L'Abbaye
de Saint-Sauveur
de la Fontaine (1) (1) Archives du Monastère à la Préfecture du Gard, séries H et G. - L'historien Ménard. Extrait de la Paroisse Saint-Charles, pages 165 à 187. de M. l'Abbé Goiffon, 1872 Le Conseil de la ville s'oppose à l'élection de l'Abbesse de Saint-Sauveur en 1512. Chapitre I - Fondation de l'Abbaye - Ses accroissements. Frotaire 1er évêque de Nimes, fils de Bernard II, vicomte de cette ville, fonda, en 990, un monastère de filles de l'Ordre de Saint-Benoît, sous le titre de Saint-Sauveur. Presque aussitôt ce monastère fut érigé en abbaye. Son nom de Saint-Sauveur de la Fontaine (de Fonte Nemausensi) lui vint de ce qu'il fut établi près de la célèbre Fontaine de Nimes. Frotaire lui donna pour église l'ancien temple romain, situé au bord de la source, et qu'on appelle aujourd'hui le temple de Diane, quoique vraisemblablement il ait été dans le principe dédié à tous les grands dieux de l'Olympe païen. Le nouveau monastère fut bâti tout auprès, et le chœur des religieuses fut établi au-dessus des plafonds qui couvraient les réduits du fond de l'aire du temple ; pour leur donner vue dans l'église, on avait pratiqué deux petites fenêtres carrées en face de la porte d'entrée. L'historien Ménard nous apprend que l'abbaye de Saint-Sauveur de la Fontaine de Nimes fut célèbre dès sa naissance et donna beaucoup de lustre à la profession religieuse dans la ville et aux environs ; la discipline régulière y était exactement observée, et les personnes les plus distinguées du pays se faisaient gloire d'y voir entrer leurs filles. Le crédit et le pouvoir de son fondateur procurèrent au monastère les plus rapides accroissements ; afin d'en assurer l'existence, il lui transmit la plupart des droits qu'il tenait de son père sur les moulins et les autres fonds qui entouraient la Fontaine ; de sorte que l'abbaye succéda aux vicomtes dans leurs droits de propriété ou de suzeraineté sur ces divers fonds ; c'est ce qui ressort clairement dés divers titres que nous citons un peu plus loin. La nouvelle abbaye avait été mise sous la dépendance des Bénédictins de Saint-Baudile, et passa avec ce monastère, en 108!r, sous celle de l'abbé de la Chaise-Dieu, en Auvergne. La possession du couvent de Saint-Sauveur et de ses dépendances fut confirmée à Pons, abbé de la Chaise-Dieu, par Raymond Guillaume, évêque de Nimes, à la suite d'un accord arbitral du 6 janvier 1100. Mais à la suite d'un différend qui s'était élevé entre Aldebert, évêque de Nimes, et Jourdain de Montboissier, abbé de la Chaise-Dieu, celui-ci renonça à ses prétentions sur le monastère de Saint-Sauveur et sur plusieurs autres églises de Nimes, qu'il céda à l'évêque vers 1150. Aussi lorsque, le 10 décembre 1156, le pape Adrien IV donna, sur la prière de l'évêque Aldebert, la bulle contenant l'énumération des possessions respectives de l'évêque et du Chapitre de Nimes, le monastère de Saint-Sauveur (monasterium Sancti Salvatoris de Fonte) fut rangé parmi les possessions de l'évêque, ce qui doit s'entendre, non d'une propriété absolue, mais du droit de le faire régir sous son autorité. Nous ne savons rien de l'abbaye pendant le XIe siècle, et ce n'est qu'au XIIe qu'il nous est permis de commencer la série des abbesses qui l'ont gouvernée ; la première connue est Gilberge, que nous trouvons nommée dans des actes de 1114 et de 1127. Après elle vient Raymonde 1re qui gouvernait déjà en 1138 et qui, en 1154, du conseil des religieuses, concéda à emphitéose et sous la cense annuelle de 12 deniers, un gravier (graveironum), près de la Fontaine, à Guillaume Gauffroy. Ce même Guillaume Gauffroy vendit, en 1156, à l'abbesse Odile et à ses religieuses, la maison où il faisait ses lessives et qui relevait de la directe du monastère. Cette même abbesse, dans le but d'éloigner les servitudes du couvent, conclut plusieurs actes dont voici les principaux : elle acquit, en 1159, pour le prix de 1900 sols melgoriens, de Bertrand des Arènes et de Pierre Bernard, son fils, tous les droits qu'ils avaient sur les moulins, sur l'écluse, sur les graviers ou grèves, et sur la Fontaine même, excepté la moitié de la grève de Guillaume Faragoce, auquel il demeure permis de prendre l'eau qui lui sera nécessaire, excepté aussi le creux de Guillaume Seignoret. À la prière des deux parties, l'acte de vente fut passé en présence de plusieurs personnes de marque et fut scellé du sceau de l'évêque Aldebert. En mai 1162, Odile et ses sœurs louèrent, et concédèrent à Guillaume Faragoce tout le gravier qu'il avait acheté à Guillaume Gauffroy, son oncle, lequel le tenait du monastère. Cet acte passé devant l'évêque Aldebert, rapporta aux religieuses 270 sols melgoriens. L'abbesse employa une partie de cette somme, c'est-à-dire 140 sols melgoriens, à acheter à Guillaume Céleste tout le droit que celui-ci avait sur le moulin supérieur de la Fontaine, depuis le soleil levant du vendredi jusqu'au samedi à la même heure (juillet 1162). Ces divers actes nous donnent la preuve de l'état florissant du monastère ; en effet, d'après ces actes, il existait dans le couvent plusieurs offices qui désignent une communauté nombreuse et régie selon la discipline claustrale. C'étaient les offices de prieure, de sacristaine, de vestiaire, d'infirmière et de pitancière. Il paraît également qu'on ne recevait dans l'abbaye que des filles qui eussent de la naissance. La quatrième abbesse comme, la dame Aybiline, continua à augmenter les domaines de Saint-Sauveur ; en 1169, elle employa 42 sols melgoriens à acheter la dixième partie de deux grèves que tenaient de l'abbaye Rixende, femme de Pons Jatbald, de Sommières, et Bernard Jatbald, son fils. - En 1170, elle reçut de pierre Bernard de Capduel tous les droits qu'il avait sur le quart du moulin supérieur de la Fontaine. Le donateur déclara qu'il faisait cette cession au monastère pour la dot et la réception de sa fille Agnès parmi les religieuses ; Pierre Bernard reçut cependant, en retour, 200 sols melgoriens. - Son fils Bertrand Barresia jura sur les quatre évangiles qu'il n'attaquerait jamais cet acte, qui fut aussi approuvé par l'évêque Aldebert, sans préjudice de sa mouvance et d'une albergue de quatre chevaliers. - En novembre 1174, Aybiline paya 880 sols melgoriens pour l'achat qu'elle fit à Bernard Bougarel de deux grèves de la Fontaine, de la moitié d'un pâturage et de deux pièces de vigne qui relevaient de la directe du monastère, sous la cense de 22 deniers. Guiralde ou Guiraude prit possession de l'abbaye en 1189. Pendant son administration, un différend s'éleva entre elle et Frotard, prévôt de l’Église de Nimes, au sujet du nettoiement du bassin situé au-dessus du moulin Flamejal et des dîmes du jardin du monastère. Ce différend fut terminé en février 1200, par une transaction arbitrale que dicta l'évêque de Nimes, Guillaume II, assisté dans cette médiation du chanoine Ebrard et de l'avocat Record. - L'acte en fut dressé dans le grand palais de l'évêque de Nimes, en présence et du consentement des chanoines et des religieuses ; l'abbesse conservait le droit de faire passer les eaux dans ses fonds, mais elle devait payer la dîme de presque toutes ses terres. Cet acte d'accord fut lu, le 15 octobre suivant, dans le chapitre de l'abbaye de Saint-Sauveur, en présence de toutes les religieuses assemblées et de l'abbesse Béatrix Ire qui venait de succéder à Guiralde. Marie 1re de Montolieu succéda à Béatrix, en 1205. Le 4 juin 1207, elle acheta de Bonne de la Sapinette, tille de Guillaume Chabaud, et au prix de neuf livres raymondines, du poids de trente sols à la livre, un gravier avec les pierres et autres dépendances, situé au haut de la Fontaine, auprès du moulin Flamejal. L'abbesse Marie acheta encore, le 16 mars 1208, de Guillaume Berocius et de sa sœur Claudine assistée de son mari Bernard Spine, tous les droits qu'ils avaient sur la moitié du moulin supérieur de la Fontaine. Le prix de cette acquisition fut, fixé à 600 sols raymondins ; cette somme fut payée par le chevalier Raymond qui en faisait don au monastère pour la dot de sa fille. À partir de ce moment l'abbaye fut seule propriétaire du moulin, à l'exception de deux portions qui relevaient cependant de la directe des religieuses ; elles leurs furent reconnues, le 29 octobre 1307 et le 11 avril 1354, par Sauveur de Furno et Martial Chabaud. C'est à cette époque que le monastère de Saint-Sauveur fit sa principale acquisition ; le 20 février 1209, Raymond Vl, duc de Narbonne, comte de Toulouse et marquis de Provence, se trouvant à Nimes, donna à Dieu, à l'abbaye et à Marie de Montolieu, abbesse du couvent, ainsi qu'aux religieuses présentes et futures, pour le rachat des âmes de ses parents et pour son propre salut, le village de Saint-Paul, situé près de Beaucaire (1), avec un marais qui était au-dessous du village et le pâturage qui y était attenant pour le cultiver ou y faire paître les animaux. Par le même acte, Raymond confirma aussi, en faveur du monastère, une donation que lui avait faite le comte Alfonse, son aïeul. - A cette occasion, le comte Raymond reçut des religieuses 300 sols raymondins ; il voulut, en outre, que les religieuses eussent les clefs du lieu de Saint-Paul, se réservant cependant le droit, pour lui et ses successeurs, de les retirer toutes les fois qu'il voudrait mettre le village en état de défense ; il s'y réserva aussi la justice criminelle et les chevauchées. Cette donation fut faite à l'abbesse, en présence de deux religieuses de Saint-Sauveur, Marie Blégère et Marie de Vallabrègues ; parmi les témoins qui assistèrent à l'acte, on remarquait Bertrand de Garrigues, alors viguier de Nimes (2). (1) Sanctus Paulus de Cortayssono, 1384, de Courthézon. - Archives du Gard, H, 517 - plus tard, Saint-Paul-Valor, de Valorciis. (2) Archives du Gard, H, 520. Le village de Saint-Paul ayant été plus tard injustement réuni au domaine de la couronne, les commissaires, députés par Saint-Louis pour la restitution des biens indûment réunis au domaine royal, rendirent, le 20 septembre 1255, un jugement qui rétablissait les religieuses de Saint-Sauveur dans la possession du village, sauf la mouvance du roi qui se réserva la haute justice du lieu. - Deux chartes du roi Philippe-le-Bel, données à Nimes, en février 1304, sur la demande de l'abbesse, confirmèrent, l'une la donation de Raymond VI, l'autre le jugement rendu par les commissaires du roi Saint-Louis. Chapitre II Splendeur de l'Abbaye. Sibilde remplaça l'abbesse Marie de Montolieu, en 1241, et fut elle-même remplacée, en 1219, par Ponce de Capduel, qui continua à procurer l'augmentation des possessions du monastère ; elle acheta, le 14 février 1221, à Pierre Maystre, tout le droit qu'il avait sur un moulin qu'il venait de construire auprès du moulin supérieur appartenant à l'abbesse. Maystre n'en avait d'ailleurs que la propriété viagère ; la possession en devait revenir au monastère après sa mort ; cet achat fut fait moyennant 300 sols raymondins. Après Ponce, la charge d'abbesse fut exercée par Marie II d'Amaury (Amalriga), de 1233 à 1240 ; Guillelme I de Mascaron, de 1240 à 1244 ; Ermessinde I d'Aigremont, de 1244 à 1248 ; Béatrix II de Blauzac, de 1248 à 1266 ; par un acte du 17 février 1250, cette dernière concéda à perpétuité, au boucher Aimeric Bedot, pour le prix de six sols tournois, la faculté de conduire l'eau qui coulait dans la rivière du monastère au puits du jardin de la femme de Bedot, pour l'arrosage de ce jardin situé auprès de la grève de la Fontaine. Le siège abbatial fut ensuite occupé, en 1266, par Alixende Brun ; en 1272, par Béatrix IlI de Mirabel ; presque aussitôt après sa prise de possession, elle fut appelée à donner l'habit religieux à Cécile, fille du célèbre Guy Fulcodi, qui avait été d'abord jurisconsulte du roi Saint-Louis, et qui, devenu veuf, avait embrassé l'état ecclésiastique, et avait, par ses talents et ses vertus, mérité d'être élevé au souverain-pontificat, sous le nom de Clément IV (5 février 1265-29 novembre 1268). Ce digne pontife, non moins humble, ni moins modeste sur le trône pontifical qu'il l'avait été avant son élévation, loin de chercher à donner de l'éclat à sa famille par des alliances illustres que sa position pouvait si facilement procurer, avait déclaré à son neveu Pierre de Saint-Gilles, fils d'une de ses sœurs, dans une lettre du 7 mars 1265, que son intention était seulement de contribuer à l'établissement de ses filles, Cécile et Mabilie, de la même manière qu'il aurait pu le faire, s'il fût demeuré simple clerc, et de ne leur donner d'autres maris que ceux qu'elles auraient eus alors. Cécile était encore dans le siècle, le 30 janvier 1269 ; à cette date, elle passa un acte d'achat à Saint-Gilles. Ce ne fut qu'environ quatre ans après la mort de son père qu'elle embrassa la vie monastique dans l'abbaye de Saint-Sauveur de Nimes. D'après une enquête faite le 5 décembre 1287, peu de temps après la mort de Cécile, par Guillaume de Romans, official de l'évêque de Nimes, à la requête de l'abbesse, Ermessinde de Montpezat, il est prouvé que « feue Cécile Fulcodi, fille de Guy, qui fut ensuite pape sous le nom de Clément IV, avait autrefois été reçue religieuse dans le monastère de la Fontaine de Nimes et y avait porté quinze ans l'habit. » Il est probable que Mabilie avait suivi sa sœur dans le monastère. Béatrix de Mirabel fut remplacée par Ozilie, dès 1272; en 1276, l'abbesse était Ermessinde II de Montpezat, qui gouverna le monastère jusqu'en 1298 ; elle concéda , le 1er juin 1277, au boucher Etienne Pause, la faculté de faire un aqueduc pour arroser son jardin, sons la cense d'un denier tournois payable tous les ans à la Saint-Michel. La dix-huitième abbesse de Saint-Sauveur fut Guillelme II Catelle, de 1298 à 1316. Le 15 février 1302, elle acheta, au prix de 27 livres tournois, à Pierre Andrici, convoyeur de Nimes, fils de Jean Andrici, deux maisons bugadières contiguës, avec le jardin attenant et tous les prés voisins, situés auprès du monastère et de la Fontaine ; le tout était précédemment de la directe du couvent et payait une cense annuelle de cinq sols tournois à l'infirmière ; l'acte porte que cette cense sera désormais payée par l'abbesse ; celle-ci fut mise en possession de son acquisition, dix jours après. L'abbaye continuait toujours à recevoir des religieuses de noble famille ; nous en avons la preuve dans une pièce du 23 novembre 1304. C'est une donation faite à l'abbesse par Bernard de Calvisson, damoisel de Marguerittes, d'une pension annuelle de dix sétiers de froment, mesure de Nimes, payables à la Saint-Michel, et d'une directe sur la dîmerie de Saint-Gilles de Marguerittes, au lieu de Garrigotte, laquelle Bernard de Calvisson possède par indivis avec Guillaume Rican, chevalier du lieu ; l'acte porte que cette donation est faite en considération de l'admission dans le couvent de la fille de Bernard. Le 9 février suivant, Bernard de Calvisson vendit au monastère la seconde partie lui appartenant de Garrigotte. Le tiers de Rican étant venu au roi par confiscation, fut donné, en septembre 1319, à Rousselet ; par vente, il passa successivement à Bernard de Languissel ; puis, en 1342, au cardinal du Puy ; en 1342, au cardinal de Déaux, qui l'employa à la dotation de la chapelle de Blauzac, unie plus tard au collège des Jésuites de Nimes. Raymond Ruffi, le fondateur de l'Hôtel-Dieu de Nimes, n'oublia pas les religieuses de Saint-Sauveur, dans son testament du 22 mai 1313 ; il leur fit un legs pour leur « pitance » et recommanda son âme à leurs prières. Après Guillelme Catelle, nous trouvons pour abbesses : Raimonde II d'Amaury, de 1316 à 1318 ; Guillelme III, de 1318 à 1322 ; Béatrix IV Mascaron, de 1322 à 1335 ; Bérengère I d'Aramon, de 1335 à 1344 ; sous l'administration de cette dernière, en 1337, un différend s'éleva entre les Consuls de Nimes et les religieuses de l'abbaye, au sujet d'un pré situé sur le rivage de la Fontaine. La ville en jouissait de temps immémorial, et ce lieu servait de promenade aux habitants ; l'abbesse obtint une première sentence en sa faveur ; mais le 26 février, sur la plainte et l'appel des Consuls, l'affaire ayant été, mieux examinée, le juge maintint les habitants dans leur possession. La vingt-troisième abbesse fut Armande I de Cabrières, de 1344 à 1349 ; vinrent ensuite Adélaïde, de 1349 à 1353 ; Alasacie Imbert, de 1353 à 1360, et Audiberte d'Aramon, de 1360 à 1381. À cette époque les habitants de Nimes, afin de conserver les eaux de la Fontaine et leur donner un cours plus libre, résolurent de faire creuser un grand canal, depuis l'origine des eaux, jusqu'au moulin de Guillaume Audemard ; on se mit aussitôt à l’œuvre ; mais les religieuses prétendirent que ce travail leur était préjudiciable et envoyèrent, le 3 octobre 1365, un acte de protestation à Jean André, Consul de la ville. Les habitants avant obtenu des arrêts qui les autorisaient à continuer, un nouvel acte de protestation fut signifié, le 3 mai 1376, au Consul Guiraud Sauxe, au nom de la prieuresse Draconèse d'Anceline. On en vint alors à un accord qui fut signé, le 14 mai 1377, à l'Hôtel-de-Ville, par cinq Consuls, deux religieuses de Saint-Sauveur au nom de l'abbesse, et six chanoines au nom du prévôt et du Chapitre de la Cathédrale, en présence du juge-mage de la Sénéchaussée, et puis à l'évêché par-devant l'official, grand-vicaire de l'évêque de Nimes. Cet acte de transaction portait qu'afin de concilier l'utilité publique avec les intérêts du monastère de Saint-Sauveur, qui possédait le premier moulin bâti sur les bords du bassin de la Fontaine, et ceux aussi du Chapitre qui avait des redevances sur les deux moulins bâtis un peu plus bas que le premier, moulins auxquels le canal projeté portait un égal préjudice, ainsi qu'avec la possession où étaient les religieuses de jouir des eaux de la Fontaine pour l'usage de leur maison et de leur jardin, les Consuls feraient combler à leurs dépens les travaux déjà faits, de ce moment à la Saint-Michel prochaine, et rétabliraient en leur premier état les canaux particuliers qui conduisaient les eaux à l'abbaye. Mais, en même temps, comme l'intérêt public demandait que la ville eût la liberté de reprendre cet ouvrage, si elle le jugeait à-propos, il fut convenu que les Consuls pourraient acheter le moulin de l'abbaye et les redevances que le prévôt et le Chapitre retiraient des deux autres moulins, au prix que les estimeraient « consciencieusement » quatre experts, dont deux, l'un ecclésiastique, l'autre laïque, seraient présentés par les chanoines et les religieuses, et les deux autres laïques seraient nommés par les Consuls. La ville aurait deux ans pour procurer ailleurs un semblable revenu à l'abbaye et au Chapitre, et, une fois le prix payé, il lui serait libre d'ouvrir et de clore la Fontaine, d'en continuer ou d'en combler le canal, comme on le trouverait bon pour le bien public ; sauf cependant la suzeraineté de l'abbesse et en conservant l'aqueduc qui menait les eaux au jardin du couvent ; si ces travaux ne se font pas, le premier moulin reviendra aux religieuses et le cens des deux autres au prévôt, comme précédemment, et les revenus acquis par les Consuls retourneront aux propriétaires primitifs. Cet accord fut ratifié, le 15 mai, par la communauté entière de l'abbaye, capitulairement assemblée dans la chambre de l'abbesse Audeberte, en présence de Benoît de Montrédon, vicaire-général de l'évêque. De leur côté, les chanoines assemblés en chapitre dans leur cloître le ratifièrent le 25 mai, et pour donner plus de force à leur ratification, ils la réitérèrent dans un chapitre général tenu devant l'évêque Jean VI, le 17 août suivant. II paraît que, malgré cet accord, les travaux furent discontinués, sans doute par défaut de fonds. Cet acte offre un intérêt particulier à un autre point de vue : il nous fait connaître quel était alors l'état de la communauté des bénédictines de Saint-Sauveur ; elle se composait de douze religieuses, parmi lesquelles une abbesse, une prieure, une vestiaire et une infirmière ; on y voit de plus une nouvelle preuve de l'éclat de cette ancienne abbaye presque toute formée, comme dans les commencements, de filles d'une naissance distinguée. Bérengère II de Ginestoux (de Genestosio) monta sur le trône abbatial en 1381. Quelques années après, au mois d'août 1388, l'évêque de Nimes, Bernard V de Bonneval, attentif à arrêter tous les abus qui pouvaient porter atteinte aux saints canons, trouva, dans une visite qu'il fit à l'abbaye, qu'on y avait introduit l'usage odieux, anciennement regardé comme une vraie simonie, d'exiger une dot des filles qui y embrassaient la vie religieuse. En conséquence, il rendit une ordonnance datée du 16, par laquelle il défendit à l'abbesse et à ses sœurs de rien prendre à l'avenir pour ce sujet, sous peine d'excommunication encourue par le seul fait. Bérangère était encore a la tête du monastère, lorsque, en 1392, Geoffroy Paumier, ancien lieutenant de la Sénéchaussée, y fonda un anniversaire pour le repos de son âme, moyennant la somme de huit francs d'or à prendre sur le produit de la vente de ses meubles. Aigline de Posquières remplaça Bérengère et fut abbesse de 1396 à 1399 ; après elle la charge passa à Pétronille de Posquières, qui gouverna l'abbaye de 1399 à 1410. Le monastère ayant été, vers ce temps, troublé et inquiété dans ses possessions, l'abbesse obtint du roi Charles VI des lettres de sauvegarde données à Paris le 8 octobre 1400 ; par ces lettres, le roi ordonne à tous ses justiciers « de soutenir les droits, possessions, usages, franchises, libertés et saisines de l'abbaye, et de la garder et défendre de toutes injures, violences, griefs, oppressions, molestations de force d'armes, de puissance de loys et de toutes autres inquiétations, nouvelletés indues , etc., etc. » Ces lettres furent enregistrées au sénéchal de Nimes, le ler septembre 1401 et publiées dans tous les carrefours de la ville par le juge royal et ordinaire, le 22 du même mois. En signe de la protection qu'il accordait à l'abbaye, le roi avait ordonné de mettre ses panonceaux sur les maisons ; les granges, les terres, les possessions et les biens quelconques des religieuses ; cette opération fut faite, après examen des titres par un notaire. A cette époque, les religieuses de Saint-Sauveur avaient plusieurs maisons à Nimes, aux terres du Fort, dans les bourgades et dans l'intérieur de la ville, et possédaient différentes propriétés à Beaucaire, Saint-Paul, Redessan, Calvisson, Clarensac, Caveirac, Milhaud, divers lieux de La Vaunage, La Calmette, Saint-Césaire, Courbessac, Marguerittes, Lédenon, etc., ce qui ressort des reconnaissances faites à diverses dates. L'abbesse était en outre prieure de Lédenon, dont elle présentait à l'évêque le vicaire perpétuel, et la communauté des sœurs avait le droit de patronage sur le prieuré de Domessargues, au diocèse d'Uzès. L'accord de 1377 entre la ville, les religieuses et les chanoines n'avait pas été exécuté par les Consuls ; le Chapitre en ayant demandé l'exécution, il s'ensuivit un procès devant le sénéchal qui ordonna, le 22 novembre 1409, que la transaction serait exécutée dans tous ses chefs et due les Consuls fermeraient et combleraient à leurs frais le canal qu'ils avaient fait creuser. Isabelle I fut abbesse de Saint-Sauveur de 1410 à 1421 ; Isabelle II Pichon lui succéda de 1421 à 1429 ; vint ensuite Catherine I de Roquefort, de 1429 à 1466. Plusieurs fois déjà les Souverains-Pontifes avaient donné à l'abbaye des témoignages particuliers de leur protection, Alexandre IV et Urbain IV lui avaient accordé diverses immunités ; à son tour Jean XXII l'avait honorée de deux bulles datées du ler septembre 1328 et 19 novembre 1329 (1), par lesquelles il octroyait aux religieuses les mêmes privilèges qu'aux Clarisses d'Avignon et leur confirmait les faveurs accordées par ses prédécesseurs. (1) Voir Gallia Christiana, VI, 516, - En 1430, le pape Martin V donna à Rome sa bulle du 23 janvier en faveur de l'abbesse contre les détenteurs des biens de l'abbaye. Il paraît que sous l'administration de Catherine de Roquefort le relâchement devint fort grand dans l'abbaye ; la règle du monastère excluait les religieuses de Saint-Sauveur de toute succession, mais les membres de la communauté ne laissaient pas d'en recueillir quelquefois, lorsque le Saint-Siège leur en accordait la liberté ; il arriva même que souvent des successions furent recueillies en dehors de toute permission des supérieurs ecclésiastiques et en vertu de la seule autorité de la tolérance et d'un abus que le relâchement avait introduit et mis en vigueur. Nous savons, entre autres, que Luque de Déaux, religieuse de Saint-Sauveur, fut héritière, par droit de parenté, de Jacques de Déaux, dit de Sauve, et de Pierre de Déaux, son frère, qui étaient morts sans avoir fait de testament ; on lui fit, en cette qualité, une reconnaissance féodale le 19 décembre 1439. Bien plus, le relâchement s'introduisait en des choses d'une plus importante gravité ; la clôture était violée et l'historien Ménard nous apprend que fatiguées du cloître, les religieuses allaient s'ébattre sous les saules et dans les prés de la Fontaine (1). Catherine II d'Aube de Roquemartine tint le siège abbatial de 1466 à 1478. Elle y était à peine installée que se renouvela l'ancien différend entre l'abbaye et les Consuls de Nimes, au sujet de la propriété d'un des prés situés sur le rivage de la Fontaine, près du monastère; l'abbesse ayant fait couper les branches des saules qui y étaient, les Consuls s'en plaignirent au sénéchal Rauffet de Balzac. Celui-ci envoya un commissaire sur les lieux pour vérifier les anciennes ordonnances de justice et entendre les dépositions des témoins ; à la suite de cette enquête, il rétablit les Consuls dans la possession de l'objet en litige, avec défense à l'abbesse et à tous autres de les y troubler en aucune manière, sous peine de cinquante marcs d'argent applicables au profit du roi. Catherine d'Aube mourut, en 1478 ; l'évêque de Nimes, Robert de Villequier, présida à l'élection de la nouvelle abbesse ; le choix tomba sur Catherine IlI de la Faye du Pinet qui gouverna le monastère jusqu'en 1500 ; celle-ci fut remplacée par Marguerite I Trenchart qui mourut au commencement de 1512. Dans l'élection pour, son remplacement, le choix des religieuses tomba sur un sujet peu digne de cette charge ; elles espéraient sans doute pouvoir, sous son administration, violer impunément la règle qu'avaient rétablie les précédentes abbesses ; mais les habitants de la ville s'élevèrent aussitôt contre ce choix et le conseil de ville, indigné d'un pareil scandale, fit tous ses efforts pour empêcher que l'élection ne fût confirmée par l'évêque ou par son vicaire général, et délibéra que, si l'abbesse élue était confirmée, la ville en appellerait au Parlement de Toulouse comme d'un abus notoire « attendu qu'elle n'estoit personne pour l'estre, pourcequ'elle n'estoit fame de bien. » (Mars 1512) (2). (1) Ménard, Histoire de Nimes, III, page 280. (2) Archives de la ville, - Délibérations du Conseil. Cette menace fit revenir sur l'élection et Blanche d'Albignac fut nommée; elle gouverna jusqu'en 1521, époque où Isabelle III Boyer d'Alteirac lui succéda. Guillelme IV de Rispe fut élue, en février 1525. - Les abus continuaient et une réforme devenait de plus en plus nécessaire ; elle fut tentée plusieurs fois pendant la longue administration de Guillelme de Rispe qui fut abbesse jusqu'en 1570. Le 25 octobre 1526, le vicaire du procureur fiscal du diocèse tint une séance dans le réfectoire de Saint-Sauveur pour la réformation des abus concernant la clôture ; défense fut faite à l'abbesse de sortir ou de laisser sortir les religieuses hors du couvent ; ordre fut donné d'élever dans l'église une tribune pour que les religieuses ne fussent pas confondues avec le peuple, etc. - Le lendemain, une autre séance fut tenue dans la cour du palais épiscopal, dans laquelle il fut ordonné que toutes les religieuses auraient leurs cellules sous le même toit, que les bâtiments adjoints à la maison claustrale seraient démolis et qu'un passage serait établi du dortoir à la tribune (1). 1) Archives du Gard, G, 945. Ces précautions de l'autorité ecclésiastique ne suffirent pas pour arrêter le mal ; pour faire cesser le scandale, on fut obligé de réclamer un arrêt du Parlement de Toulouse. Cette Cour ordonna que le monastère serait réformé et nomma un commissaire pour travailler à cette réformation ; mais les ordres du Parlement ne s'exécutèrent pas, à cause de la faveur que les religieuses trouvèrent auprès du commissaire. Le Conseil de ville intervint encore et délibéra, le 17 janvier 1532, qu'il serait fait une sommation à l'envoyé du Parlement pour qu'il exécutât promptement les arrêts de réformation, et qu'on l'avertirait que, en cas de refus, la ville ferait, pour parvenir à son but, toutes les démarches et poursuites nécessaires. Nous ne savons comment se termina l'affaire, mais l'histoire nous apprend que la licence et le relâchement continuèrent à subsister ; des scandales d'apostasie en furent le triste résultat. Chapitre Ill - Destruction de l'Abbaye. Depuis quelque temps déjà le protestantisme faisait dans Nimes de rapides progrès, et ses doctrines avaient même trouvé un écho dans le monastère de Saint-Sauveur ; la plupart des religieuses cependant gardaient précieusement la vieille foi catholique ; la journée du 21 décembre 1561 vint discerner le bon grain du mauvais ; après la prise de la Cathédrale par les huguenots, tous les couvents de Nimes furent attaqués et pillés, leurs titres brûlés et leurs habitants chassés ; le monastère de Saint-Sauveur ne fut pas épargné, les religieuses fidèles s'enfuirent devant la populace et il ne resta dans le couvent que celles qui étaient disposées à embrasser les nouvelles erreurs ; elles n'y demeurèrent pas longtemps ; trois jours après, le 24 décembre, elles demandèrent d'être reçues à la Cène, ce qui leur fut accordé à la condition qu'elles sortiraient de leur « taisnière, monstrant bon exemple au peuple (1). » (1) Ménard, Histoire de Nimes, tome IV, page 320, Lorsque, à la faveur des ordres de la Cour, le service divin fut rétabli à Nimes, les religieuses fidèles vinrent de nouveau occuper leur monastère et leur église de Saint-Sauveur de la Fontaine, le 14 janvier 1562. Elles y étaient depuis peu, lorsque le capitaine huguenot Jean, à la tète de ses soldats, se portant à l'abbaye, détruisit les autels et les signes de la religion catholique. Les religieuses chassées se retirèrent d'abord dans leur maison de Lèdenon, d'où, pendant quarante ans, elles errèrent successivement, sous la conduite de leur abbesse, à Avignon, à Arles, à Tarascon et enfin à Beaucaire, où nous les retrouverons plus tard. L'édit de pacification donné à Amboise, le 19 mars 1563, ordonnait de rendre aux catholiques leurs églises et les propriétés ecclésiastiques ; loin de se conformer à cet ordre royal, les religionnaires de Nimes firent démolir le monastère de Saint-Sauveur; cette opération commença, le 11 mai suivant. Quinze maçons furent employés à ce travail, tandis que des serruriers arrachaient les ferrures des portes et des fenêtres. Le greffier Maurice Favier présidait à toutes ces destructions. Un particulier, Pierre Baudan, fit emporter à son moulin, situé près du monastère, une partie des matériaux et même quelques meubles qui s'y trouvaient encore. Favier fit transporter le reste dans un jardin situé hors de la ville, prés de la porte de la Bouquerie. Ces actes de vandalisme durèrent trois jours, pendant lesquels on ne cessait d'exhorter les ouvriers à se hâter et à ne pas laisser pierre sur pierre. Les arbres fruitiers du monastère furent ensuite abattus ou arrachés, et le bois fut enlevé (1). (1) Ménard, tome IV, preuves 307. - Il existe encore aux Archives du Gard deux copies authentiques et collationnées à l'original, en 1695, d'une enquête qui fut faite, le 19 novembre 1563, par Jean d'Albenas, conseiller du roi au Présidial de Nimes et commissaire député par Damville, gouverneur lieutenant-général du roi en Languedoc ; il sera intéressant d'en reproduire ici les résultats. Le premier témoin entendu fut Jean Martel, âgé de cinquante ans ; il déclara que, environ le mois de may dernièrement passé, estant il allé se promener lez le monastère de la Fontaine de la présente ville, il vist un grand nombre de massons qui abbatoient et démolissoient les maisonnaiges dudict monastère, entre lesquels il deppozant cogneut M. Jean Moynier, maistre-masson de la présente ville, avec plusieurs vallets massons lesquels, tandis qu'il y feust, abbatoient grands coups de marteaux la porte du jardin que autrefois il avait bastie ; y recogneust le nepveu dudit Moynier qui s'appelle Jean, le surnom duquel ne sçait et un frère de M. Vidal de la Rouvière, masson, qui se tient près de la Maison de ville, qui s'appelle Claude, le surnom duquel ne sçauroit, et estoient environ une quinzaine d'ouvriers qui desmolissoient lesdicts maisonnaiges et disoient publiquement lesdicts ouvriers, comme il ouist et entendist dire, qui faisoient ledict desmolissement du mandement du greffier Favier et Pierre Baudan. Lequel Baudan faisoit prandre et emporter la pierre, thuilles, bois, portes, fenestres et autres deffardes dudict monastère à son moulin qui est bien près dudict monastère, et despuis le mois de may et en ça, dit avoir vu abbatre et desmolir plusieurs esglises et maisons claustralles, emporter les pierres, portes et fenestres, lesquelles les Consuls vendoient publiquement à plusieurs de la ville et mesme aux principaux, quand y avoit quelque chose de beau et de importance, et dit avoir vu faire beaucoup plus de ruines et desmolitions despuis le mois de may et en ça que n'avoit été fait avant ledict temps. Etienne Ribot, âgé de trente ans, second témoin, dit que despuis le unziesme de may, luy demeurant en la maison du monastère des religieuses de la Fontaine de Nismes, tenant ladicte maison à louage de messire Pierre de Malamont ; conseiller au siège Présidial, les Consuls de la présente ville vindrent audict monastère et visitarent icelluy, en après, luy dirent qu'il falloit qu'il deslougeast dudict monastère et qu'il cherchast une maison, d'aultant qu'ils vouloient abbatre ledict monastère, et, un jour après, M. Baudan, de ladicte ville, le vint trouver et luy dit les mesmes parolles, sçavoir est qu'il desdougeast dudict monastère, car le vouloient abbatre et n'y laisser pierre sur pierre, et qu'il s'en ostast bientost, et luy tenant tel propos, dit qu'il vist ledict Baudan tout incontinent avec ses serviteurs et autres à luy incognus qui commençoient abbatre et desmolir portes, fenestres, tournevents, planchers, murailles, tous bastiments de ladicte maison et monastère, et les faisoit porter à son moulin, - dit après qu'ils avoient fait tout abbatre, ils firent coupper tous les arbres fruitiers qu'estoient dans un jardin audict monastère et emportoient le bois desdicts arbres, et ce dit sçavoir pour l'avoir veu en faisant ladicte desmolition, laquelle se faisoit par commandement desdicts Consuls, et luy que dépose vist aussy ledict Baudan et un nommé le greffier Favier se despartoient le bois, meubles et deffardes de ladicte maison et monastère, et comme ils envoyoient chercher un sarralhier nommé Cabrol pour tirer et arracher des murailles et portes les gonds et ferrements, et demourant deux ou trois jours à faire ladicte desmolition et despartement, estant environ quinze hommes qui y travailhoient, et sçait bien Iuy que dépose que ladicte desmolition feust faite despuis le unziesme jour du mois de may dernier passé pourceque despuis il luy a fallu louer une autre maison pour mettre les fruits et rentes dudict monastère qu'il tenoit dudict de Malamont. Louis Coulomb, troisième témoin, âgé de vingt-quatre ans, dit que environ le mois de may dernier luy que dépose feust prié de la dame abbesse du monastère de Nismes d'aller audict monastère pour prandre et sauver quelques meubles qu'elle y avoit, pourcequ'elle estoit advertie, comme elle leur dit, que on desmolissait ledict monastère, et estant arrivé audict monastère, trouva en icelluy Pierre Baudan et son fils, ensemble le greffier Favier qui se promenoient à la salle de l'abbaye dudict monastère, cependant qu'ils faisoient travailher un sarralhier, nommé Cabrol, demeurant près la Magdellaine, en la maison de Barbète, lequel tiroit et arrachoit par force les portes, fenestres tout au devant et autres choses affixes de ladicte maison, et environ quinze hommes qui desmolissoient ledict monastère et empeschèrent ledict deppozant qui ne peut retirer les meubles qui avoit audict monastère de ladicte abbesse et ny luy sauver hormis un lict qu'il sauva, car ledict Cabrol quand il vouloit emporter un archiban luy dit qu'il ne l'emporteroit point, d'aultant que ladicte dame lui devoit d'argent, - dit aussy avoir veu lesdicts Pierre Baudan et Favier faisoient charrier et emporter les meubles de ladicte maison et deffardes de la desmolition au moulin dudict Baudan dudict monastère, et chargeoient un mulet des hardes que a.pportoient audict moulin. Le quatrième témoin, Bernard Vallent, dit que au mois de may dernier, environ sept ou huict jours dans ledict mois, M. le greffier Favier, duquel ne sçait le nom, le loua pour charrier avec sa charette certain bois d'haulte futailhe de la desmolition de la maison dudict monastère des religieuses de la Font de la présente ville de Nismes, et il y tira trois jours tousjours gros et petits sommiers, doublisses, fustailhe et toute fasson de bois de bastiment, excepté une volte qu'il charria des thuilles dudict monastère et l'emporta à un jardin d'Arlon qu'est hors de la présente ville, près la porte de la Bocarie et feust payé par ledict Favier qui l'avoit loué. - Et, sur ce enquis, a dit qu'il vist ledict Favier audict monastère et Pierre Baudan qui faisoient faire ladicte desmolition, et ledict Pierre Baudan faisoit charrier aussy la fustailhe à son moulin et recogneust de ceux qui faisoient ladicte desmolition un fustier nommé Fumard, autrement ne sçait son nom, et un autre fustier qu'est mort et demeuroit près de Saint-Antoine, duquel aussy ne sçait le nom et aultrement ne cogneust, bien que feussent parfois une quinzaine. - Dit aussy avoir veu despuis trois mois en ça que l'on charrioit la pierre de l'esglize de la Magdellaine et de la Observance, et la portoit à un fort et murailles que l'on faisoit bastir près le moulin Pezolhoux, hors la porte de la Bocarie, et disoient les charretiers que les Consuls faisoient charrier ladicte pierre, et luy recorde des charretiers fors que le fils de Cristol Vernier. - Aussy a dit que le bruit estoit que Jacques Boitié, advocat de Nismes, estoit conducteur des desmolitions, et luy a veu ledict deppozant payer lesdicts charretiers et aultres qui avoient travailhé à ladicte desmolition, et cella estoit despuis la fin du mois d'aoust dernier passé et en ça. L'ancien temple romain qui avait servi d'église à l'abbaye fut livré à des fermiers qui l'employèrent à diverses usages ; d'après Rulman, l'un de ces fermiers y enferma, en 1576, une grande quantité de bois d'olivier que la rigueur de l'hiver avait fait périr cette année-là ; mais un ennemi de ce fermier y mit nuitamment le feu ; l'incendie fut si violent due toute la partie du devant de l'édifice fut extrêmement endommagée ; les grosses pierres du cintre de la porte d'entrée éclatèrent toutes. L'année suivante, le monument reçut encore une bien plus rude dégradation. Le maréchal de Bellegarde étant venu, à la tète des troupes catholiques, bloquer Nimes du côté de la plaine, les habitants voulant lui ôter le moyen de se poster dans le temple de la Fontaine qu'il aurait pu facilement fortifier, vu la solidité de ses murs, le démolirent dans sa partie méridionale et en abattirent les voûtes. En 1622, les entrepreneurs du revêtement des bastions de la ville continuèrent à le dégrader pour, en prendre les matériaux. Ce ne fut qu'en 1750 qu'on pourvut, enfin, à la conservation de ces belles ruines par quelques réparations intelligentes. Quoiqu'absentes de Nimes, les religieuses de Saint-Sauveur avaient été remises en possession des diverses propriétés qu'elles avaient dans la ville; nous en trouvons la preuve dans un arrêt rendu; le 26 août 1598, par la souveraine Cour des comptes, aides et finances de Montpellier, entre les Consuls de Nimes et Claude de Cubières, qui était abbesse de Saint-Sauveur depuis deux ans et avait succédé à Catherine IV de Bourg-Juif. - Les Consuls avaient inséré les biens des religieuses dans leur nouveau compoix ; l'arrêt déclara nobles et exempts de tailles la maison claustrale alors ruinée, le moulin, la terre et la vigne joignant le monastère et contenant six sestérées, ensemble les usages, censives, etc. ; pour le reste des biens, les Consuls auront à prouver, sous trois mois, leur prétention à la taxe ; en attendant les religieuses en sont déclarées exemptes. Chapitre IV - L'Abbaye à Beaucaire. Margueritte Il de Murat, nommée abbesse en octobre 1598, voyant sa communauté disparaître au milieu des pérégrinations qu'elle subissait depuis son départ de Nimes (elle ne comptait plus, en effet, que deux religieuses, en 1608) ; comprenant, en outre, que de longtemps les catholiques et surtout les maisons religieuses ne trouveraient à Nimes aucune sûreté, résolut de s'établir définitivement à Beaucaire. En conséquence, elle présenta une requête à l'archevêque d'Arles dans le diocèse duquel se trouvait cette ville, lui exposa la démolition de son ancien monastère et lui demanda la permission d'acheter ou de louer une maison à Beaucaire, jusqu'à ce qu'il plairait à Dieu de pacifier les troubles religieux. L'archevêque accorda la permission demandée, par une ordonnance du 25 mai 1608 ; et, dès le 16 août 1610, une maison fut achetée au prix de 2500 livres qui furent payées au moyen des dots de plusieurs novices qui venaient d'être agrégées au monastère, et du prix que l'abbesse retira de certaines inféodations qu'elle fit des propriétés de Nimes. L'abbaye reprit aussitôt une partie de son éclat, elle comptait, en 1617, huit religieuses de plus. Margueritte III Radulplre de Saint-Paulet tint le siège abbatial de 1622 à 1661 ; elle augmenta et répara la maison qu'occupaient les religieuses, mais il paraît qu'elle prit moins de soin pour maintenir la discipline monastique ; un jour que l'archevêque d'Arles se présenta à l'improviste pour visiter le couvent, il le trouva vide, les religieuses étant allées aux baraques de la foire ; une pareille infraction aux lois de la clôture ne pouvait rester impunie ; l'archevêque condamna l'abbesse à huit jours de jeûne au pain et à l'eau. A Mme de Saint-Paulet succéda Armande II Galien de Védène de Gadagne ; cette nouvelle abbesse, déterminée à accomplir sa tâche avec tout le zèle que l’Église avait le droit d'attendre d'elle, donna à son couvent de sages constitutions tirées de celles du royal monastère de Saint-Pierre de Lyon. D'après ces constitutions, les religieuses se levaient à quatre heures et demie, de Pâques à la Croix de septembre, et à cinq heures le reste de l'année ; demi-heure après, elles faisaient oraison pendant une autre demi-heure ; à cinq heures et demie ou à six heures, suivant la saison, elles récitaient Matines, Laudes et Prime ; la messe conventuelle était célébrée à sept heures en été et à huit heures en hiver. Tierce, Sexte et None se disaient à neuf heures et demie en été, à dix heures en hiver et étaient suivies de l'examen de conscience. Le diner venait ensuite. A deux heures, les Vêpres et les Complies ; à cinq heures, l'oraison suivie de l'office de la Vierge ; à six heures le souper, la récréation suivait et durait jusqu'à neuf heures ; à ce moment, se faisaient l'examen de conscience, la prière du soir ; on donnait le sujet de la méditation du lendemain et toutes les religieuses rentraient dans leurs cellules pour le repos de la nuit. Chaque année, les religieuses faisaient une retraite de huit à dix jours. En hiver, on jeûnait le mercredi, le vendredi et le samedi de chaque semaine, excepté pendant la quarantaine de Noël où on ne jeûnait que le vendredi ; en été, il n'y avait que deux jeûnes par semaine, le mercredi et le vendredi. Les constitutions de Mme de Gadague sont surtout remarquables relativement au soin des morts. Dès qu'une religieuse a rendu son âme à Dieu, le psautier est récité pendant trente jours pour le repos de son âme; chaque jour la défunte est servie à table pendant le même espace de temps et sa place au réfectoire est marquée d'une croix noire ; sa portion est ensuite donnée aux pauvres. Pendant trente jours aussi, toutes offrent leurs actions, leurs prières, leurs exercices et leurs pénitences pour le repos de l'âme de la défunte ; le couvent fait dire trois trentenaires de messes, sans y comprendre les suffrages de la messe conventuelle qui sont appliqués à la défunte pendant un an. Afin d'engager les religieuses à accomplir plus dévotement ces divers actes de charité, on leur rappelle que la Commémoraison générale des Morts a commencé dans l'ordre de Saint-Benoît et que saint Odile, le premier, l'établit dans ses monastères d'où elle fut reçue dans toute l’Église, de sorte que les prières pour les morts sont comme un privilège spécial de l'esprit de l'Ordre (1). L'abbesse qui avait ainsi réglé son monastère avait trop l'esprit de Dieu pour ne pas désirer le retour de ses religieuses dans leur ancienne abbaye. Voyant que la Bonté divine avait définitivement rétabli dans Nimes l'exercice du culte catholique, que les ordres religieux chassés y étaient revenus, que plusieurs autres s'y étaient fondés, et que, par conséquent, sa permission de rester à Beaucaire avait pris fin, sa présence dans cette ville n'ayant été approuvée ni par le Pape ni par le Roi, résolut de venir rétablir le monastère ruiné par les huguenots. Malheureusement ce projet ne put être mis à exécution. Les inféodations faites par l'abbesse Margueritte II avaient livré une grande partie de l'emplacement de l'ancienne abbaye à divers particuliers qui refusèrent de céder leurs droits. Un procès s'ensuivit et les religieuses obtinrent des lettres royaux qui cassaient les inféodations et condamnaient les possesseurs à restituer, sauf à recevoir de l'abbaye le prix des inféodations ainsi que celui des réparations et améliorations qu'ils avaient pu faire sur les lieux ; ces lettres furent entérinées, le 22 juin 1672, par sentence du sénéchal ; mais les emphytéotes en relevèrent appel, et le retour des religieuses fut indéfiniment ajourné. L'abbaye fut gouvernée par Marthe de Raousset de Limans de 1684 à 1693 ; par Marguerite IV de Georges de Tharaux de Laugnac, de 1693 à 1711 ; par Jeanne de Lopis de la Fare, de 1711 à 1727, et par Esprite-Gabrielle de l'Espine du Puy, de 1727 à 1740. L'administration de cette dernière fut marquée par un procès qu'elle eut, en 1729, avec l'hôpital-général de Nimes (2). L'hôpital reprochait à l'abbesse l'usurpation d"une certaine quantité de terrain ; mais une vérification faite par expert prouva que cette allégation était fausse. Ce fut aussi pendant que Mme de l'Espine occupait le siège abbatial que furent entrepris les travaux qui devaient transformer la Fontaine de Nimes et en faire l'une des plus belles promenades du Midi. (1) Archives du Gard, H, 527. (2) Archives du Gard, H, 519 Les moulins du canal de la fontaine, avant son entrée dans la ville. La résolution de faire les grands travaux qui devaient donner à la Fontaine l'importance qu'elle a de nos jours, fut prise en 1738. L'abbesse, voyant les propriétés du monastère compromises par le projet, fit signifier une protestation afin de sauvegarder les intérêts de sa communauté (20 août 1738). Le Conseil de ville répondit à cet acte en délibérant que l'ouvrage serait continué, mais qu'on indemniserait l'abbesse, à moins qu'on ne découvrit dans les Archives des actes qui pussent servir à repousser ses prétentions, en établissant le droit de la ville sur la Fontaine. Presque aussitôt l'abbesse fit signifier une nouvelle protestation accompagnée de celles de ses fermiers. Le Conseil de ville s'assembla en conséquence, le 14 octobre 1738, et nomma des commissaires pour examiner les demandes des religieuses Bénédictines. Les travaux continuaient cependant et on reconnut qu'il devenait d'une indispensable nécessité d'abattre le moulin de l'abbesse, soit pour agrandir le bassin, soit pour faciliter la construction des réservoirs et autres ouvrages ; il fut donc convenu qu'on achèterait ce moulin ; l'évêque de Nimes, passant par Beaucaire, entretint l'abbesse et lui proposa de vendre son moulin ; elle parut disposée à donner son consentement, mais à la condition qu'on lui achèterait aussi le jardin à roue, la maison et tous les autres fonds qu'elle avait près de la Fontaine, offrant de se contenter d'une pension équivalente au revenu qu'elle retirait de ces propriétés. Ces propositions furent communiquées au Conseil de ville, le 9 avril 1739, et une commission fut nommée pour se rendre compte de ce revenu ; les commissaires tirent leur rapport, le 30 du même mois; ils déclarèrent indispensable l'acquisition du moulin, mais en même temps ils trouvèrent les prétentions de l'abbesse trop élevées, attendu qu'elle ne tenait pas compte, dans ses évaluations, des réparations qu'elle était obligée de faire. Le Conseil donna pouvoir aux Consuls et aux commissaires de traiter avec l'abbesse aux meilleures conditions possibles, sous les yeux et avec l'approbation de l'évêque. Les pourparlers aboutirent enfin ; l'évêque les fit réussir en consentant à servir d'intermédiaire entre les parties ; la vente fut conclue moyennant une pension annuelle et perpétuelle de 1000 livres à prendre sur les fonds des subventions ou sur les tailles, l'abbesse ne se réservant que le droit de prendre toujours le titre d'abbesse de la Fontaine. Ce traité fut approuvé à l'unanimité par le Conseil de ville, le 16 juin 1739, et par ordonnance de l'intendant de la Province, le 6 juillet suivant ; l'acte de vente fut passé le 7 septembre, en présence de l'évêque. Les travaux qu'on entreprit immédiatement après tirent découvrir que les premiers moulins avaient été bâtis sur des monuments antiques. Le Conseil de ville, croyant ces monuments inaliénables et imprescriptibles, décida qu'il serait demandé à tous les propriétaires communication de leurs titres de propriété. Ces titres furent déclarés insuffisants, et la ville prétendant que la possession des environs de la Fontaine n'était basée que sur une usurpation, essaya d'éliminer les propriétaires actuels et refusa de payer à l'abbesse la pension convenue. Celle-ci adressa alors une requête à l'Intendant pour eu obtenir le payement provisoire des 1000 livres annuelles ; une ordonnance en ce sens fut rendue, le 3 mars 1741 ; et signifiée aux Consuls, le 18 du même mois. Les Consuls ne répondirent pas d'abord, pressés de s'exécuter, ils convoquèrent, le 16 septembre suivant, un Conseil extraordinaire qui résolut d'attaquer les acquisitions qu'on avait faites des moulins et de poursuivre la rescision du traité fait avec l'abbesse. En conséquence, le maire et les Consuls adressèrent une requête au Conseil d’État du roi pour que ces nouvelles conclusions leur fussent adjugées. Le procès dura quatre ans avec des alternatives qui laissèrent longtemps en suspens les droits de la ville et ceux des propriétaires voisins. En attendant un arrêt définitif, et afin de ne pas interrompre les travaux, la ville se fit autoriser à démolir les moulins, ce qui permit de continuer les fouilles avec le plus grand succès. Le 12 février 1745, une ordonnance de l'Intendant changea la face des choses et mit fin aux contestations ; le traité de 1739, entre l'abbaye et la ville, fut résilié ; les Consuls durent rendre à l'abbesse les revenus qu'ils avaient perçus, et celle-ci restituer les sommes qu'elle avait reçues ; tous les moulins devaient être acquis sur estimation d'experts, à la charge toutefois que l'abbesse ne pourrait en retirer le payement qu'en assignant un emploi au prix qu'elle en recevrait. L'affaire ne fut terminée que le 21 juillet 1758, par une ordonnance de l'Intendant, rendue sur la requête de l'abbesse ; la ville dut payer aux religieuses une somme capitale de 25611 livres 7 sols 6 deniers, et 3336 livres 15 sols 10 deniers de rente et intérêts depuis dix ans d'une autre somme due par les Consuls qui furent autorisés à emprunter à cet effet. Les religieuses bénédictines avaient alors et, depuis 1740, pour abbesse Marie-Anne des Porcelets de Maillanne. La dernière abbesse fut Magdeleine-Françoise-Cibile d'Urre, qui prit possession en 1787 ; elle avait sous sa conduite, au moment de la Révolution, cinq religieuses, Marie-Louise des Roys Desports, Anne-Thérèse de Vibrac, Jeanne-Magdeleine de Masblanc, Thérèse-Magdeleine de Léotaud de Masblanc et Victoire de Virgile du Prés. Toutes, lorsque la liberté votée par l'Assemblée nationale leur fut offerte, déclarèrent vouloir rester dans leur monastère ; elles y vécurent, en effet, jusqu'au 17 septembre 1792, où elles furent chassées et dispersées; le couvent fut pillé et les cloches fondues en canons « comme inutiles au service divin. » Peu de temps après, le monastère fut vendu révolutionnairement. -oOo-
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