Début juillet, on apprit que le roi
approchait de Paris, que le gouvernement provisoire avait adressé, le 7 juillet
1815, un message aux chambres pour leur déclarer que les puissances alliées
avaient pris rengagement de rétablir Louis XVIII sur le trône ; que l'on devait
donc s'attendre à le voir au premier jour entrer dans sa capitale. En effet, le
même jour 7 juillet , une ordonnance royale prescrivait à tous les
fonctionnaires destitués pendant les cent jours de reprendre leurs fonctions,
et, le lendemain 8, le roi était à Paris.
Le surlendemain 10, M. de Bernis apprit
au conseil municipal de Nismes une nouvelle qu'il ne pouvait ignorer ; il le
somma d'avoir à arborer le drapeau blanc et à faire reconnaître l'autorité
royale. « Si contre notre attente disait-il,
les mauvais esprits qui continuent d'influencer votre ville, vous portaient à
vous refuser au seul parti honorable qui vous reste, nous vous le disons avec
douleur, nous vous dénonçons la rupture de l'armistice, à dater d'après-demain
12 juillet à quatre heures du matin ; de manière que l'état d'hostilité
recommencera le lendemain 13, aussi à quatre heures du matin.
Nous
vous conjurons , Messieurs , d'épargner à votre ville, comme à nous, cette
cruelle nécessité. Nous vous déclarons qu'ayant fait tout ce qui était en notre
pouvoir, vous demeurerez seuls responsables des malheurs que nous avons voulu
éviter (1). »
(1)
Selon M. Madier-Montjau, l'armée de Beaucaire était impatiente de combats pour
arriver au butin, aux vengeances, aux prétextes de traiter Nismes comme une
ville prise d'assaut, et d'exterminer les protestants. Elle regrettait
l'armistice.
Je
ne veux pas accuser, ajoute-t-il, MM. de Calvière et de Bernis d'avoir partagé
ces regrets, d'avoir fait ces barbares calculs. Ce que je ne puis taire, c'est
qu'ils dénoncèrent l'armistice et annoncèrent les hostilités pour le 13.
Oui,
sans doute, ils dénoncèrent l'armistice le 10, mais pour le 13 seulement. Le
roi était à Paris depuis le 8 ; il était temps sans doute que Nismes rentrât
sous son obéissance. Mais, quoique, aux termes de la convention, les hostilités
eussent du reprendre le 13, les chefs militaires de Beaucaire, connaissant la
position de Nismes, attendirent que Gilly eût évacué la ville. Ils laissèrent
aux autorités locales le soin d'arborer le drapeau blanc, espérant sans doute
que le mouvement s'opérerait sans secousse. Si leurs calculs ont été trompés,
du moins on ne leur fera pas le reproche d'avoir provoqué l'effusion du sang,
puisqu'ils ne marchèrent sur Nismes que le 18, lorsque le conseil municipal
demanda leur présence.
M.
Madier-Montjau a trouvé le secret de calomnier jusques à la lenteur que mirent
les commissaires à arriver à Nismes avec les troupes qu'ils commandaient. Après
leur avoir fait un crime d'avoir dénoncé l'armistice le 13 , il leur en fait un
second d'avoir évité toute espèce d'hostilités.
On ne répondit à ce message de paix
qu'en faisant proclamer en grande pompe Napoléon II par la garde urbaine, les
fédérés et les troupes irrégulières qui inondaient encore Nismes. Tout porte à
croire que l'autorité fut entraînée par les ordres du général Gilly dans une
démarche qu'elle désapprouvait. La position de Nismes devenait, en effet, à
chaque instant plus critique ; les royalistes y étaient insultés ; plusieurs
d'entre eux, fuyant une ville où ils ne trouvaient plus de sûreté, vinrent
grossir le rassemblement de Beaucaire, et excitèrent le ressentiment de ceux
qui s'y trouvaient déjà, en les alarmant sur le sort de leurs familles.
Dans cet état d'effervescence, les
chefs de l'armée de Beaucaire, malgré la dénonciation de la rupture de
l'armistice , crurent devoir suspendre leur mouvement.
Dans la nuit du 14 au 15, Gilly évacua
la ville avec les chasseurs à cheval et les bandes de la Gardonnenque, et fut
suivi par plusieurs gardes urbains collets jaunes. Il prit d'abord position sur
la route d'Anduze, n'y séjourna que quelques heures, et dispersa son escorte.
Les chasseurs se dirigèrent par des routes détournées sur le Saint-Esprit ;
Gilly chercha d'abord un asile dans les environs d'Anduze, et se réfugia
bientôt dans les Cévennes, où il pouvait
compter sur la discrétion de ses partisans (1).
(1)
Les amis du général Gilly publièrent, pour dérouter toutes recherches, tantôt
qu'il avait gagné la Suisse, tantôt qu'Il avait atteint les États-Unis
d'Amérique ; le fait est que, pendant plus d'une année, et presque jusqu'à
l'époque où le duc d'Angoulême sollicita sa grâce et la révision du jugement
qui le condamnait, il est ragé caché dans le département de la Lozère, canton
de Sainte-Croix.
Le baron Ruggieri (Préfet du Gard des 100 jours), par une proclamation du 15 juillet,
annonça le retour de Louis XVIII. Elle contenait l'éloge le plus touchant du
monarque, rendu, disait-il, aux vœux de la France. Ce qui n'empêcha pas le
préfet de prendre la fuite le même jour pour se soustraire au ressentiment de
ses administrés (1).
(1)
Pendant sa courte administration, le baron Ruggieri s'était comporté avec une
dureté sans exemple, et n'avait accueilli qu'avec des menaces les réclamations
des royalistes.
Un courrier, arrivé le même jour 15
juillet, avait porté l'ordre de faire reconnaître l'autorité royale ; ce ne fut
cependant que le lendemain 16, que le drapeau blanc parut sur les édifices
publics. Quelques particuliers l'avaient arboré la veille, dès qu'ils eurent
connu la proclamation du préfet ; mais la garde urbaine fit feu sur leurs
maisons et sur les citoyens qui osèrent mettre la cocarde blanche. Un garçon
boulanger fut tué sur le seuil de la boutique de son maître ; il reçut le coup
de fusil destiné à un autre (1).
(1) Sur tous ces faits on peut
consulter la brochure que nous avons déjà citée si souvent : Couses des
troubles, page 23. Le garçon boulanger qui fut tué s'appelait Jean Vignolle.
Le corps municipal proclama enfin Louis
XVIII le 16, en présence de la troupe muette et des gardes urbains , obligés de
céder à la force des évènements ; mais la tranquillité de la ville n'en
devenait que plus précaire ; on ne pouvait compter sur aucune force armée pour
maintenir la paix ; la garde urbaine menaçait à chaque instant de tirer sur les
citoyens ; les soldats de la ligue se gardaient dans leurs casernes, et leur
artillerie restait braquée sur les avenues (1).
(1) M. Durand, lieutenant des
canonniers de la garde urbaine, et qui n'est point suspect, crut devoir se
justifier personnellement de ce fait, et répandit, en 1816, un mémoire imprimé,
dans lequel on remarque le passage suivant :
« Le drapeau blanc venait d'être arboré
à la mairie. Les gendarmes avaient pris la cocarde blanche. Cet événement
déplut à un grand nombre de canonniers et à d'autres personnes assemblées sur
la place de la Caserne. Témoin de leurs propos séditieux, je courus en informer
M. le maire, qui vint avec moi pour les contenir. Nous les aperçûmes de loin
faisant écarter la foule, je me portai de suite aux pièces de canon. Je
m'aperçus qu'on avait chargé une pièce à mitraille en mon absence ;
l'insurrection était à son comble et le danger était extrême. On ne se
préparait à rien moins qu'a tirer sur les gendarmes et sur le peuple qui les
environnait : la pièce était tournée contre eux. Le général Malmont s'était
opposé vainement à cette entreprise : on l'avait insulté. Je me jetai sur la
pièce, en disant qu'on aurait plutôt ma vie que de faire feu ; les furieux
n'entendaient pas raison ; j'arrêtai souvent le bras du second servant qui
voulait toujours mettre feu, et qui y était encouragé par une foule de ses
camarades ; j'enlevai alors les étoupilles , etc. »
Le 17, la ville présentait le même
aspect, mais les royalistes prenaient courage ; les émigrés rentraient dans
leurs foyers, les gardes urbains abandonnèrent leurs postes, à peine resta-t-il
quelques hommes au corps-de-garde de la commune : les citoyens s'animèrent dans
plusieurs quartiers et s'organisèrent spontanément en compagnies. On ne saurait
dissimuler que, l'autorité n'ayant pas dirigé ce mouvement, toutes les
compagnies qui se formèrent, surtout celles des faubourgs où les passions
étaient encore flagrantes le ressentiment des vexations des cent jours existait
dans toute sa force, ne furent pas animées par le même esprit et guidées par
des intentions toujours pures dans le choix de leurs chefs (1).
(1) Une compagnie se forma sous le
commandement d'un nommé Dupont, simple travailleur de terre, et qui a acquis
depuis une si funeste célébrité sous le nom de Trestaillons. Son existence ne
fut pas heureusement de longue durée.
Dans cette position, et dans la matinée
du 17, lorsque le corps-de-garde de la commune devenait désert, une réunion de
citoyens se présenta à M. Daunant, maire de la ville, lui offrit de se réunir
en compagnie pour défendre, s'il le fallait, la maison-commune, et y maintenir
l'ordre. Le maire accueillit avec joie cette offre ; on put lui présenter dans
peu d'instants une liste d'environ soixante hommes sûrs et dévoués. Le maire
engagea lui-même, les gardes urbains qui se trouvaient en petit nombre au
corps-de-garde, à céder leurs fusils ; il en fit distribuer plusieurs autres
qui se trouvaient dans les bureaux de la commune et la compagnie s'arma.
Il lui fallait un chef. Il est naturel,
dit-on au maire, que ce soit votre fils qui nous commande ; il approuva cette
idée et fit dire à ce dernier, aujourd'hui premier président à la cour royale
de Nismes, de se rendre à la commune (1).
(1) Nous fûmes chargé personnellement
du message, et assez heureux pour réussir dans notre mission.
Il y vint, prit le commandement, le
trouva dans quelques heures au dessus de ses forces, et le maire pria alors
lui-même M. Baragnon père, avocat, de vouloir bien s'en charger.
Ces précautions maintinrent pendant la
journée l'ordre dans les environs de l'Hôtel-de-Ville ; mais tout le reste de
Nismes était dans l'agitation. Les compagnies irrégulièrement formées en
sillonnaient les rues et achevaient de s'organiser ouvertement suries avenues
et les promenades. Des désarmements partiels et sans ordre commencèrent à
s'opérer.
La troupe restait toujours renfermée
dans ses casernes ; l'artillerie, gardée par deux piquets nombreux, était en
avant de la porte la plus rapprochée de l'ancien cours ; les bouches à feu
menaçaient l'avenue de l'Esplanade ; le corps des gendarmes à cheval s'était
mis en bataille, faisant face aux casernes, ses derrières appuyés à l'île des
Carmes ; un rassemblement nombreux qui grossissait à chaque instant occupait
toutes les avenues de l'enclos Mathieu, celles du Cours, de l'enclos Rey et
même de l'Esplanade. Il se resserrait à chaque instant, malgré les efforts du
général Malmont, et la résistance que lui opposaient quelques gendarmes
détachés qui parcouraient le cercle. La troupe frémissait de rage, menaçait de
faire feu et n'écoutait plus la voix du général. Dans ces circonstances, et
vers les cinq heures du soir, le maire pria le commandant du poste de la
commune de se rendre aux casernes pour se concerter avec le général Malmont qui
offrait de faire conduire l'artillerie à l'Hôtel-de-Ville, espérant apaiser par
cette condescendance l'effervescence du peuple. Pour donner plus de poids à
l'envoyé du maire, il fut accompagné par M. Gaillard père, négociant
respectable et conseiller municipal.
Ils percèrent tous les deux avec peine
le cercle de populace et de troupes qui entourait les casernes, parvinrent
jusqu'au général, qui les engagea, en effet, à mettre sous les armes la
compagnie bourgeoise réunie à la commune, à la grossir de tous les citoyens
bien connus et zélés pour l'ordre, qui voudraient se joindre à eux, et à se
transporter sur-le-champ aux casernes où l'artillerie leur serait livrée dans
l'unique but d'éviter l'effusion de sang.
L'on s'empressa de se rendre aux vœux
du général ; tous les citoyens de garde à la commune prirent les armes et
formèrent leurs rangs ; de nouveaux auxiliaires vinrent les joindre (1) ; le
maire contribua encore à les armer : mais une heure s'écoula et les minutes
étaient précieuses.
(1) Un fait qui ne sera point dénié,
c'est que le but du mouvement de cette compagnie était si bien connu que tout
ce qui était ami de l'ordre s'empressa de s'y joindre. Des protestants se
mirent dans ses rangs ; nous y aperçûmes, nous qui la commandions, MM.
Bousquet-d'Azémar et son fils. Nous les engageâmes à se retirer en leur faisant
sentir les dangers qu'ils couraient ; ils se rendirent à notre avis au moment
même où nous quittions la place de la Commune.
Au moment où cette troupe, protégée par
les vœux d'une autorité non suspecte, se mettait en mouvement, des coups de feu
se firent entendre. Les officiers du corps que commandait le général Malmont
avaient désapprouvé son projet de livrer l'artillerie ; ils méconnaissaient ses
ordres ; les canons étaient rentrés dans les casernes ; la troupe avait fait
feu sur les citoyens ; déjà plusieurs morts étaient étendus sur la place
déserte (1), et l'on pouvait apercevoir, de l'Esplanade, les fenêtres des casernes
garnies de soldats armés, tandis que les citoyens se retranchaient derrière les
ruines de l'ancienne salle des spectacles, l'île de l'Orange, et dans les rues
voisines des casernes.
(1) Plusieurs citoyens périrent. Toutes
les brochures du temps ont compté parmi les morts les nommés Mazoyer, Sadoul,
Dussault et Castor. Il y eut plusieurs blessés.
La compagnie de l'Hôtel-de-Ville, forte
de la mission qu'elle avait reçue, continua sa marche; elle crut par prudence
devoir s'abriter de l'île de l'Orange qu'elle gagna en suivant le boulevard des
Calquières, (actuel Amiral Courbet)
et se réunit sur ce point à la gendarmerie qui lui offrit sa coopération. Elle
essaya vainement d'envoyer des parlementaires pour réclamer l'exécution des
promesses du général ; ils furent repoussés avec menaces de tirer sur eux.
Des coups de feu sillonnaient, de temps
à autre, la place des Casernes ; les soldats placés aux fenêtres se
tiraillaient avec le peuple posté aux avenues. Dans cette lutte, un ou deux
soldats furent tués, quelques hommes et une femme furent blessés parmi le
peuple (1).
(1) C'est alors que fut tué le nommé
Maurice, maçon.
Au milieu de cette crise, le tocsin
sonnait sans ordre à toutes les églises ; le détachement posté derrière l'île
de l'Orange, grossi par une foule d'arrivants, crut devoir se porter aux
moulins à vent pour maintenir la troupe dans les casernes, et l'empêcher de
s'emparer d'une position de laquelle elle eût pu foudroyer la ville (1).
(1)
Peu de jours auparavant l'artillerie était restée postés sur les hauteurs des
moulins à vent, et menaçait la ville. C'est un fait qui ne saurait être dénié.
Au même instant, un exprès était
dépêché à M. de Vogué à Uzès, avec prière d'accourir à Nismes, à la tête des
forces qu'il commandait. Le conseil municipal envoyait successivement estafette
sur estafette au général des forces royales à Beaucaire, pour presser l'arrivée
de l'armée : il dépêcha M. Layre, qui arriva à Nismes à onze heures du soir,
trouva des postes armés établis sur toutes les avenues des casernes, et se
transporta à la commune où les conseillers municipaux étaient en permanence..
Le commandant du corps campé aux
moulins à vent, que les événements et les ordres du maire avaient, en quelque
sorte, porté involontairement à la tête du mouvement, reçut l'invitation de se
rendre à la commune pour se concerter avec M. Layre. Il s'y rendit, et celui-ci
apprit au conseil que le général et les officiers renfermés dans les casernes
demandaient à capituler. Il fut résolu d'écouter leurs propositions.
M. Layre entra dans les casernes en
parlementaire, suivi de deux officiers ; il exigeait que la troupe mît bas les
armes. Elle s'y refusa : l'autorité des généraux et des officiers était
méconnue ; la conférence fut rompue, et chacun reprit ses postes (1).
(1) On a écrit que plusieurs gardes
urbains, collets-jaunes, étaient dans les casernes avec les soldats : le fait
est faux. Comment auraient-ils pu échapper à la mort ? Les casernes furent
investies à la chute du jour, et dès le lendemain le peuple s'y précipita. Il
est vrai que plusieurs d'entre eux, prévoyant les événements et craignant pour
leur sûreté, avaient suivi, dès le 15, le général Gilly.
Quelques heures après, la capitulation
proposée fut acceptée par les assiégés. Il fut convenu que les officiers
conserveraient leur épée, mais que les soldats sortiraient sans armes avec
leurs sacs. Il est difficile de peindre, à cette nouvelle, la fureur des
soldats ; ils enclouèrent l'artillerie, plusieurs brisèrent leurs armes et
jetèrent leurs munitions dans le puits des casernes.
Le détachement de citoyens qui gardait
les moulins à vent, et dans lequel l'ordre s'était constamment maintenu, reçut
de M. Layre l'invitation de se rendre devant la porte des casernes pour
protéger la sortie de la garnison. Il était près de trois heures du matin , le
jour commençait à poindre ; cette compagnie opéra son mouvement mais elle
n'était pas assez forte, ni assez nombreuse pour garnir à rang serrés toute la
longueur des casernes ; la gendarmerie, tremblant pour elle-même, ne lui fut
d'aucun secours, elle resta appuyée à l'île d'Orange, et parut se placer sous
la protection de ceux avec lesquels elle aurait du agir.
La troupe sortit des casernes ; les
officiers étaient à sa tête et répondaient aux cris de vive le roi ! poussés
par les citoyens. Déjà les officiers avaient dépassé l'aile gauche des
casernes, et commençaient à pénétrer dans le chemin d'Uzès ; les soldats
suivaient à pas précipités ; le cercle de la populace, toujours plus menaçant,
se resserrait ; les efforts des citoyens qui voulaient protéger la troupe
devenaient impuissants ; leur ligne étaient rompue ; la gendarmerie restait
immobile.
Le tocsin qui avait sonné toute la nuit
avait amené dans la ville une foule d'étrangers armés ; plusieurs Nismois
réfugiés à Beaucaire, et qui ne faisaient point partie des corps organisés,
étaient accourus et animaient le ressentiment des groupes. Dans ce moment
critique, deux coups de feu partirent des rues de l'enclos Mathieu : dès lors
le désordre devint à son comble ; toute autorité fut méconnue, toutes
représentation inutile ; les soldats s'enfuirent dans toutes les directions ;
la plupart d'entre eux trouvèrent asile dans la ville. Les officiers qui
avaient atteint le chemin d'Uzès, gagnèrent à pas précipités les chemins
détournés qui conduident à Saint-Baudile, (oratoire
sur le chemin des moulins), et se dirigèrent sur le village de Russan. (1)
(1) Trente-deux officiers ou
sous-officiers, à la tête desquels était le général Malmont, s'enfuirent
presque à travers champs dans la direction du village de Russan. Avant
d'arriver à ce village, ils furent entourés et désarmés par les paysans en
armes des communes de la Calmette, de Dioons et de Russan, qui les conduisirent
à Uzès. Le bruit se répandit dans cette ville que ce général et les militaires
qui fuyaient avec lui avaient été pris lorsqu'ils allaient joindre le général
Gilly dans les Cévennes ; le peuple se souleva ; l'autorité fut assez heureuse
pour les protéger ; mais il fallut, pour apaiser l'émeute, les conduire en
prison. Le lendemain, M. de Vallabrix, sous-préfet, les fit élargir, leur donna
tous les secours dont pouvaient avoir besoin des hommes dépouillés, et protégea
lui-même leur départ en les accompagnants jusqu'au Pont-Saint-Esprit.
Il n'est point étonnant que, dans ce
moment la fureur du peuple ait fait plusieurs victimes ; dix soldats périrent,
une vingtaine furent blessés (1).
(1) Aucune des brochures du temps n'est
d'accord sur le nombre des militaires morts et blessés. Nous avons parcouru
nous-mêmes les salles les hospices, et, si notre mémoire est fidèle, nous avons
vu dans une salle particulière vingt ou vingt-trois blessés, parmi lesquels
était M. le colonel Lefebre. Les soins les plus affectueux leur ont été pridigués
; aucun d'eux n'a succombé à ses blessures.
On compta parmis ces derniers le
colonel Lefèbre, recueilli à l'hospice, et qui est sorti sain et sauf. Un
capitaine d'artillerie fut tué ; il ne méritait pas son sort, et n'était resté
en arrière que pour faire respecter les effets d'artillerie que les soldats
brisaient dans leur rage.
La gendarmerie eut bientôt à se
repentir du peu de fermeté qu'elle avait déployé. Obligés de se disperser,
plusieurs gendarmes furent dépouillés et désarmés ; ils virent leurs casernes
envahies, et leur colonel ne trouva sûreté pour sa vie que dans l'asile qui lui
fut offert.
L'armée de Beaucaire arriva le 18, vers
les dix heures du matin ; elle était composée du régiment d'infanterie formé
dans cette ville, mais qui n'avait reçu qu'une organisation imparfaite, d'un
escadron de chasseurs à cheval qui n'avait point encore d'uniforme et comptait
peu de chevaux, et d'une compagnie d'artillerie. Ces troupes étaient suivies
par une partie des gardes nationales de Beaucaire, d'Arles et de Tarascon (1).
(1) Le tableau que M. Ch. Durand ,
auteur d'un libelle intitulé : Marseille , Nismes et ses environs, a tracé de
l'armée de Beaucaire, dans sa première partie, chapitre 8 , page 49, appartient
plutôt au roman ou au mélodrame qu'à l'histoire. Nous ne prendrons pas la peine
de le réfuter.
Il est vrai de dire qu'à leur suite et
sans ordre marchait une foule de paysans et d'étrangers, dont les intentions
n'étaient pas bien pures ; car, à peine les troupes furent-elles disséminées
dans la ville, que le désordre y éclata de toute part. Les maisons MM.
Vincens-Mourgue , Crouzat et Rebuffat, des généraux Merle et Gilly, et le café
de l'Ile d'Elbe, furent pillés et dévastés (1).
(1) La maison de M. Vincens-Mourgue, si
l'on en croit plusieurs brochures du temps, fut pillée par erreur. Cette
explication a été pour nous une énigme, mais non pas une excuse. L'on conçoit
facilement comment la fureur du peuple se dirigea sur les maisons des généraux,
Merle et Gilly, et sur le café de l'Ile-d'Elbe ; il nous a été certifié que la
maison Crouzat fut dévastée parce que l'on crut que le coup de feu qui, la
veille, avait tué le portefaix Mazoyer, était parti de cette maison. Nous
n'entendons d'ailleurs légitimer aucun excès ; mais , comme historien, nous
cherchons à en signaler les causes. .
Une brochure, qui a pour titre :
l'Impartial, offre le relevé des diverses maisons dévastées à Nismes dans la
réaction de 1815 , et les réduit à onze. Elle observe que ce nombre se compose
de six maisons occupées par des protestants, de quatre occupées par des
catholiques, et la onzième mi-partie.
Il faut rendre justice au zèle des
commissaires du roi et à celui des officiers du régiment du Gard ; ils se
précipitèrent partout où leur présence pouvait être utile. Les commissaires de
roi coururent des dangers personnels, dans la maison Mourgue, où l'on parvint à
sauver la caisse et à restituer la majeure partie des marchandises pillées. En
général les efforts des officiers et des autorités étaient impuissants ; on
n'apercevait partout que des figures étrangères, inaperçues pour ainsi dire
jusques alors semblables à ces oiseaux du proie qui suivent les armées.
Beaucoup de maisons dans la ville
fuirent menacées ; mais tous les citoyens sentirent la nécessité de s'armer,
ils créèrent des corps-de-garde dans toutes les rues ; les quartiers qui
n'avaient point encore leurs compagnies provisoires, achevèrent de les former.
L'intérieur de la cité fut préservé par ce moyen. La maison de M. Vincens est
la seule qui souffrit de la première impulsion donnée au désordre ; il est à
remarquer que toutes les autres maisons dévastées étaient situées dans les
faubourgs.
Le général de Barre, dont les
intentions étaient bonnes, mais qui ne sut point y joindre l'énergie dont il
aurait eu besoin à une époque aussi critique, crut contribuer à la tranquillité
de la ville en réunissant l'armée et en poussant une reconnaissance du côté de
Saint-Césaire. Dans cette sortie, le nommé Imbert dit la Plume, de Nismes,
révolutionnaire connu, fut aperçu dans les champs, fuyant ce village où il
s'était réfugié, et reçut plusieurs coups de feu qui lui donnèrent la mort. Le
général de Barre, qui voulut empêcher le crime, vit lui-même ses jours menacés.
L'armée rentra dans la ville ; on
caserna immédiatement le régiment du Gard et les chasseurs à cheval. Il est
difficile de peindre la situation de Nismes rempli de gens armés ; chaque rue
était gardée par des compagnies qui n'avaient entre elles aucun mot d'ordre,
aucun point de ralliement, aucun signe de réunion. La nuit s'écoula dans les
alarmes.
Le lendemain 19, les commissaires du
roi, le général et le préfet, convoquèrent, dans une des salles de la
préfecture, tous ceux que le choix de leurs concitoyens avait désignés pour
officiers dans leurs quartiers. L'autorité n'osa point, par une mesure ferme,
licencier ces corps irrégulièrement formés, et organiser d'hors et déjà une
garde nationale dans laquelle tous les citoyens amis de l'ordre auraient senti
la nécessité de se faire inscrire, et dont on aurait pu exclure ceux que l'on
aurait soupçonnés d'être les artisans du trouble. Elle préféra pactiser avec
les circonstances, sanctionner en quelque sorte ce qui avait été fait, et
donner cependant à cette masse armée, dont les éléments n'étaient pas même connus,
un état-major dont les chefs eussent quelque influence.
Tous les officiers déjà nommés,
confirmés dans leurs grades, à quelques modifications près, furent invités à
aider l'autorité à fixer son choix. C'est ainsi que furent successivement
désignés : un colonel, un major, un lieutenant-colonel, trois chefs de
bataillon, trois adjudants-majors et trois adjudants sous-officiers (1).
(1) Le choix de colonel tomba sur M.
d'Anglas, celui de major sur M. Baragnon père, avocat.
Cet état-major eut l'ordre de former
sur-le-champ ses bureaux, d'inviter chaque capitaine de quartier à donner la
liste de sa compagnie, d'en réduire sans dislocation le nombre à 24 et
d'organiser aussi régulièrement que possible le service des postes que
désignerait le commandant de la place (1).
(1) il est facile de sentir que cette
garde nationale improvisée, composée d'élément si divers, méritait à peine ce
nom ; mais il ne faut pas la confondre, et c'est ce qu'ont fait tous les
auteurs de libelles, avec la garde nationale organisée peu de mois après, à
laquelle l'histoire ne rendra jamais assez de justice, mémo en la citant comme
un modèle constant de zèle, d'ordre et de discipline.
Nous devons d'ailleurs ajouter que ;
malgré les vices de sa première formation, la garde nationale comptait dans ses
rangs beaucoup de bons citoyens qui, dans un moment de désordre, ne pouvaient
être comptables des fautes d'autrui. Heureux celui qui, dans ces temps
critiques, la main sur la conscience, a pu se dire : J'ai fait mon devoir.
Si l'autorité et éloigna quelque
faiblesse dans l'organisation provisoire de la garde nationale, elle commit une
faute plus grave encore : les volontaires royaux qui avaient suivi le duc
d'Angoulême dans la campagne de la Drôme, portaient alors avec orgueil le nom
de miquelets qu'on leur avait donné par mépris ; quelques-uns d'entre eux
excités par des chefs exaltés, avaient cru devoir se séparer de la garde
nationale, et s'étaient réunis dans les cadres de deux compagnies, qui prirent
le nom de bataillon de miquelets. Elles ne recevaient aucun ordre de
l'état-major ; le général de Barre autorisa, ou souffrit du moins, une mesure
impolitique dont les conséquences étaient faciles à prévoir ces corps
indépendants servaient de manteau à tous les malveillants (1).
(1) Ils étaient en petit nombre. Nismes
avait fourni près de deux mille hommes au prince, et le bataillon de miquelets
comptait au plus cent cinquante hommes.
La compagnie commandée par Dupont avait
suivi cet exemple, et n'avait pas envoyé son contrôle à l'état-major.
M. de Vogué, parti d'Uzés le 18 au
matin, à la tête du bataillon qu'il organisait, s'était réuni, sur les hauteurs
de la Calmette à une compagnie de paysans, commandée par M. le marquis de
Valfons ; il avait à sa suite le corps de gendarmes qu'il avait commencé de
créer à Uzés, et qui était destiné à demeurer à Nismes pour former le noyau de
la gendarmerie du département.
Le 19 juillet, un arrêté du préfet et
du commandant du département organisa un conseil de guerre, que l'on mit à la
disposition de ce dernier.
La journée du 20 juillet fut un jour de
troubles ; une masse de peuple se porta sur la maison Vitte, située dans
l'enclos Rey, et la dévasta. Le propriétaire courut les plus grands dangers ;
heureusement les chefs de la garde nationale arrivèrent assez à temps pour le
couvrir de leur corps, et le conduire au corps-de-garde des casernes où il
trouva sûreté.
Presque au même instant, le bruit se
répandit que la campagne de Vaqueyroles, située à une lieue de la ville et
appartenant à M. Nègre, recélait un dépôt d'armes, et que plusieurs réfugiés
Nismois s'y rassemblaient. Un corps armé s'y transporte spontanément et sans
ordre ; il se compose en grande partie du bataillon des miquelets et d'autres
individus dirigés par un zèle inconsidéré. Les plus grands désordres furent
commis à Vaqueyroles ; on mit le feu à un grenier à foin ; il se communiqua à
la maison de maître, qui fut presque entièrement incendiée (1).
(1) Les désordres commis à Vaqueyroles
sont assez grands sans y ajouter les détails que M. Madier-Montjau a osé donner
dans sa pétition à la chambre des députés, lorsqu'il atteste que le cadavre de
Mademoiselle Nègre, âgée de quinze ans, a été sorti de son cercueil, outragé,
et qu'il ajoute : « Les cannibales conculcaverunt corpus ex animum et super
illud minxerunt. » Par cette atroce calomnie, qui doit suffire pour faire
connaître l'imagination déréglée du pétitionnaire, ont peut juger de la foi que
l'on doit ajouter à tout ce qu'il avance.
M. Chartes Durand, qui est bien loin
d'avoir respecté toujours la Vérité, parle de l'expédition de Vaqueyroles et de
l'incendie des bâtiment, et ne dit pas un mot de la sépulture violée. Le
révérend Perrot, dans son rapport aux non conformistes d'Angleterre, se borne à
dire : que les restes d'une jeune demoiselle furent exhumés et jetés dans les
flammes qui consumaient le bâtiment. Toutes les brochures royalistes et
notamment celle de M. d'Arbaud-Jouques nièrent le fait. Lauze de Perret, qui
avait recueilli tous les bruits populaires les plus exagérés, et qui est entré
dans les détails les plus minutieux sur les crimes vrais ou faux attribués aux
royalistes, rapporte tomme II, page 212, « que M. Nègre neveu avait perdu sa
fille, âgée de dix ans ; qu'il l'avait fait ensevelir contre un des pavillons
du château ; que sa tombe avait été recouverte de terre, et la porte
d'enceinte murée ; que les dévastateurs,
apercevant un mur nouvellement bâti, crurent que de l'argent pouvait y être caché,
le démolirent et cherchèrent à fouiller l'a tombe ; mais que l'odeur du cadavre
les fit renoncera. y entrer.
Certes, MM. Perrot et Lauze de Perret
nous ont présenté un fait criminel dans toute sa laidéur ; mais, du moins, tel
qu'ils l'ont dépeint, il est possible, il est même croyable dans un temps de
désordre ; il était réservé à M. Madier-Montjau de créer des détails
invraisemblables.
L'autorité, se méfiant de ses forces,
ne connut pas tout le parti qu'elle aurait pu tirer du zèle des bons citoyens,
dont la plupart gémissaient de ces excès. Elle prit cependant plusieurs mesures
: un arrêté du commissaire du roi, à la date du 20 juillet, en promettant sa
protection à tout Français sans distinction de croyance, ordonnait à tous les
citoyens qui avaient quitté leur domicile de rentrer dans leur commune (1).
(1) Les libellistes ont osé présenter
cette mesure comme un piège qui n'avait pour but que de rendre les assassinats
plus faciles.
Une circulaire du préfet, du même jour,
donnait des instructions aux maires, pour parvenir à dissiper les
rassemblements qui se formaient. Deux arrêtés furent rendus le lendemain 21 :
l'un prescrivit de restituer aux dépôts publics., dans-chaque commune, toutes
les armes de guerre et tous les fusils de calibre ; l'autre prohiba, sous des
peines sévères, tous les désarmements illégaux.
Plusieurs commissaires, choisis parmi
les citoyens les plus influents de la contrée qu'ils habitaient, furent
envoyés, sous le nom d'officiers pacificateurs, dans la Vaunage, les Cévennes
et la Gardonnenque.
Des rassemblements se formaient dans
cette dernière contrée, et se réunissaient dans la plaine de la Bitarelle (commune de la Calmette au nord de Nîmes)
: on y annonçait publiquement l'arrivée prochaine du général Gilly ; un
individu y parut prenant le titre de son aide-de-camp. Le général de Barre
sortit une seconde fois de Nismes, à la tête des troupes qu'il commandait, pour
dissiper les mécontents, qui n'attendirent pas son arrivée. Cette seconde
excursion ne fut point encore sans dangers pour le général, dont les jours furent
menacés par les 'corps irréguliers qui faisaient partie de ses troupes, et lui
firent sentir la nécessité de renvoyer dans leurs foyers les gardes nationales
de Beaucaire, de Tarascon et d'Arles, et de purger la ville de tous les
étrangers qui n'avaient, plus de prétextes pour y rester.
Une mesure non moins salutaire fut
adoptée le 24 ; on força la compagnie de Dupont de se réunir à la garde
nationale, et on lui donna un autre capitaine : Il est vrai que, soit
faiblesse, soit ignorance de l'autorité Dupont continua sans titre de porter
longtemps encore l'habit de garde national, et d'y joindre quelquefois
l'épaulette ; mais il n'avait aucune bande sous ses ordres. S'il commit
quelques exactions dans les villages, s'il fut coupable de meurtres, ces crimes
lui appartiennent isolément, et il n'eut pour complices que quelques individus
disposé à le suivre. Du reste, sa célébrité a été singulièrement exagérée ; on
a mis sur son compte beaucoup de méfaits auxquels il était étranger.
Si la situation de Nismes était loin
d'être tranquille, les campagnes de la Gardonnenque et des Cévennes s'agitaient
dans un sens opposé. Des réfugiés Nismois et des malveillants les parcouraient
; ils y soulevaient les esprits ; des réunions armées se formaient. Le major de
la garde nationale de Nismes, à la disposition duquel on mit le corps de
gendarmerie amené par M. de Vogué, et trois compagnies de la garde nationale,
reçut du général de Barre l'ordre de se diriger sur Uzès, de se faire aider
dans son opération par les gardes nationaux de cette ville, et de désarmer,
jusques aux frontières de l'arrondissement d'Alais, les communes de la
Gardonnenque situées sur la rive gauche du Gardon. Il obéit ; mais, dès
l'arrivée à Montaren de ce corps, composé d'éléments divers, l'indiscipline des
gendarmes devint d'un funeste exemple. La maison d'un officier retraité nommé
Sabatier fut dévastée par eux.
Le chef du corps expéditionnaire
comprit alors les dangers de sa mission, et l'impossibilité où il serait
d'empêcher que des désordres fussent commis s'il suivait à la lettre ses
instructions, et parcourait le communes qui lui étaient désignées, surtout
celle d'Arpaillargues dont le nom rappelait de fâcheux souvenirs et évoquait
des ressentiments.
Il se dirigea par des chemins détournés
sur Saint-Chaptes, à l'extrémité de la ligne qu'il devait parcourir ne put
éviter quelques excès particuliers, surtout à Garrigues ; courut des dangers
personnels , donna l'ordre à la garde nationale de se retirer sur son
territoire ; invita tous les maires des communes désignées pour être désarmées,
à se rendre à Saint-Chaptes ; s'entendit avec eux pour que les fusils, produits
du désarmement, fussent apportés dans cette commune, et s'empressa dès le
surlendemain de rentrer dans Nismes (1).
(1) Dans le cours de cette expédition,
le corps des gendarmes, dont le commandant prétendit avoir des instructions
particulières, se sépara du détachement d'infanterie sorti de Nismes, et arrêta
deux individus qui furent conduits dans les prisons d'Uzès ; ils firent partie
des malheureux qui périrent quelques jours après sur l'Esplanade.
Au moment où le détachement rentrait
dans Nismes, le nommé Jacques Combe fut tué sur le chemin d'Alais, non Ioin du
cimetière des protestants. M. Lauze de Perret , tome II, page 250, a erré en attribuant
l'assassinat de Combe à un détachement qui sortait de Nismes. Je le rapporterai
tel que je l'ai vu et connu :
« Jacques Combe, garçon boulanger;
s'arrêta devant le détachement qu'il vît défiler ; il salua l'officier qui
était en tête, et son salut lui fut rendu ; il avait déjà dépassé le
détachements, lorsqu'il fut rencontré par deux hommes armés errants, beaucoup
trop communs, dans ces temps de désordre. Dans ce moment, un coup de feu se fit
entendre sur-le-champ, l'ordre fut donné à un officier, M. Compati, de savoir
ce qui s'était passé, et d'épargner, s'il était possible, un crime. Il était à
cheval, il s'élance au galop ; le détachement avait fait halte et attendait son
retour. Il nous apprend que Jacques Combe n'est plus ; qu'il a été atteint d'un
coup de feu au moment où, invité à s'arrêter, il avait pris la fuite. Son
cadavre gisait dans une vigne à quelque distance du chemin. Il nous rapporta.
un portefeuille trouvé sur lui ; il contenait, et nous avons nous-mêmes vérifié
le fait, deux billets s'élevant la somme de 500 fr, qui furent restitués à son
oncle, une cocarde tricolore et une espèce de carte ou signe de ralliement, sur
lacune] l'on voyait l'empreinte d'un aigle et une légende dont les expressions
ont échappé à ma mémoire, ayant, après plusieurs années, jeté le portefeuille
au feu. »
Lauze de Perret, qui a parlé à
diverses-reprises de l'assassinat de Combe, ne s'éloigne pas de notre version,
et est forcé de rendre justice au
commandant du détachement.
La ville jouissait d'une, espèce de
calme ; M. de Vogué avait été envoyé, avec le bataillon formé à Uzès et un
détachement d'artilleurs, pour occuper la citadelle du Pont-Saint-Esprit.
L'on avait reçu l'ordonnance royale qui
révoquait les pouvoirs, donnés au duc d'Angoulême et faisait tomber par une
conséquence nécessaire ceux des
commissaires extraordinaires qu'agissaient au nom du roi.
Le conseil de guerre avait commencé ses
opérations, et plusieurs procédures étaient entamées contre les officiers qui
avaient fait partie du bataillon sacré, accusés en masse devoir provoqué le
soulèvement du 3 avril, et d'avoir marché contre le prince.
Le premier qui fut mis en jugement
était un Piémontais né à Coni ; son nom était Antoine Deferaldi ; il était
resté à Nismes dans la plus parfaite sécurité, calculant l'espoir de l'impunité
sur le nombre des coupables.
On l'arrêta facilement. Condamné par le
conseil de guerre, son jugement fut cassé par le conseil de révision ; mais un
second conseil de guerre confirma la première décision, et Deferaldi fut
fusillé à Nismes sur la place des Carmes.
On le regarda généralement comme une
victime offerte en holocauste aux passions du moment.
Il mourut avec courage et en chrétien.
Une ordonnance royale arrêta les opérations du conseil de guerre, qui ne mit
plus en jugement à Nismes que des militaires accusés de crimes isolés (1).
(1) Lauze de Perret prétend que cette
ordonnance, qui amnistiait chez les militaires tous délits de rébellion
postérieurs au 23 mars, était connue à Nismes lorsque Deferaldi fut exécuté.
Nous nous bornerons à rapprocher les
dates. L'ordonnance porte la date du 24 juillet; Deferaldi a été exécuté le 28,
et jugé la veille. L'ordonnance royale était-elle parvenue à Nismes ? était-elle
connue?
Les effets de l'ordonnance royale qui
avait révoqué les pouvoirs du duc
d’Angoulême dans le Midi, ne
se bornèrent point à
faire cesser ceux des commissaires extraordinaires : Louis XVIII désigna
pour toutes les places des fonctionnaires publics de son choix, sans égard
pour les nominations déjà faites par le
prince. II conféra à M. d'Arbaud-Jouques
les fonctions de préfet du Gard, et M. Grenier, avocat de
Montpellier, vint remplacer, par ses ordres M. Vidal, commissaire-général
de police (1).
(1) Capefigue, tome III, page 10 et
suivantes, nous apprend que le duc d’Angoulême fut extrêmement sensible à la révocation des nominations qu'il avait
faites, et auxquelles le ministère n'avait eu aucun égard. Il témoigna son mécontentement ; les ministres feignirent de n'avoir pas connu
les pouvoirs en vertu desquels il avait agi ; il céda, mais partout en province, dit M. Capefigue, les préfets ministériels éprouvèrent de grandes résistances,
et l'action du ministère fut suspendue sur plusieurs points.
M. d'Arbaud-Jouques se rendit à Nismes
le 30 juillet pour prendre possession de ses fonctions, et s'annonça par une
proclamation ; mais il éprouva quelque résistante de la part de M. de Calvière,
qui refusa d'abdiquer sans un ordre exprès du prince.
L'arrivée de M. d'Arbaud-Jouques,
devint le signal de nouveaux excès, et, dans la nuit du 1er au 2 août, on eut à
gémir sur plusieurs meurtres. (1)
(1) Ce fut à cette
époque que fut tué un officier retraité nommé Bouvillon, dont la mort a motivé
la condamnation de Truphémy, boucher de Nismes, un des consorts de Dupont.
Quelles furent les causes de ce
mouvement ? L'histoire les recherche.; la calomnie en a signalé plusieurs, mais
l'amour de la vérité repousse de perfides insinuations : l'historien n'accuse
pas sans preuves. Il n'était pas besoin d'ailleurs d'employer de grands moyens
pour encourager à cette époque, à Nismes, les artisans de troubles.
L'arrivée de M. d'Abaud-Jouques, la
révocation des fonctions attribuées au préfet, au général et au
commissaire-général de police, firent craindre à la population inquiète un
mouvement rétrograde de la restauration, et les passions furent facilement
mises en jeu.
Un événement particulier vint augmenter
les déments de désordre. Un royaliste blessé à attaque des casernes avait
succombé à ses blessures ; son convoi (mortuaire),
suivi d'hommes armés, parcourait les boulevards le 1er août, et semblait
appeler la vengeance. L'autorité fit tout ce qu'elle put tout ce qu'elle dut
pour calmer l'effervescence (1).
(1) Nous devons rendre M. de Calvière
la justice, qu'il se transporta lui-même dans toutes les rues de Nismes pour
arrêter le désordre, et publia le lendemain une proclamation qui tendait au
même but.
Uzès n'était plus tranquille, et un
funeste quiproquo amena la crise le plus sérieuse. Le nommé Pascalet, traceur ,
sorti du corps-de-garde et sur le point d'entrer dans sa maison, fut tué, à
huit heures du soir, d'un coup de feu tiré par un homme embusqué.
La rumeur publique attribua, à l'instant
même, ce meurtre à un protestant nommé Meynier, garçon boulanger. A peine cet
événement fut-il connu et dénaturé par les bruits populaires (1), qu'un
rassemblement se forme ; la maison de Meynier est envahie, et tous les membres
de cette famille qui peuvent être atteints, tombent sous les coups des
assassins.
(1) L'auteur du meurtre de Pascalet,
qui fut involontaire, est aujourd'hui bien connu, et doit gémir sans doute sur
les suites de son imprudence.
Les excès ne se bornèrent point à la
maison Meynier : la femme Roche et le nommé Court périrent dans d'autres
quartiers ; plusieurs maisons furent pillées. L'autorité sans force ne put
arrêter le désordre. Le maire et le sous-préfet compromirent en vain leurs
jours, les agitateurs l'emportèrent ; et ce qu'il y a de plus remarquable,
c'est que ; parmi ceux qui excitaient la populace et semblaient diriger les
coups ; on distinguait un protestant nommé. David Daumon, qui a renié à
diverses reprises sa foi politique et a terminé sa carrière dans le mépris.
Les excès, les pillages de la nuit ;
avaient en quelque sorte un prétexte dans la mort de Pascalet ; mais le
lendemain, Uzès eut à déplorer d'être le témoin d'une de ces scènes de cruauté
froide et réfléchie qui n'admettent pas d'excuses. Six malheureux étaient
détenus dans les prisons d'Uzès pour délits politiques ; ils en furent
successivement arrachés de deux à deux, conduits sur l'Esplanade, et fusillés
aux acclamations d'une horde barbare. En vain, à trois reprises différentes,
deux prêtres respectables veulent calmer les assassins ; en vain ils emploient
les exhortations, les prières, et tombent à genoux devant le funeste cortège
dont ils s'efforcent d'arrêter la marche, ils sont repoussés et le crime
triomphe.
On assure que le chef des agitateurs,
ce même David Daumon, le sabre nu à la main, présidait au meurtre, et décriai,
lorsque la dernière victime eut succombé : Amis, c'est assez, la vengeance du
peuple est satisfaite (1).
(1) Histoire des Révolutions d'Uzès,
par Pontécoulant, page 32.
Un long espace de temps avait été
employé à commettre le crime (1) ; et l'autorité, désespérant sans doute de ses
efforts , retranchée dans l'Hôtel-de-Ville, n'avait rien fait pour rétablir le
calme.
(1) Le concierge des prisons d'Uzès résista longtemps avec courage, et
refusa, de livrer les prisonniers. Il est prétendu
qu'if y fut enfin autorisé par un ordre de commandant de place.
On a dit que cet ordre était purement verbal.; le sous-préfet, M. de Vallabrix, dans un mémoire justificatif que nous avens eu sous les yeux, prétend que l'ordre était
écrit et qu'il s'en est convaincu. Il
est certain que, dans ce cas, l'audace et la confiance des assassins ne
devaient plus connaitre de bornes.
Nous
devons dire cependant, à sa justifications
qu'elle était privée de toute espèce
de forces (1) ; que presque tous les royalistes influents et courageux étaient
avec M. de Vogué à Pont-Saint-Esprit,
et avaient composé spontanément le cadre des
bataillons qui s'y formaient (2).
(1) Elle n'avait pas même à sa disposition un garde forestier :
tous ceux du département avaient été provisoirement organisés eu Compagnies et se trouvaient à Nismes.
(2) Nous les connaissons presque tous,
et nous ne doutons pan que leur présence
n'eût maintenu l'ordre et le Calme.
L'on n'imagina rien de mieux pour
calmer le peuple que d'autoriser une levée de deniers, qui
furent distribués à la famille de
Pascalet et aux plus indigents parmi les fauteurs même
du crime. Quelques citoyens respectables voulurent bien se prêter à être les intermédiaires
de cette mesure illégale ; et elle s'opéra
sans violence. Les riches protestants qui croyaient leurs jours menacés,
quoi que tous eussent déjà trouvé
des asiles dans les maisons catholiques, s'empressèrent
de remplir la somme demandée (1).
(1) Sur la foi des libellistes, M.
Lacretelte a avancé, page 387, que toutes les maisons des
protestants furent livrées au pillage. On est fâché de trouver une pareille assertion de
la bouche d'un historien estimable. Beaucoup trop de désordres eurent lieu, mais plusieurs maisons furent dévastée ; la plus considérable fut celle de M. Lombard, greffier du tribunal ; mais
la vérité
est assez affligeante pour l'humanité,
sans y joindre l'exagération.
M. Lacretelle ajoute que les malheureux
arrachés aux prisons furent fusillés sous les fenêtres de M. de Vallabrix et en sa présence. M. de Vallabrix , depuis longtemps sous-préfet de l'arrondissement d'Uzès,
tenant à une ancienne famille, était incapable d'autoriser le crime. La vérité est qu'entièrement dépopularisé auprès de la bande qui régnait alors à Uzès,
certain d'exposer ses jours sans utilité,
il n'osa point se mettre au devant des assassins. Sa maison, d'ailleurs, était remplie de plusieurs riches protestants réfugiés chez lui ; il y recelait une famille
entière, et se fit garder à domicile pour veiller à
la sûreté
du dépôt
dont il s'était chargé. Nous devons. lui rendre toute la justice qui lui est due :
comme homme, M. de Vallabrix n'a aucun reproche se faire ; comme
administrateur, il a manqué de fermeté.
Au moment où
le désordre régnait dans Uzès
un faible détachement de cavalerie de la garde
nationale de Nismes y arrivait. Impuissant pour rétablir l'ordre, il
continua sa marche (1) : une mission importante l'appelait au Saint-Esprit.
(1) Il n'était composé que de huit hommes.
Le maréchal Suchet avait
dirigé sur cette ville un dépôt
immense d'artillerie (1) et d'armes, débris de toutes nos
armées.
(1) Les pièces d'artillerie seules s'élevaient
à trois cent trente.
Les Autrichiens s'avançaient
sur la rive gauche du Rhône ; on craignait qu'ils n'entrassent
dans le Gard, quoique la convention passée avec eux s'y opposés
jusques alors, et qu'ils ne cherchassent à s'emparer de ces
restes précieux. M. de Vogué
commandant la citadelle de Saint-Esprit, chargé de les diriger par
le Rhône sur Aigues-mortes, demandait d'être
aidé dans les détails de cette opération.
Les charrettes de tous les cultivateurs furent requises à plusieurs
lieues à la ronde ; dans peu d'heures, tous les bateaux furent déchargés et l'artillerie
mise à l'abri d'un coup de main sur, la rive droite du Rhône.
La mission du détachement de Nismes
avait un autre objet : l'armée de la Drôme
commandée par le duc d'Angoulême à l'époque où elle fut licenciée,
n'avait déposé qu'une partie de ses armes ; la plupart des soldats, dans leur
désespoir, les avaient brisées ou données à leurs hôtes plutôt que de les
livrer. Plusieurs de ces fusils avaient été rachetés sous main pendant les cent
jours, et transportés plus tard à la citadelle du Saint-Esprit : ils étaient
destinée à la garde nationale de Nismes le commandant du détachement était
chargé de les recevoir.
Une chose remarquable , c'est qu'au
milieu de l'agitation du département du Gard, la foire de Beaucaire, renvoyée
au 11 août, se tint ; la confiance qu'inspirait la restauration et la
stagnation où était resté le mouvement commercial paralysé pendant les cent
jours, produisirent un tel effet que l'affluence, fut presque la même que dans
les années paisibles, et qu'il se fit un grand nombre d'affaires.
Le duc d'Angoulême avait fait connaitre
sa volonté, et annoncé par une proclamation du 12 août la révocation de tous
ses pouvoirs. Les fonctionnaires publics nommés par lui cessèrent leurs
fonctions ; M. d'Arbaud-Jouques vint défivement prendre possession de la
préfecture du Gard le 16 août ; M. de Calvière et le général Barre se
retirèrent.
L'arrivée de M. d'Arbaud-Jouques fut
suivie nouveaux désordres ; la nuit du 20 au 21 août est devenue en quelque
sorte célèbre dans les annales de Nismes, par l'exagération que les libelistes
ont donnée au récit des crimes qui furent commis dans cette nuit fatale ; mais
il n'est que trop certain que deux femmes furent assassinées au faubourg du
chemin de Montpellier, et que cinq hommes périrent, soit dans ce faubourg, soit
dans celui de l'enclos Rey.
On a cherché à lier ces assassinats
avec l'influence que le parti royaliste voulait, dit-on, exercer sur les
élections qui devaient avoir lieu le surlendemain 22. C'est une atroce calomnie
; il n'y avait aucune coïncidence entre les crimes du 20 août et les
prétentions des députés qui furent élus. Les crimes furent, dans certains
quartiers, le résultat de quelques vengeances particulières trop faciles alors
à exercer, et ils furent, dans le chemin de Montpellier, l'ouvrage de paysans
étrangers, attirés la nuit des villages voisins par l'impunité du désordre.
La garde nationale, Malgré sa
composition peu homogène, repoussa dans une adresse la solidarité de ces
crimes, et fit, de son côté, tout ce qu'elle put pour les réprimer. Les
officiers furent tous, pendant plusieurs des nuits suivantes réunis en garde
d'élite, et firent eux-mêmes des patrouilles commandées par les chefs du corps.
Ce qui prouve à quel point l'impunité
protégeait les vengeances, particulières, c'est l'assassinat de M. Affourtit,
ancien banquier, deux fois, failli, tué aux portes de sa campagne, dans un pays
presque entièrement protestant, et dont la mort doit être nécessairement placée
hors du cercle des délits politiques (1).
(1) Les libellistes ont osé l'y
comprendre.
Les élections eurent lieu le lendemain
22 ; jamais assemblées électorales ne furent plus complètes, et nous ajouterons
plus tranquilles (1) : tous les électeurs qui s'y rendirent , y trouvèrent
sûreté.
(1) Quant à l'assertion de M. Madier-Montjau, que, la veille des élections, un tombereau, escorté par Trestaillon et Truphémy,
traversa trois fois la ville chariant des cadavres, elle ne mérite que le mépris. M. de Castelnau, électeur et protestant, dans une lettre sur les élections de 1818, imprimée
en 1819, s'est chargé de lui donner un démenti.
Nous avons tracé une peinture fidèle
des désordres de cette époque. Nous avons rapporté les assassinats commis dans
la nuit du 20 au 21 août; le tableau en est déjà assez affreux pour ne pas le charger.
Mais, ce qui est vrai, ce qui sera répété et attesté par tout homme de bonne
foi, c'est que jamais élections ne furent plus paisibles : tout le monde, dit
M. de, Castelnau, vota en sûreté.
S'il y eut du danger, ce ne fut que
pour les électeurs royalistes qui avaient à traverser, en se rendant à Nismes,
la contrée de la Gardonnenque encore soulevée : M. l'abbé Desgrigny, assassiné
à un quart de lieue du village. de Maruéjols-lez-Gardons, en fit la triste
expérience (1).
(1) M. l'abbé Desgrigny revenait des
élections de Nismes, et s'était arrêté, le 24, un château qu'il possédait dans
la commune de Maruéjols-lez-Gardon ; il crut pouvoir, le lendemain, aller dîner
chez un de ses voisins, à un quart de lieue du village. Il retournait chez lui
dans la soirée, lorsqu'il est rencontré par trois individus qui l'assaillent à
coups de fusil ; il fuit derrière un arbre, il est poursuivi, une balle lui
casse la cuisse ; il tombe ; ses assassins se préparaient à l'achever,
lorsqu'un enfant, témoin du crime, pousse des cris qui leur font craindre
d'être reconnus, et ils s'éloignent. Le blessé reste plusieurs heures sans
secours, la gangrène se déclare, et les gens de l'art arrivèrent lorsqu'il n'y
eut. plus de remède.
Il a été impossible à M. Lauze de
Perret de nier le crime ; mais il l'a attribue au mouvement qui s'opérait, à
cette époque, autour du village de Ners, et a prétendu qu'il n'aurait pas été
commis sans l'arrivée des bandes royaliste.
Les choix de l'assemblée électorale
furent tous iema9rables. M. de Vogué commandait le département depuis le départ
du général de Barre ; peux d'hommes poussaient plus loin que lui l'abnégation
de soi même et la haine du désordre. M. de Trinquelague, avocat-général près la
cour royale, jouissait d'une réputation méritée par ses talents et sa 'conduite
politique. M. le baron Jules de Calvière avait rendu de grands, services à la
cause royale. Il est peut être vrai de dire que le parti Protestant, qui,
depuis cette époque, a acquis tant de forces sous le masque du libéralisme,
n'osa point alors présenter des candidats qui lui appartinssent, et réunit ses
voix aux voix royalistes ; mais il parut à l'assemblée électorale ; il était en
nombre sur les listes, et peu d'entre eux manquèrent à l'appel. C'est un fait
qu'un électeur protestant a reconnu lui-même, en réponse aux pamphlets par
lesquels on a cherché à égarer l'opinion publique sur les élections de Nismes
en 1815.
Il est certain encore que le corps
électoral, malgré la divergence des opinions individuelles, paraissait entraîné
tout entier par la pensée que le roi devait user de sa toute-puissance pour
comprimer le parti qui avait cherché à le renverser du trône. Une adresse fut
rédigée dans cet esprit, et sembla présager la chambre introuvable de 1815.
Ceux qui envisageaient sous ce point de vue la conduite qu'aurait dû tenir à
cette époque Louis XVIII, avaient-ils tort ou raison ? Le problème politique
n'est pas résolu, même par les événements postérieurs, que le système indiqué
par l'opinion de 1815 aurait peut-être prévenus (1).
(1) Il a fallu pendant quinze ans
travailler l'esprit public et pervertir la génération qui se formait, pour
arriver à une nouvelle révolution. D'un autre côté, on ne peut se dissimuler la
nécessité de faire des concessions au mouvement intellectuel qui s'opérait chez
tous les peuples.
Les troubles éclatés à Uzés,
l'agitation de Nismes, les rassemblements qui se formaient dans la
Gardonnenque, nécessitèrent l'appel de forces étrangères, et les autorités du
Gard furent obligées de consentir à y laisser pénétrer une division
autrichienne, quoiqu'elles se fussent opposées jusques alors à son arrivée,
pour ne pas compromettre les subsistances des troupes qui étaient stationnées
dans le Gard (1).
(1) On peut consulter sur ce fait la
correspondance de M. d'Arbaud-Jouques, et les pièces justificatives qu'il a
fait imprimer à la suite de l'ouvrage qu'il publia en 1818, page 148.
La première colonne étrangère entra
dans Nismes le 23 (1) ; on avait préparé pour elle des baraques sur le
Cours-Neuf ; et, pour rendre une partie des casernes libre, on fit partir et
l'on dirigea sur Alais le régiment de chasseurs à cheval, qui s'organisait
alors sous le commandement de M. le marquis de Calvière.
(1) Quoique les Autrichiens se présentassent en alliés,
il n'existait aucune sympathie entre eux et le parti royaliste que l'on
accusait de les avoir appelés à
Nismes. Le peuple Nismois les regardait comme étrangers,
et observait avec une espèce d'orgueil qu'ils se gardaient avec
crainte dans leurs postes, comme s'ils étaient
en pays ennemi.
Ces mêmes sentiments animaient les
Vendéens. L'histoire a été forcée de leur rendre justice ; et la postérité la
plus reculée connaitra l'offre qu'ils firent à l'armée de la Loire de grossir
ses rangs pour chasser l'étranger de la France.
( Voyez Lacretelle, tome 1 page 345.)
Ce corps devait traverser la
Gardonnenque ; mais sa marche ne présentait aucune apparence hostile; la
plupart des« hommes qui le composaient n'étaient point encore en uniforme ; plusieurs
d'entre eux, sans armes, conduisaient des chevaux en 1815. laisse.
Partis de Nismes le 23, et arrivés sans
défiance à Boucoiran, à 4 lieues de Nismes, ils trouvèrent la Gardonnenque
soulevée : un rassemblement occupait déjà les hauteurs de Ners.
M. de Calvière crut pouvoir cependant y
envoyer un détachement pour trouver des loge-mens (1) ; mais à sa vue tout le
village s'émeut, les rassemblements grossissent, et le détachement est obligé
de revenir sur ses pas. Dans ce tumulte, un officier de chasseurs est
légèrement blessé ; le maire de Ners est tué d'un coup de feu. Les
deux partis se sont mutuellement reproché sa mort ; mais, si l'histoire ne peut
faire connaître la vérité sur un événement aussi malheureux, elle doit du moins
justifier M. de Cabrières, officier commandant le détachement , auquel la
calomnie des libellistes n'a pas craint d'imputer un lâche assassinat.
(1) Dix lieues séparent Alais de
Nismes, et l'on compte d'une ville à l'autre deux étapes. La troupe, commandée
par M. de Calvière, suivait donc la route militaire, et devait nécessairement
s'irrêter al Boucoiran. Il était d'usage constant que, lorsque ce village ne
présentait pas assez de logements pour les troupes de passage, on en dirigeait
une partie sur Ners ; c'est ce qui fut fait dans cette circonstance.
Tous les habitants des contrées
voisines de Nefs, soit qu'ils fussent soulevés par le fanatisme, par leur
dévouement politique à la cause de Napoléon, et l'espoir de créer une Vendée
patriotique, soit qu'ils fussent poussés (ainsi
que leurs écrivains l'ont publié) par l'erreur et la croyance qu'ils
étaient appelés à défendre leurs foyers menacés, prirent les armes. Le 24 au
matin, le rassemblement grossit et poussa même , sur la rive opposée du Gardon,
des reconnaissances qui menaçaient les chasseurs de M. de Calvière encore
stationnés à Boucoiran. Ce corps mal armé, embarrassé de ses bagages et des
chevaux menés en laisse, se replia sur Uzés, se promettant sans doute de se
diriger sur Alais par la route qui traverse les champs d'Yeuzet.
Le préfet du Gard , d'accord avec M. le
prince de Staremberg, prit la résolution de faire marcher les troupes
autrichiennes pour dissiper les révoltés. Un fort détachement d'infanterie
partit de Nismes, précédé par des chasseurs Tyroliens ; il trouva les rebelles
en armes ; un engagement eut lieu, mais la victoire ne resta pas longtemps
indécise : des paysans indisciplinés, quelque nombreux qu'ils fussent, ne
pouvaient tenir contre des troupes régulières, et s'enfuirent bientôt dans
toutes les directions sans être poursuivis. Cependant trois paysans de Ners
avaient été pris sur le champ de bataille, les armes à la main. Ils furent
traduits à Nismes, jugés par un conseil de guerre autrichien, et fusillés par
ordre du prince de Staretnberg.
On célébrait à Nismes, le 25, la fête
de Saint-Louis ; un Te Deum était chanté sur l'Esplanade où l'on avait dressé
un autel, entouré par les troupes autrichiennes et françaises, ainsi que par la
garde nationale : on avait profité de cette solennité pour bénir les drapeaux
destinés à cette garde. Ce fut pendant la cérémonie que l'on apprit le combat
de Ners et qu'arrivèrent les trois prisonniers qui périrent victimes de la
précipitation avec laquelle ils furent jugés par les Autrichiens (1).
(1) Témoin oculaire et auriculaire du
fait , nous le rapporterons sans commentaire ; notre récit différera, et de
celui des libellistes, et même de celui présenté par M. d'Arbaud-Jouques ; mais
nous garantissons la fidélité de notre mémoire.
La cérémonie militaire et religieuse
qui venait d'avoir lieu sur l'Esplanade était terminée, et les troupes étaient
sur le point de se retirer. Le. préfet du Gard et le prince de Staremberg
restèrent encore assis sur un des bancs en face de l'autel ; je me trouvais à
leur côté. Un officier autrichien d'ordonnance arrive et remet des dépêches au
prince. Il les lit, se retourne vers M. d'Arbaud-Jouques, et lui dit : « Une
rencontre a eu lieu entre mes troupes et les révoltés de Ners ; on m'amène
trois prisonniers, que faut-Il en faire? - Ils sont vos prisonniers, répond le
préfet ; c'est à vous prononcer sur leur sort. »
Nous l'avouerons : dans ce moment nous
ne centimes pas toutes les conséquences de cette latitude donnée par l'autorité
française à la justice autrichienne. M. d'Arbaud-Jonques ne le sentit pas
lui-même peut-être ; car cette concession ne se renouvela plus, et tous ceux
qui furent par la suite arrétés par les Autrichiens dans les pays révoltés et
traduits dans les prisons de Nismes furent réclamés et mis sous la sauvegarde
des tribunaux français.
Quoi qu'il en soit, les troupes
quittent l'Esplanade ; les Autrichiens rentrent dans leurs casernes ; un
simularfe de conseil de guerre est réuni au milieu de la cour même. Ce tribunal
prononce, sans s'asseoir, sur le sort des prisonniers, et la sentence est
exécutée sur-le-champ. Ces derniers détails nous ont été donnés par le
commandant de place, auquel le prince de Staremberg avait fait intimer par
avance l'ordre d'envoyer les brancards de l'hôpital pour emporter les cadavres.
Le caractère du mouvement de Ners ne
pouvait d'ailleurs être douteux; un arrêté pris par le préfet 1815. du Gard
consigne en fait que la contrée révoltée avait donné asile à tous les soldats
déserteurs et à tous les fédérés réfugiés des villes de Montpellier, d'Avignon
et de Tarascon, et que la population était mise en mouvement sous divers
prétextes; il constate comme certain , que le znaice de Ners avait péri victime
de son zèle de la main des révoltés.
Mais ce rassemblement était, il faut en
convenir, beaucoup moins important qu'on ne l'a publié. La crainte, les
manoeuvres des agitateurs et surtout celles des réfugiés Nismois contribuèrent
principalement à le former. On s'empressa sagement de l'étouffer ; on craignait
qu'il ne s'étendît aux hautes Cevennes, qu'il ne fût joint par les débris de
l'armée de la Loire, et que le général Gilly, qui était encore dans ces
contrées, ne se mit à. la tête des rebelles : il est certain qu'alors les
troubles se seraient prolongés.
Comme l'agitation ne se bornait pas aux
environs de Ners, et qu'elle s'étendait dans une grande partie du département,
le préfet ordonna que les troupes autrichiennes seraient réparties dans toutes
les communes désignées par son arrêté comme servant de foyer à ce mouvement,
que tous les étrangers sans passeport seraient obligés d'en sortir, ou
incarcérés et traduits à Nismes.
L'arrêté du préfet reçut son exécution
: chaque ville ou bourg un peu important des Cevennes, de la Vaunage et de la
Gardonnenque, reçut des garnisons autrichiennes (1).
(1) Le, général Nieperg, qui commandait
l'armée autrichienne cantonnée dans le Gard, fit précéder ses troupes par une
proclamation, et il faisait connaître sa mission et la position du pays qu'il
avait à pacifier. Cette déclaration ne saurait étre suspecte dans sa bouche.
NDLR : Lire dans NEMAUSENSIS, rubrique de Nîmes, à 1815, les deux articles l'un sur « Les Autrichiens à
Nîmes »
avec sa suite sur « Adam Von Niepperg », qui se logea dans l'hôtel
particulier du général
d'Empire Merle situé sur les quais Nord du Jardin de la
Fontaine à Nîmes.
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