JAUJAC.

Extrait de l'Album du Vivarais, Albert Dubois, 1842.

 

Jaujac en 1842

 

LA COUPE DE JAUJAC ET LE PAVÉ DES GÉANTS.

LES RUINES DE VENTADOUR.

LE VOLCAN DE NAYRAC OU DE ST LÉGER.

 

En sortant de Largentière, on suit une route montueuse, le long de la gorge; on laisse sur la droite de jolis villages ornés de clochers (1), qui élancent à travers les arbres leurs flèches aiguës. Arrivé, après deux heures de chemin, sur un col élevé, on est dominé, sur la gauche, par les hautes montagnes de la Lozère, et on aperçoit à une grande profondeur, d'un côté, Saint-Cyrgues, la Souche, et tout le vallon qui conduit à Pradelles, et de l'autre, Jaujac avec ses fabriques, ses maisons de campagne, et son cratère éteint, revêtu maintenant de forêts magnifiques. Au-delà de Jaujac, on voit, sur le couchant de la montagne opposée, des débris de fortifications, c'est le vieux château de Jaujac dont les ruines datent du temps des guerres religieuses.

 

Au moment où nous descendions, le soleil, avant de se coucher derrière les montagnes, illumina de ses rayons ces fraîches vallées, coupées de bois, de ruisseaux et de prairies; puis il se cacha et laissa toute cette brillante végétation ensevelie dans les teintes grisâtres d'une soirée assez sombre. L'enchanteur avait disparu, et la nature avait perdu presque tous ses charmes.

 

Nous nous sommes empressés d'aller visiter, le lendemain matin, les eaux minérales dites de Peschier (2), et le cratère de Jaujac, qui est au-dessus.

 

Ce cratère n'offre pas la forme parfaite d'un cône renversé comme ceux d'autres volcans éteints que nous avons vus depuis; il se dessine d'abord comme une immense crevasse longitudinale, de près de mille pas de longueur sur cent de large. C'est par cette espèce de défilé, ombragé aujourd'hui par des châtaigniers (3) trois fois séculaires, que l'on parvient avec facilité dans l'intérieur de la coupe.

 

Il est plus pénible de faire le tour extérieur des sommités du cratère; on marche là sur des laves spongieuses, sur des scories qui présentent de nombreuses aspérités. Dans l'une de ces excavations formées par ces matières volcaniques, la superstition du moyen âge a placé la mystérieuse demeure des fées du pays : la nuit, on les voit encore de temps en temps, dit-on, voltiger sur ces cimes calcinées.

 

(1) Il y a entre autres, près de là, le clocher de Chassiers.

(2) Ces eaux minérales contiennent beaucoup d'acide carbonique et sont très salutaires pour certains maux d'estomac.

(3) Nous n'y avons pourtant pas vu d'arbres aussi gros que sur les pentes de l'Etna.

 

La force expulsive de ce volcan a été prodigieuse; nous avons suivi les laves qu'il a lancées et qui se sont cristallisées en basaltes sur les bords de l'Alignon elles y occupent un espace de plusieurs lieues.

 

Ces laves, qui se sont étendues comme une espèce de table horizontale entre les collines et le ruisseau, ont formé des cirques d'une grande beauté, presque au sortir de Jaujac : les basaltes, tantôt carrées, tantôt pentagones et quelquefois même octogones, représentent comme dés colonnes engagées qui soutiennent l'espèce de rempart aux pieds duquel vient se briser là fureur des eaux de l'Alignon. On distingue parfaitement le point de jonction des basaltes et du granit sur lequel ils sont venus s'appuyer. Souvent des sources abondantes suintent entre ces rocs de diverses formations, et marquent très bien leur ligne séparative. Le naturaliste et l'architecte remarquent avec étonnement, et sans pouvoir s'en rendre raison, que la grosseur de ces colonnes de basalte est presque toujours en raison de leur hauteur. Ainsi la nature aurait observé, dans leur formation, les préceptes de l'art.

 

Nous avons marché sur ce pavé des géants, élevé de soixante, à quatre-vingts pieds au-dessus du niveau de la rivière, pendant l'espace de plus d'une heure; nous avons vu de loin, sur notre gauche, un des côtés du cratère de Nayrac ou de Saint-Léger (1), plus curieux encore que celui de Jaujac. Nous en reparlerons tout à l'heure. De là encore ont coulé des torrents de lave qui sont venus, sur la rive gauche de l'Alignon, dresser de nouveaux remparts de basalte en face de ceux de la rive droite.

 

Nous sommes allés aboutir au pont de la Beaume, où des colonnades de basalte (2) s'élèvent au-dessus de la grande route elle-même.

Ce site a encore plus d'intérêt et de grandeur quand on l'aborde par la route d'Aubenas. De ce côté, la vallée, après s'être considérablement élargie, se resserre tout à coup, comme encombrée par les débris accumulés de plusieurs volcans. La montagne rapide sur laquelle s'élève le clocher de Niaigle semble présenter au voyageur des colonnes d'Hercule. Tout à coup la route tourne et s'engage entre les pavés des géants; un village est bâti à l'abri de ces boulevards formés par la nature : c'est le pont de la Baume.

Une forteresse en ruine qui s'élève en face, sur une éminence basaltique, domine au loin cet étroit défilé ; c'est Ventadour.

 

La position de ce château était très forte: il commandait à la fois les rives de l'Ardèche et celles de la rivière de Fontaulières ; il fermait les trois routes de Jaujac, de Thueyts et de Mayras.

 

(1) Voir, sur ce volcan, le chapitre Ix du tome II de l'Histoire de la France méridionale, par Giraud-Soulavie.

(2) Là les colonnades de basalte ont moulé leurs bases sur une espèce de poudingue d'une dureté infinie, et cimenté, à ce qu'il paraît, parla lave en fusion.

 

Quand une famille féodale possédait un fort aussi admirablement situé, il était impossible que, dans un temps donné (1), elle ne devînt pas puissante.

 

Un site pareil n'a rien d'analogue avec ce que peuvent présenter de plus beau les Pyrénées, les Alpes ou les Apennins ; il suait pour caractériser la physionomie particulière de cette portion du Vivarais. On ne trouve ici ni glaciers, ni amphithéâtres grandioses se perdant dans la vapeur des lointains horizons; ce sont des tableaux resserrés et sévères, dont la lave aux teintes noirâtres fait le fonds, et où mille accidents de ruines et de végétation ressortent comme des ornements aussi riches de formes que de couleur.

 

La même nature se reproduit en remontant le cours de l'Ardèche du côté de Thueyts; elle offre, de plus, quelques particularités intéressantes pour le géologue. Telles sont ces grottes, dont les voûtes formées par des basaltes présentent l'aspect de mosaïques aux larges proportions (2).

 

A une demi lieue du pont de la Baume, au commencement de la montée rapide qui conduit à Thueyts ; il faut quitter la grande route, traverser l'Ardèche, et aborder par ce côté l'ancien volcan de Nayrac ou de Saint-Léger. Il n'est exhaussé au-dessus de l'Ardèche que de la hauteur d'une table basaltique de douze à quinze mètres, sa forme est celle d'un amphithéâtre demi-circulaire. Sur la droite se trouve un petit hameau habité par des laboureurs qui cultivent le cratère du volcan. Autrefois, il y avait dans ce lieu une église bâtie en l'honneur de saint Léger (3), évêque d'Autun, et on y avait établi une maladrerie ou hôpital de lépreux.

 

Les sources d'eau chaude du volcan avaient une immense réputation pour guérir la lèpre, rapportée d'Orient par les croisés; nous avons retrouvé cette fontaine d'eau thermale, aujourd'hui mal séparée des eaux froides qui l'entourent, telle qu'elle est, elle a encore vingt-deux degrés de chaleur. Nous sommes convaincus qu'avec des travaux peu dispendieux on pourrait purifier encore cette source précieuse, et que son efficacité surpasserait alors celle des eaux les plus renommées pour la guérison des maladies de la peau. Nous connaissons des personnes qui les ont prises en transportant un bain et des meubles dans une chaumière voisine; elles en ont éprouvé des effets surprenants. Dans l'intérêt de l'humanité, nous appelons l'attention des spéculateurs sur les eaux de Nayrac.

 

Lorsque la maladie de la lèpre disparut de l'Occident, la maladrerie de Nayrac tomba en ruines, et, quant à l'église, elle fut pillée, dévastée et démolie par les protestants dans le temps des guerres de religion.

 

Près des sources d'eau chaude, il y a, dans la même prairie, des sources d'eau froide qui paraissent aussi avoir quelque vertu.

 

On remarque soit dans cette prairie, soit dans la vigne qui est au-dessus, des trous d'où s'échappent des gaz méphitiques. Ces trous sont soigneusement entretenus par les paysans des environs, comme des espèces de soupapes pour le dégagement des vapeurs délétères. Quand on ferme ou qu'on laisse boucher ces soupapes, le gaz se répand tout à l'entour, et brûle l'herbe ou les plantes qui sont auprès.

 

On retrouve là le même phénomène que l'on fait observer aux voyageurs à la fameuse grotte du Chien, près de Naples; seulement les convulsions et les syncopes sont produites plus rapidement sur les poules ou sur les chiens qu'on approche des trous méphitiques de Nayrac : deux minutes suffisent pour leur donner une mort complète.

 

(1) voici quels sont les souvenirs historiques qui se rattachent au château de Ventadour

Les Guigons, barons de la Roche-en-Regnier, dans le Velai, sont les plus anciens propriétaires connus de ce château, qui portait le nom de CHATEAU DE LA CROISETTE ; il passa à la maison des Ventadour par le mariage de Guigonette avec le duc de Ventadour, originaire du Limousin, lequel donna son nom à ce château et à cette terre.

Le château de Ventadour fut détruit en 1696 ; voici comment :

Le seigneur de ce château, qu'on désigne dans cette chronique sous le nom de baron des Eperviers (du nom d'un château féodal qui est tout près du village de Saint-Cirgues-en-Montagne, dont il était seigneur sans doute), était du parti des protestants et tenait une garnison dans son château de la Croisette de Meyras, situé sur la route du bas Languedoc, en Auvergne, d'où il donnait de grandes inquiétudes aux catholiques de Meyras, avec lesquels il guerroyait tous les jours.

Le sieur des Alros, propriétaire du domaine des Alros, commune de Montpezat, où son frère était prieur, réunit deux ou trois cents catholiques, dont vingt-cinq de Montpezat, et, ayant vu sortir du château les soldats qui le gardaient, il l'investit et se rendit maître de la basse-cour, où le combat fut très-bon, bien attaqué, par pétards, échelles et mantelets, et bien défendu par douze ou quinze hommes qui étaient dedans. Le combat dura tout un jour, et le château tomba enfin au pouvoir des assiégeants, qui le mirent dans l'état où nous le voyons aujourd'hui. (Note fournie par M. Salma, de Montpezat.)

(2) Quelquefois, dit Giraud-Soulavie, ces monticules, affaissés par des causes et dans des temps postérieurs aux éruptions et aux refroidissements, présentent des voûtes de basalte qui soutiennent par la géométrie de leur architecture, des carrières énormes de basaltes supérieurs. Ces voûtes, dont les pierres de basalte forment plusieurs points et en même temps plusieurs faces qui pointent contre le centre des arcs, sont ainsi de la plus haute antiquité, etc. ( Pag. 74, tom. Il, ouvrage déjà cité.)

(3) S'il faut en croire la légende relative à cet évêque, ses ennemis lui tirent endurer toutes sortes de souffrances: il fut traîné dans une pièce d'eau froide, puis jeté de nouveau dans les ruisseaux fangeux d'une rue. C'est en l'honneur des souffrances de ce saint que les bains de Nayrac lui furent dédiés et prirent le nom de Bains de Saint-Léger. (voir la Vie de saint Léger, qui vient de paraître, par Dom Pitra, bénédictin).

 

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