Esplanade de Nîmes - Fête de la Fédération le 14 juillet 1790
Enluminure de Ferdinand Pertus.
La
fête nationale de la fédération, qui devait se célébrer par
toute la France, approchait : elle le fut à Nismes, au milieu des
ruines, sur l'esplanade, teinte encore du sang d'une foule de
citoyens. La municipalité, malgré sa position critique, y présidait
et tint un langage de concorde qui ne fut point entendu (1).
(1)
Nous avons sous les yeux, en écrivant, les procès, verbaux rédigés
par la municipalité, et les discours qui furent prononcés. Leur
analyse occuperait trop d'espace ; nous nous bornerons à citer
quelques passages du discours de M. Murjas.
« Quel
superbe spectacle nous présente en ce moment ce royaume ! Les
nobles travaux de notre auguste sénat, sur point d'être couronnés
du plus brillant succès, nous font entrevoir, d'un coté la
perspective du bonheur, de l'autre tous les Français réunis par la
concorde et l'amitié, montrant à nos yeux enchantés un peuple de
frères.
Ce
coup d’œil attendrissant, un des premiers fruits de la
bienfaisante constitution, dont nous commençons s à goûter les
précieux avantages , ne nous laisserait rien à désirer , si nous
pouvions être assurés que celui par qui règnent les rois, et par
qui les empires sont gouvernés, daignera tenir éloignées de nous
pour jamais la détestable haine et l'affreuse discorde.
0
nos concitoyens ! ô nos amis ! ô nos frères ! Vous, dont les
sentiments patriotiques nous sont si bien connus, mettez tout en
usage pour maintenir dans notre cité la paix et la concorde
C'est
en concourant tous maintenant à y conserver la paix ; c'est en nous
aimant tous comme des frères, que nous nous montrerons bons
Français, et que nous remplirons les vœux d'un roi citoyen, qui
nous invite tous à nous réunir dans un même esprit, à nous
rallier avec courage autour de la loi, et à favoriser de tout notre
pouvoir l'établissement de la constitution. »
Du
reste, rien ne manqua au triomphe des puissants du jour. Tout le
clergé fut contraint d'assister à la cérémonie religieuse qui
précéda la fête. Des troupes couvraient la place ; un amphithéâtre
était rempli de dames vêtues de blanc et parées des couleurs
,nationales. Le serment civique fut prêté par tous les corps
constitués, par la troupe et même par les femmes ; des discours
nombreux furent prononcés; un Te Deum fut chanté à grand
orchestre, et les gardes nationaux, réunis aux troupes de ligne et
aux volontaires étrangers, se rendirent en masse à la fontaine. Des
tables étaient dressées dans toutes les allées ; un repas civique
termina les plaisirs de la journée ; les danses se prolongèrent
pendant trois jours : tout était démonstration extérieure ; mais
le parti protestant arrivait à ses fins.
La
foire de Beaucaire, qui s'approchait, devint le prétexte d'un
nouveau camp fédératif où se réunirent douze mille gardes
nationaux arrivés de plusieurs points : généralement les
opérations commerciales y furent rares et mauvaises, et, si les
paiements se firent sans trop d'interruption, on le dut à rémission
des premiers assignats, qui déjà et dès leur origine perdaient sur
le, numéraire.
Bientôt
arrivèrent à Nismes plusieurs des députés du département à
l'assemblée constituante. Ils avaient obtenu un congé avec la
mission de venir fortifier l'esprit public ; ils furent porteurs d'un
drapeau que le gouvernement envoyait à la garde nationale, et dont
la réception devint encore l'occasion d'une réunion brillante qui
eut lieu le 15 août, et fut suivie d'un repas où tous les corps
constitués furent invités, à l'exception des membres de la
municipalité.
Cet
affront n'était pas le seul que ces fonctionnaires publics eussent à
éprouver. Tous les actes de leur administration étaient critiqués.
Le département, entièrement subjugué par un parti, ne cessait de
contrarier toutes leurs opérations, et cherchait dans toutes les
occasions à les compromettre (1).
(1)
On les accusa d'infidélité dans le récit des événements de
Nismes au mois de juin. Le département prit parti : il leur fit un
crime d'avoir pressé la clôture des registres où s'inscrivaient
les citoyens qui voulaient faire partie de la garde nationale ,
lorsqu'une ordonnance royale leur en faisait un devoir. Le
procureur-général-syndic menaça de les poursuivre, et ils furent
obligés de justifier leur intention par une proclamation du 15
octobre 1790.
ll
serait facile de citer une foule d'exemples.
Pendant
que ces évènements se passaient à Nismes, le camp de Jalès ou,
pour mieux dire, la fédération de Jalès tenait officiellement ses
séances, imitant l'exemple qu'on lui donnait dans le Gard : elle
croyait agir si constitutionnellement, qu'elle rédigeait des
procès-verbaux de sa réunion , constituait un comité permanent et
nommait des députés chargés de se rendre à Montpellier et à
Nismes, à l'effet de prendre connaissance des évènements et des
moyens de ramener la paix entre les deux partis. Si cette démarche
devenait inutile, le comité permanent était expressément chargé
de s'adresser au roi et à l'assemblée nationale pour faire rendre
justice à qui elle serait due (1).
(1)
On peut consulter, à cet égard , les procès-verbaux signés par le
général de la fédération, son état-major, les maires et
officiers municipaux des communes voisines, et tous les membres des
comités ; ils furent imprimés à Orange et distribués ouvertement
: des extraits furent envoyés au directoire du département de
l'Ardèche.
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