- LES
FRÈRES-PRÊCHEURS.
- LES
DOMINICAINS
-
par
l'abbé Goiffon, 1875.
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- Couvent
des Dominicains, 1636 - Eglise, 1714. Extrait d'un plan
de Nîmes au XVIIIe siècle de Igolin,
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- Saint
Dominique, chargé par le Pape Innocent III de remplacer le
bienheureux martyr Pierre de Castelnau dans la mission de convertir
les Albigeois, n'eut la pensée de fonder son Ordre religieux
que lorsque quelques jeunes gens de bonne volonté se furent
joints à lui pour travailler, sous sa direction, à la
conversion des hérétiques. Innocent III lui donna une
première approbation conditionnelle et Honorius III,
approuvant définitivement le nouvel établissement,
imposa aux disciples de saint Dominique l'obligation rigoureuse de
prêcher, ce qui leur fit donner le nom de Frères-Prêcheurs.
Dès l'an 1217, sept Dominicains s'établirent à
Paris et y fondèrent la maison des Jacobins, ainsi nommée
parce qu'on y hébergeait les pèlerins qui se rendaient
à Saint-Jacques de Compostelle. Saint Dominique mourut dans
les derniers jours du mois d'août 1221.
-
- ARRIVEE
DES DOMINICAINS A NIMES.
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- D'après
le Petit Thalamus de Montpellier, Frère Daumergues, saint
Dominique, passant par Nîmes, y avait fait plusieurs miracles.
Ce souvenir fut sans doute une raison pour les nîmois d'appeler
au milieu d'eux quelques-uns de ses disciples. D'après un
vieux manuscrit en parchemin, que l'on conservait dans la
bibliothèque de l'ancien couvent de Toulouse, le couvent de
Nîmes fut établi, en 1263. Ce manuscrit dans lequel le
père Guidonis, inquisiteur et dans la suite évoque de
Lodève, a recueilli les actes des Chapitres généraux
et provinciaux de l'Ordre, depuis 1240 jusqu'en 1342 ainsi que les
fondations de divers couvents, s'exprime ainsi peur celui de Nîmes
: Conventus Nemausensis positus fuit, anno 1263 ; primus prior
fuit frater Petrus Joannis : Le couvent de Nîmes fut fondé
en 1263, son premier prieur fut le frère Pierre Jean.
-
- Le
même manuscrit contient les actes du chapitre provincial tenu à
Montpellier, en 1265, dans lequel, à l'article des députations
pour visiter les couvents, il est dit: Frère Raymond de
Forcalquier (forquinquerio) visitera Valence, Avignon,
Tarascon, Arles, Nîmes...
-
- Il
est également parlé du couvent de Nîmes dans les
chapitres suivants, soit dans les assignations, soit dans les
députations pour visiter ; nous n'en citons que quelques
passages que nous traduisons du latin : au chapitre provincial de
Limoges, en 1266 : Nous assignons pour Nîmes frère
Raymond Botiva... Frère Ysarnis visitera Montpellier, Alais,
Nîmes ; au chapitre de Béziers, en 1269, les couvents
d'Avignon, Tarascon, Arles, Nîmes s'occuperont d'autres études
; à la date du 29 juin 1270, le manuscrit porte, frère
Jacques de Vinolas visitera Avignon, Tarascon, Arles, Nimes...
-
- Le
premier monastère situé hors de la ville, près
de la porte qui prit d'eux le nom de porte, des prêcheurs, à
l'endroit où plus tard on construisit un faubourg, ne fut bâti
qu'en 1270 ; jusqu'alors la porte dont nous venons de parler s'était
appelée porte du chemin.
-
- C'est
à cette époque que les Prêcheurs sont nommés
dans un acte public pour la première fois ; Pierre Audemar les
inscrivit dans son testament du 2 novembre 1270 pour un legs de deux
deniers tournois; les Franciscains eurent aussi un legs semblable.
- A
partir de ce moment, les Dominicains sont rarement oubliés
dans les dispositions testamentaires des principaux personnages
minois.
- Le
22 mai 1313, l'acte de dernière volonté de Raymond
Ruffi, fondateur de l'Hôtel-Dieu de Nîmes, établit
un anniversaire dans l'église du couvent pour le repos de son
âme et de celles de ses parents. Le 17 octobre 1345, le
cardinal Bertrand de Deaux, ancien évêque de Nîmes,
légua quinze florins aux Prêcheurs. Le 26 février
1368, Raymond de Nogaret, seigneur de Calvisson, Marsillargues et
Manduel légua 200 livres tournois au monastère pour la
construction d'une chapelle en l'honneur de saint Jean l'Évangéliste
dans laquelle il élut sépulture. Comme ces deux cents
livres ne suffisaient pas pour la construction, elles furent
employées, par permission du pape Innocent IV, en réparation
à l'église du couvent et la sépulture fut faite
derrière le maître-autel. A cette époque le
couvent comptait quatorze pères capitulants.
- En
1392, Geoffroy Paumier, ancien lieutenant de la Sénéchaussée
fonda par son testament un anniversaire dans l'église des
Dominicains, pour le repos de son âme et de celle de son fils
et donna dans ce but la somme de seize francs d'or à prendre
sur le produit de la vente de ses meubles. En outre, les exécuteurs
testamentaires, pour concourir aux vues de piété et de
religion du testateur, assignèrent six francs d'or en faveur
d'un des religieux du monastère, nommé Raymond Boirand,
afin de lui faciliter les études qu'il allait faire à
Paris. A ce moment les Dominicains formaient à Nîmes une
communauté nombreuse ; leurs actes capitulaires prouvent qu'il
y avait alors dans le monastère 19 religieux conventuels et
entre autres un lecteur en philosophie, à qui ces actes
donnent le titre de Magister naturarum et deux lecteurs ou
professeurs en théologie, ce qui suppose une école
monastique très-considérable.
- Le
25 juin 1430 fut inhumé dans l'église des
Frères-Prêcheurs un homme aussi remarquable par sa piété
que par sa science ; c'était Jean de Terre-Vermeille, fils
d'un ancien consul de Nîmes, docteur en droit canonique et
civil, et avocat du roi en la Sénéchaussée de
Beaucaire. Partisan déclaré du dauphin, qui fut depuis
Charles VII, il composa un écrit latin en sa faveur, intitulé
: contra rebelles suorum regum. Cet ouvrage ne fut imprimé
qu'en 1526, à Lyon, par l'imprimeur Constantin Fradin, qui
l'enrichit de notes explicatives dues à Jacques Bonnaud, natif
de Sauzet. Par son testament, Jean de
- Terre-Vermeille,
prévoyant le cas où ses enfants mourraient sans
postérité, voulut que, après leur décès,
ses biens fussent employés au soulagement des âmes du
Purgatoire, des pauvres mendiants et honteux, et au rachat des
captifs détenus par les infidèles (1).
-
- (1)
Ménard in, note 15, p. 17, nous a conservé l'épitaphe
en vers plus ou moins défectueux qui fut gravée sur son
tombeau ; elle a péri dans la destruction de l'église
par les religionnaires, au XVIe siècle.
- Hoc
resolvit ossa mortis tyrannide fossa :
- Multis
latam annis celat civis famam Ioannis :
- Aurum
latescit : quum de Terra Rubea cessit
- Nemausi
civis meritis ceisus opimis :
- Sensu
profundus ; legum apex atque fundus :
- Verbîs
facundus, paucis in orbe secundus
- Gemina
lux plebis : advocatus publici gregis
- Flagrat
amore in Francorum régis honore,
- Nunquam
varii tropheum cinxit leopardi :
- Moribus
ornatus, jacet merito tumulatus
- Anno
milleno quatercentum terquoque deno,
- In
recolendas Julii septimo calendas :
- Flamina
tartarei ignis non detur ci
- Vera
fideli donet Deus premia celi.
-
- Louis
Raoul, fondateur de l'Avocaterie des pauvres à Nîmes,
par son codicille du 16 avril 1480, choisit sa sépulture dans
l'église des Prêcheurs, au-devant de la chapelle du
crucifix, ou en tel autre endroit que voudraient choisir les
religieux, et fonda un anniversaire en cette église ; par le
même codicille, il ordonna que ses exécuteurs
testamentaires fissent célébrer des messes en divers
lieux et entre autres dans les couvents des quatre Ordres mendiants,
de Sainte-Claire et de l'abbaye de Saint-Sauveur de la Fontaine.
Raoul mourut le 31 août 1484, et fut inhumé chez les
Prêcheurs.
-
- Le
16 novembre 1482, Dominique Deyron, bourgeois de Nîmes, élut
également sépulture dans l'église des
Dominicains, au tombeau de ses parents, et légua au couvent
100 livres tournois qui lui étaient dues sur les biens de
noble Louis de Bressolis, son beau-père, pour une messe
perpétuelle à, célébrer tous les lundis
avec absoute sur sa sépulture pour lui et ses parents ; il
donna, en outre, sur ses propres biens, 20 livres tournois payables
en quatre ans pour un trentenaire de messes à célébrer
pour le repos de l'âme de Marguerite Gautier, ss mère.
Deyron fit un second testament, le 3 septembre 1485, par lequel il
donna au couvent tous ses biens, parmi lesquels se trouvait une
maison dans la rue de la Lombarderie.
-
- Le
16 mars 1501, Bartholomea de Saint-Flour, veuve de Jean Tutèle,
ancien bienfaiteur du couvent, fonda une messe haute perpétuelle
à célébrer tous les jours dans la chapelle de la
sacristie que son mari avait fait construire ; elle donna dans ce but
400 florins de monnaie courante. Vers le même temps, le 23
novembre 1501, Claude Gomin donna tous ses biens au couvent à
condition qu'il serait nourri et entretenu, tant sain qu'infirme, et
pourvu, de vêtements selon son état, et qu'il serait
rendu participant de tous les suffrages et bonnes œuvres des
religieux.
-
- Un
autre habitant de Nîmes, Jean André, marchand, par son
testament du 25 juin 1504, voulut être enterré dans
l'église des Prêcheurs; ses dispositions testamentaires,
assez semblables .à d'au-tres de la. même époque,
nous ont paru assez curieuses, au point de vue des usages du temps,
pour que nous les résumions ici : Jean André donne aux
chanoines de la Cathédrale cinq sols tournois pour que., selon
l'usage, ils reçoivent son corps dans leur église; il
lègue au curé qui fera la levée du corps, 10
deniers, au clerc 3 deniers, à chaque prêtre qui
assistera à ses funérailles 5 deniers, à chaque
dominicain présent à l'enterrement 8 deniers; les
quatre religieux qui porteront son corps recevront chacun 15 deniers;
treize pauvres seront habillés; une messe sera chantée
dans la neuvaine de sa mort chez les Augustin», les Carmes et
les Frères-Mineurs, et à cet effet chaque couvent
recevra 10 sols tournois ; ces mêmes religieux chanteront deux
autres messes à la neuvaine et au bout de Fan, et recevront
pour ces messes 15 sols; à chaque bassin des quêtes, il
sera donné 7 sols et 6 deniers ; aux chanoines de la
Cathédrale, 20 sols; à l'église de Marguerittes,
pour la réparer, 10 sols ; ce qui restera d'une somme de 40
livres sera distribué en messes chantées, cierges et
autres œuvres pies, à la volonté de ses exécuteurs
testamentaires.
-
- II
serait trop long de rapporter ici tous les dons et toutes les
fondations dont le couvent des Dominicains profita au moyen-âge;
nous terminerons ce que nous en avons dit par la fondation de la
chapellenie de Saint-Jean-Baptiste qu'y fit, le 18 juin 1528, Jean
Gylabert, prieur de Lédignan, « pour la rédemption
de son âme et de celles de ses parents.»
-
- En
vertu de l'acte de fondation, une messe devait être dite chaque
jour, le dimanche en l'honneur de la Sainte Trinité, le lundi
pour les morts, le. mardi en l'honneur des saints anges, le mercredi
en l'honneur de saint Jean-Baptiste, le jeudi en l'honneur du
Saint-Esprit, le vendredi en l'honneur de la Passion de
Nôtre-Seigneur et le samedi en l'honneur de la Sainte-Vierge.
Le fondateur donna en ce moment trois tasses d'argent pesant huit
marcs, deux onces et neuf deniers ; une aiguière d'argent
pesant deux marcs, sept onces et demie ; un calice d'argent doré
pesant deux marcs et deux onces, et ayant coûté pour la
dorure cinq ducats et demi ; deux salières d'argent, trois
cuillères et trois fourchettes d'argent pesant un marc et sept
onces; le tout fut évalué 203 livres, 12 sols et 3
deniers ; Gylabert donna encore une vigne sise dans le territoire de
Nîmes, au quartier du Plan, d'une carteirade et demie (environ
45 ares) évaluée 40 livres tournois. Le fondateur
chargeait, en outre, son héritier, Jean Gylabert neveu, de
donner dans lé même but 200 livres payables six ans
après son décès. Un acte de 1533 nous apprend
que les 203 livres, 12 sols et 3 deniers furent employés à
l'achat du troisième tiers d'un mas à Mérignargues,
qui, dès lors, appartint en entier aux Prêcheurs.
-
- Ces
religieux, outre leur propriété à Mérignargues,
en possédaient d'autres en Grézan et dans le faubourg
qui entourait le couvent; ils avaient des vignes sur divers points du
territoire et des propriétés rurales à
Marguerittes, Courbessac, Milhaud, Caveirac, Langlade, Congéniès,
Aimargues, Rodilhan et même dans le diocèse de
Montpellier. Toutes ces possessions représentaient, ainsi que
le couvent, .les diverses fondations que la piété des
fidèles avaient établies dans l'église du
monastère et en assuraient l'exécution.
-
- En
1541, les Dominicains prirent part au procès que les Ordres
mendiants intentèrent aux Consuls devant la Cour des
Grands-Jours, au sujet des quêtes que la ville faisait faire
dans leurs églises ; les religieux gagnèrent leur
procès ; défense fut faite aux Consuls de quêter
dans les églises des couvents ; mais les Consuls s'étant
plaints, au cours du procès, qu'il existait dans ces couvents
un relâchement scandaleux, la Cour ordonna que l'évêque
ou son grand vicaire réformerait les abus. Cette réformation
fut faite par le vicaire-général avec l'assistance du
provincial des Frères-Prêcheurs el des Consuls autorisés
par le Conseil de ville à produire les preuves de leur
allégation.
-
- Le
3 janvier 1545, le nombre des pauvres étant considérable
dans la ville et les ressources ordinaires ne suffisant plus pour les
secourir, les Dominicains renoncèrent momentanément à
l'arrêt qu'ils avaient obtenu en 1541, et de concert avec les
trois autres supérieurs, Guillaume Gallard, prieur des
Prêcheurs, déclara aux Consuls assemblés en
l'Hôtel-de-Ville qu'il consentait à ce que des quêtes
pour les pauvres fussent faites dans son église jusqu'aux
fruits nouveaux.
-
- Ici
se termine la période qu'on peut appeler de fondation, pendant
laquelle tous les habitants rivalisent de zèle et de charité
pour les Dominicains ; nous entrons maintenant dans la période
de lutte.
-
- DESTRUCTION
DU COUVENT
- PAR
LES CALVINISTES
-
- Au
milieu du XVIe siècle, le couvent des Dominicains présentait
le plus bel aspect et couvrait un vaste espace. L'église avait
trente cannes de long sur dix de large, avec six chapelles de chaque
côté, le tout voûté en pierres de taille ;
les murailles maîtresses étaient d'une épaisseur
de cinq pans ; le pavé était une mosaïque faite de
marbres de plusieurs couleurs. Le cloître au-dessus duquel se
trouvait les cellules des religieux était porté par de
riches colonnes et des murs de trois pans d'épaisseur ; chaque
face du cloître avait vingt-cinq cannes de longueur; on voyait
dans le couvent un beau réfectoire, une grande cuve vinaire,
deux belles classes pour l'enseignement de la philosophie et de la
théologie, etc. Un vaste enclos d'environ quatre salmées
(presque trois hectares) dépendait du monastère
et était entouré de murs de deux pans et demi
d'épaisseur ; autour de cet enclos se trouvaient une
quinzaine de maisons appartenant au couvent et louées à
divers particuliers. Tous ces bâtiments étaient dominés
par le grand et haut clocher de l'église.
-
- C'est
à cette époque que les erreurs du protestantisme
commencèrent à s'infiltrer dans Nîmes, avec la
connivence secrète des autorités civiles et malgré
l'opposition du clergé de la ville et du Parlement de Toulouse
; dès l'an 1552, des prédicants venus de Genève
s'étaient fait de nombreux partisans qui tenaient leurs
assemblées aux environs de la Tourmagne. Les Dominicains
avaient alors pour prieur Dominique Deyron, homme d'esprit et de
grande réputation, dont l'influence était grande dans
la ville, à cause de ses remarquables facultés ;
malheureusement il n'avait pas su garder le trésor de
l'humilité chrétienne; son orgueil, excité, par
les applaudissements des foules, levait fait tremper dans les
nouvelles erreurs, et il était devenu sectateur secret de
Calvin. Sur ces entrefaites, le prédicant Pierre de Lavau
ayant osé prêcher publiquement les nouvelles doc-trines,
fut arrêté et condamné à la peine de mort.
-
- Deyron
fut chargé de l'accompagner au supplice et de ne rien oublier
pour la conversion de ce malheureux ; bien loin de faire des efforts
pour ramener Lavau au giron de l'Eglise, Deyron ne fit que le
confirmer dans ses sentiments, et le condamné mourut dans
l'hérésie. Les paroles de Deyron avaient été
entendues de la foule ; le scandale fut si grand, que le prieur des
Dominicains fut décrété de prise de corps par
les officiers de la Sénéchaussée ; mais il
prévint l'orage, s'évada et passa à Genève
où il embrassa publiquement la nouvelle religion ; il y mourut
vers 1560. Son exemple ne contribua pas peu à pervertir un
grand nombre de catholiques.
-
- Les
Frères-Prêcheurs restés fidèles
continuèrent à prémunir la population contre les
nouvelles erreurs et s'attirèrent par là la haine des
sectaires ; aussi ne furent-ils pas oubliés par la fureur des
religionnaires, le 21 décembre 1561; comme les autres
religieux de Nîmes, ils furent chassés de leur couvent
et ne durent qu'à une fuite précipitée
d'échapper à un massacre; leur église fut
saccagée et leurs titres incendiés. Les Dominicains
purent cependant, le 14 janvier 1562, rentrer dans leur couvent et en
réparer les dégradations à la faveur de
l'ordonnance de pacification rendue, quelques jours auparavant, par
le comte de Crussol , lieutenant général du Languedoc.
-
- Les
soins matériels n'occupèrent pas seuls les religieux à
leur retour, et l'histoire a conservé le souvenir d'une vive
et longue dispute de controverse que les Prêcheurs soutinrent,
le 1er février suivant, contre le ministre Viret.
-
- Un
nouvel orage vint bientôt faire de nouvelles ruines dans le
couvent; le capitaine huguenot Jean s'y porta avec ses soldats,
renversa les autels de l'église, détruisit tous les
signes de catholicisme et mit les religieux en fuite. Cependant les
Dominicains rentrèrent encore, mais ils furent une troisième
fois chassés de leur monastère, le 3 juillet 1562. Les
Consuls, Louis Bertrand, Pierre Olivier et Laurent Chantai,
s'emparèrent de la maison et des biens meubles et immeubles,
et affermèrent le couvent à Nicolas Uxoire, pour deux
ans, au prix de 182 livres par an. Celui-ci sous-loua à une
foule de gens, mais ne paya pas le prix du loyer; le syndic du
couvent, Raymond Cavalézy, qui fut plus tard évêque
de Nimes, introduisit, en 1563, une instance devant le Sénéchal
pour se faire rendre sa propriété ; n'ayant pu réussir
de ce côté, les religieux adressèrent une
supplique au Parlement de Toulouse, pour qu'Uxoire fût condamné
à les réintégrer dans leurs possessions et à
leur payer le prix du lover ; sur le rapport du conseiller Jean
Catel, un arrêt fut donné, le 22 avril 1567, pour faire
comparaître Uxoire, ses cautions, et les Consuls qui lui
avaient affermé le couvent. Cet arrêt fut signifié
le 9 mai.
-
- Le
procès se termina par le retour des Prêcheurs ; vers
cette époque Raymond
Cavalézy fit avec les consuls un acte d'accord au sujet des
greniers à sel, consistant en deux grandes salles situées
dans l'enclos du couvent et dont on laissa la jouissance à la
ville, moyennant une rente annuelle de 36 livres.
-
- Les
religieux ne restèrent pas longtemps en paisible possession de
leur monastère ; l'horrible journée de la Michelade
choisit parmi eux l'une de ses plus illustres victimes et dispersa
définitivement les autres Dominicains. Le prieur Nicolas
Sausset fut massacré et précipité dans le puits
de l'évêché ; le couvent fut démoli et on
vit l'avocat Jacques Rozel aider avec un pic à la démolition
de l'église. Pendant plusieurs années les matériaux
de ces vastes constructions furent successivement volés par
les religionnaires qui s'en servirent pour leurs bâtiments
particuliers.
-
- Les
Frères-Prêcheurs ne se laissèrent pas dépouiller
sans protester contre les violences dont ils étaient victimes
; à leur requête, le Présidial fit, le 21 octobre
1568, des informations juridiques contre les usurpateurs des fruits
de l'enclos et le syndic ayant représenté que malgré
les édits de paix, on continuait à emporter les pierres
et les matériaux, même ceux qui provenaient des tombeaux
des morts qui avaient été inhumés dans l'église,
une enquête se fit, le 18 août et le 8 octobre 1571. Les
résultats en sont trop remarquables pour que nous les passions
sous silence, en voici le résumé fidèle ; on
trouvera cette enquête en entier aux archives du Gard, H. 339.
-
- Quatre
témoins furent entendus, le 18 août ; le premier nommé
Jean Peyrollot, âgé de trente ans dépose qu'en
passant devant l'emplacement où était « l'esglize
desmolie par ceulx de la nouvelle religion, il vist plusieurs
parliculiers qui prenoient et emportoient la pierre de ladite
désmolition. » Le second, Pierre Journet, chanoine
de la Cathédrale, âgé de 28 ans, déclara
qu'il avait vu, un mois auparavant, deux hommes qui prenaient et
emportaient les pierres de l'église des Prêcheurs ;
qu'il leur avait démandé pour-quoi ils le faisaient et
que ces hommes lui avaient répondu que c'était un nommé
Legros Mathieu, cordonnier, qui leur en avait donné l'ordre.
Le troisième témoin nommé Charles Gélinet,
âgé de 60 ans et portier de la porte des Prêcheurs,
raconta qu'il avait vu un nommé Andrieu prendre plusieurs fois
et charrier avec deux ânes la pierre des démolitions de
l'église et qu'Andrieu lui avait dit qu'il le faisait pour
Legros ; un autre en charriait avec un cheval et un mulet, et cela
pendant un mois ou cinq semaines, temps pendant lequel il a été
portier. Le dernier témoin entendu ce jour-là, fut
Fermin Trentinhan, âgé de 32 ans ; il dit qu'ayant mené
sa charrette à réparer dans le faubourg des Prêcheurs,
il la trouva à son retour chargée d'une grande pierre
et que François, fils de Mathieu, maréchal, le pria de
lui charrier cette pierre à la maison de son père.
-
- Cinq
autres témoins furent-entendus, le 8 octobre. Antoine Sauzède,
âgé de 40 ans, habitant du faubourg, a vu plusieurs fois
deux individus qui charriaient de la pierre de l'église «
et en faisoient leur profict. » Mathieu Jaufrès,
âgé de 60 ans, a vu le maréchal Bondebarre
emporter chez lui plusieurs fois des matériaux de l'église
et en faire son profit; un nommé Vernède, cardeur, en
charriait aussi avec un cheval et un mulet « et faisoit
force voyages par jour » ; un nommé Legros Mathieu,
cordonnier, « tenoit deux hommes à louage avec
deux asnes et faisoyt charrier aussi des pierres de ladite esglize et
pourter en sa maison et en » faisoyt aussi son profict ; »
le fils de Louis Reynaud « a prins et empourté
beaucoup de pierres de ladite esglize et en charrioyt avec un asne
qu'il menoyt avec soy. » Antoine Breton, âgé
de 30 ans, habitant du faubourg, a vu le cardeur Vernède,
charriant les pierres avec un cheval et un mulet, faisant beaucoup de
voyages ; un nommé la Caritat, son voisin, qui, aidé
d'un autre en charriait sur une civière et en emportait une
grande quantité dans sa maison; il y avait aussi, dit le
témoin, une femme nommée Ysabel de Liboud qui en
emportait avec un âne, ainsi que Louise de Liboud, femme
d'Aloïs Reynaud « et les deux en faisoient leur profict
» Jean Tutelle; âgé de 45 ans, habitant du
faubourg, a vu le maréchal Bondebarre emporter chez lui des
matériaux sur une civière ; Vernède en charriait
avec un cheval et un mulet, il en a bâti sa maison ; le
maréchal Mathieu et sa femme en ont beaucoup emporté en
leur maison. Étienne Sérargues, âgé de 80
ans, a vu Legros Mathieu emporter la pierre du couvent ; Pierre
Verdet, dit Bondebarre, a fait de même et en a bâti sa
maison en face du couvent; un autre, Jean Ordo, cardeur, avait deux
charrettes de louage qui portaient la pierre en sa maison ; de même
Ysabel de Liboud « qui a faict force voyages. »
etc. etc.
-
- A
la suite de cette enquête, ceux qui furent reconnus coupables
furent condamnés à restituer ; Bondebarre en
particulier dut confesser lui-même qu'il avait construit sa
maison avec les matériaux des Dominicains et un arrêt du
22 novembre 1571 le condamna à la restitution.
-
- En
1598, il restait encore une bonne partie des murailles et tous les
fondements du couvent ainsi que les caves et les pavés de
l'église, des chapelles, de la sacristie, du cloître, du
chapitre, etc., mais de 1599 à 1622, tout cela fut à
plusieurs reprises arraché par les huguenots, malgré
les prescriptions formelles de l'Édit de Nantes, dont les
protestants de nos contrées acceptèrent les articles
qui leur étaient favorables et violèrent audacieusement
ceux qui rendaient leurs droits aux catholiques. Tous ces matériaux
furent employés à réparer les anciennes
fortifications de la .ville ou à en construire de nouvelles,
et même une partie servit à clore le cimetière
protestant situé près de la porte des Prêcheurs.
Dans le même intervalle, les arbres du jardin furent arrachés,
les puits comblés, les terres productives couvertes de pierres
; une pièce du temps assure qu'il faudrait plus de 2000 livres
pour rétablir l'enclos dans son état primitif ; la même
pièce évalue à 25,000 livres les matériaux
enlevés et à 15,000 livres les autres dommages.
-
- RETOUR
DES DOMINICAINS A NIMES.
-
- Vers
l'année 1600, les Dominicains de Tarascon tournèrent à
leur usage ce qu'ils purent recouvrer des revenus de l'ancien couvent
de Nîmes, mais ils n'y établirent aucun service et n'y
firent aucune résidence. Le procureur du roi, voyant qu'il
résultait de cet état de choses un grand préjudice
pour les habitants catholiques de la ville, obtint à ce sujet
un arrêt de la Cour souveraine du Parle-ment de Toulouse, qui
enjoignait aux religieux de reprendre la conventualité à
Nîmes et d'y faire résidence et service divin, ou, au
moins, d'employer leurs revenus à se procurer provisoirement
un lieu commode pour l'habitation des religieux et célébration
du service divin.
-
- Le
12 août 1618, le frère Dominique Daniaud, dominicain
réformé d'Aix, et procureur du R. P. Jean Daniaud,
prieur du couvent d'Aix et commissaire du R. P. général
de l'Ordre, se présenta à Nîmes avec le frère
convers Antoine Rigaud, pour retirer les revenus du couvent de la
ville. Il fut reçu dans la chapelle de la Cathédrale
par Pierre de Valernod, évoque de Nimes, le prévôt,
le précenteur et les dignités du Chapitre, en présence
de Louis de Rochemore, Président au siège Présidial,
de plusieurs conseillers de ce siège, du procureur du roi et
de plusieurs habitants catholiques.
-
- Dans
celte assemblée, le procureur du roi présenta requête
aux fins de l'arrêt de Toulouse, il représenta en outre
que l'Ordre venant d'être reformé, il importait pour
l'honneur et la gloire de Dieu, l'avancement de la religion
catholique et le bien des habitants que les religieux qui viendraient
eussent accepté la Réforme, afin qu'ils fissent plus de
fruit par leur exemple, leur bonne vie et leurs prédications.
-
- De
l'avis de tous les assistants, l'évoque décida que les
religieux devraient rentrer, mais que le couvent ne serait donné
qu'à ceux qui auraient accepté la Réforme du P.
Michaelis « es mains desquels seront mis tous les revenus et
biens du couvent de la ville. » Le P. Daniaud accepta toute
la délibération et on put prévoir dés
lors le retour à Nîmes des Frères-Prêcheurs.
-
- Ces
religieux présentèrent en effet, le 19 octobre 1622,
une requête au roi pour qu'on leur remît leur ancien
couvent et ses revenus. Un mois après, le 19 novembre, le
connétable de Lesdiguières ordonna aux Consuls de
remettre aux Prêcheurs « le terroir de l'esglize
qu'ils ont possédée, ou de leur bailler une aultre
place commode pour en bastir un aultre et cependant leur fournir une
maison convenable pour y faire le service divin et les rétablir
dans tous leurs aultres biens, rentes et revenus ; sous peine d'y
estre contraincts par les voyes en tel cas requizes et de
désobéyssance. » Les Consuls ne
s'empressèrent pas d'obéir et les Religieux durent
s'adresser au Parlement de Toulouse qui rendit, le 19 avril 1624, un
arrêt conforme à l'ordonnance du Connétable.
D'après cet arrêt, les Dominicains devaient recevoir,
jus-qu'à ce que leur couvent fût reconstruit, 150 livres
par an pour le louage de la maison qu'ils habitaient ; les Consuls
furent condamnés à 32 livres de dommages envers les
Religieux. Ce jugement fut signifié, le 3 mai suivant.
-
- Le
19 juillet de la même année, un jugement des Requêtes
du palais à Toulouse maintint le syndic des Frères-Prêcheurs
en la possession de l'emplacement de leur ancien couvent et condamna
les Consuls à leur payer la juste valeur des revenus de cet
emplacement depuis le 12 janvier 1624 ; ce jugement ne fut expédié
que le 15 février 1631. Il fut confirmé le 16 juin 1633
par un arrêt du Parlement, lequel devint exécutoire en
vertu de lettres du 27 octobre 1635.
-
- Les
Consuls relevèrent appel, de la sentence du 19 avril 1624 et
le 8 août 1625, le Parlement rendit un nouvel arrêt dans
le même sens ; les dépens furent liquidés, le 14,
contre les Consuls à la somme de 264 livres 11 sols 6 deniers
; ils ne s'exécutèrent pas encore ; de nouveaux arrêts
du 26 février 1626, 15 février 1631 et 13 mars 1631
vinrent les obliger à payer le louage de la maison
d'habitation des Religieux et ordonner la vente des biens saisis sur
le Consul Vidal de Saliens, pour défaut de payement de ce
loyer. En avril et mai 1633, il fallut encore, pour la même
raison, saisir les biens du second Consul, Jérôme
Carlot, et, en 1634, ceux du Consul Tinellis ; le procès
continuait en 1635 et aggravait chaque jour les légitimes
demandes des Religieux contre les auteurs ou les complices des pertes
qu'ils avaient éprouvées. Sur ces entrefaites, le 8 mai
1635, des lettres royaux maintinrent les Dominicains de Nîmes
en leurs biens et revenus sous la protection, et la sauvegarde
royale.
-
- En
décembre 1635, pour arrivera une évaluation exacte de
ce qui était dû aux Religieux, leur enclos fut arpenté,
et, le 2 juin 1636 les experts en fixèrent le revenu annuel à
68 livres, 16 sols, 8 deniers ce qui, pour sept ans que les Consuls
avaient possédé depuis qu'ils étaient tenus de
délaisser, faisait une somme de 481 livres, 17 sols, 4
deniers. En janvier 1637, il fut reconnu qu'il était dû
aux Prêcheurs 910 livres.
-
- Dans
cet intervalle, un arrêt du Parlement de Toulouse, du 14 août
1636, avait condamné les Consuls et les habitants à
réparer les maisons et le couvent démolis du temps des
troubles par les habitants rebelles.
-
- Pendant
que se vidaient ces questions de droit, d'autres mesures étaient
prises pour le rétablissement des Dominicains à Nîmes.
-
- Le
28 août 1628, frère Séraphin Sucus, de Pavie,
maître-général de l'Ordre, permit au vicaire
provincial du Languedoc de réédifier et de restaurer le
couvent de Nîmes ; le 2 juin 1629, son successeur, Nicolas
Rodulphe, à la demande du roi Louis XIII, ordonna que la
province de Languedoc, comprenant dix-huit couvents, parmi lesquels
celui de Nîmes, porterait désormais le nom de province
de Saint-Louis, et qu'on y observerait la règle dans toute sa
rigueur.
-
- Le
25 du même mois, un acte plus décisif fut signé
par Louis XIII au camp d'Alais ; il fut représenté au
roi que les couvents qui existaient autrefois à Alais,
Génolhac, Nîmes et douze autres lieux avaient été
entièrement ruinés et démolis par les rebelles
qui en détenaient encore les revenus, au moins en partie :
-
- « Sa
Majesté désirant que lesdicts couvents soyent
maintenant réédifiés et qu'en iceux il y ait des
relligieux pour d'ors en advant y cellébrer le divin service,
mettant pour cest effet en considération le fruict et grande
édifficalion que ses subjects habitans desdictes villes pour
ront recevoir, tant par l'exemple de la piété et bonnes
mœurs des frères réformés du couvent de
Tholouze de la Congrégation Occitaine, que par leurs
fréquentes et doctes prédications, et la soigneuse
administration des sacrements, a accordé et permis auxdicts
pères réformés du couvent de Tholouze de la
susdite Congrégation de s'establir ès-dictes villes et
lieux où estoient cy-devant bastis lesdicts couvents, et iceux
faire réédifiier pour d'ors en advant y cellébrer
le service divin, et jouyr par eux des. rentes et revenus qui se
treuveront apartenir à iceux couvents, ayant Sadicte Majesté
commandé toutes les lettres pour ce nécessaires leur
estre expédiées en vertu du présent brevet
qu'Elle a voulu signer de sa main. »
-
- Dès
que l'acceptation de la paix d'Alais et de Nîmes eut rendu aux
catholiques le libre exercice de la religion, une colonie de
Prêcheurs vint, dès 1629, renouveler dans notre ville
l'établissement des anciens Dominicains et se logea
provisoirement dans une maison de louage. Mais ces religieux, n'ayant
pas le moyen de rebâtir leur couvent sur l'ancien emplacement,
supplièrent le Roi de leur donner la place et les ruines du
Château royal, ainsi que les matériaux qui s'y
trouvaient comme lui étant inutiles, puisque ce n'était
plus qu'un cloaque et un réceptacle de toutes les ordures et
immondices de la ville. Le roi leur ordonna de se pourvoir en son
Conseil d'Etat, lequel, par arrêt du 18 mai 1631, renvoya la
requête des religieux au sieur de Machault, pour lors intendant
de la justice, police et finances du Languedoc, et aux trésoriers
de France en la généralité de Béziers
pour donner leur avis à ce sujet. Cet arrêt fut
enregistré le 2 août suivant, et le procureur du roi en
la Sénéchaussée de Nîmes, ainsi que les
Consuls, furent appelés pour informer sur la . commodité
ou l'incommodité du don réclamé de Sa Majesté,
sur la valeur de l'emplacement et des matériaux, et sur la
redevance qui pourrait être imposée aux Religieux.
-
- L'Intendant
et les trésoriers généraux ayant fait examiner
et mesurer l'endroit par des experts, le 16 février 1635, sur
l'avis favorable du Procureur du Roi au Présidial de Nîmes
et des .Consuls de la ville, déclarèrent au Roi, le 12
mai de la même année, qu'on pouvait faire don aux
Religieux de l'emplacement du vieux château contenant 35 cannes
de longueur sur 24 de largeur, avec la faculté de se servir
des matériaux qui-s'y trouvaient, pour y faire bâtir un
couvent et y célébrer à l'avenir le service
divin, à condition de laisser l'espace de deux cannes entre la
muraille du couvent et celle de la ville pour la liberté du
passage, et à la charge d'y construire une chapelle, du titre
de Saint-Louis, et d'y célébrer à perpétuité,
tous les jours de fête, une messe pour la prospérité
et la santé de Sa Majesté et de ses successeurs à
la couronne.
-
- Cet
avis fut confirmé par arrêt du Conseil d'Etat, du 11
juillet suivant, et le Roi en donna à Chantilly, au mois
d'août, ses lettres-patentes qui furent enregistrées, le
25 septembre, au Parlement de Toulouse ; le 15 octobre, à la
Chambre des Comptes, et, le surlendemain, au bureau des trésoriers
généraux. En enregistrant ces lettres, la Cour des
Comptes de Montpellier imposa aux Religieux le paiement annuel d'un
denier d'albergue ou censive, payable à chaque fête de
Pâques au trésorier du domaine du roi, en la
Sénéchaussée de Beaucaire et de Nîmes.
-
- L'emplacement
qui venait d'être accordé aux Dominicains était
loin de les dédommager de celui où était
l'ancien couvent de leur Ordre ; il s'en fallait au moins de deux
hectares ; les Religieux s'en contentèrent cependant et en
prirent possession; ils achetèrent ensuite quelques maisons
voisines, dans lesquelles ils s'installèrent pendant la
construction du nouveau couvent dont ils commencèrent bientôt
le bâtiment.
-
- Afin
de consolider leur possession et éviter tout procès à
l'avenir, les Religieux obtinrent, le 28 janvier 1636, des lettres
royaux qui donnèrent au couvent les chapellenies de
Saint-Louis et de Saint-Michel fondées dans l'ancien château;
ils prirent possession de ces bénéfices le 21 avril
suivant. Dans le même but, le 31 janvier 1637, un échange
de directes fut conclu entre les Frères-Prêcheurs, et
Charles Pascot, curé de Manduel, agissant au nom des chanoines
de Saint-Ruf. Ces derniers avaient des directes sur quelques maisons
rapprochées du Château qui convenaient au couvent pour y
construire l'église et la maison; elles furent échangées
contre une directe que nos Religieux possédaient sur une vigne
du terroir de Nîmes; au quartier appelé Agels, près
du chemin de Montpellier. Ces maisons furent acquises par le couvent,
au XVIIIe siècle, et englobées dans la nouvelle église.
-
- Plus
lard, une autre acte du même genre fut conclu avec les
Religieuses de Saint-Sauveur de la Fontaine; l'abbaye avait une
directe sur une maison située à l'endroit même où
les Dominicains voulaient construire la façade de leur église;
les Religieuses consentirent à la leur transférer
moyennant une rente annuelle de onze livres; l'acte en fut dressé
le 19 mai 1683.
-
- Cependant,
malgré la sourde opposition des Religionnaires, les Religieux
avaient fait clore le terrain donné par le roi et y avaient
semé du blé ; poussée par les Huguenots, la
jeunesse nîmoise qui, jusqu'alors, avait joui de cet
emplacement pour tirer le papegay, menaça, en 1638,
d'abattre les murailles et de fouler le blé. Le procureur du
roi dut prendre fait et cause pour les Religieux, et requit qu'il fut
ordonné à la jeunesse de se pourvoir d'un autre lieu
pour tirer le papegay, et qu'il lui fut fait défense
d'employer à cet effet l'emplacement du Château, à
peiné de 500 livres d'amende ; le Présidial rendit un
arrêt conforme a cette réquisition. Mais l'entreprise
continuant, requête fut présentée au Parlement de
Toulouse, pour faire défense aux Consuls et à la
jeunesse de Nîmes « de ne troubler les Religieux en la
possession de la place du Château, sous le prétexte de
papegay ni aultres, à peine de l'amende et que des
contraventions il sera enquis. »
-
- Les
commissaires nommés par le Parlement rendirent un arrêt
dans ce sens, le 17 mars 1643, menaçant de 1000 livres
d'amende chacun, des contrevenants. Cet arrêt fut intimé
aux Consuls et à la jeunesse, le 30 du même mois. Battus
sur ce point, les Religionnaires dressèrent d'autres
batteries.
-
- Le
prix-fait pour la construction d'un premier corps de logis fut donné,
le 25 avril 1643, à Guillaume Roux, au prix de 3 livres, 17
sols, 6 deniers, pour chaque canne carrée, tant plein que
vide, payable à mesure que le bâtiment se ferait.
-
- Les
Religionnaires se trouvaient encore sous le coup de l'arrêt du
Parlement de Toulouse, du mois d'août 1636, par lequel les
Consuls huguenots avaient été condamnés à
remettre les maisons des religieux dans l'état où elles
étaient avant la démolition faite pendant les troubles,
à en rendre les matériaux et à répondre
de tous dépens, dommages et intérêts. Les
Dominicains ayant besoin de se procurer des ressources pour leur
construction, présentèrent requête pour
l'exécution de l'arrêt; Jacques Le Blanc, seigneur de la
Rouvière, et Fourniguet, conseiller du roi et juge royal de la
ville et viguerie de Nîmes, fut chargé de faire les
vérifications ; les Consuls assignés firent défaut,
en juin et en novembre 1613 ; une nouvelle assignation leur ayant été
donnée, le 26 novembre, ils portèrent l'affaire au
Conseil d'Etat, prétendant que les droits des Prêcheurs
étaient détruits par les édits de pacification,
ceux-ci portant abolition générale du passé. Ils
se ravisèrent l'année d'après et consentirent à
une transaction, qui fut signée le 13 juillet 1644.
-
- En
vertu de cet accord, les parties, sous le bon plaisir des membres du
Conseil du Roi et de la Cour du Parlement de Toulouse, renoncent à
leur procès. Pour tous les dommages que peuvent réclamer
les Religieux à l'occasion de la démolition de leur
maison et de leur église du faubourg des Prêcheurs, ils
recevront des Consuls réformés, le 1er janvier 1647, la
somme de 5000 livres qu'ils emploieront au profit et pour l'utilité
du couvent, en fonds, ou rentes et pensions. Les intérêts
de cette somme au denier seize courront, dès ce moment où
l'acte est passé. Les Dominicains feront ratifier cet acte par
leur provincial avant le 1er janvier 1647.
-
- Les
travaux de construction avançaient avec rapidité ; ce
n'était pas l'affaire des Huguenots qui cherchèrent à
en empêcher la continuation. En 1644, les Religieux faisaient
construire une nouvelle muraille avec les matériaux de deux
anciennes tours du château qu'ils démolissaient à
mesure ; ce fut le prétexte de nouvelles violences
religionnaires. De leur autorité privée, les Consuls
firent démolir la muraille et s'opposèrent à la
destruction des tours ; les Religieux se pourvurent devant M. de
Balthazar, intendant de la justice en Languedoc ; les Consuls furent
assignés, et l'Intendant fit une descente sur les lieux, à
la suite de laquelle il-rendit, le 30 octo-bre 1644, une ordonnance
qui maintenait les Prêcheurs en leur emplacement, et leur
permettait de démolir les tours jusque ras du sol, en dedans,
et à fleur du parapet de la muraille de la ville, en dehors.
-
- Le
7 novembre, les Consuls firent appel de cette décision et la
déférèrent au Grand Conseil qui, le 28 avril
1645, confirma l'ordonnance de l'Intendant, selon sa forme et teneur.
Sur un second pourvoi des Consuls, l'affaire fut renvoyée au
Parlement de Toulouse, le 9 février 1646. Les Consuls
prétendaient faire révoquer le don royal, sous prétexte
que c'était une usurpation sur le public, qui se servait de
cet emplacement pour l'étendage des draps, et qui en jouissait
de temps immémorial ; ils ajoutaient que, lors du don, les
Consuls n'avaient pas été consultés (ce qui
était faux) ; que les Religieux avaient usurpé le
canal de l'Agau et l'avait recouvert d'une voûte, ce qui
faisait craindre aux voisins d'être inondés aux grandes
eaux ; que les tours du château n'avaient pu être
comprises dans le don royal, attendu qu'elles étaient
romaines, séparées du corps du château, ce qui se
prouve par leur structure et la pierre dont elles sont construites ;
(il fut démontré que les Consuls commettaient ici
une erreur grave) ; que dès lors la propriété
des tours appartenait à la ville, ainsi que les murs et les
fossés par concession particulière du comte Raymond,
confirmée, comme tous les autres privilèges de la
ville, par tous les Rois de France, depuis la réunion du
Languedoc à la Couronne. C'était d'ailleurs, disaient
les Consuls un ornement et une marque d'antiquité d'une ville
qui avait été autrefois une des plus illustres colonies
du peuple romain et il serait fâcheux de les voir abattre sans
nécessité.
-
- L'affaire
n'avait pas encore reçu de solution lorsque parurent, le 30
mars 1647, des lettres-patentes de Louis XIV, confirmant le don du
château et ordonnant que les Religieux pourraient prendre les
pierres des deux tours, en se conformant à l'ordonnance de
l'Intendant, du 30 novembre 1644, et à charge par eux
délaisser entre le mur de leur couvent et celui de la ville ou
des maisons voisines deux cannes de distance pour la commodité
du public et de payer chaque année un dénier pour la
redevance ou l'albergue due au Roi. Ces lettres furent signées
à Paris par la Reine-Mère Régente et
enregistrées au Parlement de Toulouse, le 21 mai 1647.
-
- Les
Consuls osèrent attaquer cette nouvelle donation, mais un
arrêt du Parlement les débouta, le 3 septembre 1647.
-
- Se
voyant ainsi battus de tout côté, les Consuls comprirent
qu'il devenait nécessaire de terminer cette affaire à
l'amiable, ce à quoi les Dominicains voulurent bien consentir.
Des arbitres furent nommés de chaque côté : ce
furent pour les Religieux MM. de Calvet Vicaire-général
et Officiai de l'Evêque de Nîmes, de Forton et de Labaume
; et pour les Consuls MM. Boileau de Gastelnau Rovérié
de Cabrières et Favier de Vestric ; les parties s'entendirent
pour nommer septième arbitre l'Evêque de Nîmes.
-
- L'affaire
ayant été mûrement examinée, une
transaction fut passée en l'étude du notaire Ferrand,
le 28 novembre 1647; en voici le résumé: 1°
Renonciation au procès; 2° quittance mutuelle des frais et
dépens exposés ; 3° permission aux Religieux
d'abattre et de démolir toutes les masures du château
qui avancent en dedans de la ville, ainsi que les deux tours jusqu'au
parapet de la muraille par le dehors et jusque ras de terre par le
dedans, sans toucher toutefois aux voûtes basses de ces tours,
lesquelles ne pourront être démolies, mais bien comblées
des ruines du château ; 4° les Consuls feront bâtir
une muraille pour servir de clôture à ces voûtes
jusqu'au parapet du mur de la ville, et pourront à cet effet,
se servir de la pierre des démolitions ; 5° les Religieux
feront retirer les ruines qui tomberont dans le fossé de la
ville ; 6° ils feront ratifier cet accord par leur Provincial,
dans six semaines; 7° l'enceinte et l'alignement du couvent
seront conformes au plan et devis qui en a été dressé,
le 18 novembre, par l'architecte Talard, en présence et du
consentement des parties.
-
- Cet
acte fut ratifié par le provincial P. Vincent Boissède,
le 1er janvier 1648, et rien ne vint plus dèslors entraver les
constructions du couvent.
-
- Elles
étaient depuis longtemps achevées, lorsque, en mai
1689, les Dominicains tinrent à Nîmes leur Chapitre
provincial. Pendant la tenue de cette assemblée, les jeunes
religieux soutinrent à diverses reprises des thèses de
théologie qu'ils dédièrent aux différentes
compagnies distinguées de la ville. En reconnaissance chacune
d'elles leur fit des gratifications pour aider la communauté à
supporter la dépense qu'elle était obligée de
faire en cette occasion. Les Consuls à qui fut dédiée
une de ces thèses firent délibérer par le
Conseil de ville ordinaire, du 9 mai, de répondre à
l'honnêteté de ces religieux par le don d'une somme de
120 livres.
-
- Peu
de temps-après, le 17 janvier 1692, les Prêcheurs
reçurent un bienfait nouveau. Un arrêt de la Cour des
comptes, aides et finances de Montpellier déclara noble leur
couvent actuel, ainsi que l'était leur ancien enclos. Les
Religieux en firent donc hommage au Roi, le 19 janvier.
-
- Le
samedi, 21 octobre 1713, commença chez les Dominicains une
octave avec exposition du Très-Saint-Sacrement, à
l'occasion de la solemnité de la canonisation du pape saint
Pie V. La fête commença par une procession générale
à laquelle assistèrent les Consuls ; le Chapitre de la
Cathédrale chanta ensuite les premières vêpres,
au son des instruments de musique. Chaque jour de l'octave, l'office
fut célébré soit par les prêtres de
Sainte-Eugénie, chargés du service paroissial de la
ville, soit par les Doctrinaires, curés de l'ancien faubourg
des Prêcheurs, soit par les Ordres religieux ; le concours des
fidèles fut immense ; le dernier jour, après une
procession solennelle, la bannière du Saint fut portée
à l'église Cathédrale et exposée au
milieu du chœur à la vénération du peuple.
-
- DE
1714 A 1792.
-
- Jusqu'à
cette époque les Dominicains n'avaient eu qu'une église
provisoire complètement insuffisante pour leurs besoins. En
1714, ils se mirent en état d'en construire une autre plus
convenable et plus commode. Leur première pensée fut de
la bâtir contre les murs de la ville, en allant vers le Cours,
et ils avaient même demandé aux Consuls la permission de
prendre dans ce but une portion du terrain qui était au devant
sur la place du château. Mais sur l'avis et le conseil de
plusieurs personnes de goût, ils abandonnèrent ce
dessein et résolurent de bâtir sur l'emplacement de
diverses maisons qui leur appartenaient à l'entrée de
la porte des Carmes. Ils hésitaient cependant parce que ces
maisons leur rapportaient plus de 200 livres de revenu ; il leur
fallait en outre, pour exécuter ce projet, acheter deux
maisons contiguës, afin de donner à l'édifice
toute l'étendue nécessaire.
-
- Les
Religieux eurent alors la pensée de demander une subvention à
la Ville et firent observer au Conseil que non-seulement
l'emplacement indiqué serait un bien pour la décence du
service divin, mais encore qu'un bâtiment considérable à
l'entrée d'une des principales portes serait pour la ville un
embellissement important.
-
- Le
Conseil examina la demande dans sa séance du 19 janvier 1714,
et nomma des commissaires chargés de se transporter sur les
lieux et vérifier l'état des choses. Ceux-ci s'étant
rendus au couvent, conférèrent avec le Prieur et le
Provincial qui était arrivé depuis peu, et se firent
présenter le plan de la nouvelle église ; ils n'y
trouvèrent rien que d'avantageux au public, de sorte que, sur
leur rapport, le Conseil de ville général assemblé,
le 5 février suivant, sous la présidence du Juge-Mage,
François-Henri de Vivet de Montcalm, marquis de Montclus,
voulant favoriser l'entreprise, accorda une subvention de 1500 livres
payables, la moitié, lorsque la construction aurait été
commencée, et le reste, après son achèvement, à
condition que les Religieux élargiraient de cinq pans la
petite rue qui allait de la porte des Carmes à celle du
couvent ; qu'ils élargiraient aussi d'une canne la place
située au-devant de la nouvelle église ; que le puits
de là place serait respecté et resterait, tel qu'il
était, ouvert pour la commodité du public ; que chaque
année, le 26 août, les Religieux célébreraient
dans leur église une messe solennelle des morts, à
laquelle seraient invités le Maire et les Consuls.
-
- Les
ouvriers mirent bientôt la main à l'œuvre, et les
travaux préparatoires étant terminés, le 28 mars
1714, la première pierre du monument fut solennellement posée
par François Morel, Vicaire-général de Nîmes,
en présence des Consuls, du clergé séculier et
régulier, et d'un grand concours de peuple. Cette pierre
portait gravée l'inscription suivante :
- D.
0. M.
- PIETATI
FIDELIUM,
- AC
S. LUDOVICI GALLORUM REGIS PATROCINIO,
- MUNIFICENTIA
ET CHARITATE COL. NEM.
- TEMPLUM
HOC EREXERE
- FF.
PP. ZELUS ET RELIGIO
- PONEBAT
LAPIDEM IN TITULUM
- JUSSU
JOANNIS CÆSARIS, NEM.
EPIS.
- EJUS
AB OMNIBUS JUDICHS
- FRANCISCUS
MOREL
- ANNO
AB EPOC. CHRISTI,1714.
-
- A
Dieu tout puissant et très-grand. Le zèle et la
religion des Frères-Prêcheurs, aidés de la
munificence et de la charité de la ville de Nimes, ont élevé
ce temple pour aider la piété des fidèles, sous
le patronage de saint Louis, Roi de France ; par l'ordre de Jean
César, Évêque de Nimes, François Morel,
Official diocésain, a posé cette première
pierre, l'an de l'ère du Christ 1714.
-
- Une
autre inscription fut placée plus tard contre le mur du chœur
de l'église, dans la rue qui allait du couvent à la
tour des Carmes. Nous la reproduisons ici :
-
- D.
0. M.
- HÆC
ÆDES SACRA, CIV. NEM.
- SUBSIDIO,
CONSTRUI COEPIT
- CONSULIBUS
DD NOBILI JOSEPH
- MARIA
DE MEREZ, JOANNE CREANCIER,
- HUGONE
GERANTE
- ET
PETRO FOURNIER,
- AN.DOM.M.
D. CC. XIII
-
- Cette
église a commencé à être construite, avec
le secours de la ville de Nimes, étant Consuls, noble
Joseph-Marie de Mérez, Jean Créancier, Hugues Gérante,
et Pierre Fournier, l'an du Seigneur 1714.
-
- Les
travaux furent poursuivis avec l'activité que pouvaient leur
donner les faibles ressources du couvent ; il y eut même
plusieurs interruptions; il fut cependant possible de bénir,
l'église, le 7 mai 1729. Son entière construction dura
jusqu'en 1736; elle avait coûté plus de 38,000 livres;
le chœur en fut entièrement boisé en 1761 ; ce fut une
dépense de 2800 livres. C'est vers cette même époque
que fut établie dans l'église des Dominicains la
confrérie des agonisants.
-
- L'année
1747 apporta aux religieux de nouvelles tribulations. L'armée
espagnole qui, de concert avec l'armée française,
venait de chasser les Autrichiens de la Provence, vint se cantonner
en Languedoc et prit, le 7 mai, le couvent des Dominicains pour en
faire son hôpital ; les Espagnols s'en emparèrent de
force, soutenus par les intrigues du sieur Deidier, premier Consul,
et du sieur Tempié, subdélégué. M. de
Beaupoil, lieutenant du roi, s'était opposé tant qu'il
l'avait pu à cette usurpation ; malgré sa protection,
les religieux durent sortir et emporter leurs effets ; ils trouvèrent
asile chez les Augustins qui les reçurent très-cordialement.
-
- Les
Espagnols occupèrent le couvent pendant vingt-deux mois, et ne
se retirèrent que lorsque la paix fut faite. On ne saurait
dire dans quel triste état ils laissèrent l'habitation,
et tout ce qu'ils y avaient commis de dommages et de dégâts
; en compensation, les Religieux ne reçurent de l'Intendance
espagnole qu'un peu moins d'un millier délivres. Le couvent
fut évacué par les troupes, le 7 mars 1749; les
Religieux y rentrèrent, le mercredi après Pâques.
Mgr de Becdelièvre, Évêque de Nîmes, touché
des pertes qu'ils avaient faites, leur obtint du diocèse, le 7
octobre suivant, une subvention de 100 pistoles.
-
- En
1790, lors du massacre des catholiques, au mois de juin, le couvent
des Frères-Prêcheurs fut l'un des objectifs des
légionnaires protestants ; des coups de canon furent tirés
contre la façade de l'église; en vain, prétendit-on
ensuite que le monastère n'avait été atteint que
par une pure maladresse ; on sait que les canons étaient
pointés par d'habiles officiers du génie ou de
l'artillerie ; Ce qui prouve encore que ces coups étaient
prémédités, c'est ce. qui suivit : sous prétexte
que des légionnaires catholiques s'étaient réfugiés
chez les Dominicains, on brisa les portes du couvent, et tout y fut
saccagé ou détruit, au point de le rendre inhabitable.
Le pillage y fut complet, et on vit les voleurs se partager le butin
sur la place même qui était au devant de l'église.
-
- Heureusement
les Religieux, au nombre de sept alors, effrayés et instruits
par le massacre des Capucins, avaient eu .le temps d'abandonner leur
maison et de fuir dans toutes les directions ; les assassins les
poursuivirent et l'un d'eux, le Père Thibaut ancien Prieur,
reçut sur le chemin d'Avignon un coup de fusil qui ne
l'atteignit pas; il feignit cependant, pour échapper à
la rage des massacreurs, d'avoir été blessé et
il se jeta la face contre terre. Il ne faut donc pas s'étonner
si, lorsque des jours plus calmes leur permirent de revenir, tous les
Religieux, interrogés sur la résolution qu'ils
entendaient prendre, répondirent qu'ils voulaient sortir.
-
- Les
Religieux étaient à peine partis, que les protestants
obtinrent de l'administration départementale l'église
du couvent, à titre de location ; ils placèrent
aussitôt sur la porte cette inscription : « Édifice
consacré à un culte religieux par une société
particulière : Paix et liberté. 1792. »
Les exercices du culte calviniste commencèrent le 20 mai. Le
concours fut immense et la ferveur des protestants devint une espèce
de fureur ; les exercices renouvelés deux fois le dimanche ne
leur suffirent bientôt plus ; on exigea qu'ils eussent encore
lieu le mardi et le jeudi ; les ministres y consentirent à
condition qu'on leur donnerait une augmentation de salaire.
-
- L'église
fut plus tard vendue comme bien national ; les Catholiques désirant
la conserver se rendirent aux enchères, mais les Protestants
couvrirent leurs offres, et l'église leur fut adjugée ;
il paraît cependant qu'ils ne purent pas la payer ; on en fit
alors un magasin à fourrage pour les chevaux de la
gendarmerie. A la demande du Préfet du Gard, les fourrages
avant été transportés dans le couvent des
Capucins, l'église fut cédée aux Protestants par
arrêté du 5 complémentaire, an XI, (22
septembre 1803.) C'est depuis lors ce qu'on appelle à
Nîmes le Grand Temple. Il y a quelques années, de
nombreuses sépultures furent découvertes en ce lieu, à
l'occasion des travaux entrepris pour l'établissement d'un
calorifère ; le Président du Consistoire en fit
prévenir l'autorité ecclésiastique, qui
s'empressa de faire de nouveau reposer ces corps dans une terre
catholique; elle les fit diriger sur le cimetière
Saint-Baudile, sous la conduite d'un prêtre.
-
- LE
TIERS-ORDRE ET
- LES
PÉNITENTS BLANCS
-
- Depuis
longtemps le Tiers-Ordre de Saint-Dominique était établi
a Nîmes parmi les femmes ; le 15 septembre 1709, plusieurs
habitants demandèrent qu'il fut aussi établi un
Tiers-Ordre pour les hommes ; un règlement fut aussitôt
dressé et l'association fut inaugurée, le 10 novembre
suivant, parla réception publique de quelques Tierçaires
; la cérémonie fut présidée par le P.
Laurent Aulagne, Prieur du couvent, en vertu de l'autorisation que
lui en avait donné le P. Pierre Moisset, Provincial de
Toulouse. Les nouveaux Frères furent autorisés à
faire leurs offices dans l'ancienne petite église du couvent,
jusqu'à ce qu'elle fut englobée, comme c'en était
le projet, dans la construction d'une nouvelle église. La
règle donnée aux Tierçaires fut approuvée,
le 26 février 1727, parle P. Lagrange, Provincial, dans sa
visite au couvent de Nîmes.
-
- L'accroissement
rapide du Tiers-Ordre obligea bientôt les Confrères à
se bâtir une chapelle particulière ; ils choisirent à
cette un une portion du jardin des Dominicains que ces pères
leur inféodèrent, le 16 septembre 1728, sous l'albergue
annuelle et perpétuelle de 10 livres. La première
pierre de cette chapelle fut posée, le 12 mai 1729, à 4
heures de l'après-midi, par Monseigneur de la Parisière,
Evêque de Nîmes, au son des instruments de musique et des
coups d'un petit canon fabriqué par un confrère. Cette
pierre fut placée sur le coin de la porte d'entrée, sur
un glacis de l'ancien château, aussi dur qu'un rocher, à
neuf pans de profondeur, elle , portait gravée cette
inscription :
-
- DEO
OPTIMO MAXIMO
- SUB
PATROCINI0 VIRGINIS DEIPARÆ
- AC
SANCTI JOANNIS BAPTISTÆ
INVOGATIONE
- SACELLUM
HOC EREXERE
- CONFRATRES
POENITENTIÆ TERTH ORDINIS
- SANCTI
DOMINICI - PONEBAT LAPIDEM
- IN
TITULUM, JOANNES CÆSAR
- EPISCOPUS
NEMAUSENSIS
- QUARTO
IDUS MAH, AN. REP. SAL. 1729
-
- Au
Dieu très-bon et très-grand. Les confrères de la
Pénitence du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, ont construit
cette chapelle, sous le patronage de la Vierge Mère de Dieu et
l'invocation de saint Jean-Baptiste. Jean César, Evêque
de Nîmes, en posa la première pierre, le 4 d'avant les
ides de mai, de l'an du salut,1729.
-
- Le
bien que faisait le Tiers-Ordre cessa tout-à-coup en 1742, par
suite de contestations qui survinrent entre les Dominicains et le
vicaire-général de l'évoque François
Desbax du Bousquet ; voici à quelle occasion se produisit
cette querelle.
-
- Les
Frères du Tiers-Ordre avaient prêté leur église
au curé de Saint-Castor pour y célébrer, le 2
juillet, la fête de la Congrégation des femmes. Le matin
de ce jour, un prêtre vint exposer le Saint-Sacrement dans la
chapelle et dit une première messe à laquelle il
consacra un certain nombre d'hosties, pour la communion des femmes
qu'on devait donner plus tard. Pendant ce temps la Congrégation
faisait sa procession aux environs. Le Père Segon, dominicain,
Directeur du Tiers-Ordre, ayant appris ce qui se passait et regardant
ces exercices, et surtout l'exposition du Saint-Sacrement, comme une
entreprise de la part des séculiers sur une chapelle de
réguliers, alla descendre l'ostensoir, le mit dans le
tabernacle avec le ciboire des hosties et emporta la clef. Un moment
après, la procession rentrait dans la chapelle et le
Vicaire-général se mit en devoir de distribuer la
communion ; il trouva le tabernacle fermé et en fit demander
la clef au P. Segon. Celui-ci descendit à la sacristie et
refusa la clef, sous prétexte que la chapelle n'était
pas pour des séculiers, et encore moins pour des femmes; il
allégua même à ce sujet un article du règlement
du Tiers-Ordre.
-
- Le
Vicaire-général supplia alors le religieux de lui
remettre la clef, l'assurant que le lendemain il réglerait les
choses à la satisfaction de toutes les parties ; mais le Père
persista dans son refus. M. du Bousquet fit apporter un ostensoir et
un ciboire de l'église du Refuge, une autre messe fut dite
afin de consacrer les hosties nécessaires et on exposa de
nouveau le Saint-Sacrement. Quand le grand Vicaire fut parti, le Père
Segon retourna dans la chapelle et enferma une seconde fois le soleil
dans le tabernacle. Un pareil procédé obligea
l'Official de citer le Religieux et de le poursuivre devant son
tribunal ; d'un autre côté, l'Evêque ne pouvant
rester insensible à un tel manque d'égards envers son
grand Vicaire rendit, en novembre 1742, une ordonnance qui supprimait
le Tiers-Ordre des Dominicains, comme n'ayant jamais été
autorisée par les Évoques, avec défense de
s'assembler dans la chapelle ou ailleurs; l'Official, à son
tour, rendit, le 11 décembre suivant, une sentence portant
interdit contre la chapelle du Tiers-Ordre.
-
- Dés
le 23 du même mois de décembre, les Frères de
cette association, qui avaient désapprouvé toutes les
démarches du Père Segon, déclarèrent par
un acte passé devant notaire qu'ils renonçaient a leur
confrérie et ils nommèrent des députés
pour supplier l'évêque de lever l'interdit de leur
chapelle et de les recevoir, sous son autorité dans telle
autre association de piété qu'il jugerait la plus
convenable pour leur salut et pour la gloire de Dieu, avec offre de
se soumettre aux règlements qu'il lui plairait de leur
prescrire.
-
- Cette
première demande n'ayant pas été exaucée,
ils présentèrent une requête à l'évêque,
le suppliant de lever un interdit auquel ils n'avaient pas donné
lieu et d'ériger en leur faveur une confrérie de
Pénitents Blancs qui leur paraissait l'état le plus
propre à glorifier le Seigneur, offrant toujours de se
soumettre aux règlements qu'il voudrait leur donner. Cette
requête fut répondue, le 22 mars 1743, par un soit
communiqué au promoteur diocésain ; le lendemain,
sur les conclusions de celui-ci fut rendue une ordonnance épiscopale
qui levait l'interdit de la chapelle et permettait l'érection
d'une Confrérie de Pénitents blancs, sous le titre de
Saint-Jean Baptiste et sous les règlements et statuts que
l'Ordinaire aurait approuvés la déclarant pour toujours
soumise à sa juridiction et permettant aux Confrères de
s'assembler dans leur chapelle et d'y célébrer le
service divin - Cette ordonnance fut enregistrée , le 17 avril
1743, au bureau des Insinuations Ecclésiastiques.
-
- L'inauguration
de la confrérie se fit, le dimanche, 24 mars; le
Vicaire-général se rendit à la chapelle, sur
les-huit heures du matin, prêcha aux frères assemblés
et leur donna le sac de Pénitent Blanc ; il se fit aussi
recevoir lui-même parmi eux. Le même jour après
Vêpres, eut lieu l'élection des officiers; le Prieur fut
Jacques Tempié, marchand, qui s'était donné
beaucoup de soins pour le succès de cette affaire ; le
Sous-Prieur fut Pierre Grégoire.
-
- On
nomma ensuite douze directeurs ayant pouvoir de régler toutes
les affaires de la confrérie, un maître de cérémonies,
un maître des novices, un receveur, un secrétaire,
quatre sacristains, quatre choristes, des surveillants, des visiteurs
des malades, des auditeurs des comptes et un portier.
-
- Aussitôt
les Dominicains attaquèrent les Pénitents au Parlement
de Toulouse en rescision du bail d'inféodation du terrain sur
lequel la chapelle avait été bâtie; le procès
fut bientôt terminé par l'acquiescement des Pénitents
et un arrêt rendu le 20 juillet 1744, n'eut qu'à
confirmer les conventions intervenues entre les Confrères et
les Religieux. L'acte d'inféodation fut cassé et les
Religieux restèrent en possession du terrain et de la
chapelle, moyennant 6,500 livres à payer aux Pénitents
pour les frais de la bâtisse ; ceux-ci devaient avoir cependant
la jouissance de la chapelle, pendant deux ans, avec la liberté
d'en retirer tous leurs ornements, l'autel et le bénitier de
marbre, la chaire, la balustrade de fer de la tribune, les vitraux
avec leurs ferrures, la statue de saint Jean-Baptiste qui était
sur la porte d'entrée, la lampe et les bancs; ils pouvaient en
outre vider et nettoyer les caveaux et en transporter les ossements
en un autre lieu saint. Les Pénitents désireux de
posséder une chapelle jetèrent alors les yeux sur
l'ancien réfectoire des Chanoines qui avait pendant quelque
temps servi de cathédrale, situé à la place de
la Belle-Croix et qui, depuis longtemps ne servait à rien ; le
Chapitre consentit à leur inféoder ce bâtiment,
moyennant une albergue perpétuelle de 300 livres de cire
blanche, payable à la Saint-Martin de chaque année ;
l'acte en fut passé, le 13 avril 1745.
-
- Le
Parlement de Toulouse ayant autorisé ce bail d'inféodation
par arrêt du mois de mai suivant, les Pénitents firent
commencer les réparations et les bâtiments nécessaires
pour leur usage. Les travaux marchèrent rapidement. Dès
le 14 mars 1746, les Pénitents obtinrent permission de
l'évêque d'y transférer leurs exercices. Les
réparations étant enfin terminées, la chapelle
fut bénite par le Vicaire-général, le 3 décembre
de la même année ; cette cérémonie fut
suivie de la bénédiction d'une cloche; le lendemain,
dimanche, on y célébra la messe en présence d'un
grand nombre de confrères.
-
- Il
ne nous reste plus rien de remarquable à signaler à
partir de ce moment; la Confrérie se distingua toujours par sa
piété et son zèle pour la religion ; elle se
chargea du soin des prisonniers et des dernières consolations
à offrir aux condamnés à mort. Chaque semaine,
plusieurs des ses membres avaient mission de veiller à ce que
les prisonniers eussent toutes les satisfactions compatibles avec les
exigences de la justice. Lorsque les tribunaux avaient porté
une sentence de mort, la Confrérie s'efforçait
d'adoucir les derniers moments du condamné, de lui procurer
les secours religieux ; le jour de l'exécution, des prières
publiques étaient faites dans la chapelle, le Saint-Sacrement
exposé, et les associés se chargeaient des frais de
sépulture. La chapelle des Pénitents sert aujourd'hui
(1875) de halle au poisson.
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- -oOo-
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