INAUGURATION À NÎMES
DU
MONUMENT HENRI RÉVOIL
 
Buste inauguré le 12 novembre 1906, au jardin de la fontaine de Nîmes
 
Ce buste de Révoil est en bronze. Il repose sur un socle agrémenté, par l'architecte Ballu, d'une statue assise de 3/4 réalisée d'après une sculpture ancienne dite vierge de Beaucaire.
Le buste bronze sera désigné comme métaux non ferreux le 2 décembre 1941, enlevé et fondu, par ordre de récupération le 5 février 1942 .
 
La cérémonie d'inauguration a eu lieu, le lundi 12 novembre 1906 , à 2 heures, sous la présidence de M. Bœswilwald , Inspecteur général des Monuments historiques, par un clair et radieux après-midi d'une journée ensoleillée d'automne, dans le beau Jardin de la Fontaine, sous la frondaison des grands marronniers rajeunis par une pluie bienfaisante.
La volonté de la famille et du comité avait été de maintenir à cette cérémonie un caractère intime. Elle fut discrète, mais touchante. Si nombreux étaient les amis, les anciens collègues et les élèves du maître regretté, que ce coin de la Fontaine était plein d'une foule sympathique et attentive.
Les autorités civiles et militaires avaient tenu à y assister, notamment M. le premier Président Fermaud, M. Dubouch, Procureur général, M. Maitrot de Varenne. Préfet du Gard, M. le général Sabatier, M. Paul Boyer, Procureur de la République. L'Académie de Nimes, dont M. Henri Révoil avait fait partie et qui compte son fils, M. Paul Révoil, parmi ses membres honoraires, y était au complet.
Parmi les membres de la famille, citons M. Paul Révoil, ambassadeur à Berne, fils d'Henri Révoil, et Mme Paul Révoil ; M. Morel-Révoil, architecte, et Mme Morel, née Révoil, et leurs enfants ; M. Anterrieu, conseiller à la Cour d'appel de Nimes, et Mme Anterrieu, née Révoil, et leurs enfants ; Mme veuve Georges Révoil ; M. Jules Baragnon, ancien secrétaire général.
La réunion des discours prononcés autour du monument donne une idée juste de ce que fut le grand artiste dont la mémoire était honorée en ce jour. La vie d'Henri Révoil est d'ailleurs racontée par ses œuvres dont la liste, encore incomplète, est gravée sur les côtés du piédestal.
D'un côté, l'œuvre de l'architecte en chef des monuments historiques : - 1850 à 1900. - Restaurations des Arènes de Nîmes. - Temple de Diane. - Arènes d'Arles. - Abbaye de Montmajour. - Saint-Trophime d'Arles. - Eglise de Cruas. - Eglise de Saint-Gilles. - Pont Saint-Bénézet à Avignon. - Palais des Papes. - Remparts d'Avignon. - Château de Tarascon. - Nombreux monuments de la région du Sud-Est. - Auteur de « L'Architecture romane dans le Midi de la France ». - Commandeur de la Légion d'honneur (1900).
 
De l'autre, l'œuvre de l'architecte diocésain : - 1852 à 1900. -Absides, transepts, partie latérale de la cathédrale de Montpellier. - Décoration intérieure et du porche de la Cathédrale de Marseille, 1874-1900. - Reconstruction de la nef et de l'abside de la Cathédrale de Nimes. - Mosaïques, maître autel, portes en bronze de la Basilique Notre-Dame de la Garde. - Petit Séminaire d'Aix. - Grand Séminaire de Montpellier. - Eglises : Mourillon, Pont-du-Las, Saint-Jean-du-Var, à Toulon ; Saint-Maximim, a Draguignan ; Aimargues, Marguerittes, Manduel, Bessèges, Saint-Ambroix, Rochebelle, Salvetat, Ganges, Olonzac, N.-D. de la Sède, Boulbon, etc. - Couvents et chapelles, à Nîmes, Bordeaux, Poitiers, Paris. - Tombeau de Mgr Cart à Nîmes.
 
Sur les quatre faces ces deux dates:
1822 1900.
Sous le buste, devant : HENRI RÉVOIL.
Derrière :
Correspondant de l'Institut.
A l'artiste éminent.
A l'homme de bien,
Ses concitoyens et ses amis.
 
Le monument est simple , mais d'un goût exquis et merveilleusement adapté au cadre qui l'entoure. Il se compose d'un simple buste en bronze, placé sur un soubassement quadrangulaire où apparaît, sur la façade principale, en haut relief, une femme, drapée d'un péplum, qui symbolise la muse de l'architecture romane. Elle tient d'une main un plan et de l'autre un compas (1).
 
(1) M. Ballu s'est servi comme modèle d'une ancienne statue dite Vierge de Beaucaire, qui décore le vestibule d'une maison privée de cette ville.
Cette Vierge, peu connue, est un des plus beaux spécimens de l'art roman. Elle représente la Madone assise, tenant sur le bras gauche l'Entant Jésus. « La tête de la Vierge, dit Mérimée, dans » ses Notes de Voyage, est d'une rare beauté, et les draperies sont » plus souples et plus moelleuses qu'on n'est accoutumé à les voir » dans la sculpture du douzième siècle. »
On peut en juger d'après le rappel qui en est fait au monument Révoil, et où la tête, les draperies, le bas du corps et les pieds, sont reproduits presque identiquement, les modifications portant seulement sur les bras et l'attitude du buste.
La Vierge de Beaucaire ornait autrefois le portail de la vieille église de Notre-Dame des Pommiers, détruite au seizième siècle. Sur la pierre d'encadrement, décorée de jolis motifs d'architecture romane, se lisait l'inscription suivante, gravée en lettres romanes, capricieusement enchevêtrées : « In gremio Matris residet sapientia Patris ». - « Dans le sein de la mère réside la sagesse du père ».
Lors de la reconstruction, au dix-huitième siècle, cette statue fut transportée dans l'hôtel Narbonne-Pelet, rue de la Descente-dû-Château, et placée dans le vestibule du grand escalier. L'hôtel a changé de maître, mais les propriétaires qui s'y sont succédé ont religieusement conservé le précieux dépôt. Détenues d'abord par M. Jean-Baptiste Goubier, ancien maire de Beaucaire, la maison et la statue passèrent aux mains de M. le docteur Millet, et sont aujourd'hui la propriété de sa sœur.
L'illustre architecte Henri Révoil admirait beaucoup cet ancien chef-d'œuvre de l'art roman ; et M. Ballu a été on ne peut mieux inspiré en le rappelant sur son monument.
Notre belle promenade abrite déjà les monuments de Bigot et de Jean Reboul, qui venaient y chercher une inspiration d'un autre genre.
N'y aura-t-il pas un jour une place pour une autre gloire locale, qui appartient à une autre branche des Beaux-Arts, le compositeur nîmois Poise, dont on joue encore les œuvres dans maints théâtres, celui de Nîmes excepté ?
 
Le buste en lui-même est remarquable par sa forte personnalité et son caractère très accentué. Il représente avec beaucoup de vérité et d'expression les traits mâles d'Henri Révoil, sa physionomie ouverte et douce. Le jeune sculpteur, à qui l'exécution en avait été confiée, M. Belloc, a fait revivre le maître et s'y est révélé artiste plein de conscience et d'originalité. Le piédestal est l'œuvre de M. Albert Ballu (1), à qui la ville de Nîmes doit doublement de la reconnaissance et pour avoir été un des propagandistes les plus ardents de l'érection de ce monument et pour avoir ainsi enrichi son patrimoine artistique. C'était une tâche difficile, dans un cadre immense comme celui de la Fontaine, de dessiner un monument de petite dimension et d'appeler sur lui l'attention sans en accuser la gracilité. La difficulté a été vaincue, et il semble que la majesté des grands arbres qui l'entourent, la silhouette du temple de Diane qui se profile dans le lointain, portent et agrandissent buste et piédestal au lieu de les écraser.
Aux auteurs de l'œuvre les Nimois doivent ajouter les noms de tous les membres du Comité et plus particulièrement ceux de M. Bœswilwald, son président, et de M. Valentin, architecte à Avignon, un des plus dévoués élèves d'Henri Révoil et le très zélé vice-président du Comité.
 
(1) Architecte en chef des monuments historiques à Paris, secrétaire du Comité.
 
Ce fut d'ailleurs une idée très délicate et très juste de choisir la ville de Nimes pour y rendre cet hommage à l'architecte qui l'avait adoptée comme sa résidence préférée et le centre de son activité. Henri Révoil était né à Aix le 19 juin 1822. Son père avait été un des plus solides directeurs de l'Ecole des Beaux-Arts de Lyon. Une grande partie de sa famille était fixée en Provence et plus particulièrement à Mouriès, où le château de Servanes est encore en possession de M. Paul Révoil. Mais ce provençal, doublé d'un lyonnais, était bien nîmois d'adoption II aimait passionnément notre ville antique et parce qu'il y avait assis son foyer, aux côtés d'une compagne qui lui avait donné l'intime bonheur, et parce qu'il y avait trouvé les monuments les plus propres à exercer et développer son génie artistique. Nîmes, Arles, Saint-Gilles, cette trinité de villes où les monuments de l'architecture romane sont juxtaposés à ceux de l'art antique, devaient être et furent le terrain de ses plus intéressantes restaurations et de ses plus originales créations.
Les travaux de restauration de Révoil furent souvent critiqués. On lui demandait des choses assez contradictoires : d'une part, réparer avec une respectueuse exactitude les monuments antiques ; et, d'autre part, conserver et même agrandir l'affectation utilitaire des amphithéâtres de Nîmes et d'Arles et du théâtre d'Orange. Dans certaines parties de ces monuments, il ne restait plus rien de l'œuvre de l'architecte romain ; il fallait quand même installer des gradins pour y loger des spectateurs éventuels. Comités des monuments historiques, municipalités, archéologues, chacun voyait les choses de son côté et s'en prenait à l'architecte, quelquefois avec aigreur (1). Henri Révoil, nature d'artiste, très impressionnable, toute en dehors, souffrit beaucoup de ces piqûres d'épingle, parfois plus qu'elles ne méritaient. La perte d'une compagne adorée, les tristesses de luttes mesquines auxquelles répugnait sa nature généreuse, sa préoccupation de mener à bien la grande œuvre de la décoration de la Cathédrale de Marseille l'entraînèrent de plus en plus à habiter la campagne, cette grande pacificatrice. Il y eut cet inappréciable avantage d'avoir pour collaborateur un gendre choisi par lui, qui, artiste distingué lui-même, s'effaça par abnégation devant le maître aimé. La pléiade d'élèves qu'il avait formés, de ces maîtres d'oeuvre dont il avait, chacun dans leur spécialité de véritables artistes, depuis les mosaïstes jusqu'aux humbles tailleurs de pierre, tout ce monde qu'il avait animé de son ardeur gérjîreuse lu! demeura fidèle et facilita sa tâche. On l'a bien vu autour de ce monument que leur piété lui a consacré. Pour inspirer de tels dévouements il faut être non seulement un artiste de mérite supérieur, mais aussi un homme de grand cœur.
 
(1) La Revue du Midi a été longuement occupée, jadis, par cette polémique.
 
De ses deux fils, l'ainé, Georges, qui avait hérité de son père l'ardeur combative, fut un explorateur d'audace froide et mourut jeune , consul de France au Brésil, victime de son devoir professionnel. Du second, Paul, nous ne dirons rien ; son nom suffît.
 
Georges MAUBIN.
Paul CLAUZEL.
 
(Extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1906, page 6 à 11.)


> Intégale (49 pages) de l'article en PDF, avec planches

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