LA TERREUR BLANCHE

À NIMES EN JUILLET 1815


NDLR : Ce texte ancien quasi anonyme, car signé seulement avec les initiales « C. R. » est un témoignage engagé. (imprimé par l’imprimeur du Roi) Sa lecture ne doit pas être prise au premier degré. Il est dommage qu'à ce jour, malgré nos recherches, aucune version du parti adverse ne soit disponible. Nous convions les lecteurs à lire l’extrait plus impartial, concernant ces évènements dans l’article figurant dans le même site « Les cahiers d’histoires de Nîmes au XIXe siècle. »

 

Les troubles affreux qui se sont mêles dans Nismes, au triomphe de la cause royale, y ont affligé les meilleurs amis de cette cause.

Mais quelle n'a pas été leur indignation en voyant le compte infidèle qu'un article inséré dans l'Aristarque du 31 juillet, a rendu de ces événements et de ceux qui les précédèrent !

Tout y est dénaturé, principalement leurs causes qu'on suppose dans une différence d'opinions religieuses entre les partis qui se sont choqués tandis que la, comme ailleurs, on s'est, agité uniquement pour savoir si nous .continuerions à vivre sous le doux régime d'un Prince légitime ou si nous reprendrions le joug de l'impitoyable dévastateur du monde, tandis que les maux qui ont pesé sur la faction abattue, tout déplorables qu'il soient, ont été la suite des excès les plus atroces qui avaient signalé sa domination.

Telle est la vérité. On va la démontrer dans cet écrit.

Nismes renferme deux partis, bien prononcés, depuis vingt-cinq ans ; l'un qui a toujours soupiré pour la royauté (1), l’autre qui n'a cessé de s'en, montrer l'ardent ennemi. Les catholiques qui font plus des deux tiers de la population, composent presque en entier le premier parti ; dans l'autre sont presque tous les protestants.

 

(1) Ce ne fut qu'avec les plus grandes peines qu'on parvint, en 1790; à lui faire prendre la cocarde tricolor. « Faites-le pour un bien de paix, lui dit le président de la commune, vous n'en aurez pas moins dans le cœur la même façon de penser : oh ! oui, pour la vie, répondirent les légionnaires ».

Rapport d'Alquier à l’assemblée nationale, sûr l'affaire de Nismes, au nom des comités de rapport et des recherches, page 37.

 

Ce serait pourtant une grande erreur de croire que l'opposition des dogmes ait pu devenir la cause morale de cette divergence politique. Les cantons démocratiques de la Suisse sont catholiques ; la Prusse, soumise a un gouvernement absolu, suit la religion protestante ; aussi en France, hors du département du Gard, on ne cesse pas d'être ami du Roi, quoiqu'on professe un culte différent, du sien ; mais à Nismes et dans les autres communes du département, soumises à l'influence de la métropole, une cause toute particulière a produit généralement un autre effet.

Les protestants y forment a peu près le tiers de la population ; proportion plus grande qu'ailleurs. Ils comptent parmi eux plusieurs familles enrichies par le commerce, et qui ont toujours nourri un extrême amour de domination.

Exclus des emplois jusques en 1789, ils embrassèrent avec ardeur ce qu'ils appellent encore dans le pamphlet que nous combattons, le système des idées libérales. Les catholiques n'eurent pas le même motif pour détacher leur affection d'un gouvernement qui faisait leur bonheur ; ainsi s'établit la différence. Les cultes ne se heurtèrent pas ; aucun fanatisme religieux ne se glissa dans les âmes ; mais chacun suivit la ligne où un motif étranger à son culte l’avait placé (1).

 

(1) Cette vérité que l’auteur de l’article inséré dans l’Aristarque conteste fut reconnue dans le rapport énoncé dans la note précédente. Voici ce qu’on lit à ce sujet, à la page 73 de ce rapport : « Enfin, MM., vos comités ont été convaincus, jusqu'à l'évidence, que les troubles de Nismes, excités par un parti opposé à la révolution, ont pris leur source dans la différence des intérêts et des opinions politiques, et nullement dans la diversité, des opinions religieuses,».

 

Cependant, l’auteur du pamphlet fait de Nismes le théâtre de dissensions religieuses, et ce n'est pas sans dessein. Suivant lui, le parti vaincu, n'était pas rebelle à son Roi. Il n'a été combattu que pour sa religion. Les principes, de tolérance de justice, de liberté, souffriraient-ils plus longtemps qu'il fut comprimé, qu'il demeurât privé de son influence accoutumée ? Non, sans doute. Le gouvernement doit la lui rendre ; mais, comme on n’a terrassé, destitué que les fauteurs du Corse ; celui-ci ou les siens, à la première occasion y trouveront de nouveau, de puissants auxiliaires dans ceux qui auront ainsi recouvré leurs emplois, leurs armes et réduit, comme auparavant, les fidèles royalistes à une nullité absolue.

Volà le calcul que l'on fuit, l'objet de la distinction religieuse qu'on a imaginée. Nous disons qu'on l'a imaginée. Les royalistes n'ont jamais voulu abattre que le monstre de l’anarchie ou du bonapartisme. Ils comptent sous leurs bannières quelques protestants zélés. Leur général est de ce nombre. Des catholiques, au contraire, quoiqu'on petit nombre, figurent dans les rangs des révolutionnaires. Considérons donc les deux partis, tels qu'ils ont toujours été réellement.

Ils en vinrent aux mains en 1790. Comment le défenseur des bonapartistes n'a-t-il pas craint de soulever le voile que le temps avait jeté sur cette scène affreuse ? Quoi ! La cause du Roi est triomphante, et l'on a le front de célébrer aujourd'hui la victoire alors remportée sur elle avec le secours des Cévennes ou de la Vaunage, ces foyers éternels de sédition (1) !

 

(1) Vous jugerez, disait encore M. d’Alquier, à l'assemblée nationale, que ces évènements tenaient à des projets plus vastes que la surveillance des corps administratifs et le courage des gardes nationales ont •heureusement déconcertés.

Page 71 du rapport déjà cité.

 

La puissance, s’écrie l’audacieux libelliste, resta aux protestants qui admirent à son partage les plus sages d’entre les catholiques.

Jusqu’où l’impudence est portée ! a l’exemple de cet assassin, de Louis XVI, qui osa se vanter de son crime dans la mémoire adressé au frère même de son auguste victime, on se fait ici un trophée de succès et des abus de l’usurpation.

On s’honore d’être devenu les agents du système qui anéantit la monarchie, d’avoir été les dépositaires d’une autorité qui contemplait froidement l’insubordination de l’armée, l’incendie des châteaux, la création de ces compagnies d’assassins, connues sous le nom de pouvoir exécutif (1), et qui n’agissait avec vigueur que pour disperser les camp de Jalés, de la Lozère, pour porter la flamme et le fer par tout où l’amour de la royauté se laissait soupçonner.

 

(1) Cette association se forma à Nismes en 1791 ; ces membres étaient armés de nerf de bœuf ; leurs fonctions consistaient à accabler d’indignes traitements les personnes qui refusaient d’aller aux offices des prêtres assermentés. Bientôt ils passèrent à des assassinats ; on peut citer deux victimes égorgées par eux publiquement, Croiser, Gibrar, etc…

Cette bande d’assassins était non seulement tolérée par les autorités, mais encore publiquement honoré par les chefs du parti patriote. Celui qui la commandait eut les honneurs de la présidence du club, connu sous le nom des « amis de la constitution. »

 

Les catholiques qui s’associaient  à cette conduite sont décorés du nom des plus sages, ce qui veut dire que la révolte était un acte de haute vertu.

Le rédacteur du libelle veut faire à ses héros une gloire des persécutions qu'ils partagèrent avec les royalistes en 1794.  Sans doute ces disciples des Brissot, des St-Etienne , des Vergniaux, ne durent pas céder sans regret à la multitude qu'ils avaient si imprudemment égarée, un pouvoir qui leur semblait une propriété.

Le 9 thermidor les rétablit dans leur conquête. Ils en jouirent paisiblement jusqu'à la restauration qui leur causa les plus vives alarmes. Comment un gouvernement protecteur pour tous, pouvait-il rassurer leur ambition ? Quel espoir présentaient désormais, à une minorité factieuse, des élections dégagées de contrainte ; la dispensation des emplois par un monarque qui ne ferait point un crime de l’attachement a sa personne ? Aussi, les vit-on se rallier a tous les mécontents. La joie des royalistes leur devint importune. Une proclamation de la mairie annonça qu'il fallait mettre un terme a de louables transports.

Un royaliste avait mis sur sa porte cette inscription ; les Bourbons ou la Mort, elle fut effacée par la police. On le déclara mauvais citoyen, et il fut jeté dans une prison d'état, d'où il ne sortit que sur des ordres réitérés du Roi.

Qui le croirait ? Le cri de vive le Roi offensa les oreilles ; un arrêté de la mairie le défendit.

Il fallut le renfermer dans les cœurs jusqu’à l'arrivée de Monseigneur le Duc d'Angoulême. On se permit dans cette occasion de transgresser l'arrêté.

Ce sont ces cris que le libelliste traite de cris frénétiques ; ce sont ces transports qu'il reproche au ministère d'avoir laissé impunis, qui glaçaient, a l'entendre, les patriotes d'épouvanté, lorsque ceux-ci régnaient sans obstacle, qu'ils formaient, la plus grande partie de la garde urbaine, que leurs maisons étaient des arsenaux (1), que celles des royalistes ne renfermaient que le couteau de ménage.

 

(1) On a trouvé chez les uns jusqu'à dix fusils, chez d'autres, jusqu'à vingt-cinq.

 

Bientôt l'audace des conspirateurs prélude au retour de leur idole. Un café reçoit le nom de l'Ile d'Elbe. Dans les premiers jours de février on y chante : Quand le bien aimé reviendra....

Le dévastateur du monde satisfait à ce vœu. Le 12 mars, on avait résolu d'arborer son étendard, lorsque l'arrivée inattendue de Monseigneur le Duc d'Angoulême déjoue ce complot. Les royalistes lui offrent leurs vies. Deux mille hommes partent pour le point qu'il leur assigne ; trois ou quatre protestants entrent dans leurs rangs comme volontaires ; autant prennent parti dans l'état-major ; le reste garde un morne silence : possédant les emplois administratifs, il oppose une résistance d'inertie aux mesures prises par le Prince ; et le rédacteur du libelle n'a pas rougi de prétendre que les principaux des siens avaient accouru sous les drapeaux du fils de France.

S'il faut l’en croire, ils se distinguèrent dans les souscriptions pécuniaires qui furent ouvertes. Leur nombre fut petit : encore la plupart ne firent que des promesses, quand les royalistes versèrent en souscrivant.

Une compagnie d'étudiants de Montpellier allait à l'armée royale ; en passant à Nismes, deux d'entre eux furent assassinés par des membres de la garde urbaine.

Le Prince partit. La victoire le conduisait, rapidement à Lyon, quand la trahison arrêta ses pas. Le 3 avril, le drapeau tricolor est arboré dans Nismes.

On n'a pas craint de dire que le militaire fut seul à opérer ce mouvement, que les citoyens y demeurèrent étrangers.

Nous allons répondre à cette assertion des bonapartistes par le compte qu'ils ont rendu eux-mêmes de cet événement, dans le journal du Gard du 15 avril 1815 »



LE JOURNAL DU GARD

NISMES, le 14 avril 1815.

 

« La révolution qui vient de changer si subitement la face de la France, a éclaté ici d'une manière d'autant plus énergique, que a le patriotisme était depuis quelque temps plus fortement comprimé. La présence du Duc d'Angoulême avait donné au parti royaliste une impulsion, telle, que les symptômes en devenaient chaque jour plus alarmants pour ceux qui ne partageaient pas les fureurs de ce parti. Les mesures les plus violentes étaient employées : les arrestations arbitraires avaient commencé toutes les communications étaient interceptées,.le secret des lettres violé ; on publiait de faux avis ; on s'était emparé des caisses publiques, et l'on organisait une armée de gardes nationales destinée à marcher sur Lyon et sur la capitale.

Cependant, malgré toutes les précautions prises pour déguiser la vérité des faits, nous connaissions les succès de l'Empereur, la nouvelle de son entrée à Paris surtout nous était parvenue par une voie si sûre, qu'il ne fut pas possible de la dissimuler : le Prince prit le parti de la faire publier ; il annonça,en même temps, qu'un gouvernement provisoire était établi à Toulouse, et il continua de s'occuper des moyens de résistance, qui dés lors n'étaient autre chose que l'organisation de la guerre civile dans ces contrées, sans qu'elle pût servir la cause des Bourbons, déjà perdue dans les trois quarts et demi de la France. Le Prince partit pour le Pont-Saint-Esprit, et l'on dirigeait sur ce point les corps de gardes nationales qu'il avait appelés de ce département et des départements voisins. Ses agents exerçaient la police dans la ville, et ne négligeaient rien pour comprimer le bon esprit de ceux qui gémissaient de ces folies, et déploraient d'avance leurs funestes effets.

Les patriotes avaient forme depuis quelques jours le projet de secouer le joug et de se déclarer hautement, en joignant leurs vœux à ceux de l'armée et de la grande majorité des Français : quelque danger qu’il y eût à l'exécuter dans une contrée soumise a l’influence d'un prince de la maison de Bourbon, ils s'y déterminèrent par le double motif de faire triompher la bonne cause, et d'arrêter les progrès du mal, en paralysant, par l'interception des voies de communication, des mesures qui ne pouvaient plus avoir d'autre effet que de défavoriser des projets étrangers à la cause du Roi, projets si peu dissimulés, qu’il eût été trop imprudent de ne pas se mettre en garde contre l'exécution. Les patriotes étaient appuyés par le brave 63e régiment de ligne et par les officiers en retraite et à la demi-solde qu'on avait réunis ici pour en former un corps destiné à renforcer l'armée royale. Ce furent ces braves officiers qui, le 3 avril à dix heures du matin, donnèrent le signal : ils étaient réunis a la Fontaine, où l'on devait leur faire prêter serment de fidélité an Roi : mais, au lieu de ce serment, ils mirent tous, par un mouvement simultané, le sabre à la main, en criant : Vive l’Empereur ! Plusieurs citoyens se joignirent à eux ; ils partirent de là tous ensemble et se portèrent à la caserne. Le régiment les accueillit en frères, en répétant leurs acclamations. Les soldats prirent aussitôt la cocarde nationale et leurs aigles qu'ils avaient conservés dans leurs sacs ; une grande partie de la garde se réunit à eux ; on arbora l'étendard tricolor ; on prit les armes pour proclamer le gouvernement impérial. L'autorité militaire se saisit de l’administration de la police ; on fit des patrouilles pour le maintien de l’ordre. Les royalistes furent consternés, mais ils n'eurent a souffrir aucune atteinte, aucune insulte: on n'entendit plus que les accents de la joie et les cris vive l’Empereur ! La tranquillité publique ne fut troublée par aucun excès ; le soir toute la ville fut illuminée.

 

(Les actes de l’autorité, tant militaire que civile, qui se lient à cet évènement et qui en sont la suite, sont consignés dans le dernier n° du journal).

 

Ainsi s'est opérée dans nos murs cette révolution ; qui a peut-être préservé ce pays de grands malheurs. Le mouvement se communiqua bientôt aux villes et aux campagnes voisines, surtout dans la Vaunage et dans les Cévennes. Le zèle des habitants de ces contrées répondit si promptement à l’appel qui leur fut fait, que dans trois ou quatre jours plus de vingt-cinq mille hommes seraient arrivés à Nismes, si l’on ne se fût hâté d’en arrêter la marche, dès que l’on sut que ce secours était inutile. Environ deux mille hommes qui étaient accourus les premiers, s'en retournèrent immédiatement. L'armée royale n'était plus à craindre : quelques troupes parties de Nismes, sous le commandement du général Gilly, s'étaient emparées du Pont-Saint-Esprit, d'autres forces avançaient du côté de Lyon, et les habitants de l'Isère, de la Drôme et de l’Ardèche repoussaient de tous côtés ces bataillons royaux, qui se débandèrent, et dont les soldats, dispersés et fuyant dans le plus grand désordre, sont déjà presque tous rentrés dans leurs foyers.

Honneur aux braves officiers retraités ! Honneur au 63e régiment de ligne, et a tous ceux qui ont si bien secondé parmi nous cet élan du patriotisme ! Ils ont concouru à relever la gloire nationale, et à rappeler les principes libéraux.

Ces principes, qui furent proclamés dès l’aurore de la révolution, sont aujourd'hui, comme en 89, le vœu du peuple français; ils sont devenus le vœu de tous les peuples de l'Europe. Au point où en est aujourd'hui la civilisation, grâce au progrès des lumières et aux leçons de l’expérience, le despotisme et l'anarchie sont également incompatibles avec l'état social. Il faut que ces institutions gothiques auxquelles on voulait insensiblement nous ramener, soient proscrites sans retour, comme les sophismes qui favorisent la licence et que le gouvernement monarchique rétablisse sur les bases d’une sage liberté.

- Le Duc d'Angoulême, qui devait passer ici pour aller s'embarquer à Sette, est encore à Pont-Saint-Esprit, d'après des ordres supérieur. On croit qu’il sera conduit à paris. Il est dit-on, a peu près seul : les seigneurs de sa suite l'ont bravement abandonné au moment du danger. »



Oserez-vous maintenant vous dire étrangers à la révolte, vous qui en avez ainsi revendiqué toute la gloire, qui n’avez permis de voir dans les militaires égarés par vos dons, par vos discours, par vos exemples, que des instruments de vos complots ?

Que serait-ce si à votre propre récit, nous ajoutions encore les détails que vous avez cru inutiles ? Si nous montrions ces soldats que vous aviez soulevés, portant une main sacrilège sur leurs chefs, les généraux Briche et Pélissier qui leur ordonnaient de rentrer dans le devoir et les traînant dans des cachots ? Si nous rappelions ces hurlements d’une joie féroce, ces chansons impies contre les Bourbons, que vous faisiez retentir dans les rues, cette députation d’un officier de la garde urbaine à Gilly, pour venir prendre le commandement enlevé au général Briche, cette formation soudaine de compagnies franches pour se porter à Pont-Saint-Esprit avec les troupes de ligne ? Si surtout nous expliquions ce passage voilé de votre compte rendu où vous parlez de projets étrangers à la cause du Roi ?

Et pourquoi laisser ignorer l’horrible sens de ces paroles ? La calomnie est si atroce qu'elle n'indique qu'un petit nombre de scélérats pour auteurs. La foule qui y a ajouté foi, n'a pu qu'être trompée, et cette faiblesse est moins propre à aggraver ses autres torts qu'à les rendre excusables.

Oui les conjurés qui ont voulu l'entraîner dans l’abyme, ont pu seuls supposer que le plus clément, le plus humain des Rois avait ordonné une nouvelle St Barthélemy dans le Gard, qu'il y aurait de l'imprudence à ne pas se mettre en garde contre l'exécution de cette mesure (1).

 

(1) On prit prétexte de l'assiduité de Monseigneur le Duc d'Angoulême aux offices divins, pendant la semaine sainte, pour accréditer ce bruir. C'est avec ce levier qu'on a soulevé le peuple des Cévennes; de la Gardonnenque et de la Vaunage. Le même moyen était employé en Alsace, comme ailleurs, on avait mis en avant le rétablissement des dixmes et des droits féodaux.

 

Cependant le Prince, coupé sur ses derrières, est forcé de revenir à Lapalud. Il pouvait, suivi d'une armée fidèle, gagner le Piémont ou Marseille. Mais la prise de Lyon, unique but de son expédition était manquée, et ç'eut été sacrifier des braves sans servir la cause du Roi. Il consent à traiter avec Gilly. II stipule sa sortie immédiate de France et la rentrée paisible de ses compagnons de gloire dans leurs foyers. L'armée frémit à cette nouvelle. Tous le conjurent, de leur permettre de mourir pour lui épargner le sort du Duc d'Enghuien. Il ferme l'œil sur ses dangers ; il ne voit que ceux, de l’armée (1).

 

(1) Le lendemain de la convention, on s'attendait à Nismes au passage du Prince ; les relais de poste, étant commandés pour cela. La ville renfermait une foule de gardes nationaux de la Gardonnenque, qui se trouvaient sur la route de Nismes à Montpellier. Une voiture arrive, on court sur elle avec des démonstrations menaçantes. Celui qui y était renfermé, le sieur Lazare, maire - d'Uchaud, s'écrie : Vous vous trompez ; je ne suis pas le Prince.

 

Les volontaires déposent leurs armes. Aussitôt le Prince est arrêté ; on l'insulte, on le dépouille des objets les plus nécessaires. Le portrait d'une Princesse chère, à son cœur et à tous les vrais français, lui est ravi. On assure que l’épée du petit-fils de Henri IV, passe dans les mains d'un brigand appelé Lafond, la honte de Nismes, sa patrie, officier à la demi-solde, et qui avait présidé à la révolte du 3 avril.

L'Europe sait que la politique seule sauva la vie du Prince. Mais on n'a connu que dans nos contrées le sort qu'éprouvèrent ses braves soldats. On les attendait sur le Pont St Esprit. Les premiers qui paraissent sont dépouillés, meurtris, jetés dans le Rhône par des militaires. Les autres arrivent dans le Gard par des routes détournées et vont y trouver les mêmes périls. Ceux-ci reçoivent à Arpailhargues, à Yeuset la mort dans des maisons qui leur ont offert une hospitalité trompeuse. Ceux-là sont assassinés dans les champs. La population presque entière de la Gardonnenque, de la Vaunage, de Vauvert se lève contre des hommes isolés, sans armes, qui retournent à Montpellier, à Béziers, à Perpignan, à Toulouse dans le sein de leurs familles. Combien ont mordu la terre inhospitalière qu’ils traversaient (1) !

 

(1) La police fait des recherches pour découvrir le nombre des victimes que la voix publique porte à environ 200.

 

On ne saurait citer tous les traits de barbarie exercés sur eux. A Saint-Chaptes, une fille renversa d'un coup de faux un jeune homme s'échappant des mains barbares du père.

Les volontaires Nîmois, plus prés de leur pays, connaissant mieux les routes, se flattaient de courir moins de danger ; mais la garde urbaine, fortifiée de la lie de la population, dont une compagnie portait le nom glorieux de chasseurs de l’île d'Elbe, gardait les avenues de la ville, avec la troupe de ligne. Certains quittaient leurs postes et se répandaient dans la campagne ; les volontaires qui tombent dans leurs mains, sont heureux quand on ne fait, que les dépouiller, que les accabler de coups. Plusieurs, laissés sans vêtements, errent dans les plantations d'oliviers jusqu’à ce que quelque passant couvre leur nudité d'une partie de ses habits ; d'autres perdent corps et biens.

A peine le plus grand nombre de ceux qui avaient obtenu la vie, arrivaient dans leurs familles en pleurs qu’on les arrachait aux embrassements de leurs mères, de leurs épouses, sous prétexte qu'ils appartenaient à l'armée. On a vu de ces infortunés blessés, tombant de faiblesse dans la cour de la citadelle et traînés inhumainement par les cheveux dans les cachots, rester là vingt-quatre heures sans être pansés.

Durant le cours de ces atrocités, l'infâme Gilly revient avec ses satellites de l'expédition de Saint-Esprit ; la garde urbaine court au-devant d'eux portant d'indignes lauriers à ces violateurs des traites, à ces assassins des gardes royaux ; un banquet civique leur est donné ; tout ce qu'il y a de bonapartistes, soit simples citoyens, soit magistrats, concourent aux frais avec la garde urbaine ; à l'issue de cette orgie, les soldats, poussés par des gardes urbains, dévastent les maisons de deux royalistes (1) ; la caserne devient le théâtre de danses journalières qui se prolongent dans la nuit ;l’oubli de la pudeur est tel que des filles y vont avec l’agrément de leurs mères.

 

(1) Ces royalistes sont les nommés Talagrand, demeurant au Cours-neuf, et Combet, demeurant à l’enclos Rey.

 

Les vexations se multiplient. Quatre royalistes sont désignés à un proconsul qui ordonne leur exil (2).

 

(2) MM. Lavondés, Vampère, Souchon et Terme envoyés en surveillance dans divers départements, par un arrêté du commissaire d’Alphonse, affiché par tous avec le plus grand éclat.

 

La garde urbaine, requise par ces fonctionnaires qu’on dit n'avoir pas été persécuteurs, court à Saint-Gilles où l'on n'était pas à la hauteur des Idée libérales ; elle maltraite, elle enlève des cultivateurs paisibles. M. Baron, conseiller à la Cour royale , était malade depuis un mois dans cette ville, son pays natal ; il avait fait un vœu pieux, si Madame la Duchesse d'Angoulême donnait un prince à la France. La garde urbaine voit en lui un conspirateur ; sa maison est pillée : on l'arrache à son lit, on le garde une journée entière sur la place publique de Saint-Gilles ; on le traîne la nuit suivante dans les prisons de Nismes, à travers une populace qui l’accable d’imprécations et crible de pierres sa voiture où sa respectable fille, Madame Trinquelague, lui faisait un rempart de son corps.

Non contente de ces exploits, la garde urbaine retourne à Saint-Gilles pour désarmer ses habitants ; elle se met à discrétion chez eux, les ruine par ses exactions, et revient couverte du sang d’un de ses concitoyens (1).

 

(1) Le 13 juin 1815, Jean Donarel de Nismes, se trouvant à St Gilles pour affaire, y fut rencontré et sabré par des gardes urbains de Nismes. Il fut redevable de son salut à quelques habitants de St Gilles qui le transportèrent à l’hôpital.

 

Elle se montre dans tous les villages qui ont donné asile aux gardes royaux qu'elle a forcés de s'expatrier, et qu’elle appelait Miquelets, dénomination dont ils se glorifiaient. Bouillargues, Redessan, Manduel, Garon sont surtout en butte à ses visites, marquée par des dévastations, par le pillage, par des arrestations, par l’effusion du sang. Ceux qui se livrent le plus à ces excès, sont sûrs de récompense.

On a l'audace de demander la croix d'honneur pour l'un de ces brigands qui avait été présent lors de l'assassinat d'un étudiant de Montpellier. Et c'est cette garde qui, a entendre certaines gens, se montra toujours si recommandable par son amour pour l’ordre, qui savait si bien faire respecter les personnes et les propriétés, dont on vante tant les services, dont on pleure le désarmement, dont on feint d'ignorer les torts !

Ses torts ! ils croissaient sans cesse. Des bataillons de gardes nationales sont requis pour les Pyrénées. La garde urbaine, courageuse seulement contre ses concitoyens désarmes ; se fait exempter de ce service, sous prétexte qu'elle est nécessaire au maintien de la tranquillité intérieure.

Les royalistes se plaignent; ils vont payer cher cette audace. Un décret soumettait les gardes royaux à servir dans l'armée de ligne ; mais des instructions particulières avaient, appris au préfet que cet appel de citoyens si opposés à la cause de Buonaparte, n'était qu'un épouvantail destiné à les contenir dans la soumission. La garde urbaine parvient à faire exécuter le décret ; on aggrava même sa rigueur en portant sur la liste des gardes royaux, des citoyens qui ne l'avaient point été, la plupart pères de famille, à qui l’on refusait la faculté de se faire remplacer : on avouait sans déguisement que la mesure n’était qu’un ostracisme.

Les administrateurs, les magistrats, les employés, suspects de royalisme, étaient ou destitués ou dénoncés.

Le titre de brigand était le lot de tous ceux qui ne partageaient pas cette frénésie. On menaçait leurs paisibles réunions.

Un pacte fédératif vint redoubler la rage ; les succès apparents de Fleurus l'exaltèrent encore.

La garde urbaine porta processionnellement le buste de son héros couronné de lauriers; elle réclama les images de nos augustes Princes pour en faire un auto-da-fé ? Si ce dernier attentat ne fut pas consommé, c'est que le maire, vivement pressé de livrer les images sacrées, exigea un récépissé des chefs qui n'osèrent pas le donner.

Tant de vexations, tant d'outrages avaient porté l'exaspération dans l'âme des gardes royaux. Ceux qui erraient dans les bois, dénués de toute ressource, attendaient des armes, et soupiraient après le retour du Prince, sous lequel ils avaient déjà combattu. La guerre civile était décidée dans leurs cœurs, quand une nouvelle imprudence de leurs ennemis fournit l'occasion d'éclater. A la nouvelle de la bataille de Waterloo, la Provence avait secoué le joug de la tyrannie ; à son exemple, Beaucaire arbora l'étendard sacré des Lys.

Les administrations de Nismes, pleines d'épouvante et d'indignation, chargent la garde urbaine et des fédérés de la Vaunage d'aller réprimer cet attentat, ils partent au nombre de six cents, et répondent par le feu aux paisibles remontrances d'une députation. Soixante royalistes de Beaucaire ripostent par une décharge, et dissipent, en un clin d'œil, ces colosses de terreur.

Beaucaire devint de suite le point de réunion de tous les royalistes errants dans ses environs ; les villages voisins, menacés, comme cette ville y sentirent la nécessité de s'y rallier. Une armée royale fut créée ; des commissaires du Roi l'organisèrent ; de nouveaux administrateurs pour le département furent nommés ; le drapeau blanc flotta dans une grande partie des communes ; les bonapartistes de Nismes tremblèrent a leur tour ; la garde urbaine se renforça des fédérés de la Gardonnenque et de la Vaunage ; Gilly amena de Montpellier des troupes de ligne à qui il venait de faire faire une horrible boucherie des royalistes ; on arma un tas de brigands obscurs qui avaient fui de la Provence devant les Lys triomphants, et qu'on obligeait les Nîmois à nourrir.

Les mesures de terreur, les insultes envers les paisibles citoyens redoublèrent, des maisons furent dévastées, des royalistes poursuivis, d'autres sabrés (1).

 

(1) Le 4 juillet, les maisons de Jacques Riches et Thomas Ribière furent dévastées par des individus de la garde urbaine. Ribière reçut un coup de sabre, qui lui abattit le petit doigt de la main gauche, et lui divisa l’annulaire de la même main.

 

Nous savions que le Roi avançait vers sa capitale. Ses commissaires enjoignirent à la ville de Nismes de le reconnaître. Si on l'eût fait, la ville était sauvée. L'armée de Beaucaire était encore sans armes. Les commissaires du Roi auraient trouvé dans Nismes un corps de troupes de ligne. La garde urbaine eut été reconstituée selon les règles ; on y aurait laissé une partie de ses membres ; les nouveaux admis auraient été pris dans la classe aisée des royalistes ; on leur eût donné les armes, si mal à propos confiées à un ramas d'êtres obscurs, qui seraient retournés à leurs ateliers : dès lors l'exaspération des gardes royaux appartenant a la classe du peuple, n'eût pas été à craindre.

Qui a empêché cette salutaire transition? Ceux qui se plaignent aujourd'hui qu'elle n'ait point eu lieu.

Les destins de la France étaient décidés ; le Roi était à Saint-Denis ; mais à Nismes on disait encore qu'on ne voulait pas des Bourbons. Ces urbains, ces fédérés, naguères si passionnés pour une fausse gloire nationale, si prononcés contre toute intervention du congrès, préféraient, au Souverain né pour la France et réclamé par elle, un enfant qui serait imposé par les baïonnettes autrichiennes. Ils l’appelaient de leurs vœux anti-Français, et ils croyaient que l'honneur national serait sacrifie à ces vœux. Ils le firent proclamer d'avance avec la plus grande pompe.

Au lieu d'obéir à l'injonction des commissaires du Roi, on leur fit des propositions insidieuses.

On demanda un délai jusqu'à la connaissance des dispositions des allies sur le Souverain que la France devait avoir. Les commissaires y consentirent ; ils attendaient des armes pour les serviteurs du Roi.

Cependant le nombre de ces braves, décidés à ne pas souffrir plus longtemps la persévérant de la rébellion, croissait chaque jour, ainsi que leur exaltation. L'instant de céder, dans Nismes, arrive. L'entrée du Roi à Paris y est connue.

Gilly disparaît le 15 juillet. La garde urbaine consternée laisse planter le drapeau blanc à la mairie et a la préfecture; mais, dans son abattement, elle n'en repousse pas moins la cocarde blanche. On tire sur un royaliste qui l'avait prise ; il est manqué. Mais quelqu'un qui se trouvait près de lui est tué à sa place (1).

 

(1) Jean Vignolle.

 

La maison d'un citoyen venait d'être décorée d'un drapeau blanc ; il est criblé de cent coups de fusil. L'un de ceux qui les ont tirés, est tué par la maladresse de ses propres camarades. Cependant le lendemain la proclamation de Louis XVIII est faite par le corps municipal. Le peuple l'accueille avec ivresse, malgré la présence des militaires muets, et des urbains glacés d'effroi qui, pour le coup, cèdent à la force des évènements.

C'est cette conduite que le libelliste entend justifier. Il avoue une longue opposition à la reconnaissance du Souverain légitime, et il ne voit là rien de répréhensible ! Ici l’auteur se trahit. II se croît encore assis parmi ses collègues dans cette chambre illégale qui avait voulu disposer du trône.

Il dit froidement que le choc des partis était devenu inévitable, c'est-à-dire, que les autorités Nîmoises étaient prêtes à maintenir par la force l'empire de l’usurpateur ; et il oublie que toute résistance au parti du Roi était un crime ; qu'une ordonnance récente commande la poursuite des généraux qui ont comprimé l’élan de la fidélité pour le Roi.

L'armée royale était impatiente de quitter Beaucaire. Tous ces proscrits voulaient revoir leurs familles. Plusieurs transgressent l'ordre qui les retenait ; ils se rendent sans armes à Nismes.

Les urbains s'expatrient à leur tour, ne pouvant emporter toutes leurs armes, .qui étaient ramassées par des royalistes. Le bruit court qu'ils forment un camp à une lieue, qu'un escadron de chasseurs du I4e sorti la veille de Nismes plutôt que de prendre la cocarde blanche est parmi eux ; que la Gardonnenque s'ébranle pour les joindre ; qu'ils viendront se saisir des pièces d'artillerie qui sont a la caserne. Des royalistes Nîmois veulent déjouer ce dessein; ils se présentent à la caserne, ils demandent les canons à la troupe de ligne trop faible pour en répondre. La garnison les refuse ; des altercations s'élèvent une fusillade part de la caserne, elle se prolonge. Plusieurs gardes royaux, des passants, une femme, sont tués. Les royalistes courent, aux armes ; la caserne est cernée ; on en fait l'attaque qui est suspendue par la nuit. Le tocsin sonne ; des campagnards arrivent ; la garnison capitule et prend la route d'Uzès : sa vue réveille dans tous les esprits la violation du traité de Lapalud, le massacre récent de Montpellier. Ceux qui l'ont combattue, la respectent néanmoins ; mais ceux qui, à la pointe du jour, étaient venus grossir le nombre des assiégeants, oublient une capitulation à laquelle ils n'avaient pas pris part, pour n'écouter que leur indignation ; ils tombent sur des hommes sans défense ; environ dix sont immolés ; quelques-uns sont blessés. Les royalistes qui avaient vaincu cette garnison, courent à sa défense, ils protègent la retraite des uns, ils recueillent les autres chez eux.

Le maire de Nismes fait part de la situation de cette ville aux commissaires royaux ; il leur envoie successivement deux estafettes pour presser leur arrivée; ils se rendent à cette invitation.

Le libelliste n'ignorait pas cette circonstance, et cependant, il se plaint de ce que les commissaires se sont rendus à Nismes, au mépris d'une capitulation militaire. L'armée les suit : elle n'était pas composée, comme on l'a dit, de Marseillais et de Provençaux : quelques gardes de Tarascon et d'Arles s'y étalent mêlés ; mais elle consistait principalement dans la brave jeunesse de Beaucaire, dans ces Nîmois, compagnons de Monseigneur le Duc d'Angoulême, et victimes de leur dévouement, dans les habitants des communes exaspérées par les vexations de la garde urbaine de Nismes.

Il était impossible, surtout à l’issue d'un combat meurtrier, que quelques-uns de ces hommes ardents, en présence de leurs persécuteurs, restassent dans les bornes de la modération, qu'il n'éclatât quelques-uns de ces désordres, regardés par le peuple comme de justes représailles.

Les demeures des gens qui passent pour avoir fait plus de mal aux gardes royaux ; quelquefois même celles de leurs voisins à qui l'on n'en veut pourtant pas, sont assaillies ; on les saccage. Le peu de meubles échappés à la destruction, devient la proie des misérables qui se glissent au milieu des dévastateurs. Des maisons de campagne subissent le même sort. Quelques-unes mêmes sont livrées aux flammes ; ce qui est plus déplorable encore, certains individus sont immolés par le peuple aux mânes des gardes royaux qu'on les accuse d'avoir égorgés (1).

 

(1) Le nombre des personnes immolées est d'environ dix-huit. Il y a eu dans la ville une douzaine de maisons saccagées, et à peu près autant où il a été commis des dégâts partiels. Le nombre de celles qui ont été dévastées à la campagne n'est pas bien connu.

 

Il n'est pas un seul royaliste modéré, soit dans l'armée, soit parmi les citoyens ; il n'est pas un des chefs civil et militaire qui n'aient cherché à arrêter ces attentats, souvent au péril de leur vie. Eh ! qui pourrait assigner le point où la fureur des esprits se serait arrêtée sans cette utile intervention !

Une garde nationale s'organisa aussitôt. Malheureusement les armes manquaient. Les bonapartistes seuls en avaient eu jusqu'alors. Celles qu'ils n'avaient pu emporter, étaient tombées entre les mains du peuple ou des campagnards qui avaient fait chez eux des visites dans cette intention.

On cherche vainement la cause des emportements du peuple, ailleurs que dans, un système d'oppression inouïe. On a voulu faire méconnaître ce caractère de réaction, et persuader qu'il s'agissait d'une guerre faite par les catholiques aux protestants. Fable absurde et révoltante! Parmi ceux que le peuple a mis à mort, on compte des catholiques. La dévastation a en eu dans des maisons catholiques comme chez des protestants.

Elle a même commencé par la maison d'un catholique. En un mot, la différence de religion n'a pas inspiré le moindre acte de violence. Si les protestants ont principalement souffert, c'est qu'ils étaient presque tous bonapartistes, et que de leur sein était sorti le plus grand nombre des hommes qui avaient commis tant d'atrocités. L'exemple de M. Vincens-Mourgues, uniquement victime d'une similitude de nom, d'un voisinage dangereux, ne détruit pas cette vérité. On est persuadé qu'il n'est pas le seul exempt de reproches parmi ceux qui ont souffert. Mais s'ensuit-il de ces exceptions que le peuple n'ait pas entendu poursuivre ses ennemis dans les personnes sur lesquelles sa colère est tombée ? S'ensuit-il que le mal qu'il a fait, n'ait point été ainsi le résultat de celui qu'on lui avait fait ? Que ses persécuteurs ne doivent point être regardés comme les véritables auteurs des désordres auxquels il s'est livré ?

On a osé accuser les autorités royales d'avoir secrètement présidé à la réaction. Si les magistrats auxquels s'adresse cette calomnie avaient besoin d'y répondre, il leur suffirait d'en appeler à la reconnaissance de ceux qui les ont vus voler au secours de leurs propriétés attaquées se précipiter au milieu des baïonnettes, souvent tournées contre leur propre sein, et quelquefois réussir à conjurer la tempête.

S'il n’eût pas existé de commission extraordinaire, dit avec audace le libelliste, l'autorité du Roi aurait été reconnue sans secousse.

Maintenant ce n'est plus la commission qu'on attaque ; c'est le Roi lui-même, et dans la mesure la plus indispensable, la plus salutaire, dans celle qui devait accélérer la délivrance de ses sujets.

Veut-on savoir pourquoi cette mesure est censurée ? C'est précisément parce qu'elle a réussi dans son objet, qu'elle a procuré cette prompte délivrance. La commission a déjoué un grand projet : elle est devenue le point de ralliement des royalistes ; elle a imprimé une utile régularité aux mouvements qui ont eu lieu dans la Lozère et dans le Gard. Par là les révoltés de Nismes et des Cévennes n'ont plus communiqué avec les armées des Alpes et de la Loire, et le Bas Languedoc n'a pu devenir le théâtre d'une Vendée patriotique qui aurait en des ramifications si étendues.

Il fallait prévoir, dit-on, les emportements de cette armée qu'on laissa arriver à Nismes.

On a vu que le Maire de Nismes avait lui-même pressé cette arrivée. Mais d'ailleurs, la commission a-t-elle manqué de prévoyance, lorsqu'elle avertissait les rebelles de ne pas accroître le mécontentement des esprits par une résistance insensée aux ordres du Roi ? lorsqu'elle les invitait à épurer la garde urbaine, à donner des armes à cette classe de citoyens honnêtes, laissée depuis si longtemps à l’écart à cause de ses opinions, et qui, après la fuite des urbains, n'aurait pas été dans l’impuissance de maintenir l'ordre, si l'on eût suivi ce conseil ?

Ah ! L’imprévoyance a été toute du côté de ceux qui la reprochent. Elle a été dans ceux qui ont trahi leur devoir, leurs serments ; qui ont quitté le meilleur des rois pour s'attacher au plus fourbe des imposteurs; qui ont violé la plus sainte des conventions ; qui ont persécuté, dépouillé, assassiné des hommes dont tout le crime était d'avoir répandu leur sang pour la cause du Roi, pour la vraie indépendance de la Patrie ; qui ont voué leurs familles à la misère ; qui les ont forcés à errer dans les bois, dans les marais ; qui ont puni par le pillage, par l'emprisonnement, par le meurtre, les communes environnantes de l'hospitalité accordée a ces malheureux.

Et l'on s'étonne que quelques-uns de ceux qui furent ainsi traités n'aient pas eu une vertu plus qu'humaine pour remettre tant d'injures! que leurs chefs n'aient pas été maîtres de modérer tout à fait leur ressentiment !

Dites-nous, vous qui voulez rendre ces chefs responsables des maux qu'il leur a été si impossible de prévenir; vous que pourtant l'opinion publique signala toujours comme un des grands meneurs de votre parti, dites-nous, puisque vous n'avez pas craint de réveiller le souvenir de la terrible catastrophe de 1790, l'usage que les patriotes firent de la puissance qui leur resta en cette occasion ; dites-nous si ceux qui s'étaient mis a leur tête, les encourageaient aux abus de la victoire,.s'ils ordonnèrent le pillage, la dévastation des maisons particulières, des édifices publics ? s'ils dirigèrent et, l'invasion des couvents et le massacre des religieux et les exécutions sur les royalistes sans défense, qu'on allait arracher aux bras de leurs femmes, et la chasse aux paysans qui fuyaient dans la campagne (1) ?

 

(1) A Dieu ne plaise que ce tableau ait été amené par des idées de récrimination, qu'on veuille justifier des crimes récents par des crimes anciens qui étaient d'ailleurs oubliés, et dont l'imprudent libelliste a seul rappelé le souvenir. Mais on a voulu prouver que si Ses uns furent commis sans l’impulsion d'aucun fanatisme religieux, les autres, venus après un long cours de persécutions, ont bien pu se commettre aussi sans la même impulsion. On a voulu prouver qu'il est possible d'être à la tête d'une multitude qui se laisse emporter à des excès, sans devoir pour cela être accusé de les favoriser.

Pour s'assurer de la justesse de l'opposition, on n'a qu'à consulter le rapport de M. d’Alquier, dont il a été question plus haut. Au tableau des divers massacres ; de la dévastation et du pillage des maisons religieuses et de certaines maisons particulières, il ajoute, page 63 : De tous cotés, il arrivait à Nismes des légionnaires étrangers qui se livrèrent aux plus grands excès. Les citoyens soupçonnés d'avoir pris parti la veille étaient recherchés et massacrés. Sous prétexte de fouiller les maisons suspectes pour enlever les armes, on pillait, on dévastait. Ce qui ne pouvait être enlevé, était brisé. Page 64 : Les meurtres et les pillages continuèrent (le lendemain, c'est-à-dire, deux jours après la défaite du parti royaliste), et les citoyens qui échappaient à la mort étaient traînés sanglants à l'Hôtel-de-Ville, et entassés dans les prisons ; quand la garde nationale de Montpellier arriva, cette troupe bien plus disciplinée que les autres, fit cesser les dévastation» es les meurtres.

 

Ainsi, votre écrit joint la maladresse au mensonge, à la calomnie.

Quel a donc été son but ? d'appeler la sollicitude du Gouvernement sur la situation de notre malheureuse Patrie ? Ah ! nous joindrions nos efforts aux vôtres, si nous pensions que le Roi, si attentif aux besoins de ses sujets, n'eût pas déjà ordonné les mesures propres à ramener parmi nous cette paix dont nous jouirions encore, sans les attentats de votre parti.

Le seul but de cet écrit, qui serait autrement d'une impolitique extrême, c'est, nous l'avons déjà dit, d'égarer l'opinion publique et celle de Sa Majesté sur la vraie cause de nos troubles ; c'est de faire rétablir les bonapartistes de Nismes dans leur domination accoutumée, en les montrant a un Roi humain, à la France éclairée, comme les victimes d'une guerre religieuse, tactique inverse de celle qu’ils suivirent jusqu'ici. Triomphants pendant vingt-cinq années, ils n'avaient cessé de paraître sous le voile tricolor, de publier que nos troubles n'avaient qu'une cause politique ; et aujourd'hui que ces agitateurs sont vaincus, qu'ils éprouvent l'effet d'une réaction inévitable, ce n'est plus l'issue d'une lutte opiniâtre entre les ennemis du trône et ses serviteurs fidèles ; c'est le résultat affreux d'une querelle de religion. Ce ne sont plus les partisans de l'anarchie, les sectateurs de la république, les complices du Corse, qu'on a éloignés des emplois dont ils avaient tant abusés, qu'on a réduits à. une impuissance désespérante ; ce sont des citoyens qui, différant des autres dans la manière d'adorer Dieu, se trouvent en butte à une persécution injuste ; enfin, ce sont des protestants succombant sous le fanatisme des catholiques. N'en doutons pas : on n'a pris ce travestissement que parce que, dans ce siècle de lumières, tout ce qui rappelle l'idée du fanatisme religieux, prend aux yeux des hommes un caractère d'atrocité révoltant contre ses auteurs.

Mais un fils de France a vu de près la cause réelle de nos discordes civiles. Le Roi l'a apprise par les dépositaires de son autorité. La France ne saurait être abusée, et les artisans de troubles de bouleversements, les amis des prétendues idées libérales sont descendus pour toujours dans le néant politique.

 

C.R.

 

A Nismes, chez J. B. Guibert, imprimeur du Roi.


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La Révolution à Nîmes, suite d'articles
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