SEMIRAMIS
Drame de Joséphin Péladan



Sémiramis aux Arènes de Nîmes, le 24 juillet 1904 - Carte Postale collection Gérard Taillefer
La Sémiramis, de Péladan, présentée le 24 juillet 1904 à Nîmes, comprenait cinq personnages qui, primitivement, devaient être joués par des artistes de la Comédie Française.
C'est Mme Segond-Weber qui représenta la princesse d'Assyrie et M. Albert Lambert, le prince d'Egypte, Keth-Aour.
M. Dorival, l'Héraclès des fêtes de Béziers, remplaça M. Jacques Fenoux dans le rôle de Zakir-iddin et M. Darmont, le Jason du Théâtre Sarah Bernhard, prendra la place de M. Garry. M. Liser, de l'Odéon, succèdera à M. Ravet dans le pontife ninivite Narom Sin.
Ce changement d'interprétation a retardé les études. Mais on a répété ferme dans la salle des fêtes du Trocadéro, mise gracieusement à la disposition de Péladan jusqu'au 9 juillet par la direction des Beaux-Arts.
Le spectacle prévu à l'origine pour le 19 juin, sera reportée une première fois au 29 juillet par manque de préparation, mais cette date correspondant à un jour d'élection, elle fut avancée de 5 jours, le dimanche 24 juillet.
Lors de cette représentation, douze mille spectateurs emplirent les arènes, l'auteur Joséphin Péladan "Le Sâr " fut acclamé par tous les spectateurs debout.
Le décor reproduisait exactement un sanctuaire célèbre de l'Assyrie, le Zigourat d'Ourou. Il comprenait un jardin suspendu et des temples ornés de taureaux ailés cher à Joséphin Péladan. La scène était somptueusement éclairée à l'électricité par "vingt-six phares lumineux et des lampes à arc flamboyant diffusant une lumière dorée du plus resplendissant effet".
L'orchestre du conservatoire de Nîmes et les trompettes du régiment d'artillerie interprétèrent les œuvres choisies par l'auteur après consultation du directeur du conservatoire, du chef d'orchestre de l'école d'artillerie et du chef de musique du 40e régiment : l'ouverture de la Phèdre de Massenet, la Marche des Francs victorieux de César Franck et la Marche funèbre de Jeanne d'Arc de Gounod.
Grâce aux subventions du Ministre des Beaux-Arts et du Conseil Municipal de Nîmes, cette Sémiramis sera l'occasion du premier et dernier grand succès de Péladan auteur.
"La revue Hebdomadaire" parue en septembre 1904 nous donne une idée de l'imposante mise en scène et de la somptuosité des décors, elle se permet en outre de faire un parallèle avec la splendeur des spectacles de l'antiquité :
« De l'ellipse envahie par la foule un bruit de mer humaine s'élève. Les spectateurs semblent innombrables. Dans ce crépuscule l'antiquité renaît ; toute une cité s'étage sur les gradins. Orange ne donne pas cette impression de multitude, et Bayreuth semble, en souvenir, un théâtre de salon. Sont-ils dix-huit ou vingt mille ? Ils paraissent sans nombre. Spectacle inoubliable que cette assemblée vraiment démocratique où il y a douze mille spectateurs à deux francs. Tout à coup, l'électricité jaillit, les trompettes sonnent, le rideau s'abaisse dans toute sa rainure, et un silence prodigieux se fait. Le décor grandiose, avec sa triple terrasse et ses bas reliefs représentant les taureaux à tête humaine, frappe l'imagination, tandis que l'hymne aux étoiles, dit par Melle Brillé, monte dans la nuit limpide. »
Péladan né à Lyon avait des attaches gardoises, son père étant originaire du Vigan et sa mère de Nîmes. Nul n'étant prophète dans son pays, de nombreux adversaires s'opposèrent à l'auteur et à son œuvre.
La représentation de Sémiramis réalisé par « le Comité des Intérêts régionaux » ayant donné un déficit total 8853,20 fr, le Comité abandonne les décors du spectacle au bénéfice de la ville et le Conseil Municipal alloue à ce même Comité la somme de 8853,20 fr pour combler son déficit.
En 1948, Sémiramis sera présentée pour la dernière fois au public nîmois dans ses Arènes.

Georges Mathon, avril 2011

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SÉMIRAMIS AUX ARÈNES DE NIMES
Extrait de la Revue du Midi, 1904, pages 130 à 134.
Article signé C.


Darmont - Liser - Lambert - Dorival

Sémiramis fut un éclatant succès de décentralisation artistique. On jouait une triple partie : représenter une œuvre nouvelle, verbe annonciateur d'un art original sortant absolument des vieux cadres et des habituelles formules, la faire jouer de nuit, dans un cadre gigantesque, effrayant à l’œil par sa masse et qu'il s'agissait d'incendier de lumière électrique sans nuire à l'intime et rayonnante beauté du monument découronné ; organiser dans une semaine, au lendemain d'une piteuse course de taureaux, une scène immense, un décor d'une originalité particulière où toutes les habitudes scéniques étaient renversées, où l'on jouait non plus en largeur, mais en hauteur, faire manœuvrer ainsi une foule de figurants, régler leurs mouvements et leurs rythmes en quelques hâtives séances et dans des conditions presque paradoxales. Toutes ces difficultés ont été vaincues. Les volontés tendues pour aboutir quand même, les inlassables efforts accumulés eurent pour résultat cette triomphale soirée du 24 juillet.
Peladan fut acclamé longuement et ce fut justice. Son œuvre appareil exquise et redoutable, troublante et charmeuse. Elle évoque cette Sémiramis fabuleuse au moment où la demi-déesse s'efface devant la femme, où la conquérante toujours triomphante est conquise et vaincue par l'amour.Le thème resterait banal et l'invention quelconque s'il s'agissait seulement de la passion d'une femme « arrivée à ce moment de l'âge où la plus ferme viole son cœur pour un jouvenceau », mais Sémiramis c'est son peuple et son armée. Sémiramis est inséparable de la fortune assyrienne, pour ses légions toujours victorieuses, pour Ninive comblée des dépouilles des peuples vaincus, elle est la « Patrie et les Dieux ». Elle n'a pas le droit de déserter le trône, pas plus que l'autel. La reine, l’idole le sait, elle essaie de se tromper, de traiter de mensonge l'oracle et de rêverie l'avertissement du mage, un moment elle essaie de résister.

Après tant de prouesses, j'échouerais à une amour vulgaire.

Son empire prodigieux deviendrait une nation semblable aux autres si elle s'abaissait à devenir semblable aux autres femmes. Sémiramis n'est jamais seule, même quand elle s'abandonne au prince d'Égypte, à ce Keth-Aour charmant, si différent des rudes guerriers de Ninive, la pensée de son peuple et de son armée hantent la reine, troublent ou exaspèrent sa passion. Elle leur appartient, et sans cesse le peuple et les légions, personnifiés par Naram-Sini, le pontife, et Zakir-Iddin, le chef de l'armée, apparaissent entre leur reine et son amant. Ils la défendent contre cette Égypte rêveuse et mystique, prenant sa revanche sur la triomphante et brutale Ninive.


M. Dorival, interprète de Zakir-Iddin

Au nom de Ninive, le prêtre vient « en suppliant de la Patrie », conjurer Sémiramis de ne pas déserter ses fonctions sacrées, au nom des légions, le général supplie l'amante des légions de renoncer à l'amour de l'étranger , du vaincu. Zakir-Iddin, Dorival,  le farouche guerrier, qui n'eût jamais osé avouer son amour si sa reine, son idole, n'avait proclamé sa faiblesse pour le doux prince joueur de cythare, Zakir-Iddin se persuade à lui-même qu'en frappant Keth-Aour, il est non pas a un rival qui assouvit sa haine », mais l'instrument des dieux, il frappe « un ennemi de la cité ». La mitre et l'épée sont d'accords pour maintenir de force, l’idole dans le temple et la reine dans la cité. Quand elle veut s'enfuir avec Keth-Aour, la mitre se rebelle et l'épée se révolte.

Ainsi, le drame fait revivre ces civilisations si anciennes que la fable se mêle étroitement à leur histoire ; dans lesquelles le prêtre et le mage gardien l'un de la lettre, l'autre de l'esprit des annales, veulent sauver l'intégrité de la tradition même au prix d'une imposture.


Albert Darmont interprète de Ourkam, mage de Babylone.

Le chaldéen subtil, Ourkam, mage de Babylone, interprété par Albert Darmont, ne peut conjurer la fatalité qui poursuit la fille de Derketo, demi-déesse déchue elle aussi pour une amour terrestre, du moins le peuple et l'armée ne verront pas s'effondrer Sémiramis la Grande, comme une simple mortelle. Descendue des cieux, elle y remontera, sa fin sera pour Ninive et les légions, aussi divine que sa naissance, aussi prodigieuse que son incroyable fortune. Puisque Sémiramis semble oublier que « la légende l'oblige autant que l'histoire » lui, le mage, veillera à ce que l'une pas plus que l'autre, ne soit atteinte. À la reine éperdue d'amour, Ourkam propose de la faire disparaître dans une apothéose, au pontife épouvanté de voir « ce magnifique empire chanceler pour une ardeur de femme », le mage de Chaldée répète que l'idole de Ninive même vaincue par sa passion s'en ira dans une apothéose.


« Sauvons le sceptre et l'intégrité des annales
Elle disparaîtra dans une apothéose. »

Et après la scène sanglante où devant l'armée impassible à la voix de leur souveraine, leur chef a immolé le rival des légions et où la reine a vengé son amant, quand tout semble s'écrouler, le mage n'a qu'un mot : « La gloire est sauve ! », Sémiramis n'est pas tombée devant le peuple consterné et l'armée révoltée ; avant que le poison ait fait son oeuvre, le mage et le prêtre ont préparé la scène finale.


Salut de Sémiramis à l'insigne des légions.

Et Sémiramis, elle-même, en criant son horreur à ses « cent mille » auxquels elle ne savait, la veille, quels honneurs décerner, et devenus aujourd'hui pour elle, a des brutes prodigieuses, en maudissant ses légions révoltées et son peuple ameuté, Sémiramis veut rester pour eux l'être surnaturel, elle les abandonne, mais ils ne la verront pas mourir :


Votre reine qui ne saurait mourir va disparaître.

L'histoire et la légende sont sauvées, et, tandis que la colombe s'envole, les prêtres ont conservé au souvenir de Ninive, Sémiramis la Grande.
Et cet autre peuple pressé dans l'immense amphithéâtre salua d'une formidable ovation l'évocateur prestigieux de Sémiramis la Grande, et ses merveilleux interprètes. Peladan eut la satisfaction splendide de sentir, dans un solennel silence, cette foule vivre comme ceux de ma propre destinée, cette aube et ce crépuscule, apogée et agonie de la puissance assyrienne. Les vingt mille spectateurs, non pas surpris, comme on l'aurait voulu faire croire, mais charmés, séduits par la magnificence du verbe, l'harmonie de la poésie Orphique, n'attendirent pas, l'enthousiasme rompant avec l'usage, la fin de l’œuvre pour acclamer le merveilleux ouvrier.


Second-Weber interprète Sémiramis, princesse d'Assyrie.

Et tous pendant cette inoubliable soirée furent fascinés par Mme Segond-Weber comme le fut le peuple de Ninive par cette Sémiramis, guerrière amoureuse, toujours héroïque, qu'elle fit revivre devant nous. Sans une défaillance, elle soutint ce rôle écrasant, il était digne d'elle, et l'admirable tragédienne trouva un auditoire qui sut la comprendre, pour elle aussi ses triomphes de la soirée se terminèrent dans une apothéose.



Albert Lambert dans le rôle de Keth-Aour, le prine d'Egypte
 
M. Albert Lambert donna au descendant des Pharaons l'allure délicate et un peu lasse d'un prince, fleur d'une civilisation antique et raffinée, mais désormais incapable de se défendre contre la brutale Ninive. Il fut l'idéal rêveur, murmurant doucement son chant d'amour à la conquérante de son pays, conquise à son tour par le charme de cet étranger si différent de ses vétérans.

Ceux-là, M. Dorival incarna vigoureusement leur fanatisme farouche pour leur reine et leur propre gloire. Sa voix puissante criant l'amour des légions pour la reine et leur haine pour le vaincu qui leur ravit le cœur de Sémiramis, résonnait, contrastant avec la douce parole du prince d'Égypte et son geste violent, énergique, soulignait la grâce du pharaon joueur de cythare.


M. Liser de l'Odéon dans  le rôle du pontife Narom-Sin

Avec une gravité majestueuse, M. Darmont dit à la reine, au soldat et au pontife la volonté des dieux, assistant presque impassible, lui mage de Chaldée, dont l'idéal est l'empire, au déclin de la puissance assyrienne, tandis que le pontife de Ninive auquel M. Liser donna l'autorité du chef religieux et la tristesse du patriote essayant de défendre son temple et sa cité contre la fatalité.
Enfin Melle Brille déclama harmonieusement le dithyrambe.
Chambon brossa pour Sémiramis un décor merveilleux réalisant l'idée de Péladan dont le drame se passe sur les terrasses des jardins suspendus de Ninive, sur l'une desquelles s'ouvrent les portiques d'un temple et du palais. La magnificence de la mise en scène, le soin minutieux avec lequel fut réglé la figuration, l'ensemble de ses mouvements, la splendeur de l'illumination de notre antique amphithéâtre, tout jusqu'à la douceur de la nuit contribua au succès de l’œuvre de Péladan.
Tous ceux qui furent ses collaborateurs peuvent être fiers du succès de cette tentative hardie, et le Syndicat d'Initiative ne saurait être trop remercié de l'avoir osée, ni trop loué de l'avoir si brillamment réussie.
Après Sémiramis Nîmes n'a rien à envier à Orange non plus qu'à Béziers.

C......., 1904

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Biographie de Joséphin Péladan
 par Wikipedia

 

Joséphin Péladan, né à Lyon le 29 mars 1858 et mort à Neuilly-sur-Seine le 27 juin 1918, est un écrivain et occultiste français. Il s'était donné le surnom de Sâr Mérodack Joséphin Péladan.

Issu d'une famille de cultivateurs et de commerçants, Joseph-Aimé Péladan, qui se donnera plus tard le prénom de Joséphin, est le fils de Louis-Adrien Péladan, journaliste à La France littéraire, fondateur de La Semaine religieuse, mystique exalté et confus, et de Joséphine Vaquier. Son frère aîné, Adrien, qui deviendra médecin et érudit, l'instruit très tôt de toutes sortes de connaissances et, dès l'enfance, il voyage, à Avignon ou à Nîmes. Il manifeste un esprit indépendant qui lui vaut d'être renvoyé du lycée pour avoir traité un professeur d'athée, puis du petit séminaire de Nîmes.
Il entre comme employé au crédit Faillelle à Paris. Il voyage à Rome et à Florence où il se prend de passion pour le Quattrocento et pour Léonard de Vinci. De retour à Paris, il publie une nouvelle, Le Chemin de Damas, et entre à L'Artiste d'Arsène Houssaye où il rédige des critiques d'art. Il rencontre Léon Bloy et Paul Bourget et enthousiasme Jules Barbey d'Aurevilly qui préface son roman Le Vice suprême en 1884. Ce livre pétri de romantisme et d'occultisme, qui met en scène la lutte de forces secrètes qui s'acharnent à détruire l'humanité, prend résolument le contre-pied du naturalisme de Zola « ce porc-zola, ce pourceau qui est en même temps un âne ». Ce manifeste ouvre les portes des cénacles littéraires au jeune auteur de 26 ans. Son originalité plaît mais son exaltation fait sourire. Jean Lorrain le surnomme « le pélican blanc ». Plus tard on l'appellera « le Mage d'Épinal », « Platon du Terrail » ou « le Sâr pédalant ». Rodolphe Salis alla jusqu'à oser un très cruel « Artaxerfesse », ce qui lui valut des poursuites de l'intéressé. Il se fâche avec Léon Bloy, passe deux jours en prison pour avoir négligé de régulariser sa situation militaire et se met à publier un très grand nombre de textes.
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Portrait par Alexandre Séon, 1892.
En 1888, il publie son livre le plus connu, Istar, se parant du titre de « Sâr » et du prénom babylonien « Mérodack ». Il se décrit « drapé d'un burnous noir en poil de chameau filamenté de fils d'or, en velours vieux bleu, botté de daim, et, comme Absalon, chevelu la barbe ointe d'huile de cèdre. Sans fausse modestie, il affirme : « J'ai conquis, à force de talents, peut-être de génie, le droit de ma pensée pleine, entière, et devant tous. J'ai six mille nuits durant valeureusement aimé la langue française ; je puis tout dire en français. J'y suis burgrave sans vasselage. » Parmi ses autres pseudonymes, on trouve aussi Anna I. Dinska, Miss Sarah et Marquis de Valognes.
Quand il se prend de passion pour Wagner, il débarque à Bayreuth vêtu d'un habit blanc, d'une tunique bleu ciel, d'un jabot de dentelle et de bottes de daim, avec un parapluie retenu au côté par un baudrier. Si la veuve de Wagner refuse de le recevoir en cet équipage, cela ne l'empêche pas de publier les opéras de Wagner en français avec ses annotations « en matière de thérapeutique pour désintoxiquer la France de son matérialisme ».
En 1888, Péladan est le co-fondateur avec Stanislas de Guaita de l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix. Parmi les membres de l'Ordre, on peut relever quelques noms passés à la posterité : Papus, Charles Barlet. Prétextant un refus de la magie opérative, il se sépare du groupe en 1891 pour fonder l'Ordre de la Rose-Croix Catholique et esthétique du Temple et du Graal. L'année suivante, il organise le premier Salon de la Rose-Croix, du 10 mars au 10 avril, à la galerie Durand-Ruel : « Ce jour, l'Idéal eut son temple et ses chevaliers, et nous, Macchabées du Beau, nous allâmes apporter à Notre-Dame, aux pieds de notre Suzerain Jésus, l'hommage du temple et l'agenouillement des Rose-Croix. » C'est un très grand succès. Soixante artistes y participent, parmi lesquels nombre de peintres et sculpteurs de talent (Hodler, Khnopff, Delville, Schwabe, Bourdelle, etc.) et 20 000 Parisiens dont le Tout-Paris mondain et artistique (Mallarmé, Zola, Verlaine, Gustave Moreau, etc.), viennent le visiter, au son du prélude de Parsifal et des Sonneries composées par Erik Satie et jouées aux trompettes. Plusieurs Salons de la Rose-Croix seront encore organisés par la suite. De nombreux artistes de talent y participeront de 1892 à 1897, dont plusieurs élèves de Gustave Moreau tels que Georges Rouault. Inégaux en partie parce que certains artistes invités ont craint d'y participer (Burne-Jones, Puvis de Chavannes, Gustave Moreau), ces salons restent un des événements majeurs de la dernière décennie du XIXe siècle : ils font figure pour le renouveau de l'idéalisme et témoignent d'une tendance vers le spirituel qui habitera les grands mouvements de l'art du début du XXe siècle.
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Péladan et Alexandru Bogdan-Piteşti à Bucarest
Il ambitionnait d'extirper la laideur du monde moderne, s'opposant ainsi au matérialisme ambiant ; à ce titre, il est un porte-parole du mouvement symboliste. Il rédige plusieurs manifestes qui témoignent d'une grande culture artistique et une saisissante Réfutation esthétique de Taine qui accompagne son ouvrage majeur, L'Art idéaliste et mystique (Paris, 1894). Prônant une resacralisation de l'art et de la vie, Péladan opte délibérément pour un transfert du religieux vers l'art, dans la plus pure tradition baudelairienne. Son ton, les symboles choisis pour la Rose+Croix, ne relèvent plus vraiment d'un ésotérisme qu'on a souvent caricaturé, mais témoignent d'une volonté de s'opposer au trivial et inaugurent une pratique « publicitaire » que les avant-gardes exploiteront abondamment par la suite. Si Péladan utilise un ton souvent polémique ou lyrique, révélateur de son caractère passionné, c'est au service de convictions sincères et d'une défense de la grandeur de l'art qu'il estime prostitué sous une Troisième République souvent mercantile.
Il s'essaye au théâtre avec Babylone (1895), Le Fils des étoiles (1895), Le Prince de Byzance (1896), puis une trilogie, La Prométhéide, qui se voulait la suite du Prométhée d'Eschyle. Ces tragédies mêlant peinture, musique, Babylone et Jésus-Christ dans une ambition de théâtre total avant la lettre, remportent des succès très variables. Certaines sont ignorées, d'autres constituent un événement marquant comme lors des représentations organisées dans les arènes de Nîmes en 1904 avec Sémiramis. Il produit d'innombrables plaquettes de critique d'art, contribuant à faire connaître en France l'œuvre de Léonard de Vinci, publiant un opuscule très fin intitulé De l'androgyne. Ses textes critiques, éloquents autant que richement documentés, tout comme ses romans, tels que le cycle de La Décadence latine, mêlent propos parfois décevants et vraies fulgurances. La métaphysique et le débat esthétique y sont le ressort principal, dans une langue riche et éloquente.
En définitive, le contexte de la fin de siècle s'éloignant, Joséphin,Péladan renonce à ses outrances vestimentaires et vit dans la vénération de sa seconde femme, Christiane Taylor, vivant péniblement de critiques d'art « que l'ancienne ironie des badauds empêchait de remarquer » (Henry Bordeaux). En 1908, il reçoit le prix Charles Blanc de l'Académie française. Il meurt en 1918, presque oublié.
Cent ans après l'action et les écrits de Péladan, le « Sâr » fait pourtant toujours parler de lui : son enthousiasme, la justesse de ses propos et de ses jugements artistiques, son dandysme revendiqué (« l'art de la kaloprosopie », théorisé dans L'Art idéaliste et mystique), son action spectaculaire avec les Salons de la Rose+Croix, s'inscrivent dans une logique littéraire, philosophique et esthétique d'une grande cohérence et reflètent des débats essentiels pour l'art et l'esprit d'une époque.
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Péladan vu par ses contemporains

« Péladan, dont le savoir était plus brillant que solide, ne tarda pas à se dérober aux discussions qui le mettaient sur la sellette. Il était alors grisé par le succès de son Vice Suprême et par la curiosité qu'il éveillait dans les salons, où il s'attachait à faire sensation. Le titre de Mage ne lui suffisant plus, il se promut Sâr, ce qui signifie Roi en assyrien. »
« Il était parfumé des sept parfums correspondants aux sept planètes, mais où dominait impérieusement l'eucalyptus. Un large col de dentelles sans cravate entourait son cou, mais s'échancrait assez pour recevoir un gros bouquet de violettes; ses gants de peau grise avaient des baguettes mauves à rehauts d'or. »


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> Sémiramis, le livret de Péladan



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