Sur l'origine des Trencavels Vicomtes d'Albi, de Nismes. Histoire générale de Languedoc. Dom Vaissette, 1740
I - Raymond-Bernard surnommé Trencavel, possedoit vers la fin du XIe siècle les vicomtez d'Albi, de Nismes, Carcassonne, Razes, Béziers et Agde.
Bernard-Aton (IV) sont fils à qui il les transmit, les partagea entre ses enfants. Il est certain que les quatre derniers vicomtez échurent à Raymond-Bernard, par son mariage avec Ermengarde de Carcassonne, et qu'il possedoit les deux autres de son chef. Examinons en quel temps celles-ci entrèrent dans sa maison, et voyons quelle était sort origine.
Cécile veuve de Bernard-Aton (IV), fils de Raymond-Bernard, nous fournit là-dessus de grandes lumières dans un acte, par lequel elle confirma avec ses trois fils l'an 1147, « les donations que leurs ancêtres; sçavoir la vicomtesse Diafronisse, Bernard (II) vicomte son fils, Cauciane sa femme, et leurs fils Frotaire évêque d’Albi, et Aton vicomte, avaient faîtes à l'église de Beaumont en Rouergue ». Les mêmes; termes sont énoncez dans une autre charte de l'an 1185, par laquelle Roger II vicomte de Béziers et petit-fils de Bernard-Aton (IV), confirme ces donations.
II - Il est fait mention de Bernard (II) vicomte de Nismes, et de Gauze ou Gauciane vicomtesse, dans un acte de l'an 956, et comme il est certain qu'Aton frère de Frotaire évêque d’Albi; fut vicomte de Nismes, ils étaient par conséquent fils du même Bernard et de Gauciane, et la vicomté de Nismes étoit dans leur maison dés le milieu Xe siècle.
III - Nous trouvons en 971 un vicomte appelé Siguin, qui, avec son frère Bernard, assista à un plaid tenu à Nismes. Il est fort vraisemblable que ce Siguin possédoit une portion de la vicomté de celle ville ; et comme cette vicomté étoit longtemps auparavant dans la maison des Trencavels, il doit entrer sans doute dans leur généalogie, ce qu'on peul confirmer par le nom de Bernard son frère, mais nous ne connoissons pas son degré de descendance. On pourroit conjecturer que le dernier est le même que Bernard seigneur d'Anduse et de Sauve, qui en 1020 avoit un fils évêque de Nismes, et qui, à ce qu'il paroit était fils d'un seigneur nommé Almerade.
IV - Suivant un acte a daté du règne de Lothaire le Lundi 13 d'avril le huitième jour de la lune (ce qui ne peut convenir qu'à l'an 957.) une dame appelée Senegonde et ses fils, donnent à Frotaire évêque, et à son frère Bernard (II) la moitié du château de la Tour en Rouergue. Nous ne doutons pas qu'il ne s'agisse ici de notre Bernard (II) vicomte de Nismes, qui comme on l'a déjà vu, possédoit des biens considérables dans le Rouergue, où il fonda le monastère de Beaumont. Frotaire frère de ce vicomte étoit donc déjà évêque dès l'an 957 et c'est le même, à ce qu'il nous paroit, que Frotaire évêque de Cahors (de 957 à 961), dont il est fait mention en 961 dans le testament de Raymond I comte de Rouergue.
V- Comme il est certain a que le même Bernard (II) vicomte de Nismes fut père du vicomte Aton (II) et de Frotaire évêque d'Albi, cela nous donne lieu de croire qu'il étoit fils du vicomte Aton (I), qui avec sa femme, fit en 942 une donation à l'abbaye de saint Pons de Tomieres, et dont le père s'appelloit Bernard, car suivant l'usage constant des IX. X. et XI siècle, les petits-fils portoient ordinairement le nom de leurs ayeuls paternels. II est fait mention d'ailleurs dans un acte de l'an 1070 d'un Aton vicomte d'Albi ou d'Ambialet, qualifié l'ancien (vetulo). Or cet Aton appartient certainement à la généalogie des Trencavels, et par conséquent il n'est pas différent du vicomte Aton, qui en 942 fit la donation dont nous venons de parler à l'abbaye de S Pons, et qu'on qualifia l'ancien pour le distinguer d'Aton frère de Frotaire évêque d'Albi, qui et le seul de cette maison qui ait porté le nom d'Aton tout seul depuis l'an 956. jusqu'en 1070.
VI - II résulte de ce que nous venons de dire, qu’Aton I vicomte d'Albi, qui vivait en 942, avait épousé Diafronisse, puisque celle-ci étoit mère s de Bernard qui possédoit la vicomté de Nismes en 956. Or comme nous n'avons aucun monument qui prouve qu’Aton I ait été vicomte de Nismes, nous ne doutons pas duc Gauciane, épouse de Bernard son fils, n'ait apporté cette vicomté dans sa maison; ce que l'acte de l'art 956 paroi d'ailleurs insinuer.
Gauze ou Gauziane aura donc été fille et héritière d'un vicomte de Nismes, et par son mariage avec Bernard fils d'Aton I vicomte d'Albi ou d'Ambialet, ces deux vicomtez auront été réunies dans la maison de ce seigneur, qui est là même que celle des Trencavels.
La donation que le vicomte Aton fit en faveur de l'abbaye de S. Pons en 942 est souscrite immédiatement après lui par Frotaire évêque, Bernard, le comte Hugues, etc…
La souscription des deux premiers, avant celle de ce comte, marque, ce semble, qu'ils étoient les mêmes que Frotaire évêque, et Bernard (II) vicomte de Nismes fils d'Aton I dont nous avons déjà parlé. Nous croirons cependant volontiers que ce Frotaire étoit frère d'Aton I et évêque d'Albi (942); car Frotaire fils de ce vicomte, qui fut évêque de Cahors (957-961), ne peut avoir rempli le siège épiscopal de cette ville, occupé alors par Amblard. Nous n'avons rien d'ailleurs sur les évêques de cette église depuis la VI année du règne de Lothaire jusqu'à la XV c'est-à-dire depuis l'an 941 jusqu'en 951.
VII - II est remarquable, que suivant l'acte de l'an 942 le vicomte Aton I possedoit le lieu de Brousse dans la viguerie de Lautrec en Albigeois. Cela pourroit donner lieu de conjecturer que les anciens vicomtes de Lautrec avoient une origine commune avec ceux d'Albi ou d'Ambialet; que le vicomte Sicard dont il est fait mention dans un acte de l’an 940 et qui paroit avoir été vicomte de Lautrec, étoit frère d'Aton I que leur père leur partagea la vicomté d'Albigeois, qu'Aton qui étendait son autorité dans la partie septentrionale du pays, prit le nom de vicomte d'Albi ou d'Ambialet ; et Sicard, dont le domaine étoit compris dans la partie méridionale, se qualifia vicomte de Lautrec, principal château de cette vicomté.
On peut appuier cette conjecture sur deux actes qui regardent certainement les vicomtes de Lautrec, et qui se trouvent dans un ancien cartulaire du château de Foix, lequel contient le litre, de la maison des Trencavels. Le premier de ces deux actes est un serment fait par Frotaire évêque, fils d’Ermentrude, à Isarn fils de Rangarde: pour le château de Lautrec dont chacun possedoit une partie.
On voit par là que le nom de Frotaire étoit commun dans les maisons des vicomtes d'Albi et de Lautrec, ce qui prouve ce semble leur descendance commune. Ce Frotaire évêque, fils d'Ermentrude, ne paroit pas différent de Frotaire II évêque de Cahors mort en 990, car il ne sçauroit être le même que Frotaire évêque d'Albi en 979 et ensuite évêque de Nismes, puisque celui-ci étoit fils de Gauciane, ni le même que Frotaire qui étoit évêque de Nismes au XI siècle lequel était fils de Gerberge.
D'ailleurs nous trouvons un Isarn vicomte en Albigeois en 974 et 987 ce qui convient parfaitement avec l'épiscopat de Frotaire II évêque de Cahors.
Le second acte est un serment fait par le vicomte Sicard fils d’Avierne, au même Frotaire évêque, fils d'Ermentrude, pour le château de Lautrec dont chacun avait une portion. Cet acte est conçu dans les même termes que le précédent; ainsi ce vicomte Sicard était vraisemblament fils d’Isarn, et petit-fils du vicomte Sicard qui vivait en 940. Nous trouvons en effet un Isarn, vicomte de Lautrec vers l'an 1038, et nous voyons ici les noms de Sicard et d'Isarn portez alternativement par les vicomtes de Lautrec, ce qui prouve leur filiation ; car suivant l'usage des X. et XI siècles, le nom de l'ayeul passoit ordinairement au petit-fils, comme on l'a déjà remarqué.
Pour revenir aux vicomte d'Albi, nous trouvons un Aton vicomte, qui en 937 souscrivit à la donation que Raymond-Pons comte de Toulouse, fit alors à la cathédrale de Béziers, et nous ne doutons pas que ce ne soit le même que notre Aton I vicomte d'Albi ou d'Ambialet.
VIII - On a déjà prouvé que le père de ce dernier s'appelloit Bernard. Nous trouvons en 933 et 934, un vicomte de ce dernier nom dans le Rouergue, ce qui pourroit faire conjecturer que c'est le même que le père d'Aton I, d'autant plus que ce dernier et son fils Bernard vicomte de Nismes possédoient des terres dans ce pays, cependant comme le même Bernard vicomte dans le Rouergue, ne fait mention dans un acte d'échange de l'an 957, que de ses deux fils, Bérenger et Bernard, il parait bien qu'il était de la maison d'Aton I, vicomte d'Albi; mais non pas son père.
Nous parlerons ailleurs de la postérité de Bérenger et de Bernard, fils de Bernard vicomte dans le Rouergue, dont le premier fut vicomte de Milhaud dans ce pais, et l'autre vicomte de Gévaudan.
IX - Pour ce qui est de Bernard père du vicomte Aton I. nous croyons que c'est le même que Bernard qui en qualité de vicaire, d'envoyé (Missus) et d'avocat de Raymond comte de Toulouse, et d'Eudes son père, tint un plaid en 918 à Alsonne dans le diocèse de Carcassonne. Ce Bernard étoit vraisemblablement fils ou frère d'Aton vicaire du même Eudes comte de Toulouse, qui en 898 tint un autre plaid au nom de ce comte, dans le même lieu d'Alsonne.
Comme nous trouvons un Aton vicomte de Toulouse vers l'an 940 et que celui-ci étoit fils d'un vicomte de la même ville appelé Benoît, dont il est parlé dans la vie de S. Géraud d'Aurillac son oncle paternel, et qui vivait vers l'an 968 ait peut conjecturer que ce vicomte et Aton I vicomte d'Albi étoient de la même maison. Enfin, Aton vicaire d'Eudes comte de Toulouse en 898 paroit fils ou petit-fils d'Aton qui en 867 avoit usurpé l'abbaye de S. Volusien dans le Toulousain, et divers autres biens dans la Septimanie sur l'abbaye de S. Tiberi.
X - Après avoir donné nos preuves et nos conjecture, sur les ascendants de Bernard vicomte d'Albi et de Nîmes, qui vivoit en 936 nous allons entrer dans le détail de ses descendants. Il paroit d'abord que ce vicomte et le même que le vicomte Bernard, à qui Garsinde comtesse douairière de Toulouse, fit vers l'an 974 un legs par son testament au codicille. II eut de Gauciane son épouse, Frotaire évêque d'Albi, et le vicomte Aton Il du nom. II est parlé de ce dernier dans divers titres qui sont sans date, et où il est appelé fils de Gauciane. Son frère Frotaire passa vers l'an 988 de l'évêché d’Albi à celui de Nîmes, qu’i possedoit encore vers l’an 1014.
XI - Le vicomte Aton II est le même qu’Aton qui avec sa femme Gerberge et ses fils Bernard et Frotaire, donna à l’abbaye de S. Guillem du Désert quelques biens situez dans le comté d'Albi. La charte est datée d'un Lundi 18 de Mars, Dieu régnant et dans l'espérance d'un roi, ce qui doit se rapporter aux premières années du règne de Hugues Capet, qui ne fut pas d'abord reconnu dans le pays, ainsi suivant la lettre dominicale, cette charte doit être de l'an 993. Il est vrai qu’Aton ne s'y qualifie pas vicomte mais nous sçavons d'ailleurs qu'il fut vicomte d'Albi, que sa femme s'appelloit Gerberge et qu’entre autres il en eut deux fils, Frotaire et Bernard.
Suivant un autre acte de l'an 1023 deux seigneurs qui étaient frères, cédèrent à Aton fils de Gauciane, la troisième partie de la moitié du château d'Auriac dans le Lauraguais. Or cet Aton est le même que notre vicomte d'Albi et de Nismes, puisque cet acte se trouve dans le cartulaire de sa maison, et que ses descendants furent seigneurs du château d'Auriac. Enfin ce même vicomte fut présent en 1029 à la fondation du monastère de Sauve, dans le diocèse de Nismes.
XII - Aton II vécut jusqu’après l’an 1030 comme il paroit par un acte tiré du même cartulaire, et daté d'un mardi du mois de juillet, sous le règne du roi Henri, suivant cet acte, deux seigneurs donnent à Frotaire évêque et à ses frères Bernard (Bernard Aton III) et Sigarius, leur part des châteaux de Cahusac et de Berens en Albigeois, en réparation de la mort de leur père Aton. (Propter emendamentum de morte patris corum Atoni). Il n'y a pas lieu de douter que ce dernier ne soit le même qu’Aton II vicomte d'Albi et de Nismes puisque nous avons d'ailleurs d'autres preuves que ses descendants possèderont les châteaux de Cahusac et de Berens.
Le même vicomte posséda aussi le château de Dourgne dans le Toulousain, car il y a dans le même cartulaire un acte d'hommage rendu pour le château, à Aton (II) fils de Gauciane, et à Frotaire fils de Gerberge ce qui prouve que cet acte est antérieur à l'an 1027 car le même Frotaire étoit alors évêque de Nismes, et on auroit marqué sa qualité d'évêque dans l'acte, s'il l'avait été dans le temps qu'il fut passé.
XIII - On voit par cet acte que les seigneurs se distinguoient alors par le nom de leurs mères, à cause que les surnoms n’étoient pas encore en usage. Ils se distinguoient aussi souvent en ajoutant à leur nom celui de leur père. C'est ainsi que Bernard fils d'Aton Il vicomte d'Albi et de Nismes s'appela Bernard Aton, Bernardus Atoni, comme qui diroit Bernard fils d'Aton. Le même Bernard que nous appellerons Bernard III se qualifie proconsul, c'est-à-dire, vicomte de Nismes, et prince d'Albi, dans un acte par lequel il donna son consentement avec sort frère Frotaire évêque de Nismes, pour la construction du pont d'Albi.
Cet acte est sans date, mais on peut la fixer à peu pris par l'époque de l'épiscopal de Géraud évêque de Rodez, et de B. évêque de Cahors qui s'intéressèrent à cette construction, or elle est postérieure à l'an 1031 puisque le siège épiscopal de Rodez étoit vacant à la fin de cette année, et comme nous trouvons en 1032 un Bernard' évêque de Cahors, qui peut l'avoir été dès l'an 1032 le pont d’AIbi aura été construit vers l'an 1035, Géraud qui a été omis dans le catalogue des évêques de Rodez, pouvoit alors remplir ce siège, puisque nous n’avons rien sur ces prélats depuis l'an 1028 jusqu'en 1052.
XIV - II est encore fait mention de Frotaire évêque, et de Bernard proconsul, ou vicomte, son frère, dans une donation qu'ils firent vers l'an 1050 avec Guillaume évêque d'Albi, à l'église de S. Salvi de la même ville. Le vicomte Bernard et Frotaire évêque, son frère, avoient disposés quelques années auparavant de cet évêché en faveur du même Guillaume, pour en jouir après la mort d'Amelius qui en étoit alors pouvû. On voit par ces actes, que Frotaire évêque de Nismes devait être l'aîné de Bernard vicomte de cette ville et de celle d'Albi, son frère, car il est toujours nommé avant lui, à moins que ce ne soit par respect pour sa dignité. Il est certain du moins qu'ils possédèrent conjointement le domaine de leur famille.
XV - Bernard Aton III du nom, vicomte de Nismes et d'Albi, mourut longtemps avant Lotaire évêque de Nismes, son frère. II vivait encore au mois d'octobre de la XXVI année du roi Henri, et de l'an 1056, car nous ne doutons pas qu'il ne soit le même que le vicomte Bernard Aton qui souscrivit à la donation que Raymond comte de Pailhas fit alors à Valence sa femme. Il eut de sa femme Rangarde un fils qu’on nomma Raymond-Bernard, et qui jouit conjointement avec son oncle du domaine de sa maison.
On en a la preuve en différents hommages sans date, rendus conjointement à Frotaire évêque, fils de Gerberge, et à Raymond fils de Bernard vicomte son neveu, fils de Rangarde, et en particulier par l'union que le même Frotaire évêque de Nismes, et son neveu le vicomte Raymond, firent en 1062 de l'abbaye de Soreze, et en 1073 de celle de Castres à la congrégation de saint Victor de Marseille.
Le même Raymond eut un frère appelé Frotaire comme son oncle, il épousa après l'an 1054. Ermengarde fille de Pierre Raymond comte de Carcassonne et de Razès, et vicomte de Béziers et d'Agde, héritière de ces dignités, ce qui rendit sa maison extrêmement puissante. Nous ne trouvons plus rien de lui après l'an 1074 et il paroit qu'il étoit déjà décédé en 1078 nous avons en effet un acte de cette dernière année, suivant lequel Ermengarde sa femme avoit alors toute l'autorité dans ses domaines. II est vrai qu'il est fait mention de lui comme vivant, dans l'acte de la réformation de l'église d'Albi, daté de la XII année du pontificat d’Alexandre II, la XIII du roi Philippe, la XVII du cycle décennoval de l’an M. LXXVIIII de l'Incarnation, concurrent VII etc…
Mais il est évident qu'il y a faute dans l'année de l'Incarnation, et qu'il faut lire l'an M.LXXII car toutes les autres notes chronologiques conviennent à celle année, comme le P. de Sainte-Marthe la remarqué, d'ailleurs Guiraud évêque d'Ostie, dont il est fait mention dans l'acte, comme vivant, mourut en 1077. La postérité de Raymond Bertrand est connue, et il n'y aucune difficulté là-dessus.
Telle est l'origine de la maison des Trencavels, ce qu'on comprendra encore mieux par la généalogie que nous joignons à celle note. (NOTA : prochainement)
Dom Vaissette, 1740. -oOo-
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