- Aps et
Villeneuve-de-Berg. - Les Rampes de Montbrul.
- Route
latérale de Viviers à Aubenas
Extrait de l'Album du Vivarais, Albert Dubois, 1842.
- Château d'Aps
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- Pour aller de Viviers à Villeneuve-de-Berg, on remonte
le lit de graviers du torrent appelé l'Escoutaye, et on laisse sur la
gauche la colline élancée de Saint-Thomé, dont de vieilles maisons et un
clocher antique couronnent les cimes. Saint-Thomé fut souvent le lieu de
refuge des évêques de Viviers, quand les barbares s'emparèrent de la ville
épiscopale.
-
- Après avoir suivi les sinuosités d'une gorge profonde,
les montagnes S'ouvrent et laissent apercevoir une plaine assez vaste; on
montre là le lieu où était située Alba ou Aps, l'importante capitale des
Helviens, campos ubi Troja fuit. L'Escoutaye a recouvert de ses alluvions
les débris de cette cité romaine ; on y a fait quelques fouilles, qui ont
presque toujours été heureuses : nous avons vu des statuettes du travail le
plus exquis trouvées dans ces champs, où passe aujourd'hui la charrue. Des
inscriptions tumulaires (3), d'un grand intérêt, ont été découvertes au
milieu de la plaine d'Aps, et sur des pierres qui en ont été transportées
pour bâtir des églises voisines.
-
- Une vieille tradition rapporte que Crocus, roi des
Vandales, incendia cette ville au moyen du feu grégeois (4). On dit que,
quand il vint assiéger Albe, il fit camper son armée à Chantusas, à
l'occident du mont Julian ; or, le mot Chantusas dérivé de Champ-d'Aps. Il
est désigné en latin, par d'anciens titres, sous le nom de Campus Alpis.
-
- (1) La montagne de Saint-Martin.
- (2) Voir les actes d'un procès
qu'intenta le chapelain, duquel il résulte qu'au lieu de bijoux, on ne
mettait plus dans les cercueils des juifs que des morceaux de verre.
- (3) Voir les pages 232 et suivantes
de l'Annuaire du Vivarais, 1839.
- (4) Le feu grégeois aurait donc été
inventé bien avant Callinique d'Héliopolis, en Syrie, qui vivait vers la
fin du septième siècle. Cela confirmerait l'opinion des auteurs, qui
prétendent que le feu grégeois a été découvert sous l'empereur Constantin,
et qui induisent, d'un passage d'Ammien Marcellin, que l'empereur Julien en
fit usage dans le siège d'une ville de Perse.
-
- Dès le moyen âge, Aps reprit de l'importance, non plus
comme cité ou comme municipe, mais comme siège d'une baronnie féodale. Le
vaste château d'Aps, dont la masse noirâtre écrase les maisons du village
groupées à ses pieds, a été fondé primitivement par la branché des Poitiers
qui s'établit en Vivarais au commencement du douzième siècle. Détruit ou
ruiné dans l'intervalle, il fut rebâti au seizième dans ce style rustique
et massif qui caractérise l'architecture du temps des guerres de religion.
-
- On trouve des restes de fortifications sur un rocher
isolé au milieu de la plaine, à deux portées d'arquebuse du vieux château.
-
- Après avoir traversé la plaine, on remonte une gorge
sèche et aride pour arriver à Villeneuve-de-Berg. On laisse sur la droite
le pittoresque village de Saint-Jean-le-Noir, ainsi nommé parce qu'il est
bâti en laves et en basalte; au-dessus de Saint-Jean (1), les rochers
volcaniques du Coiron dessinent dans les airs leurs prismes presque
symétriques. Une fort belle route conduit à Villeneuve à travers cette
vallée que sillonnèrent jadis des torrents de lave.
-
- Villeneuve-de-Berg, fière de l'importance qu'elle eut
longtemps en sa qualité de capitale judiciaire et administrative du
Vivarais, est maintenant une ville morne et déchue; plus de bailli d'épée,
ni de lieutenant de judicature, qui viennent y montrer, aux cérémonies
religieuses ou civiles, l'un, son costume de chevalier, l'autre, sa toge
sénatoriale; plus de fêtes ni de bals animés par la présence des officiers
de la garnison. L'herbe croît dans les rues de Villeneuve; c'est Versailles
en petit.
-
- Nous avons indiqué, dans notre préface historique,
l'origine de Villeneuve-de-Berg. Le lieu où est située aujourd'hui la ville
était une vaste forêt (Berg), au sein de laquelle était un monastère
dépendant de la célèbre abbaye de Mazan.
-
- Les abbés de Mazan étaient devenus suzerains de la terre
de Berg à la suite de la guerre des Albigeois, qui avait augmenté dans tout
le Vivarais et particulièrement en Languedoc la puissance temporelle du
clergé. Reymond VII avait cédé une partie de ses états à saint Louis dès
l'année 1229; l'autre partie, dans laquelle se trouvait le bas Vivarais,
échut, en 1271, à la couronne de France, par suite du décès, sans enfants,
d'Alphonse, frère de saint Louis, et de Jeanne, son épouse, fille unique de
Reymond VII
-
- (1) On peut voir, dans l'ouvrage de
Faujas de saint fonds, intitulé : Recherches sur les volcans du Vivaraîs,
pag. 278, la curieuse description du rocher prismatique de Maillas. Il
appelle ce rocher, haut de quatre cents toises, une immense géode
volcanique. Ce rocher de Maillas appartient à la montagne appelée
Mont-Jastrié. Voir, dans le même ouvrage ' une longue lettre de cet auteur
à M. de Buffon sur, un courant de lave qui traverse la vallée de
Villeneuve-de-Berg.
-
- Philippe-le-Hardi, pour faire acte d'autorité dans la
nouvelle province qu'il venait d'acquérir, y établit sur-le-champ un bailli
royal; mais ce magistrat ne résida pas d'abord en Vivarais; il allait y
tenir ses assises à la manière de ces juges ambulants de la seconde race,
appelés missi dominici. Cet état de choses ne pouvait durer dans un temps
où les institutions françaises tendaient à la stabilité; déjà les fonctions
judiciaires et administratives commençaient à devenir sédentaires ; mais,
pour avoir en Vivarais un siège royal, où la juridiction de la couronne fût
incontestée, il était essentiel que le roi y possédât un fief qui fit
partie de son propre domaine :
-
- C'est pourquoi Philippe-le-Hardi acheta la coseigneurie
de la terre de Berg, de l'abbé de Mazan, qui déjà était entré, à ce sujet,
en négociations avec saint Louis ; en conséquence, le 12 décembre 1284, en
présence du bailli du Vivarais, un acte de paréage eut lieu entre l'abbé de
Mazan, seigneur de Berg, et le sénéchal de Beaucaire, comme représentant du
roi Philippe.
-
- Par cet acte, l'abbé de Mazan associa la couronne de
France à la justice et seigneurie d'un certain territoire où il serait bâti
une ville, à un endroit appelé anciennement le Champ du Poirier ou le
Périer d'Ibie ; en forme de prise de possession, in signum inceptionis
urbis, il y fut dressé deux pierres, symbole de la cité que la royauté
française allait y fonder.
-
- L'acte de paréage (1) portait que la justice y serait
rendue en commun et alternativement parles officiers du roi et de l'abbé;
que le cens et les autres droits de la seigneurie seraient partagés, et que
les habitants de la ville nouvelle seraient exemps de taille et de corvée.
-
- Ansi Villeneuve-de-Berg, création de nos anciens
monarques, fut, en naissant, une ville royale, indépendante des états du
Vivarais et du Languedoc; elle a conservé jusqu'en 1789 ses vieux
privilèges, qui ont été ensevelis avec tous les autres dans le gouffre révolutionnaire.
-
- Une viguerie royale fut donc établie dès 11285 à
Villeneuve. Pour rendre la justice dans cette viguerie, le roi et l'abbé de
Mazan y avaient chacun un viguier, un juge, un procureur du roi et un
greffier; plus tard, cette viguerie fut transformée par la couronne en un
bailliage : ce bailliage ressortissait de la juridiction royale, et
connaissait des causes édictales au premier chef, sauf l'appel au présidial
de Nîmes Les officiers de ce tribunal étaient un bailli d'épée, officier de
robe courte, qui était chef des deux bailliages d'Annonay et de
Villeneuve-de-Berg; un lieutenant principal du bailli, un lieutenant
particulier civil (2) ; un lieutenant assesseur criminel et deux
conseillers, un procureur et un avocat du roi, enfin, un greffier.
-
- Villeneuve-de-Berg avait encore une maîtrise des eaux et
forêts, créée par édit du 7 mars 1671 pour le Vivarais, le pays d'Uzès et
le Velay : enfin, une garnison assez nombreuse était logée dans l'enceinte
de ses remparts.
-
- (1) La viguerie royale et abbatiale
de Villeneuve ne fut réunie au bailliage que par un édit du mois d'avril
1767.
- (2) On peut voir dans notre préface
historique la suite de l'histoire du bailliage de Villeneuve-de-Berg,
jusqu'en 1780, époque où il fut transformé en sénéchaussée
-
- Villeneuve, munie de fortifications importantes,
commandait les principaux passages du Coiron et la route de Viviers à
Aubenas; l'importance de sa position fut prise par les deux partis qui
divisaient la France au seizième siècle: aussi, on en fit le siège
plusieurs fois pendant les guerres de religion, et elle tomba tour à tour
au pouvoir des calvinistes et des catholiques.
-
- Le plus célèbre de ces sièges fut celui qui eut lieu au
commencement de l'année 1575 ; à cette époque, les calvinistes avaient été
chassés de Villeneuve par M. de Logières, et s'étaient réfugiés au château
du Pradel (1), chez le sieur de Serres, situé à une demi-lieue de la ville,
et de là à Mirabel, sur le Coiron (2). Du haut des rochers qu'ils
occupaient, ils contemplaient d'un oeil de regret la place qu'ils avaient
perdue, un serrurier, avec qui ils avaient noué des intelligences, leur
proposa un moyen d'y rentrer par surprise; il leur offrit de leur ouvrir un
passage en sciant la grille en fer d'un égout, au nord de la ville :
-
- Ce fut en effet par là que, dans la nuit du 1er au 2
mars suivant, les religionnaires de Mirabel, qui avaient reçu des renforts
de Privas, s'introduisirent dans Villeneuve. Arrivés dans le fort, ils en
égorgèrent la garnison, puis ils enfoncèrent les portes de la ville, et
mirent tout à feu et à sang; leur rage acheva de s'assouvir par le massacre
de trente à quarante prêtres qui se trouvaient en ce moment avoir à
Villeneuve une réunion synodale : après les avoir tués, ils les jetèrent
dans un puits. S'il faut en croire la tradition, Jean de Serres, et même le
célèbre Olivier, ne furent pas étrangers à ces cruautés.
-
- Lors des secondes guerres de religion, Louis XIII, après
avoir terminé le siège de Privas, parcourut le reste du Vivarais pour en
compléter la pacification; il vint à Villeneuve, où il passa plusieurs
jours, et y fonda un couvent de capucins : il espérait que ces religieux,
voués par une vocation spéciale à la prédication populaire, achèveraient,
par la persuasion, des conversions commencées par la force. Après avoir
exterminé Privas, Louis XIII chercha à s'attacher Villeneuve (5) par des
concessions et des bienfaits.
-
- Villeneuve a donné naissance à quelques personnages
illustres, entre autres à Olivier de Serres, qui introduisit et popularisa
la culture du mûrier, non-seulement en Vivarais (4), mais dans toute la
France. Olivier de Serres est surtout connu par son bel ouvrage intitulé :
Théâtre d'agriculture et ménage des champs que Henri IV se faisait lire de
temps en temps. Villeneuve-de-Berg a élevé à la mémoire d'Olivier un
monument assez remarquable qui embellit une de ses places principales. Le
frère de ce grand homme, Jean de Serres, était historiographe de France.
-
- (1) En mai 1628, trente hommes s'y
défendirent pendant quatre jours contre quatre mille hommes et une
artillerie de siège. M. de Ventadour prit le château et le rasa.
- (2) Il faut lire, dans les
Commentaires du Soldat du Vivarais, le récit intéressant du siège de
Mirabel, qui eut lieu un an avant le fameux siège de Privas.
- (3) Nous renvoyons ici à la fin de la
troisième partie de notre préface historique, où nous rappelons ce qui
s'est passé à Villeneuve en 1788 et 1789.
- (4) On peut lire, dans la seconde
édition de l'Éducation des mères de famille, par M. Aimé Martin, de
très-belles pages sur les changements heureux que la culture du mûrier a
apportés dans les mœurs et la civilisation des habitants d u Vivarais.
-
- L'auteur du Monde primitif comparé, Court de Gébelin,
est aussi né à Villeneuve.
-
- Une autre illustration de Villeneuve est l'abbé Barruel,
jésuite et aumônier de la princesse de Conti. Ce célèbre abbé se fit
connaître d'abord par sa collaboration à l'Année littéraire de Féron,
depuis, il fit divers ouvrages politiques et religieux: les plus estimés
sont les Helviennes et le Jacobinisme dévoilé. L'abbé de Barruel est mort
le 5 octobre 1820.
-
- Nous citerons encore, parmi les hommes distingués qu'a
produits Villeneuve, M. de la Boëssière, ancien avocat général au parlement
de Grenoble. Ce magistrat, mort, il y a peu d'années, conseiller à la cour
de Nîmes a publié les Commentaires du Soldat du Vivarais, qu'il a enrichis
de quelques notes; c'est lui qui provoqua, au commencement de ce siècle, la
réimpression des oeuvres d'Olivier de Serres.
-
- Près de Villeneuve, sur les pentes du Coiron, (1) on va
voir les rampes de Montbrun, si curieuses pour le naturaliste et si
intéressantes pour le peintre.
-
- Ces rampes sont tracées sur un sol couvert de laves et
de pouzzolane ; elles s'élèvent, par cinq détours successifs, jusqu'aux
flancs de la montagne volcanique qu'on appelle les Balmes de Montbrul. De
la route, on aperçoit sur la gauche un rocher à pie où ont été creusées une
multitude de grottes, on dirait les casiers d'une ruche colossale. Les
parois de ce rocher semblent quelquefois coupées dans certaines parties,
comme des murs de maçonnerie ; d'autres fois, des scories gigantesques
imitent la forme de tours et de bastions. Ce précipice bizarre, qui a
quatre-vingts toises de profondeur sur cinquante toises de diamètre, fut le
cratère ou la bouche latérale d'un ancien volcan; sur l'une des saillies
les plus élevées de ce cratère, pendent des murs et des fortifications
véritables qui appartiennent à une ancienne chapelle et à un vieux château.
Il est fort curieux de visiter les autres souterrains taillés dans le roc
volcanique; ils communiquaient les uns avec les autres par des
plates-formes et des marches taillées dans la matière calcinée: c'est comme
une vaste maison à quinze ou vingt étages.
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- NOTA. La population actuelle de Villeneuve est de deux
mille cinq cents âmes (1842). On compte trois lieues de Villeneuve à
Aubenas, en passant par la Villedieu, et en suivant la route royale.
-
- (1) La chaîne du Coiron, qui se termine, du côté du
Rhône, au volcan de Chenavari, se relie, par le col de l'Escrinet, aux
cratères éteints de la rive gauche de la Volane jusqu'à Mezilhac. Suivant
l'opinion de plusieurs géologues, les volcans du Coiron seraient
antédiluviens, tandis que ceux de Jaujac, de Thueyts et de Montpezat
seraient postdiluviens, ceux des hautes montagnes du Vivarais, depuis
Font-Ollières et Yssarlès , jusqu'au Gerbier-de-Jonc et au Mezinc,
formeraient une troisième classe de volcans d'une antiquité encore plus
reculée que ceux du Coiron.
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