- LES
CAPUCINS A NIMES.
- LES
CAPUCINS ET
LA PAROISSE SAINTE-PERPÉTUE DE NIMES
- par
l'Abbé Goiffon, 1871
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- Carte
de Nîmes au XVIIIe siècle de Igolin, 1938.
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- Le
cardinal de Richelieu venait de remporter sur les huguenots la plus
éclatante victoire et de rendre enfin la France au
gouvernement de son roi. Le duc de Rohan, dernier général
de la république protestante avait déposé les
armes, et la paix d'Alais avait rendu la tranquillité au Midi.
Le roi Louis XIII, voulant avancer l'œuvre de la restauration
catholique, rappela dans nos contrées les divers religieux
chassés par la Réforme et les rétablit dans
leurs anciens couvents. Désireux, en outre, de ramener au
giron de l'Eglise les pauvres égarés, il fit venir dans
le Midi de nombreuses colonies de Capucins, fondant ainsi une sorte
de mission permanente destinée à la conversion des
hérétiques.
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- Ce
fut pendant le séjour que Louis XIII fit à Nîmes,
que les Capucins y furent appelés par un brevet du 13 juillet
1629 (Ménard V, preuves 349) .
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- « Sachant,
dit le roi, combien la vertu et piété des pères
Capucins jointe à leur condition et suffizance, est capable
de faire de grands fruicts à l'advancement de Dieu et de la
sainte Eglise catholique, Sadite Majesté a ordonné et
ordonne qu'aux villes quy luy estoient rebelles, il y soict establi
une mission desdicts pères Capucins, pour y prescher et faire
l'exercice divin en toute liberté et seureté, et aux
lieux circonvoisins d'icelles, ainsi qu'il est de leurs fonctions. -
Enjoignant à ceste fin aux Consuls et habitans de la ville de
Nismes d'admettre et recevoir, avec tout honneur et respect, une
mission desdicts Pères Capucins de la province de Provence, et
leur pourvoir une maison propre pour y célébrer le
service divin, en attendant que lesdicts pères Capucins ayent
faict édiffier une église et couvent : voulant que,
pour le construire, lesdicts consuls fassent mettre à part,
des démolitions de leurs fortifications, la quantité de
pierres quy sera nécessaire ausdicts pères Capucins ;
de laquelle pierre Sadite Majesté, en tant que besoing
seroict, leur a faict don, par le présent brevet, qu'elle a
signé de sa main. »
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- Les
Capucins de Provence, sous la custodie d'Avignon arrivèrent
aussitôt et fondèrent leur établissement à
Nîmes d'où ils allèrent bientôt se fixer
dans les principales villes du diocèse : Le Vigan, Sauve,
Alais et Aiguesmortes, prêchant partout, raffermissant les
catholiques et convertissant les huguenots.
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- Pendant
quelques années, les Capucins n'eurent à Nîmes
que des logements d'emprunt ou de louage ; ils ne laissèrent
pas de servir utilement les habitants et par la prédication et
par les secours spiri-tuels qu'ils donnèrent aux malades.
-
- Leurs
travaux produisirent des fruits si heureux dans la ville de Nîmes
et dans les environs, que le roi, émerveillé de ces
résultats, crut devoir accorder aux Capucins de nouvelles
faveurs ; il leur accorda une rente annuelle de 603 livres sur les
gabelles de Montpellier et par un brevet daté de Chantilly, le
14 juillet 1634 il donna aux consuls l'ordre de leur fournir un
emplacement pour leur couvent.
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- « Ayant
recognu, disait Louis XÏII dans cet acte. ce qu'ils ont faict en
la ville de Nismes et aux lieux circonvoisins, pour ladvancement de
la religion catholique, apostolique et romaine ; désirant en
ceste occasion favoriser, aultant qu'il luy est possible, leur
établissement audict lieu, Sadile Majesté a enjoinct
aux officiers, consuls et habitans de ladicte ville de Nismes, de
donner ausdicts pères Capucins une place spacieuse et commode,
soict en ladicte ville, ou tout proche d'icelle, pour y construire
une église et couvent de leur ordre, propre pour y résider
et faire les fonctions quy appartiennent à leurs charges.
»
-
- A
la même époque, les religieux désirant consommer
leur établissement à Nîmes, demandèrent
son consentement à Mgr Cohon. Celui-ci étant encore à
Paris, le leur accorda néanmoins, le 25 novembre suivant, aux
conditions « qu'ils garderaient les fêtes locales du
diocèse, les jeûnes et les cérémonies
publiques ; - qu'ils assisteraient aux processions où les
autres religieux de la ville avaient accoutumé d'assister de
tout temps ; - qu'ils célébreraient les jubilés
et les indulgences en la manière du clergé de Nîmes,
- et qu'enfin ils satisfairaient à toutes les autres charges
auxquelles les religieux du même ordre se soumettaient dans les
autres diocèses. »
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- Ce
consentement fut suivi de lettres patentes que le roi donna à
Saint-Germain-en-Laye, dans le même mois de novembre ; par ces
lettres, Louis XIII permit plus particulièrement aux Capucins
de s'établir à Nîmes et de s'y loger au lieu le
plus commode qui leur serait assigné dans ce but. Le roi ne
voulut pas laisser passer cette occasion sans faire une mention
honorable des services que les Capucins avaient rendus aux habitants
de Nîmes pendant le cours des maladies contagieuses qui avaient
plusieurs fois affligé cette ville.
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- Cependant,
la religion n'ayant pas encore toute sa liberté dans la cité,
l'établissement des Capucins restait très-pauvre ; mais
le clergé du diocèse, plein de zèle pour toutes
les œuvres de restauration catholique, ne le laissa jamais manquer
du nécessaire.
-
- Malgré
les ordres du roi, les Capucins n'avaient pas encore de demeure fixe
et ils erraient de maison en maison, attendant de la générosité
des personnes pieuses les fonds nécessaires pour en acheter ou
en construire une. Ils avaient pu les réunir en 1637 ; aussi,
le 9 mai, le Père Chérubin, supérieur de ces
religieux, fit signifier aux consuls un acte par lequel il leur
remontrait que si, jusqu'à ce moment, les Capucins avaient
retardé la mise à exécution des brevets et
lettres patentes du roi, ç'avait été par la
crainte qu'ils avaient eue d'incommoder la ville ; mais que
maintenant ils sommaient les consuls de leur indiquer un lieu propre
et convenable pour y bâtir un couvent et une église,
avec offre de le payer des aumônes qu'on leur avait faites.
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- A
cette sommation, l'avocat Antoine de Mérez, premier consul,
répondit que la Ville n'empêchait pas l'exécution
de la volonté du roi, ni qu'ils se logeassent à leurs
dépens dans la ville en l'endroit qu'ils jugeraient à-propos,
et qu'il leur avait indiqué la maison du sieur de Gajans, qui
était à vendre ; que cette maison, située dans
la ville, à la rue qui va du marché au blé à
la porte de la Bouquerie, était très-propre pour les
religieux, qu'elle était grande, spacieuse et accompagnée
d'un jardin.
-
- Les
choses traînèrent encore quelque temps par suite des
oppositions et des tracasseries des religionnaires, et l'affaire ne
se termina que l'année suivante.
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- D'abord,
le 9 mai 1638, les Capucins firent enregistrer au Parlement de
Toulouse les lettres patentes du roi qui les établissaient à
Nîmes, après quoi ils se présentèrent au
Conseil de ville ordinaire, le 17 septembre suivant, et demandèrent
l'enregistrement et l'exécution de leurs lettres patentes.
Alors le second consul, faisant pour tous les habitants
religionnaires, représenta que, puisque les Capucins offraient
de payer de leurs deniers le lieu qui leur serait indiqué pour
leur logement, on n'avait d'autre intérêt qu'à
tenir la main à ce que cet endroit fût situé aux
faubourgs et non point dans l'enceinte de la ville, tel qu'était
la maison du sieur de Gajans, qu'on leur avait auparavant indiquée
; que, d'ailleurs, cette maison relevait du roi qui avait intérêt
que ce fief ne tombât pas en main morte ; qu'au surplus,
l'indication n'avait point été faite en plein Conseil,
et après avoir ouï le procureur du roi et les officiers
du domaine ; il protesta enfin que ceux de la Religion ne
prétendaient point contribuer à l'achat de cette
maison, non plus qu'à l'entretien des religieux, sur ce
fondement qu'ils en étaient exempts par les édits. Le
premier consul répliqua que cette protestation n'était
pas fondée, qu'on ne pouvait refuser aux Capucins
l'enregistrement qu'ils demandaient, ni la liberté d'acheter
la maison qu'on leur avait indiquée, attendu que cela ne
nuirait ni au public ni aux particuliers, et que ces religieux la
payaient de leurs propres deniers et ne demandaient rien à la
ville, soit pour l'achat soit pour la construction de leur couvent.
Sur quoi, sans préjudice de la protestation des
religionnaires, il fut délibéré d'enregistrer
les brevets, les lettres patentes du roi, le consentement de l'évêque
et l'arrêt du Parlement de Toulouse donnés en leur
faveur.
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- En
conséquence de cette délibération, tes religieux
achetèrent la maison de Gajans et s'y transportèrent
aussitôt, mais avec l'espoir d'avoir sous peu un emplacement
plus convenable ; ils le trouvèrent en dehors de la porte de
la Couronne dans l'ancien cimetière de l'Eglise ou Rectorie de
Saint-Thomas qu'ils obtinrent par la protection de Mgr Cohon.
-
- Bientôt
les ouvriers se mirent à l'oeuvre et la construction du
couvent fut terminée vers le commencement de l'an 1631. Les
Capucins en prirent immédiatement possession et tournèrent
dès lors tous leurs soins à se procurer une église
convenable. Les aumônes des fidèles leur permirent d'en
commencer les travaux en 1660 ; cette église achevée en
juin 1663 fut dédiée sous le titre de Saint-Denis, en
reconnaissance de la constante et particulière protection dont
l'évêque Denis Cohon avait toujours favorisé les
Capucins. Quatre ans plus tard, le mardi, 12 avril 1667, troisième
fête de Pâques, nos religieux plantèrent
solennellement une grande Croix devant la porte de leur église
; Mgr Cohon présida la cérémonie ; les consuls
et les conseillers catholiques autorisèrent de leur présence
cette plantation de Croix sur le terrain de l'Esplanade, mais ils
protestèrent que par cette démarche ils n'entendaient
donner aux Capucins aucun droit de propriété sur ce
fonds ce à quoi les religieux répondirent par une
renonciation expresse.
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- A
partir de ce moment l'histoire du couvent des Capucins, ne nous offre
à enregistrer qu'un certain nombre de fêtes, dans
lesquels les autorités et les habitants de la ville tinrent à
honneur de prouver leur sympathie pour des religieux qui leur avaient
rendu tant de services.
-
- La
première par ordre de date fut une Octave célébrée
à l'occasion de la canonisation de saint Félix de
Cantalice ; les cérémonies commencèrent, le 17
mai 1713. Ce jour-là, les officiers du Présidial, les
Consuls en robe et en chaperon, avec les assesseurs de ville et tous
les corps religieux se rendirent à l'église cathédrale
d'où ils allèrent processionnellement à l'église
des Capucins assister au Te Deum qu'on y chanta à ce sujet. Le
lendemain, une grand'messe fut célébrée par les
chanoines de la cathédrale, et l'après-midi, les vêpres
solennelles furent suivies d'un panégyrique du Saint, prêché
par l'archidiacre Fléchier, et de la bénédiction
du Très-Saint-Sacrement. Le reste de l'Octave fut solennisé
de la même manière ; la clôture en fut faite le
dernier jour par une procession générale à
laquelle assistèrent les Consuls en robe. Les chanoines
revinrent, ce même jour, célébrer la grand'messe
et la journée se termina par le sermon et la bénédiction
du Très-Saint-Sacrement.
-
- Afin
d'aider les Capucins à fournir aux illuminations de leur
église et aux autres dépenses nécessaires
pendant la durée de ces cérémonies, la ville
leur donna la somme de 100 livres, sur la prière qu'ils en
avaient faite aux Consuls par l'organe de leur gardien qui était
alors le père Martinon d'Aiguesmortes.
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- Le
couvent de Nîmes reçut, le 26 mars 1715, la visite du
général de l'Ordre. A cette occasion, la ville donna 33
livres au couvent. Dès que le général fut
arrivé, les consuls s'empressèrent d'aller lui
présenter leurs civilités et presque aussitôt le
général alla à l'Hôtel-de-Ville pour
rendre la visite qu'il avait reçue.
-
- En
1737, les Capucins célébrèrent avec pompe la
béatification de deux de leurs pères, Ies BB. Joseph de
Léonisse et Séraphin de Montegranerio. Dix ans après,
le 30 avril 1747, leur église fut témoin de la
solennité de la canonisation de saint Fidèle de
Sigmaringue et saint Joseph de Léonisse. En cette circonstance
les Capucins prièrent tous les corps de la ville d'assister à
la procession générale qui fut faite la veille. A trois
heures, les Capucins précédés de la bannière
des deux Saints entrèrent dans le chœur de la Cathédrale
par la grande porte ; le gardien présenta au prévôt
la bulle de canonisation qui fut immédiatement publiée
par le prêtre sous-sacristain ; puis la bannière ayant
été bénite, la procession se dirigea vers
l'église du couvent où l'on chanta le Te Deum suivi de
la bénédiction du Très-Saint-Sacrement et la
procession retourna à l'église cathédrale.
-
- Le
jour de la fête, les Capucins vinrent prendre le Chapitre on se
rendit à l'église du couvent où le prévôt
célébra la grand'messe, a la suite de laquelle les
religieux reconduisirent le Chapitre. Le soir, à deux heures,
une nouvelle procession précéda les vêpres
solennelles et le panégyrique prêché par le
chanoine de Mèrez. Afin d'aider les Capucins dans leurs
dépenses, le Chapitre leur donna 100 livres.
-
- Quelques
années après (1757), les Capucins cédèrent
à la ville 6 émines et 9 dextres (environ 37 ares)
de terrain pour l'agrandissement de l'Esplanade. La ville leur en
donna 900 livres qui furent employées à des réparations
dans le couvent.
-
- Une
nouvelle cérémonie de béatification, celles du
B. Laurent de Brindes, général de l'Ordre, avant été
marquée pour le 20 et le 21 novembre 1784, le Chapitre se
comporta envers les Capucins, comme il l'avait fait le 30 avril 1647,
pour la canonisation des saints Fidèle et Joseph.
- Mais
le temps des fêles et de la prospérité du couvent
avait fui ; l'époque de l'épreuve et de la persécution
arrivait ; les Capucins, à cause même du grand bien
qu'ils avaient opéré à Nîmes, allaient
disparaître de celte ville, sous les coups du Protestantisme et
de la Révolution.
-
-
- L'ancienne
église et le couvent des Capucins, devenue église Ste Perpétue
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-
- Plan
de l'agrandissement de l'église Ste Perpétue en 1852.
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- LA
BAGARRE DE NÎMES
- les 13, 14 et 15 juin 1790
- par
l'Abbé Goiffon, 1871
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-
- A
peine l'édit de 1787 eut-il rendu aux Protestants le libre
exercice de leur culte religieux, qu'ils cherchèrent à
s'assurer dans Nîmes, d'une école pour leurs prédicants
et d'un temple pour leur prêche. Ils jetèrent les yeux
sur l'église et le couvent des Capucins ; mais le moment ne
leur sembla pas encore venu de mettre ce projet à exécution,
ils surent donc le tenir dans le secret ; mais lorsque, en 1789,
l'Assemblée nationale agita la question de la liberté
absolue des cultes, les Calvinistes crurent pouvoir enfin exécuter
leur des-sein et ils firent offrir une somme de 200,000 livres de
l'église et du couvent. Ces avances officieuses furent
rejelées avec indignation et dès cet instant il fut
convenu dans le parti qu'on userait de tous les moyens, pour arriver
au but. C'est ce qui nous explique la fureur
particulière déployée contre les Capucins ; on
trouvait, en effet, plus simple d'avoir l'établissement pour
rien en égorgeant et terrorisant les religieux et en s'en
emparant de vive force ; on s'épargnait ainsi les dépenses
d'achat Infâme calcul qui fit couler le sang et donna à
l'Église de nouveaux martyrs, mais qui ne fournit pas aux
protestants l'établissement qu'ils désiraient.
-
- Par
suite d'une coalition formée sous l'influence de la mauvaise
foi du parti protestant, qui, selon son habitude, avait fait accepter
ses candidats aux catholiques sous promesse de soutenir les leurs ce
qu'il s'était ensuite bien gardé de faire, les
élections municipales de 1790 firent entrer dans le conseil de
ville une forte majorité catholique. Le mot-d'ordre fut
immédiatement donné ; il fut résolu de renverser
à tout prix la nouvelle administration et, dans ce but, on
chercha toutes les occasions de susciter des troubles dans la ville.
-
- Une
première émeute grave éclata dès le
commencement de mai entre des catholiques et des soldats du régiment
de Guienne, excités par des gardes nationaux
protestants.
-
- L'énergique
attitude de M. de Marguerittes, maire de Nîmes et député
à l'Assemblée Constituante parvint, pour le moment à
rétablir l'ordre ; l'audace du parti devait bientôt
amener de nouvelles collisions. Le Corps municipal parvint à
les empêcher jusqu'au 13 juin ; mais, ce jour-là, sous
un prétexte futile, imaginé par les dragons huguenots
de la garde nationale, les légionnaires catholiques sans armes
furent reçus sur la place de la Cathédrale à
coups de fusil ; plusieurs furent blessés. En même
temps, des ordres expédiés dans les communes
protestantes du voisinage amenèrent à Nîmes plus
de 5,000 gardes nationaux, qui allèrent camper sur
l'Esplanade, en face du couvent des Capucins, et dont le but,
hautement avoué, était le massacre des catholiques
nîmois et en particulier des officiers municipaux et des
Capucins. Les huguenots ne pouvaient oublier, en effet, que
l'établissement de ces religieux à Nîmes avait eu
pour but de les ramener à la foi catholique et que, fidèles
à leur mission, ils avaient converti un grand nombre de
religionnaires.
-
- Mais
il fallait un prétexte. On essaya de le faire naître, le
lundi 14 juin, dans une visite domiciliaire que le major de la légion
fit faire dans le couvent, sur les onze heures du matin. Malgré
la sévérité des recherches, on ne put trouver
rien de suspect dans le monastère; on n'y rencontra surtout ni
armes, ni hommes cachés. Recommandation fut faite aux
religieux de fermer soigneusement leurs portes et leurs fenêtres;
ils obéirent à l'instant.
-
- Quelques
heures après, les religieux récitaient leurs vêpres
dans l'église, lorsqu'un coup de fusil éclata aux
environs de l'Esplanade ; c'était un signal. Ce coup ne blessa
personne, mais occasionna un certain désordre parmi les
volontaires étrangers. A ce moment, par suite de la maladresse
d'un de ces hommes, un nouveau coup de feu vint donner la mort à
M. Massip, officier municipal de Saint-Cosme.
-
- Quoique
les portes et les fenêtres du couvent fussent hermétiquement
fermées, ceux qui cherchaient, l'occasion de verser le sang
prétendirent aussitôt que le coup était parti de
chez les Capucins. La foule se porte alors avec fureur sur le
monastère, s'écriant qu'il faut en finir avec les
prêtres et les porteurs de froc ; la porte est enfoncée
à coups de haches et les assassins se répandent dans le
cloître.
-
- Les
religieux purent pour la plupart trouver un refuge contre les
envahisseurs ; trois se cachèrent sur la voûte de
l'église, deux sur le plafond de la bibliothèque, trois
autres sur celui ; du dortoir et trois enfin dans une ruelle ou
impasse qui se trouve entre l'église et le Luxembourg. Le
supérieur, âgé de 70 ans, entraîné
par le jardinier, eut à peine le temps de sortir ; six avaient
fui en franchissant les murs du jardin, ils se sauvèrent à
travers champs; un des frères était absent de Nîmes
; mais cinq d'entre les religieux devinrent les victimes des
assaillants.
-
- Le
Père Benoit, de Beaucaire, âgé de 50 ans, fut
saisi dans une des chapelles de l'église : « Mon ami,
dit-il à son bourreau, donnez-moi le temps d'achever ma prière
et vous m'immolerez ensuite si tel est votre dessein. » Le
barbare sort sa montre et lui accorde cinq minutes ; dès que
ce terme est expiré, il lui tire un coup de fusil et lui
plonge sa baïonnette dans le corps. Le P. Benoit vint rendre le
dernier soupir à la porte de l'église qui conduisait au
monastère. Beaucoup se souviennent encore d'avoir vu les
dalles empreintes de son sang, non loin de l'escalier qui montait au
premier étage du couvent.
-
- Le
Père Siméon, né à Sanilhac, vers 1750,
fut percé en mille sens divers à coups de fourches et
de baïonnettes, dans sa cellule même.
-
- Le
Père Séraphin (Reboul), né à Nîmes,
vers 1762, capucin du couvent de Pont-Saint-Esprit, était
arrivé à Nîmes, la veille, pour visiter sa
famille, il fut massacré dans le dortoir comme le Père
Siméon.
-
- Le
frère Célestin (Clat), né à Nîmes,
en 1766, et le frère Fidèle, d'Annecy, succombèrent
ensuite sous les coups des meurtriers; ce dernier, âgé
de 82 ans, sourd, aveugle et retenu dans son lit par une attaque de
paralysie, ne put échapper aux scélérats
envahisseurs qui, l'ayant trouvé couché dans sa
cellule, le hachèrent à coups de sabre dans son lit et
le brûlèrent ensuite en mettant le feu à sa
paillasse.
-
- Deux
jeunes clercs furent tués, l'un à la porte du chœur,
l'autre à celle de la sacristie ; deux pauvres ouvriers furent
massacrés dans le jardin.
-
- Après
ces exploits, tout dans le couvent fut saccagé et détruit.
La riche bibliothèque de 2,000 volumes, donnée aux
Capucins par Antoine-Balthazard Fléchier, archidiacre de Nîmes
et neveu de l'illustre évêque de ce nom, fut dévastée
(1), la pharmacie, une des plus belles du royaume et une de celles
qui fournissaient aux pauvres les plus abondants secours, fut
entièrement détruite. Quatre calices, leurs patènes,
deux ciboires, le linge sacré, les ornements sacerdotaux
furent volés dans la sacristie, un crucifix fut mutilé
dans le chœur à coups de sabre et une statue de la Vierge
servit de cible aux forcenés. Il serait trop long de détailler
toutes les profanations dont ces lieux furent témoins ;
n'oublions pas cependant ce fait qu'on n'a jamais pu démentir
: Quelques jours après la Bagarre, des protestants dansaient à
Massillargues vêtus en capucins, portant les surplis, les
étoles et les chapes du couvent, et buvant tour-à-tour,
dans les vases sacrés, à la santé de la Nation.
-
- (1)
Cette bibliothèque, composée de nombreux ouvrages
d'Ecriture Sainte, de patrologie, de théologie, de
controverse, de littérature, etc., avait été
léguée aux Capucins, à la condition qu'elle
serait ouverte, deux jours de la semaine, aux membres du clergé
séculier et régulier.
-
- On
n'osera jamais, de bonne foi, contester l'exactitude de ces horreurs,
elles ressortent avec évidence des procès-verbaux de la
municipalité de Nîmes et des brochures du temps,
auxquelles on ne sut répondre qu'en persécutant ceux
qui avaient eu le courage de les écrire et les forçant
à s'expatrier pour éviter la mort.
-
- En
vain voudrait-on s'appuyer sur le certificat qu'on arracha à
M. Clemenceau, curé de la cathédrale, et qu'on eut soin
de faire parvenir, comme atténuation des faits, à tous
les curés de la ville et des environs. Ce certificat,
insidieusement écrit par le parti dominant qui le fit ensuite
répandre et afficher à profusion, dit trop et pas
assez, et il est facile de lire dans les interlignes la preuve la
plus complète des scènes épouvantables que nous
venons de raconter.
-
- Citons
d'abord ce certificat :
- «
J'ai été chargé la faire la visite de
l'église des RR. PP. Capucins de cette ville, et, d'en retirer
les vases sacrés ci, ornements ; je dois, pour détruire
les faux bruits qui se sont répandus, vous prier d'annoncer à
vos paroissiens, que j'ai trouvé le tabernacle exactement
fermé, que les Saintes-Hosties n'ont point été
profanées et que je les ai transportées, mercredi
dernier, dans le tabernacle de mon église, dans laquelle il
n'a été fait, ni profanation, ni dommage, »
-
- M
Clemenceau dit bien qu'il a été chargé de faire
la visite de l'église des Capucins, mais il ne dit pas dans
quel état il l'a trouvée d'en retirer les vases sacrés
et ornements, mais il ne dit pas qu'il les a retirés, ce qui
aurait été difficile, tout ayant été
pillé ; d'ailleurs les prisons de Nîmes reçurent
bientôt après un voleur arrêté à
Sommières, ayant un ciboire en sa possession. Le curé
de la cathédrale affirme, en terminant, qu'il n'a été
fait dans son église, ni profanation, ni dommages ; pour qui
sait lire, il est clair que cette affirmation ne signifie nullement
qu'il en soit de même pour l'église des Capucins. Ce
certificat, tout négatif, ne saurait être opposé
à des faits positivement affirmés.
-
- Les
certificats obtenus des Capucins survivants n'infirment en rien notre
récit ; ils taisent les scènes de l'après-midi
et ne rapportent que la visite du matin dans laquelle les assaillants
« se comportèrent avec décence et honnêteté.
» Les officiers municipaux, dit l'historien Baragnon, firent
signer à chacun des religieux qui reparurent dans Nîmes,
un état de tous les effets et de toutes les sommes qui avaient
été pillées dans leurs cellules : il relève
à un total considérable.
-
- Le
même historien nous apprend que la plupart des religieux qui
s'étaient cachés dans le couvent furent recueillis,
dans la soirée, par le sieur Pierre Paulhan, fenassier, qui
leur donna asile dans sa mai-son pendant deux jours et deux nuits, à
la sollicitation de sa femme qui était catholique. Roussillon,
sellier, contribua puissamment à cette bonne œuvre ; ce fut
lui qui, dans la soirée du 14, s'introduisit dans le couvent,
fit sortir les religieux de leur retraite et guida leurs pas vers
Paulhan.
-
- Les
massacres duraient encore dans la ville, lorsque deux généreux
catholiques s'introduisirent dans le couvent pour ensevelir les
martyrs qu'ils déposèrent dans un caveau de l'église
située devant la chapelle de l'Immaculée-Conception,
près de la chaire. Ils les placèrent tous les cinq sur
la même pierre, les prêtres les premiers et les frères
ensuite, en ayant soin de mettre à côté du corps
du frère Fidèle le tison éteint qui avait été
en partie l'instrument de son martyre ; touchant souvenir des
catacombes romaines ! Avant de refermer le tombeau, les deux
catholiques en couvrirent le sol de branches de laurier, symbole de
l'éternelle victoire dey martyrs, et ils mirent les restes des
religieux sous la protection d'une statue de la Sainte-Vierge qu'ils
fixèrent sur le mur opposé, les mains étendues
du côté des victimes, comme pour les inviter à
venir régner avec elle dans le Ciel.
-
- Honteux
de leurs violences et de leurs crimes, les protestants cherchèrent
à présenter la Bagarre comme une affaire entièrement
politique, et ils firent rappeler les religieux échappés
au massacre. Voici la réponse que le P. Alexandre de
Saint-Maximin, écrivit à cette occasion aux officiers
municipaux, elle fait parfaitement connaître la résignation
et l'innocence de ceux dont les jours avait couru de si grands
dangers.
-
- Avignon,
26 juin 1790.
-
- « Messieurs,
j'eus l'honneur de recevoir hier au soir votre lettre venant de
Tarascon. Je ne pus avoir celui d'y répondre tout de suite la
poste étant partie. Nous venons aujourd'hui vous témoigner
combien nous sommes sensibles à l'empressement que vous avez
de nous revoir à Nismes. Nous nous y serions rendus
aujourd'hui, si notre état nous l'avait permis ; mais lundi
prochain, nous » aurons un peu plus de force pour soutenir le
voyage et je compte » pouvoir partir avec le P. Gélestin,
les frères Julien, Antoine et peut-être le frère
Mathieu qui est à Carpentras. Quant aux autres nous ne savons
où ils sont. Je pense que nous pouvons venir à Nismes
avec toute confiance. Nous n'avons rien à nous reprocher, par
la grâce de Dieu. Nous avons tâché de nous rendre
utiles à tout le monde ; nous espérons que Dieu
daignera nous continuer les mêmes dispositions. Nous sommes
dépourvus de tout ; mais nous osons compter sur les bontés
de nos bienfaiteurs : un peu moins de confiance de notre part nous
aurait fait prendre quelques précautions, mais Dieu l'a voulu
ainsi pour nous éprouver davantage ; sa volonté
s'accomplisse ;nous nous y soumettons. J'ai l'honneur d'être,
etc.
Frère Alexandre, capucin. »
-
-
- Les
religieux rentrèrent successivement, mais ils trouvèrent
leur couvent dans un tel état de dévastation qu'ils se
virent forcés de recourir à la charité des
fidèles et à la bienveillance de la municipalité.
La lettre suivante décrit parfaitement leur triste situation.
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- Nimes,
ce 10 juillet 1790.
- « Messieurs,
après nous être rendus dans cette ville pour seconder
vos vues et contribuer par notre ministère à affermir
la paix, nous osons vous manifester nos besoins et vous prier d'y
pourvoir incessamment.
- La
majeure partie de nos cellules sont fermées ; l'on travaille à
la sacristie, mais on n'a pas encore mis la main à la porte du
couvent. Plusieurs serrures manquent dans l'intérieur ; aucun
de nos meubles n'est réparé. Les livres qui nous
restent sont sous le scellé et nous sommes autant dévorés
par l'ennui que par le souvenir de nos malheurs.
- Nous
avons mille actions de grâces à rendre aux citoyens qui
nous ont reçus chez eux, et nous devons dire que toute la
ville s'est empressée d'adoucir notre sort. Mais cette vie,
que nous menons dans ce monde, n'est pas celle qui nous convient ;
elle nous éloigne trop de l'église que nous devons
desservir.
- Nous
n'avons trouvé dans le couvent que quelques paillasses,
quelques couvertures et quelques mauvais habits. Tout le reste a été
enlevé.
- La
sacristie manque aussi de tout. Les ornements qui y ont été
trouvés par M. Clemenceau, quand il est venu prendre la
réserve, sont tous hors de service ou ont besoin de
réparations.
- La
cuisine, le réfectoire sont à-peu-près dans le
même état que le reste de la maison.
- Nous
vous prions d'ordonner que toutes ces réparations s'achèvent
le plutôt possible, de nous accorder en commun la somme que
vous jugerez convenable pour nous établir en communauté,
et à chaque particulier une petite avance pour nos besoins les
plus urgents, en attendant que nous ayons pu vous donner l'état
exact de tout ce qui nous manque, ce que nous ne pourrons que lorsque
la bibliothèque sera ouverte et que quand les deux religieux
qui sont encore absents seront arrivés.
- Nous
ne pouvons pas compter, pour tous les besoins, ni sur la sacristie,
ni sur la quête ; nous avons pour quelques mois de messes à
dire, dont l'honoraire nous a été enlevé ; la
quête n'a produit que 122 livres et quelques sous, et nous
devons à divers boulangers 327 livres 19 sous, à la
poissonnerie ou à la boucherie environ 19 livres, et quelques
autres petites sommes à divers ouvriers de la maison, qui
devaient porter leur compte à la foire de Beaucaire.
- Vous
êtes les pères de la patrie, nous sommes dans une
entière nécessité. Voilà les titres que
nous avons pour solliciter votre bienfaisance et compter sur vos
bontés.
- Nous
sommes avec un profond respect, etc. »
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- Le
couvent commençait à peine à reprendre son
ancien état, lorsque, sous prétexte d'affranchir les
victimes des cloîtres, un décret de l'Assemblée
nationale supprima les ordres religieux et les vœux monastiques.
Interrogés officiellement sur la décision qu'il leur
convenait de prendre, dix-sept capucins, sur dix-neuf qui composaient
encore la maison de Nîmes, répondirent qu'ils voulaient
rester dans leur monastère et y continuer la vie commune ; les
deux autres, pour lors absents, ne purent, comme leurs confrères,
affirmer la liberté qui avait accompagné leur vocation.
Cette réponse valut aux religieux un moment de répit ;
mais dès le mois de mars 1791, ils durent se disperser de
nouveau et cette fois sans espoir de retour. Leur église était
destinée à servir de paroisse constitutionnelle.
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