il
l'a prohibée sous les peines ecclésiastiques les plus sévères et avec des
menaces propres à intimider les esprits faibles.
Au reste, d'après les
informations que je reçois, il me parait que les ministres du culte catholique
de cet ancien diocèse sont révoltés de la conduite de leur évêque et qu'ils ne
tarderont pas à suivre l'exemple de Nîmes.
Peut être leur (à ces
détails) attacherez-vous plus d'importance si vous voulez bien vous rappeler
que le département du Gard est un de ceux de la République où les querelles
religieuses auraient des conséquences plus funestes (1). »
(1) Archives du Gard.
I. V, 1.
« Le jour où
le clergé de Nîmes souscrivit solennellement la promesse de fidélité exigée par
la loi, la municipalité, en vertu d'un arrêté du préfet du Gard, mit en liberté
les prêtres détenus dans la citadelle: Ceux-ci n'eurent qu'à se soumettre à la
condition imposée aux ecclésiastiques et aux fonctionnaies publics. Ils étaient
au nombre de onze. Ceux d'entre eux qui devaient rester à Nimes furent délivrés
assez tôt pour pouvoir se joindre à la démarche de M. de Rochemore et des
autres prêtres du diocèse.
Ces derniers venaient à peine de signer la formule
prescrite, « lorsqu'une députation de
catholiques se présenta au Préfet pour lui demander la jouissance des églises
de Saint-Castor, de Saint-Charles et des Carmes. La municipalité fut aussitôt
informée de cette démarche. Le maire, « considérant que rien ne s'oppose à ce
que ces édifices soient cédés aux pétitionnaires, est d'avis qu'ils soient mis
à la disposition des citoyens pour y exercer le culte catholique. »
L'arrêté du Préfet, concédant les églises demandées, est du 26 ventôse (17 mars
1.801).
« Deux jours après, le
19 mars, un arrêté municipal ordonna l'enlèvement des objets décadaires, à
l'exception des marbres appartenant au culte.
Le 2 germinal (23
mars), un autre arrêté rendit à la Cathédrale le marchepied du maitre-autel et
les trois tableaux de l'Assomption, de la Cène et de saint François de Sales,
qui se trouvaient en dépôt dans une salle du Collège.
Le 4 germinal (25
mars), à la suite de trois pétitions demandant que l'église des Récollets fût
aussi rendue au culte catholique, le maire émit l'avis que cet édifice fût cédé
aux pétitionnaires, à la charge de l'entretenir- à leurs frais ; un arrêté
préfectoral du lendemain concéda cette quatrième église. Le même jour, sur une
pétition de paroissiens de Saint-Baudile, furent délivrés deux tableaux
représentant un Christ et Notre-Dame-du-Mont-Carmel, déposés au Collège.
Les églises
définitivement ouvertes à Nîmes, le dimanche des Rameaux, 29 mars 1801. Bientôt
après, les quatre paroisses de la ville reçurent des curés nommés par Mgr de
Balore, qui venait de rentrer en France. Les autres paroisses du diocèse se
reconstituèrent à leur tour et les titulaires des diverses cures en prirent
possession, en attendant les nouvelles circonscriptions qu'allait exiger le
Concordat (1). »
(1) Goiffon, Les Évêques de Nîmes au XVIIIe siècle. Nîmes,
Bedot, 1873, in-12, page 212:
Un arrêté du Préfet du Gard du 5 germinal an IX (26 mars
1801) céda l'église de la d-devant paroisse Notre-Dame-des-Pommiers à un grand
nombre de citoyens de Beaucaire pour y exercer librement le culte catholique,
comme par le passé. Les &Institutionnels Cotton et Mège étaient déjà en
possession de cet édifice ; l'usage de l'église devint donc commun aux deux
partis, qui en jouirent, dès lors, à des heures différentes, Mais il semble que
la haine entre constitutionnels et non assermentés fermente et va produire
quelque explosion, Le 8 germinal (29 mars), pendant que deux ministres du
culte, soumis à la loi, célèbrent en même temps le Saint Sacrifice, le citoyen
Mège, prêtre jureur, entre à l'église à la tête d'un groupe de trente à
quarante individus ; ceux-ci occupent la sacristie et la pièce attenante, et
l'accompagnent à l'autel du Saint-Sacrement oil il va dire la messe. Néanmoins,
aucun désordre n'éclate.
Le 22 germinal (12 avril 1801), les adjoints de Beaucaire se
rendent en costume à l'église Notre-Dame-des-Pommiers, escortés des citoyens
hussards à pied et précédés du corps de musiquer ordinaire. Invités par les
ministres du culte qui exercent dans cette église, ils assistent au Te Deum
chanté en actions de grâces pour la conclu ion de la paix. Après les vêpres, le
citoyen Dorée, ex chanoine de cette ville, prononce un discours à l'occasion de
cet heureux événement. Il est écouté, dans le plus grand silence, par un
auditoire des plus nombreux, qui s'est empressé de payer à l'orateur le tribut
de sa juste reconnaissance (1).
(1) Archives de Beaucaire, Délibérations, du 14
ventôse an III au 18 brumaire an XI.
Au milieu de ce mouvement religieux, la police surveillait
tous les ecclésiastiques et l'on exigeait rigoureusement de tout prêtre la
promesse de fidélité. Le 1er thermidor an IX (20 juillet 1801), Fouché se
plaignait au Préfet du Gard de ce que certains prêtres rentrés en France, à la
seule condition d'être soumis, étaient demeurés, disait-il, à l'état de rébellion.
« Je vous charge,
citoyen préfet,
1° de faire rechercher
les prêtres, séditieux qui ont jusqu'ici refusé la promesse de fidélité à la
Constitution et de les faire sortir du territoire de la République dans le plus
court délai ;
2° D'ordonner provisoirement
et par mesure de police à tout prêtre, rentré dans une commune où il exerçait,
avant sa déportation, les fonctions d'évêque, de curé ou de vicaire, et où sa
présence nuirait à la tranquillité publique, de s'en éloigner sur-le-champ à
une distance telle que son influence ne puisse la troubler ;
3° D'enjoindre aux
maires des communes où il n'existe qu'un seul édifice consacré au culte de n'en
permettre l'usage qu'au prêtre qui y exerçait à l'époque du 18 brumaire, et
dans le cas où l'église aurait été vacante, d'y maintenir exclusivement le
prêtre appelé le premier par le vœu de la majorité des habitants.
Si vous croyez,
citoyen préfet, que ces dispositions soient susceptibles de quelques
exceptions, vous me les soumettrez et vous me rendrez compte des décisions
provisoires que vous croirez devoir prendre, pour que je les confirme ou que je
les annule (1). »
(1) Archives du Gard, I, V, I,
Le Préfet répondit au Ministre, à la date du 23 thermidor
(11 août ), jour où Fouché annulait la circulaire précédente :
« Je n'ai encore reçu
aucune espèce de plainte ni verbale; ni écrite, sur les suites de la présence
des prêtres nouvellement rentrés. Ils sont soumis de fait aux lois de la
République et la tranquillité règne.
Quelques-uns des
prêtres non déportés qui n'avaient point encore fait la promesse de la
soumission continuaient d'exercer leur culte. Dès le 26 floréal dernier, je
repoussai de pareilles infractions aux lois et elles n'ont point eu lieu depuis.
Trois d'entre-eux...
s'étant obstinés à célébrer le culte, sans avoir fait leur soumission aux lois,
j'ai ordonné leur arrestation, le 5 et le 25 messidor.
La troisième mesure
(de la circulaire du 1er thermidor) ne peut concerner que la commune de
Beaucaire ; j'ai. soumis cette affaire à votre décision.
Dans les autres
communes, les prêtres se sont parfaitement accordés ; il ne m'est pas parvenu
la moindre plainte, et la tranquillité dont jouit le département est due en
partie à cette union (1) »
(1) Archives du Gard, I, V, L
A cette date, le nombre des édifices où le culte se
célébrait publiquement était de 133, et celui des ministres soumis aux lois de
202.
Néanmoins, tous les prêtres qui exerçaient leurs fonctions
dans le département du Gard n'avaient pas encore fait la promesse de fidélité.
Au 2 fructidor an IX (20 août 1801),
145 ecclésiastiques se trouvaient dans ce cas, savoir 42 dans le premier
arrondissement (Alais) ; 70 dans le second (Uzès) ; 13 dans troisième (Nîmes} ;
20 dans le quatrième (le Vigan). Presque partout l'office était annoncé à son
de cloche. Quelques prêtres étaient signalés comme dangereux.
L'état auquel nous empruntons ces détails ajoute :
« Il résulte des renseignements pris à l'égard des prêtres
(sic) qui ont fait dernièrement leur soumission, que plusieurs donnent
l'exemple de l'intolérance à l'égard des anciens assermentés et notamment ceux
des communes de Saint Gilles, Villeneuve-lez-Avignon et Beaucaire, où ils ont
allarmé (sic) les consciences en sollicitant les personnes mariées par les prêtres
(sic) constitutionnels à se remarier par devant eux et à faire rebaptiser (sic)
leurs enfants. Cela est arrivé plus particulièrement à Beaucaire, où les prêtres
(sic) soumis ont fait imprudemment un service solennel en mémoire des trente-un
membres de la municipalité guillotinés, ce qui a rappelé des souvenirs que le
temps semblait commencer à faire oublier et a occasionné des propos qui
heureusement n'ont eu d'autres suites (1). »
(1) Archives du Gard, I, V, I - Ce service ne serait-il
pas celui qui fut présidé par M. Fauque, ancien chanoine de Saint-Ruf et prêtre
sacristain à Pernes, au moment de Révolution ? Incarcéré à Nîmes, M. Fauque
prépara à la mort les trente-un beaucairois. A la cérémonie expiatoire qu'il
célébra, il prononça un discours et distribua aux familles des victimes les
différents objets qu'on lui avait confiés. Granget, Histoire du diocèse
'd'Avignon, tome II, pages 478-479
Le 26 vendémiaire suivant (18 octobre 1801), le Préfet du
Gard, écrivant au Ministre de l'intérieur, se félicitait de la tranquillité qui
régnait dans son département.
« Cet état de calme,
que j'ai cherché à établir et à maintenir par tous les moyens qui étaient en
mon pouvoir même en n'exécutant pas de suite des ordres qui m'étaient donnés et
qui auraient pu le troubler, cet état, dis-je, me satisfait et m'étonne moi-même,
mais il ne diminue pas ma surveillance habituelle.
J'ai observé, dans
deux occasions, combien il serait encore facile de le changer et à quels
dangers on pourrait l'exposer par une fausse sécurité. Lorsque je reçus une
lettre-circulaire du Ministre de la police générale qui ordonnait de nouveau la
déportation d'un grand nombre, je ne tardai pas à m'apercevoir (sic) de l'effet
fâcheux que cette lettre allait produire. Il y eut un commencement de
fermentation, même avant qu'elle me fût parvenue officiellement ; et je vis
avec douleur que son exécution allait donner l'essor à toutes les passions les
plus dangereuses. Heureusement, cette lettre n'était applicable qu'à une grande
commune qu'il était important de ménager ; et lorsque je l'eus reçue, j'écrivis
sur-le-champ au Ministre pour lui représenter le mal qu'elle allait produire et
l'assurer que je ne l'exécuterais que lorsqu'il m'en aurait réitéré l'ordre et
l'ordre le plus absolu ; elle a été rapportée dans l'intervalle et tout le
monde a été satisfait.
En dernier lieu, les
brouillons ou les hommes qui veulent dominer exclusivement ont voulu profiter
de la nouvelle signature du Concordat pour répandre des bruits propres à
alarmer les protestants : ils n'ont pas d'abord réussi : mais à la longue, à
force de rapporter des lettres venues de Paris, disaient-ils, à force de citer
des articles de ce Concordat qu'ils ne connaissaient point, ils étaient
parvenus à donner de l'inquiétude aux protestants les plus éclairés et les plus
raisonnables, qui voyaient déjà revenir pour eux le temps de l'oppression ou au
moins de l'humiliation. Des protestants fanatiques (car le protestantisme a les
siens) allaient même beaucoup plus loin ; les uns, ceux qui se flattaient,
étaient persuadés que le Concordat ne passerait pas et qu'il opérerait une
révolution ; les autres croyaient qu'il passerait et redoutaient la paix qui
devait causer ce malheur à leur culte : les uns et les autres oubliaient la
patrie pour ce , qu'ils appelaient leur religion (1). »
(1) Archives du Gard, 1, V, I.
La prudence du Préfet calma toutes les alarmes, le Concordat
put éveiller certaines susceptibilités, mais il produisit la paix religieuse.
Pour ramener une parfaite concorde, le gouvernement voulut bien se montrer
clément à l'égard des prêtres encore incarcérés, mais en les soumettant
toutefois à une condition :
« L'intention du
gouvernement, écrivait Fouché au Préfet du Gard, le 28 floréal an X (18 mai
1802), est que les ecclésiastiques, actuellement détenus pour faits relatifs à
l'exercice du culte ou en exécution des lois sur la déportation, participent
aux effets de l'amnistie et soient rendus à la liberté. Vous donnerez, en
conséquence, les ordres nécessaires, en exigeant préalablement, de chaque prêtre
compris dans cette mesure, la déclaration par écrit qu'il est de la communion
des évêques de France nommés par suite de la Convention passée entre le
gouvernement français et Sa Sainteté Pie VII, et qu'il sera fidèle au
gouvernement établi par la Constitution et n'entretiendra, ni directement, ni
indirectement, aucune liaison, ni correspondance avec les ennemis de l'État
(1). »
(1) Archives du Gard, I, V, 2.
Dans son désir de maintenir la paix, comme aussi dans son
Indulgence pour le parti constitutionnel, le gouvernement voulait faciliter à
celui-ci l'entrée dans les rangs du clergé reconstitué et lui- épargner toute
démarche pénible.
« Vous devez porter
une égale attention, écrivait Fouché au Préfet du Gard, le 18 prairial an X (7
juin 1802), à ce qu'aucun des partis qui ont divisé l'Église n'exige aucune
espèce de rétractation. Je vous ai déjà fait connaître la volonté du
gouvernement à cet égard : on ne peut, sans la méconnaître, demander aux
prêtres ni serment, ni formule autres que la déclaration qu'ils adhèrent au Concordat
et qu'ils sont dans la communion des évêques nommés par le Premier Consul.»
Il ajoutait : « L'organisation
des cultes est dans l'Église ce que le 18 brumaire est dans l'État. Ce n'est le
triomphe d'aucun parti, mais la *réunion de tous clans l'esprit de la
République et de l'Église. »
Le clergé du Gard était animé, en ce moment, des sentiments les
plus pacifiques, et le préfet, M. Dubois, en rendait témoignage à Fouché :
« Je saisis cette occasion, citoyen ministre, pour vous
annoncer que j'ai remarqué avec satisfaction que les ministres du culte dans ce
département sont tous disposés à se soumettre aux conditions que le
gouvernement exige d'eux, mais encore à la seconder de tous leurs moyens (1). »
(27 prairial an X, 16 Juin 1802.)
(1) Archives du Gard, I, V, 2.
Voilà en quels termes, une douzaine de jours avant
l'installation de l'évêque Perier, M. Dubois reconnaissait l'esprit conciliant
de ce clergé qu'a liait gouverner, pendant près de vingt ans, l'ancien évêque
constitutionnel du Puy-de-Dôme.
Déjà, en 1802, l'on commençait à jouir des fruits de
l'habile politique inaugurée par Bonaparte, politique de pacification aussi
utile au nouveau pouvoir que nécessaire à la société. Le Concordat assurait la
liberté du culte et faisait cesser les malheureuses discordes entre
constitutionnels et insermentés. Dans les départements du Gard et de Vaucluse,
où les luttes politiques avaient été si vives, le calme se rétablissait.
Dès 1801, comme nous l'avons vu, partout les églises
s'étaient rouvertes, et les autels avaient commencé à se relever. Avec quel
enthousiasme étaient reçus, par leurs anciens paroissiens, tous les vénérables
confesseurs de la foi qui, après avoir souffert persécution pour leur fidélité
â la religion du Christ, revenaient maintenant de l'exil, quittaient leurs
cachots ou leurs solitudes ! •
L'Évêque d'Avignon accorda aux anciens curés rentrés dans
leurs paroisses des pouvoirs d'abord provisoires, qui devinrent plus tard
définitifs, lorsque les circonstances locales ou les exigences de l'administration
diocésaine permirent de les laisser au milieu de leur ancien troupeau. L'année
1803, vit la réorganisation paroissiale. Mais, dès les années 1801 et 1802, la
vie chrétienne renaquit active et intense : les dimanches et les fêtes, les
populations accouraient aux offices, empressées, avides de revoir les anciennes
cérémonies du culte, désireuses d'entendre la parole de Dieu. Comme le ressort
se détend de lui-même dès que cesse d'agir la force qui le déformait, ainsi la
foi chrétienne, longtemps comprimée, se manifesta avec une puissante énergie.
L'Évêque put apprécier par lui-même combien ardents étaient
les sentiments religieux de son peuple. La première fois qu'il administra la
confirmation, il vit avec bonheur, à côté d'enfants et d'adolescents, un bon
nombre d'hommes et de femmes, dans la maturité 'de l'âge, des pères et des
mères de famille se présenter pour recevoir cet important sacrement, dont la
persécution les avait jusqu'alors privés (1).
(1) Précis de l'histoire d'Avignon, Avignon, Seguin
aîné, 1852, t. II, p. 167.
C'était partout comme un renouveau de la piété catholique.
Sans doute, les autels érigés sur quelques ais échafaudés à la hâte, ne
brillaient bien souvent d'aucunes parures les antiques richesses des églises
avaient été en partie brûlées dans les autodafé révolutionnaires, en partie
dispersées : ici confisquées par la municipalité terroriste, là volées par
quelque Jacobin, ailleurs religieusement soustraites à des profanations
sacrilèges par la courageuse prudence de quelque fidèle. Mais dans ces temples
délabrés, pauvres, sans ornements, l'on adorait avec la foi de jadis le Dieu de
l'Eucharistie ; comme auparavant, l'on venait invoquer avec confiance la Vierge
immaculée, secourable à la douleur et à la souffrance. Peu à peu cependant
étaient rendues les reliques du passé : anciens vêtements sacerdotaux, ors et
brocarts, vases sacrés, statues miraculeuses. Parfois, le petit pécule de la
Confrérie du Saint-Sacrement ou du Rosaire (1), conservé avec intégrité par un
baile vaillant ou une prieuresse pieuse, servait à pourvoir aux premières
nécessités du culte. Dans le village comme dans la ville, la générosité des
fidèles s'imposait avec joie des sacrifices pour aider à la restauration des
églises et à la décoration des chapelles.
(1) Voir en particulier les Archives frabriciennes de
Saint-Bonnet, près Remoulins.
Chez nos religieuses populations du Comtat et du Languedoc,
la foi aimait alors à se traduire par 'des manifestations extérieures et
publiques. L'article 1er du Concordat autorisait formellement ces
manifestations. Il portait :
« La religion
catholique, apostolique, romaine, sera librement exercée en France. Son culte
sera public, en se conformant aux règlements de police que le gouvernement •
jugera nécessaires pour le tranquillité publique. »
Dans la dernière partie de cet article, l'hypocrisie
sectaire n'avait pas encore trouvé le perfide moyen de fouler aux pieds les
droits des catholiques, si solennellement reconnus par la Convention de
messidor.
Aussi, dès 1802, le culte jouit-il de la plus entière
liberté.
Albert DURAND
> Version imprimable PDF
| - La Révolution à Nîmes, suite d'articles
- > La Révolution à Nîmes les massacres de juin 1790, la religion, le tribunal Rélutionnaire, la guillotine et la Terreur..
|
|