Pont LOUIS XIII sur l'Ouvèze
 Extrait de l'Album du Vivarais, Albert Dubois, 1842.
 
 
Chomérac.
ROUTE DU POUZIN A PRIVAS.
 
A un quart de lieue du Pouzin, on quitte la route latérale du Rhône pour prendre celle de Chomérac et de Privas. Le chemin du Pouzin à la capitale de l'Ardèche est un peu plus long que celui de Coux, mais il est plus découvert et plus varié. Cependant, le premier aspect de la vallée de Chomérac n'est pas flatteur ; ce ne sont d'abord que des champs arides et sillonnés de ravins ; Un peu plus loin on aperçoit, dans le fond du paysage, la montagne volcanique de Saint Vincent de Barrès et le revers du Coiron, sur le premier plan des châteaux modernes et antiques (1), et une foule de fabriques entourées de verdure animent et embellissent la campagne. Enfin, Chomérac se présente sur un petit mamelon; on distingue à peine, sur la droite, son ancien château ait milieu d'une foule de blanches maisons.
 
Chomérac a été, pendant les guerres de religion, le théâtre d'une foule d'exploits, racontés avec des détails infinis par les chroniqueurs du temps. « Ce lieu, quoique petit, dit le Soldat du Vivarais dans ses Commentaires, était si commode à ceux qui en étaient les maîtres, que c'est celui de la province qui a été le plus pris et repris. » Dans les premières guerres, le sire de Pampelonne prit Chomérac sur les protestants; il y fut assiégé à son tour, et s'y défendit avec une admirable constance jusqu'à ce que M. de Montréal vint le secourir et le dégager. En 1626, le sire de Rochemaure, châtelain de M. de Ventadour, y fut surpris et tué par les religionnaires. Deux ans après, le duc de Montmorency usa de représailles: après être entré de force dans Chomérac, il traita la garnison avec une excessive rigueur; il fit pendre quelques officiers et un grand nombre de soldats.
 
1) Entre autres, le joli château de Granoux, qui appartient à M. le comte de Joviac, et le vieux Chareau de Moras, qui a soutenu plusieurs sièges dans le temps des guerres de religion.
Privas
I
Temps anciens.
 
En quittant Chomérac, on passe par les gorges arides d'Alissas, et on arrive sur un plateau élevé d'où l'on commence à découvrir la ville de Privas, on en est séparé par une gorge profonde où coule l'Ouvèze, qui forme des chutes d'eau assez remarquables. En voyant cette ligne de grandes et belles maisons qui couvrent l'esplanade, ce portique grec du palais de justice, qui se perd à moitié dans l'ombre, sur la droite, ces villas et ces fabriques élégantes qui garnissent la colline inférieure, on dirait l'abord de quelque ville importante et monumentale; malheureusement l'attente du voyageur est déçue quand il approche. Privas est comme certaines boutiques de Paris où tout ce qu'il y a de mieux est sur la devanture, à l'étalage, l'intérieur ne répond pas à l'extérieur.
 
On est un peu étonné, après avoir traversé, en deux ou trois minutes, la ligne peu profonde des maisons de Privas, de trouver, de l'autre côté, une autre gorge plus escarpée encore que celle de l'Ouvèze. Une espèce de village moyen âge, avec quelques ruines de vieille forteresse, est plaqué sur la pente opposée: c'est Tournon les Privas.
 
Une colline en forme de pain de sucre, surmontée de trois croix, domine la ville, c'est là qu'était le fort de Tournon. On a peine à distinguer des vestiges de ce fort, qui se défendit plusieurs jours contre l'armée de Louis XIII.
 
Plus près de l'esplanade, sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui un temple protestant et le collège, était l'ancien château de Privas, il ne reste plus rien aujourd'hui de ce château, si célèbre dans les fastes des guerres de religion du Vivarais.
 
On aperçoit, au loin dans la plaine, le vieux castel d'Entrevaux avec ses tours massives, c'est là que logea Louis XIII quand il vint assiéger Privas.
 
Privas n'a pas, que nous sachions, la prétention de remonter aux Romains, mais son origine se perd dans la nuit du moyen âge.
En 1110, le pape Pascal Il y passa en se rendant en Italie.
 
Un vieil acte (1), qui est à la date de 1444, contient l'hommage du tenancier du moulin du seigneur à son suzerain Agénor de Poitiers, seigneur de Privas, ainsi cette ville faisait partie des domaines de la puissante famille de Poitiers. On regardait Privas comme la capitale de la contrée montagneuse et sauvage des Bouttières. Au seizième siècle, c'était une place importante par la force de ses remparts et par l'intrépidité de ses habitants, elle fut une des premières, en France, qui embrassa la réforme: dès 1560, elle se déclara pour le parti du prince de Condé.
 
(1) Fait qui m'a été communiqué par l'honorable M. de Lagarde, avocat, ancien magistrat et avocat au tribunal de Privas.
 
En 1574, François de Montpensier, dauphin d'Auvergne, commandant les armées du roi, après avoir détruit et brûlé le Pouzin, vint mettre le siège devant Privas. Les malheureux habitants du Pouzin, qui avaient échappé au sac de leur ville, étaient venus doubler les forces de la place assiégée; Saint Romain, l'un des plus braves capitaines du parti protestant, s'empressa de venir la secourir et la ravitailler. Le prince dauphin, malgré la supériorité de ses forces, fut obligé de battre en retraite après avoir été repoussé dans deux assauts.
 
Sous Henri IV, et pendant la minorité de Louis XIII, Privas, illustrée par cette belle défense, fut regardée comme l'une des places de sûreté les plus importantes de l'Église protestante. Dans tout son territoire, on ne comptait guère de catholiques, le marchand de la ville et le rude paysan des Bouttières. Le serf attaché à la glèbe et le seigneur suzerain, le vilain et le gentilhomme, tous professaient avec une égale ardeur le culte nouveau.
II
Mariage de Mme de la Tour-Chambaud
avec
le vicomte de Cheylane-Lestrange,
 
Mariage malgré l'opposition des habitants de Privas et des religionnaires du Vivarais.
 
Il y aurait, dans cette anecdote historique, la matière d'un roman en deux ou en quatre volumes; on pourrait aussi en faire un drame shakespearien, pour peu qu'on voulût en rembrunir les couleurs. Quant à nous, qui ne pouvons pas donner ses coudées franches à la folle du logis, nous en sommes réduit à analyser les chroniques du temps avec une concision qui court le danger de dégénérer en sécheresse. Nous fournissons le bloc informe ou à peine dégrossi. Un artiste plus heureux ou plus habile le façonnera à son aise, sans être gêné dans ses allures, ni circonscrit dans d'importunes limites.
 
Le château de Privas appartenait, à la fin du seizième siècle, à la femme de Chambaud. Cette famille avait soutenu avec courage la cause des religionnaires dans les années orageuses qui suivirent la Saint Barthélemy, et leur dernière héritière l'apporta en dot, en 1601, à M. de la Tour-Gouvernet, gentilhomme dauphinois de la même secte qu'elle.
 
M. de la Tour-Chambaud, qui avait ajouté le nom de sa femme au sien, fut appelé par le roi au gouvernement du Vivarais, il montra beaucoup d'impartialité dans son administration, entre les divers partis qui agitaient cette province, et s'était concilié la faveur universelle. Le service du roi l'appela en Piémont, où il servit en qualité de maréchal de camp; Sous le règne de Henri IV, il y mourut, victime de l'intempérie du climat des Alpes (1).
 
Cette mort, qui devait être si fatale à Privas, fut d'abord vivement pleurée par Mme de Chambaud-la- Tour, elle reporta alors toutes ses affections sur sa fille, unique fruit qui lui restât de sa trop courte union, Puis, pressée de lui donner un protecteur, elle la maria, de l'avis des consuls et des ministres de Privas, à Joachim de Beaumont, baron de Brison, l'un des chefs protestants les plus vaillants et les plus fougueux de ce temps là.
 
Il y a des époques de la vie sur lesquelles toutes les fatalités semblent se réunir. Peu de mois après que la jeune damoiselle de Chambaud eut épousé M. de Brison, elle mourut presque subitement, laissant sa malheureuse mère atterrée de ce nouveau deuil, et comme isolée sur la terre entre deux tombeaux.
 
Les membres d'une noble famille d'une terre voisine, la famille de Lestrange, barons de Boulogne, parurent prendre un vif intérêt au sort cruel de Mme Paule de Chambaud, ce fut d'abord la vieille Mme de Lestrange qui reçut dans son sein les pleurs de la triste veuve; peu à peu tous les habitants du château de Boulogne furent admis dans l'intimité de sa douleur, et vinrent lui faire de fréquentes visites.
 
Or, il faut dire ici que le baron de Lestrange, l'un des plus illustres et des plus puissants seigneurs du Vivarais, s'était placé, dans les premières guerres de religion, à la tête du parti catholique de cette province, par son bouillant courage et son inflexibilité.
 
On remarqua bientôt que, parmi les habitants de Boulogne (2), ce n'était plus Mme de Lestrange ni le vieux baron qui prenaient le plus souvent le chemin du castel de Mme de la Tour, mais bien le jeune vicomte de Cheylane, leur fils. Là dessus, la malignité publique, qui devine souvent si juste alors même qu'on croit qu'elle calomnie, n'épargna ni les commentaires, ni les conjectures. Bientôt le bruit courut que le vicomte de Cheylane-Lestrange aspirait à la main de la belle veuve, et que, de son côté, Mme Paule de Chambaud-la-Tour ne repoussait pas trop durement les hommages de ce seigneur.
 
Alors l'alarme fut grande dans Privas et dans la contrée des Bouttières. Cette population, presque toute protestante, s'émut à la seule idée qu'elle pourrait devenir vassale d'un Lestrange, dont le nom se rattachait aux plus énergiques réactions des catholiques. Le jeune vicomte joignait sans doute, à l'enthousiasme religieux de sa famille, l'impétuosité de son caractère et l'emportement de son âge, que deviendraient donc, sous sa suzeraineté, les nombreux villages des Bouttières, et la ville de Privas elle-même, considérée jusqu'alors comme une des places de sûreté des calvinistes ?
 
(1) D'Aubigné, tom. Ili, liv. 5, chap. 9.
(2) Le château de Saint Etienne de Boulogne est près de Vesseaux, sur la route de Privas à Aubenas; nous en parlerons dans un des articles suivants.
 
Ces inquiétudes, manifestées avec chaleur et souvent avec insolence, effrayèrent la dame de Chambaud. Elle craignit quelque violence de la part des habitants des Bouttières, et, pour se retirer de leurs oppressions, dit un chroniqueur du temps, elle songea tout de bon à ce qu'autrement elle n'aurait jamais pensé, c'est à dire à prêter l'oreille aux propositions que le jeune vicomte de Lestrange était sur le point de lui faire.
 
D'un autre côté, M. de Brison, chef des protestants, se déclara le rival du vicomte de Cheylane. Quoique veuf de la fille de Paule de Chambaud, il ne craignit pas de demander ouvertement la main de sa belle-mère, au mépris de toutes les lois civiles et humaines. Les ministres de la prétendue réforme, qui trouvaient l'intérêt de leur parti dans cette union, ne manquèrent pas d'arguments pour en démontrer la légitimité. Ils se joignirent aux consuls de Privas pour engager leur suzeraine à y consentir, et à leur donner ainsi pour seigneur un de leurs plus illustres coreligionnaires. Mais Brison n'inspirait qu'horreur et dégoût à Mme de Chambaud. Il lui semblait qu'il fallait passer à travers le cercueil de sa fille pour s'unir à cet homme, elle repoussa donc avec une profonde répugnance l'idée de cette espèce d'inceste, qui outrageait chez elle les sentiments les plus sacrés de la nature.
 
Il y eut alors beaucoup de démarches, de manœuvres et d'agitation en Vivarais, tant dans un parti que dans un autre. M. de Montréal (1), l'un des seigneurs les plus influents de cette contrée, invita le jeune vicomte de Cheylane à se trouver chez lui avec les principaux chefs des catholiques. Là, il l'encouragea à poursuivre avec ardeur les démarches qu'il avait commencées pour obtenir la main de Mme de la Tour-Chambaud. Et comme il s'agissait, disait-il, de l'intérêt de la vraie religion dans le pays, et qu'il fallait lutter contre l'opinion et les répugnances des populations des Bouttières, il se faisait fort d'assurer à cette entreprise l'appui de M. le due de Montmorency, gouverneur du Languedoc. Là dessus le vieux baron de Lestrange s'écria: « Mort non Dieu ! Il ne me chaud ni de leur bruit ni d'eux-mêmes ; Et si le vicomte y est porté, nous y mourrons ou nous en viendrons à bout. Je sais bien que nous aurons sur les bras toute la ribaudaille des huguenots; mais nous les avons déjà vus autrefois, nous ne craindrons pas de les revoir encore (2). »
 
Pendant ce temps, des scènes non moins vives se passaient chez les réformés.
 
(1) M. de Montréal était un Balazuc.
(2) Il semble qu'un catholicisme ardent, quoique manifesté de manières diverses, ait été héréditaire dans cette famille. L'un des derniers descendants de ce fier et impétueux baron, le fameux abbé de Lestrange, a été l'austère réformateur de l'ordre des trappistes.
 
Leurs ministres, voyant que toutes leurs instances n'auraient aucun succès auprès de Mme Paule de Chambaud, convoquèrent une assemblée consistoriale à Privas, là, le plus notable d'entre eux prend la parole, et s'élève avec amertume contre le projet de mariage de M. de Cheylane-Lestrange avec la veuve de leur seigneur :
 
Ce serait, dit-il, la ruine de Privas et de nos églises de cette contrée. Autant vaudrait la domination papale que la domination des Lestrange. Cette maison, que-nous avons eue toujours pour ennemie, n'a t'elle pas pour partisans ou pour séïdes tous les papistes du Vivarais ?
 
Si elle réussit à établir sur nous sa puissance, nos pasteurs seront chassés du pays, l'idolâtrie de la messe sera établie dans nos temples, et tous les réformés auront à choisir entre l'apostasie et la persécution. M. de Montréal et M. de Lestrange se proposent déjà le partage de Privas et des Bouttières, comme ils ont partagé jadis le haut et le bas Vivarais. Ne demeurons pas stupides spectateurs de leurs ambitieux complots, demandons à M. de Brison son assistance, son affection pour notre foi et son dépit des refus qu'il a essuyés nous sont garants de son zèle. On fait de grands préparatifs au château de Privas pour recevoir M. de Cheylane en qualité de fiancé, préparons-nous à lui en empêcher l'entrée ou à lui en fermer les issues, d'une maison qui a protégé cette ville et notre parti, ne laissons pas faire une citadelle pour nous détruire.
 
A la suite de ce discours, les réformés jurent de s'opposer, par tous les moyens, au mariage de la veuve de M. de la Tour-Gouvernet avec un seigneur catholique. « Que si la force ne peut l'empêcher, dit le Soldat du Vivarais (1), les suites et charivaris en seront si grands et si sanglants, que toute la France en retentira. »
 
M. de Brison se rend avec empressement aux vœux de ses coreligionnaires; il convoque de nombreux renforts dans les Bouttières, ainsi qu'à Vals, Aubenas et Mayres, et fait faire des fossés et des barrières pour défendre la ville et bloquer le château. Plus de neuf cents hommes sont sous les armes, sans compter les gens de Privas.
 
Une femme multiplie ses ressources à mesure qu'on multiplie les obstacles autour de la passion qui domine son cœur. Mme Paule de Chambaud, indignée de ce que ses vassaux prétendent la traiter, non plus comme une suzeraine, mais comme une esclave, se promet bien de ne pas céder à la contrainte qu'ils veulent exercer sur elle; elle oppose la ruse à la force. Tandis que des centaines de huguenots veil­lent armés devant le pont-levis de son château pour en défendre l'entrée, elle fait pratiquer une petite porte secrète sur les derrières de ses remparts, du côté de la campagne; elle introduit par-là le sire de Lestrange. Le lendemain, le mariage devait se célébrer dans la chapelle du château; mais, le soir même, quelque indiscret dénonce aux Privadois cette entrée furtive: pendant la nuit, les réformés cernent le château de toutes parts.
 
(1) L'auteur des Commentaires du Soldat du Vivarais est Pierre Marcha, protestant converti de Privas, qui fut envoyé dans l'armée catholique, commandée par le due de Montmorency. Ces Commentaires ont été publiés et édités par M. de la Boissière, ancien membre du parlement de Grenoble, mort conseiller à la cour royale de Nîmes.
 
« Les amis du vicomte, qui étaient venus l'accompagner à noces, dit un contemporain, se trouvent bien alors à une autre fête (1). » Cependant ils font leurs préparatifs pour se battre, aussi gaiement qu'ils auraient fait leur toilette de bal, et ils envoient force arquebusades aux gens de Privas, en réponse à leurs travaux de siège contre le château. Averti du danger où se trouvait son fils, le vieux baron de Lestrange arrive, avec quelques seigneurs de ses amis et deux mille hommes, à Saint-Priest, pour attaquer Privas et dégager les assiégés. Une terrible prise d'armes semblait imminente; Déjà quelques coups de feu s'échangeaient de part et d'autre.
 
A ce moment, M. de Blacons, beau-frère de feu M. de la Tour-Gouvernet, arrive du Dauphiné en toute hâte pour interposer sa médiation entre les combattants. Par la menace et la prière, il obtient des chefs protestants de Privas la cessation des hostilités et la libre sortie du vicomte de Cheylane ; il se rend ensuite au château, et, à force d'instances, il fait consentir la belle veuve et son fiancé à suspendre les préparatifs de leur mariage, qui ne pouvait s'inaugurer que par le sang et les larmes; Il leur fait entrevoir qu'en gagnant du temps, l'agitation des esprits pourra se calmer, et qu'ils trouveront plus tard moins d'inconvénients et d'obstacles à satisfaire aux engagements de leurs cœurs.
 
Alors (2), le vicomte de Cheylane se décide à sortir du château de Privas, pour se rendre à Boulogne, chez son père.
 
Deux jours après, M. de Brison licencie sa petite armée, et le corps de troupes venu d'Aubenas et de Vals est ramené par Châteauvieux.
 
Ces troupes commettent quelques désordres en passant sur la terre de Boulogne: le vieux baron de Lestrange, ne pouvant supporter qu'on insultât impunément ses vassaux, monte à cheval avec neuf ou dix cavaliers suivis de quelques fantassins, rencontre bientôt les cent cinquante hommes de Château vieux, et, voyant que ces insolents étaient plus chargés de chaudrons et de poules de ses vassaux que de civilités pour lui en faire réparation, il tombe sur eux comme un rude jouteur qu'il était, en tue trente-cinq ou quarante avec leur chef, et met les autres en déroute.
 
Cette sanglante rencontre ne fait qu'échauffer, contre la famille de Lestrange, les esprits des réformés du Vivarais, et, en particulier, de ceux de Privas. Voilà comme ils nous traitent aujourd'hui, disait-on ; que feraient-ils donc s ils réussissaient dans leurs projets de mariage, et qu'ils eussent à leur disposition, parla possession de notre château, les clés de Privas et des Bouttières ?
 
(1) Soldat du Vivarais.
(2) Le 2 janvier 1620.
 
Aussi, les Privadois continuaient d'intercepter toutes les issues du château, pour en interdire désormais l'entrée au vicomte de Cheylane, et ils tenaient leur suzeraine dans une étroite captivité. Pendant ce temps, Brison se gaudissait et se raillait de son rival. Il disait que, pour soi même, il pouvait bien avoir partie perdue, mais que, du moins, il avait contraint le vicomte à lâcher prise. Celui ci sentait son honneur autant que son amour aiguillonnés par de tels propos. Cependant, contenu par la vieille expérience de son père, le jeune homme restait immobile au château de Boulogne, mordant son frein en silence.
 
Il lui était prescrit d'épier une occasion favorable pour délivrer la dame de Chambaud, solitaire et emprisonnée dans son donjon; cette occasion ne se fit pas attendre longtemps. Un jour, que les huguenots, lassés, n'étaient pas sur leurs gardes, il se jette dans le château de Privas, mieux accompagné que la précédente fois, il profite de la première stupeur des Privadois pour achever la conclusion de son mariage, pendant que les siens veillaient aux portes et aux bastions du château. La belle Paule de Chambaud voyait un libérateur dans son nouvel époux; elle se jetait entre ses bras avec abandon et confiance, il était son seul refuge contre un rival odieux et contre les persécutions de ses vassaux. Quant au vicomte, fier des sentiments qu'il inspirait et du noble rôle qu'il s'était donné, il sentait doubler sa valeur et son enthousiasme.
 
Brison, accouru en toute hâte à la nouvelle de ce qui se passait dans le château, jura que le jeune Lestrange n'en sortirait pas comme il y était entré. Tout Privas se met sous les armes, pendant que lui-même occupe, avec quinze cents hommes de guerre, le fort de Toulon, situé au-dessus du château. Brison fait commencer des gabionnades et des tranchées contre les remparts, et ordonne même de faire jouer la sape contre les murs de la cour, mais ceux du dedans reçoivent les réformés en gens de cœur : plusieurs fois ils les forcent d'abandonner leur ouvrage de siège.
 
Le vieux baron de Lestrange, qui avait prévu un pareil trouble fête pour les noces de son fils, avait averti d'avance tous les seigneurs catholiques de ses amis, d'amener à son secours toutes les forces qu'ils pourraient réunir. Trois mille hommes furent bientôt rassemblés sous les ordres de M. de Montréal; de son côté, Brison avait fait demander des renforts aux chefs de son parti en Languedoc, et huit cents hommes venaient de lui arriver des Cévennes au pied du Coiron, sous la conduite de M. de Jarjaye, gentilhomme dauphinois. M. de Montréal, avec une partie de ses forces, alla à la rencontre de cette petite armée: il lui ferma les défilés qui conduisent à Privas, et l'attaqua si rudement, qu'elle se replia sur Villeneuve de Berg, ville dévouée alors aux huguenots; puis elle reprit le lendemain lechemin des Cévennes.
 
Le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, arriva à Villeneuve avec une noblesse nombreuse, quelques heures après la retraite de M. de Jarjaye. Pour se dédommager d'avoir manqué cette occasion de victoire, il alla sur-le-champ à Privas, où les assiégés du château réclamaient à grands cris du secours. Depuis dix jours, on leur avait coupé l'eau, de manière que, pendant ce temps, « dames et hommes d'armes ne burent ni ne cuisirent viande qu'avec du vin pur. » A l'arrivée de Montmorency suivi d'une armée de six mille hommes, Privas ouvrit ses portes et se soumit, les habitants demandèrent pardon de leur révolte, les soldats huguenots furent licenciés. Les nouvelles fortifications rasées. La messe, qui n'avait pas été célébrée dans la ville depuis quarante ans, y fut rétablie. Brison et Tavernol furent exclus du traité et de l'amnistie; il paraît qu'ils se réfugièrent dans les bois avec quelques bandes composées de ce qu'il y avait de plus fanatique dans leur parti.
 
Le château de Privas fut ravitaillé et ses murs réparés. Avant de partir, M. de Montmorency donna des ordres à ses officiers pour qu'ils protégeassent avec appareil la sortie de Mme de Chambaud, elle fut escortée par des troupes nombreuses jusqu'au château de Boulogne, ainsi que par M. de Lestrange dont elle prit enfin le nom en toute liberté et à la face du ciel.
 
III
Suite de la guerre civile dans les Bouttières.
Siège et prise de Privas.
 
La guerre civile des Bouttières ne finit pas avec le drame dont Paule de Chambaud était l'héroïne.
 
Les habitants de Privas, assujettis par le mariage de la dame de Chambaud au joug d'un seigneur catholique, en frémissaient d'indignation et de rage. Ils songèrent à s'affranchir de cette domination par la force; en conséquence, une conjuration s'organisa parmi eux: ils firent venir secrètement d'Orange des munitions de guerre, puis ils creusèrent une mine sous la grosse tour du château, où le roi avait fait mettre garnison, la firent sauter en l'air, forcèrent le capitaine Saint Palais à capituler, et rasèrent jusqu'en ses fondements le château féodal qui menaçait leur indépendance.
 
A cette nouvelle, un soulèvement général éclate en Vivarais. M. de Brison, l'amant dédaigné de Paule de Chambaud, descend du haut des Bouttières avec deux ou trois mille montagnards, les communes catholiques sont mises à feu et à sang, le vicomte et la vicomtesse de Lestrange sont bloqués dans leur château, M. de Montmorency vient les secourir, mais les troubles de Montauban le rappellent en Languedoc, et la guerre civile se continue avec des chances diverses entre les deux partis.
 
A cette époque, les protestants de France, inquiets des dispositions de la cour à leur égard, avaient résolu de réunir tous leurs efforts, afin de rendre leur indépendance complète, ou d'obtenir de nouvelles garanties du maintien de l'édit de Nantes. Ils tendaient à créer dans l'état un état séparé, ayant ses divisions administratives, ses chefs religieux, civils et militaires, cet état protestant était divisé en huit cercles, ces huit cercles en seize provinces, et chacune de ces provinces en colloques.
 
Afin de donner de la consistance à cette organisation hardie, ils résolurent de choisir pour généralissime un seigneur puissant et habile qui fût en position de leur procurer les secours de la Hollande et de l'Angleterre, ils jetèrent les yeux, à cet effet, sur le due de Bouillon.
 
On ne rencontrait pas alors, dans la haute noblesse, ce fanatisme religieux, cet enthousiasme ambitieux et guerrier, qui avaient signalé les déplorables règnes de Charles IX, de Henri III, et le commencement de celui de Henri IV. Malgré un repos de quelques années, il y avait encore de la lassitude et de l'épuisement chez ces puissantes familles, qui avaient tant travaillé à remuer le sol pour propager les idées des religionnaires, et peut être pour constituer à leur profit une féodalité nouvelle. Aussi, le tiers état protestant, qui était alors ce qu'il y avait dans ce parti de plus énergique et de plus vital, ne rencontra que de la répulsion ou tout au moins de l'indifférence chez la plupart de ces grands seigneurs qui marchaient autrefois à sa tête.
 
Le due de Bouillon ne voulut pas compromettre l'antique puissance de sa maison dans une entreprise qui lui paraissait hasardeuse et téméraire; il refusa le commandement qui lui était offert.
 
A défaut du duc de Bouillon, les colloques protestants songèrent à élire pour généralissime un homme qui devait à leur secte son élévation et sa haute fortune; qui s'était fait un marchepied du parti religionnaire pour arriver au faîte des honneurs et à une autorité presque souveraine dans son gouvernement de Dauphiné. Cet homme était le maréchal Lesdiguières.
 
Mais la position sociale qui est notre ouvrage nous est souvent plus précieuse encore que celle transmise par nos aïeux. On tient peut être plus encore à la conserver pour soi et pour ses enfants : On ne veut pas risquer de perdre en un jour le fruit des travaux, des agitations, des périls de toute une vie. D'ailleurs, les biens chèrement achetés dans la jeunesse et la maturité de l'âge, on désire en jouir en paix dans la vieillesse. Presque tous les maréchaux et généraux de l'empire se battirent mollement pour Napoléon aux environs de Paris et à Waterloo (1), plusieurs d'entre eux travaillèrent même à assurer leurs fortunes personnelles en sacrifiant les intérêts de leur ancien chef quand ils prévirent sa chute. Lesdiguières traita de même la prétendue réforme, qui avait été sa nourricière et sa patronne ; il repoussa le titre de généralissime des protestants de France: sa cupidité sut même résister à l'offre énorme de cent mille écus par mois, qu'on lui proposait pour appointements, ou, comme on dirait aujourd'hui, pour liste civile.
 
(1) un historien moderne a remarqué que deux généraux seulement se firent tuer à Waterloo.
 
Ce poste brillant et dangereux ne fut donc donné à personne. Mais bientôt il fut habilement saisi par un chef secondaire, par le général élu pour commander seulement les troupes protestantes de la province du haut Languedoc.
 
Ce chef appartenait à la branche cadette d'une maison souveraine de Bretagne, qui se regardait comme injustement déshéritée de ses états par les rois de France. Illustre par sa race et puissant par sa fortune, il croyait être pourtant un prince déchu, et aspirait à recouvrer la splendeur de ses ancêtres. Nos positions, autant que nos caractères, servent à expliquer nos actions politiques.
 
Ce chef militaire était Henri, due de Rohan, prince de Léon, descendant des anciens ducs de Bretagne. Par son génie pour la diplomatie, par son courage et par son talent pour la guerre, il donna une importance toute nouvelle à la révolte des protestants du Midi. Le soulèvement de Privas fut pour lui comme l'étincelle avec laquelle on met le feu à une longue traînée de poudre. Au commencement de l'année 1622, presque tous les réformés de l'ouest et du, midi de la France prirent les armes pour demander la franchise de leur culte.
 
Le duc de Rohan mécontenta le comte de Châtillon (1), qui avait été nommé commandant d'une partie du Languedoc au même titre que lui, et qu'il voulait dominer. Il parvint cependant à lui faire reconnaître sa suprématie, en se faisant conférer, au commencement de 1622, le titre de généralissime, par l'assemblée générale des religionnaires tenue à Montpellier.
 
Le duc de Rohan vint plusieurs fois appuyer en personne les insurgés du Vivarais, quand la paix fut conclue, au mois d'octobre 1625, il y fit comprendre Privas.
 
Pour cette fois, les Privadois s'en tiraient à bon marché. Le fort de Toulon fut rasé, mais le château de Privas ne fut pas reconstruit. M. de Lestrange fut obligé, pour se faire rendre justice, d'actionner les consuls comme représentant la ville, et de se conformer à la lenteur des voies judiciaires.
 
Pendant les trois années qui suivirent, le Vivarais respira, pansa ses blessures, cicatrisa ses plaies ; il n'y avait pas une seule famille noble (2) qui n'eût eu quelque perte à déplorer. Mais bientôt on vit peu à peu les vêtements de deuil faire place aux habits de fête; les gentilshommes de la contrée reprirent leurs vieilles habitudes de joyeuse vie, et on n'entendit bientôt plus parler que de banquets, de bals et de parties de chasse. L'ordre était rétabli et le brigandage partout réprimé par une justice sévère. Chacun, en jouissant de ce calme, ne se rappelait les troubles qui l'avaient précédé que pour les déplorer amèrement.
 
(1) Rohan et Châtillon sont les deux seuls grands seigneurs qui se soient mis, à cette époque, à la tête de la révolte protestante.
(2) Commentaires du Soldat du Vivarais.
 
Cette paix si douce ne devait pourtant pas être durable. Dans le cours de l'année 1625, une certaine fermentation sourde se fit remarquer en Vivarais les seigneurs des divers partis dérouillaient leurs armures et préparaient leurs munitions de guerre; on faisait même dans les montagnes des enrôlements secrets.
 
Ces mouvements étaient fomentés par le due de Rohan, qui travaillait encore à faire soulever tous les réformés du royaume; il comptait sur des secours étrangers. Dans ce vaste plan de confédération, la Rochelle devait être un autre Amsterdam, et il aurait créé, pour lui et pour sa famille, un stathoudérat héréditaire (1).
 
Au signal donné, tous les protestants du midi de la France prennent les armes, ceux du Vivarais ne sont pas des derniers à combattre pour la liberté de conscience, leur chef est toujours le courageux et cruel Brison.
 
Après des succès balancés, Rohan fait la paix avec Louis XIII, le monarque a consenti que le sujet discutât avec lui, et traitât presque d'égal à égal.
 
Cependant Brison, mécontent de cette paix, qu'il ne trouve pas encore assez avantageuse pour le Vivarais, et peut-être pour lui-même, continue de guerroyer quelque temps. Puis il fait avec Lesdiguières un accommodement particulier, où ses intérêts privés ne sont pas oubliés.
 
De semblables concessions devaient être et furent bientôt, en effet, suivies d'une insurrection nouvelle.
 
Très peu de temps après, Brison périt victime d'une imprudence, non sur-le-champ de bataille, mais dans le tumulte d'une fête (2), il laissa à son frère, M. de Chabreilles, l'héritage du commandant des réformés du Vivarais.
 
M. de Rohan parut se méfier de ce chef nouveau: ses soupçons étaient fondés. On sut plus tard que dès lors Chabreilles, le Marotto protestant de cette époque négociait sa défection avec le garde des sceaux Marillac, au prix de vingt mille écus. Pendant ce temps, Louis XIII revenait du Piémont, à la tête d'une armée victorieuse, bien décidé à comprimer et à châtier la rébellion des religionnaires du Midi.
 
Le duc de Rohan, alors en Languedoc, s'alarme pour lui-même à cette nouvelle; son inquiétude augmente quand il entend dire que le Vivarais est en voie de pacification et de soumission. A ce moment, plusieurs habitants de Privas viennent lui demander un chef et des renforts ; il comprend de quelle importance il est pour lui que cette ville offre aux armes royales une sérieuse résistance. Il avait besoin de quelque temps encore pour organiser ses moyens de défense dans le Languedoc, les Pyrénées et sur les rives de l'Océan, l'Angleterre lui avait promis des secours, il voulait en attendre l'envoi. Il s'empresse donc d'obtempérer aux désirs des gens de Privas, si bien d'accord avec les siens propres, et il leur dépêche en toute hâte un capitaine dont il est sûr. Ce capitaine était Saint-André-Montbrun, gentilhomme de Dauphiné, et fils du célèbre Montbrun qui, à la tête de quelques huguenots, avait résisté successivement aux armées de trois rois, et avait expié sur l'échafaud sa dernière victoire remportée sur Henri III en personne. Le jeune Saint-André-Montbrun avait fait ses preuves personnelles au siège de Montauban ; quant à son ardeur et à sa fidélité, elles avaient pour garant la tète de son père.
 
(1) La haute ambition du duc de Rohan ne pouvait se plier à la subordination d'une position secondaire. Quand il se réfugia à Venise, en 1629, il négocia avec le sultan la concession de la souveraineté de l'île de Chypre. Son projet était, après avoir été reconnu souverain de ce royaume, d'y attirer tous les protestants français, qui auraient joui, sous son sceptre, du libre exercice de leur culte.
(2) Il fut tué d'un coup de mousquetade dans un baptême, involontairement et par imprudence. Quelques auteurs protestants ont attribué cette mort à la perfidie homicide d'un catholique. Cette assertion ne parait pas fondée.
 
Saint-André-Montbrun arrive à Privas, il trouve les habitants indécis, les consuls découragés: on le laisse d'abord entrer seul dans la ville, en refusant d'en ouvrir les portes aux hommes d'armes qui l'accompagnaient; Saint-André insiste et obtient que sa petite troupe soit introduite auprès de lui, dans l'intérieur des remparts. Alors, les partisans de la paix appellent Chabreilles, qui se hâte d'accourir ; Le conseil de la ville et celui de la province s'assemblent sous la présidence de ce seigneur : Ils mettent en délibération si on ne donnera pas suite aux négociations commencées sous Louis XIII. Saint-André se rend au sein de ces réunions; il montre ses lettres de créance signées par le due de Rohan; il déclare qu'il ne sortira pas de Privas sans l'ordre de son généralissime. Il ne cache pas que son intention est de combattre jusqu'à la dernière extrémité. La fermeté et la décision de caractère ont par elles-mêmes une autorité qui subjugue, le conseil de la ville approuve les courageuses résolutions de Saint-André; Chabreilles lui-même n'ose pas les combattre trop ouvertement; seulement, il demande à ne pas être renfermé dans la place, puisque Saint-André se charge de soutenir le siège, et il obtient du conseil le commandement de quinze cents hommes, avec lesquels il se charge de harceler les troupes royales dans les défilés des montagnes.
 
De cette manière il se préparait les voies à une plus facile défection.
 
Quant à Saint-André, il ne perd pas de temps; il fait reprendre les travaux des fortifications, dont on ne s'était pas encore occupé. Grâces à ses soins, Privas, le fort Saint-André qui dominait Tournon lès Privas, Coux et le fort de Toulon, sont promptement mis en état de défense. Louis XIII fait de vains efforts pour le gagner; il lui offre jusqu'à cent mille écus : l'intrépide huguenot repousse avec indignation ce marché honteux.
 
Privas, réuni par une ligne de remparts aux forts de Saint-André et de Toulon, offrait une vaste enceinte, coupée de gorges et de collines, que l'armée royale pouvait difficilement bloquer. Les assiégés repoussent avec avantage les premières attaques; parmi les assiégeants, on a à regretter la perte du fils du duc de Montmorency.
 
Tournon les Privas et le fort Saint-André sont emportés par les troupes du roi alors, l'accès de Privas devient facile. Bientôt on apprend que tout ce qui était en état de porter les armes s'est réfugié au fort de Toulon; on n'avait laissé dans la ville que des malades, des blessés et des vieillards. Les femmes et les enfants, dès le commencement du siège, s'étaient réfugiés dans les montagnes des Bouttières.
 
Les deux régiments de la division royale entrent d'abord dans la ville avec lenteur et méfiance; puis, quand ils se sont assurés qu'ils n'avaient nulle embuscade à craindre, ils passent au fil de l'épée les malheureux qui n'avaient pu fuir, et se jettent dans les maisons pour se livrer au pillage. La ville est ensuite livrée aux flammes, et Louis XIII écrit à ce sujet au due de Ventadour : Quelques défenses que j'aie pu faire, et quelques soins que j'aie pu apporter pour que la ville ne fût brûlée, ayant éteint le feu par diverses fois, elle a été enfin toute consumée, et Dieu a voulu qu'elle portât des marques perpétuelles de sa rébellion.
 
Le capitaine Chambaud, qui commandait le fort de Toulon, se sent saisi de terreur: il tâche de s'évader pendant la nuit pour gagner les bois avec mille des siens. M. de Lestrange, à la tête de son régiment, les refoule dans le fort, après leur avoir tué deux cents hommes.
 
Saint André Montbrun veut aussi entrer dans Toulon; mais les principaux habitants de Privas, qui y avaient cherché un asile, lui en font refuser la porte, comme au coupable auteur de leur révolte et de l'extrémité à laquelle ils sont réduits.
 
Pressé de tous côtés par les troupes du roi, injurieusement repoussé par les siens, Saint André sent faillir enfin son superbe courage. Il descend au pied du coteau, se rend aux premiers postes de l'armée royale, demande le capitaine Louville, et sollicite la faveur de se jeter aux pieds du roi pour implorer sa clémence. Le roi refuse de le voir et le fait mettre entre les mains du grand prévôt, puis on le force d'inviter par écrit le commandant du fort de Toulon à se rendre, on l'envoie lui-même en personne., Sous bonne escorte, jusqu'au pied du fort, et ce même Saint André, qui avait soufflé dans les cœurs de ces malheureux le feu du fanatisme et de l'insurrection, les engage maintenant à recourir, comme il l'a fait lui-même, à la miséricorde du roi.
 
Grâce à cette démarche, Saint André Montbrun obtient la vie sauve, on se contente de l'enchaîner et de le jeter dans les cachots de la tour de Crest.
 
Quant aux assiégés du fort de Toulon, ils se décident enfin à ouvrir leurs portes: les troupes du roi s'y précipitent en foule. Tout à coup, une barrique de poudre (1) prend feu et fait explosion. Plusieurs soldats et quelques rebelles sont tués ou mutilés; les vainqueurs crient à la trahison, et commencent à massacrer les assiégés, qui venaient de se rendre à discrétion. Leurs officiers veulent en vain arrêter le carnage: heureusement une autre influence se présente, et réclame en faveur de l'humanité avec plus de force et de puissance.
 
(1) Le cardinal de Richelieu, dans son compte rendu à la reine mère, dit «un huguenot de Privas, appelé Chamblanc, qui s'était toujours opposé à ce qu'on se rendit à discrétion, mit le feu aux poudres en s'écriant: « Il vaut mieux être brûlé que pendu.» Soulié, prêtre de Viviers, dit la même chose dans son Histoire du calvinisme. Mais le due de Rohan écrit dans ses mémoires: « Ceux de l'armée du roi qui étaient entrés dans le fort mirent le feu aux poudres, afin d'avoir un prétexte de faire main basse sur les assiégés, comme il leur avait été commandé. » Cette dernière version n'est guère probable: des vainqueurs ne compromettent pas leur propre vie pour avoir un prétexte de ne pas épargner des vaincus. La lettre de Louis XIII au duc de Ventadour présente les faits de la même manière que celle du cardinal Richelieu.
 
Dans ces siècles où il y avait encore de la foi, comme le prouve l'abus même qu'en faisait le fanatisme, il existait une autorité que respectait le soldat catholique au-dessus de toute autre autorité, une voix qu'il écoutait encore, lors même que l'ivresse du sang fermait son oreille à la voix de son général. C'était l'autorité du prêtre, c'était la voix de son aumônier. La discipline de la religion, fondée sur des bases purement morales, avait encore plus de puissance que la discipline militaire, qui règne par la force brutale et l'intimidation matérielle. Au bruit de la détonation et à la nouvelle du carnage, les aumôniers des régiments royaux accoururent parmi les ruines fumantes du fort : ils se jettent entre les vainqueurs irrités et les vaincus au désespoir, ils font de leurs manteaux de prêtres une égide inviolable aux huguenots qui les implorent: les mains sanglantes des massacreurs s'arrêtent devant ces sauvegardes de la charité.
 
Cependant le mal avait été grand avant l'arrivée secourable de ces ministres de miséricorde ; plus de sept cents hommes des Bouttières avaient été tués pendant ou après le combat. La justice royale, qui, dans les premiers moments, prit la ressemblance de la colère, ordonna d'attacher au gibet cent insurgés faits prisonniers; enfin il y en eut cent autres qui furent envoyés aux galères, et cela fut appelé de la clémence !
 
L'intervention des ministres de la religion ne fut pas aussi efficace auprès du roi qu'auprès des soldats de son armée; elle le trouva inflexible. Louis XIII fulmina contre Privas une sentence d'extermination; il promulgua une déclaration portant que « tous les habitants de Privas qui étaient demeurés dans cette ville pendant le siège encourraient les peines portées par les lois, et notamment la confiscation de leurs biens. » Il fut décidé que tous ceux qui auraient souffert des pertes ou rendu des services seraient indemnisés sur les biens confisqués. A ce titre, M. de Lestrange obtint presque tout l'emplacement de la ville, le tout sans aucun espoir de révocation. Le fort de Toulon fut conservé, et le commandement en fut donné à M. de Lestrange avec une forte paie.
 
M. de Chabreilles figura en tête d'une liste d'amnistiés, parmi lesquels nous remarquons les noms de MM. Lagarde, René Ladreyt, L'église et Dussollier.
 
On démolit les fortifications de Privas; ses maisons furent désertées et tombèrent en ruines : elles n'eurent plus pour habitants que des prostituées et des voleurs, échappés au massacre de 1629 et à la peste de 1650.
 
Les habitants de Privas, dispersés sur les montagnes d'alentour, erraient tristement autour de ces décombres; ils célébraient leur culte proscrit au milieu des bois et au fond des cavernes. Dans leurs cantiques sacrés, ils se comparaient aux Juifs pleurant sur les ruines de Jérusalem.
 
M. de Lestrange, quoique dédommagé largement de ses pertes par de lucratives confiscations, ne craignit pas d'assigner devant les tribunaux les misérables restes de cette population persécutée, pour lui redemander le prix de son château détruit en 1621.
 
C'était pousser l'oppression au point où elle semble appeler nécessairement l'intervention de la justice humaine ou divine. L'excès des maux en amène le terme.
 
IV
Conjuration du duc de Montmorency
dans ses rapports avec le Vivarais.
Rôle qu'y joue M. de Lestrange.
 
Gaston d'Orléans, frère du roi Louis XIII, ne cessait d'intriguer et de conspirer dans l'ombre. Assuré d'une impunité qu'il achetait au prix des têtes de ses partisans, il se jetait dans des tentatives insensées où le danger n'était pas pour lui. En 1652, il parvint à entraîner dans une conjuration follement conçue et inhabilement concertée un homme qui avait jusque là porté un noble nom, le due de Montmorency, gouverneur du Languedoc. Henri de Montmorency avait cette bravoure chevaleresque, ces qualités brillantes qui captivent les grands, et cette affabilité, cette générosité qui séduisent le peuple. Depuis les campagnes qu'il avait faites en Vivarais, il avait entretenu avec ce pays de fréquentes relations. Il (1) allait souvent passer des semaines entières au château de Vogüé ou dans celui de Boulogne, chez M. de Lestrange, là, les seigneurs du pays venaient lui faire leur cour, et, comme tous ceux qui avaient pu l'approcher et le connaître, ils ne pouvaient s'empêcher d'obéir au charme irrésistible de ses manières.
 
Lorsqu'il se fut résolu d'embrasser le parti du duc d'Orléans, ou plutôt, comme il le disait, de combattre pour le roi contre le cardinal de Richelieu, il se rendit en Vivarais et, sous le prétexte d'une partie de chasse, il rassembla dans la forêt du Bousquet, entre Vogüé et Aubenas, tous les seigneurs et gentilshommes qu'il croyait lui être le plus dévoués. Là, il leur exposa, avec l'éloquence naturelle qui le caractérisait, le projet qu'il avait conçu de chasser un ministre indigne de la confiance du roi, violateur des privilèges des provinces (2), persécuteur de la noblesse et tyran de la nation tout entière. « En est il un seul parmi vous, s'écria t'il, qui refuserait de s'associer à cette généreuse entreprise? » Puis, il tira de sa cassette une espèce de manifeste qu'il leur montra, signé déjà par quelques évêques et par quelques seigneurs du Languedoc; il leur proposa de mettre leurs noms à la suite de ceux de ces courageux défenseurs des libertés et des privilèges de tous les Français.
 
Alors le vieux comte de Vogüé, qui venait de recevoir le maréchal dans son château, et qui était son aîné non moins que son hôte, se lève gravement et demande à parler; chacun écoute le vénérable vieillard dans le silence du respect et de l'inquiétude :
 
« En toute autre occasion (3), Monseigneur, dit-il au due de Montmorency, je sacrifierais avec empressement pour vous mes biens et ma vie ; Mais vous me demandez de vous suivre dans une entreprise que je crois opposée à mon devoir comme à vos propres intérêts, monsieur le Maréchal : Permettez-moi donc de vous refuser dans ce but le secours de mon bras. Plaise à Dieu que vous ne compromettiez pas, par votre témérité, votre honneur, votre existence, la fortune de votre famille ! »
 
Montmorency allait répondre, quand le vicomte de Lestrange se leva impétueusement :
 
« Arrière, s'écria t'il, les vains scrupules et les timides hésitations. N'attendons pas dans nos demeures les sbires et les bourreaux. Richelieu veut nous ôter les privilèges achetés de notre sang et de celui de nos pères, nous mettre à la taille (4), nous faire condamner, comme le peuple, par des juges de second ordre, nous traiter enfin comme des serfs et des vilains. Et si nous résistons, nous devenons suspects de lèse-majesté ! Il faut, répète t'il souvent, que ces têtes altières se courbent ou qu'elles tombent. Mort non-Dieu (5) elles ne se courberont pas ; elles se relèveront plus fières que jamais quand nous aurons vengé nos droits avec l'épée et fait rentrer cet insolent abbé dans la poussière, d'où il est sorti ! »
 
Presque tous les assistants applaudirent à ces paroles et jurèrent de suivre leur bien aimé gouverneur partout où il voudrait les conduire. Le comte de Vogüé, triste et morne, s'approcha du maréchal, lui fit ses adieux en lui serrant la main silencieusement, et voulut en vain lui cacher une larme qui tomba sur sa moustache blanche. Puis il se retira, accompagné de deux ou trois gentilshommes. Les autres signèrent le manifeste du duc de Montmorency, qui partit le soir même pour Montpellier.
 
(1) Ces détails sont tirés de mémoires inédits de Cerite François, comte de Vogüé.
(2) Richelieu venait de demander aux états du Languedoc l'abandon de leur vieille juridiction financière.
(3) ces paroles sont extraites du mémoire déjà cité.
(4) Ces griefs furent reproduits en 1641 par le comte de Soissons.
(5) Pierre Marcha, Commentaires du soldat du Vivarais.
 
Depuis la prise de Privas, Lestrange était devenu le seigneur le plus puissant du Vivarais; les plus grandes maisons du pays recherchaient l'appui de son crédit et de son autorité. Son père et lui avaient été les chefs les plus ardents et les plus opiniâtres du parti qui avait triomphé. On s'était accoutumé à suivre leur impulsion, à leur obéir, comme aux représentants de la cause même de Dieu. Il semblait qu'un signal parti des tours de Boulogne devait réunir sous leur bannière tout ce qui portait un sabre, tout ce qui avait un cœur de soldat.
 
Exalté par, sa haute position, d'un caractère bouillant et présomptueux, Lestrange croyait que rien ne pouvait lui résister. Séduit par les illusions du duc de Montmorency, il s'imaginait que, sur les divers points de la France, des seigneurs puissants s'étaient coalisés contre le cardinal, et qu'ils étaient disposés à jouer comme lui à quitte ou double avec l'ennemi commun de leur caste. Mais l'aristocratie française, abaissée par Louis XI, décimée par les guerres nationales, ruinée par les discordes civiles, ne ressemblait plus à celle qui avait donné le sceptre à Hugues Capet, et, plus tard, chassé les Anglais du pays, elle n'était plus assez forte pour imposer à Louis XIII une grande charte, comme autrefois les barons anglais au roi Jean, du reste, si cela avait pu se faire, on ne peut méconnaître qu'une révolution aristocratique, où les intérêts populaires eussent été convenablement ménagés, aurait retardé indéfiniment la révolution démocratique qui éclata cent soixante ans après.
 
Quoi qu'il en soit, Lestrange tint loyalement la parole donnée à Montmorency,  Il remua presque tout le Vivarais et parvint à réunir une petite armée, où figuraient de vieux vétérans de la guerre civile, s'empara de plusieurs places fortes au nom du duc d'Orléans, occupa Tournon les Privas, et reçut de nombreuses adhésions de plusieurs barons et seigneurs du voisinage.
 
Ainsi, ce nom, qui avait été si longtemps la terreur de révoltés, se trouvait placé à la tête d'une révolte contre le pouvoir légitime.
 
En apprenant cette nouvelle, le maréchal de la Force, qui se trouvait au Pont-Saint-Esprit, à la tête de l'armée royale, s'empresse d'envoyer un de ses officiers avec quelques troupes dans le haut Vivarais, pour étouffer à sa naissance une si menaçante insurrection. Il fait appeler sous ses drapeaux les bannis dispersés dans les forêts et sur les montagnes, il ne pouvait être bien difficile d'échauffer leurs vieux ressentiments contre leur ancien seigneur. L'enthousiasme de la vengeance et de la haine devient la garantie de leur fidélité envers Louis XIII : on les arme, on les enrégimente, on les fait marcher contre Lestrange, qui s'était enfermé dans les remparts de Tournon les Privas.
 
Le 19 août 1652, l'assaut est livré. Lestrange se défend avec le courage du désespoir, mais il est blessé, il succombe et ses anciens vassaux s'emparent de sa personne : ils l'auraient sur-le-champ massacré, mis en pièces, si le commandant des troupes royales n'avait pas eu mission de le réserver pour le supplice, mais ils obtiennent du moins de lui faire expier, à force d'outrages, une partie de leurs maux et de leurs humiliations passées. Ils l'entraînent, garrotté comme un malfaiteur, sur les décombres amoncelés de Privas, là, ils lui reprochent d'avoir été cause de leur longue misère, de la ruine de leur ville, du carnage de leurs proches; ils lui prodiguent les plus sanglantes injures, les plus grossières dérisions; enfin, ils le dépouillent de ses vêtements et lui donnent le fouet sui- la place publique.
 
Quelle ignominieuse torture pour le fier et intraitable baron ! Combien ce supplice devait lui être plus dur que l'échafaud !
 
Peu de temps après (1), Lestrange est décapité sur la place du Pont-Saint-Esprit, et Montmorency périt de la même manière à Toulouse.
 
Singulières vicissitudes de la fortune ! Pendant que ces généraux catholiques, anciens vainqueurs des huguenots insurgés du Midi, mouraient condamnés au supplice par la justice du roi, le due de Rohan remplissait, au service de Louis XIII (2), les plus hauts emplois diplomatiques et militaires, et Saint André Montbrun, échappé des prisons de Crest, puis rentré en grâces auprès de la cour, obtenait des grades élevés dans l'armée, contribuait à la prise de Casal dans le Milanais, et enfin se faisait nommer, avec l'agrément de Louis XIV, généralissime des troupes de la république de Venise.
 
Quant à un autre personnage que nous avons vu figurer dans cette histoire, Mme de Chambaud, baronne de Lestrange, les traditions locales rapportent qu'elle ressentit si vivement le contre-coup des outrages, du supplice et peut être des remords de son époux, qu'elle alla bientôt le rejoindre dans la tombe.
 
Les habitants de Privas, en récompense de leur victoire sur le baron de Lestrange, furent réintégrés dans leurs terrains et leurs propriétés, ainsi que dans leurs anciens privilèges municipaux; une transaction faite avec leur nouveau seigneur n'évalua qu'à 60.000 fr. le prix de ce château, dont la destruction avait attiré sur eux tant de désastres. Peu à peu les maisons de la ville se relevèrent de leurs ruines: l'industrie et le commerce prirent racine dans ce sol sillonné par tant d'orages; la culture du mûrier vint parer et enrichir les coteaux des vallons voisins; les Campagnes des Bouttières, autrefois sauvages et désertes, se couvrirent successivement de fabriques riches et animées; enfin, comme pour achever la réparation des excessives rigueurs d'un autre temps, Privas, la ville jadis proscrite, est devenue de nos jours la florissante capitale du département de l'Ardèche, qui correspond à l'ancien Vivarais.
 
(1) Lestrange, après avoir passé quinze jours au fond d'un cachot, dans les prisons du Saint Esprit, fat jugé et condamné à mort par une commission militaire on chambre ardente que présidait M. de Machaut, intendant de justice. Il périt le 6 septembre 1632.
Le mémoire signé au Bousquet fut saisi dans la cassette du duc de Montmorency: les signatures qui y furent trouvées servirent de pièces de conviction contre plusieurs gentilshommes, et donnèrent lieu à la ruine de quelques grandes maisons.
(2) En 1632, m. le due de Rohan fut nommé ambassadeur de France en Suisse et chez les Grisons; Plus tard, il servit contre les impériaux, sous le duc de Saxe Weymar, et fut blessé à mort à la bataille de Rhinfeld. Il fut enterré à Saint Pierre de Genève, où on lui éleva un beau tombeau de marbre.
 
Bays-sur-Bays désignait le château qui dominait la ville et qui portait le même nom. Bays (1) était au nombre des places riveraines du Rhône que revendiquait le Dauphiné, et dont la possession fut l'objet de procès nombreux entre cette province et celle du Languedoc (2). Les réclamations des états de Languedoc, à cet égard, finirent par leur faire obtenir gain de cause.
Bays fut occupé par l'amiral de Coligny, en 1570, et les religionnaires y mirent garnison ainsi qu'au Pouzin et à la Voulte, pour s'assurer le passage du Rhône. En 1575, vers la fin du mois d'avril, le due d'Uzès fit à Bays les honneurs d'un siège dans toutes les règles. Pierregourde, informé que les catholiques allaient investir cette place, y avait jeté cent cinquante hommes.
 
(1) Bays est à une demi-lieue du Pouzin, en descendant le Rhône.
(2) Sur les rives du Rhône, Crussol, Charmes, la Bâtie, Saint Marcel de Crussol, Solignac, Soyons, le Pouzin , Bays, Rochemaure, le Theil, et, dans les vallées latérales, Chalençon, Durfort et Saint Fortunat, faisaient partie, au quatorzième siècle, des comtés de Valentinois et de Poitiers. Quand le comte Louis Il de Valentinois mourut, il institua le dauphin Charles son héritier, par son testament fait à Bays le 14 juin 1410. Au mois d'août 1636, Louis XIII déclara soumettre à la sénéchaussée de Beaucaire tout le Vivarais. Son édit commence ainsi : «Attendu que plusieurs terres ont été ci devant dans la dépendance des dauphins et des comtes de Valentinois, et qu'encore aujourd'hui quelques-uns unes des places qui sont au long du Rhône, du côté du Vivarais, relèvent de la justice ordinaire du sénéchal du Valentinois, etc. »
Mémoire de Chaix de Loche pour le conseil d'état, dans l'intérêt de la province du Dauphiné (16601680). Voir aussi l'Histoire du Languedoc, tom. V, pag. 72.
 
L'artillerie du duc ne tarda pas à faire une brèche aux murs de la ville; alors la garnison se retira dans le château: elle y fut aussitôt attaquée. Les arquebusades du fort firent perdre beaucoup de monde aux catholiques, qui étaient encore assaillis par les protestants, du côté de la campagne. Dans une sortie qui eut lieu le 25 mai, un mois après le commencement du siège, la garnison des forts s'empara de l'artillerie du duc d'Uzès. Celui-ci ne vint à bout de la reprendre qu'après des combats meurtriers. Il renonça enfin à réduire ces forts et il leva le siège; Mais avant de se retirer, il fit démolir les maisons des deux tiers de la ville, et il fortifia l'autre tiers, afin d'y loger quelques compagnies de gens de pied pour protéger le passage du Rhône.
 
Lors de la paix de Nérac, en 1571, Bays fut l'une des deux ou trois villes accordées aux protestants comme places de sûreté. Dans les dernières guerres de religion, le maréchal de Lesdiguières, pour le roi; le due de Rohan, au nom du parti dont il s'était fait le chef, prirent et reprirent tour à tour Bays sur Bays.
 
Bays fut à cette époque le théâtre d'une scène de travestissement impie, qui rappelle celle dont Paris fut témoin en 1851, après le pillage de l'archevêché. « Un vice-légat d'Avignon ayant été envoyé par notre saint père le pape nonce en Pologne, des huguenots de Bays, informés qu'il passait en Dauphiné, traversèrent le Rhône et pillèrent ses hardes et bagages. En retournant à leurs logis, ces canailles (sic) s'habillèrent des habillements pontificaux et sacerdotaux volés au vice-légat et aux ecclésiastiques de sa suite, et, ainsi vêtus, avec des propos insolents, des chants et des cris horribles, ils firent leur entrée à Bays (1). »
 
Il y a encore aujourd'hui un grand nombre de protestants à Bays et au Pouzin.
 
(1) Manuscrit du chanoine de Banne, cité par M. de la Boëssière dans les Commentaires du Soldat du Vivarais.
 
 -oOo-
 
> Lien site - La guerre de religion dans la région de Privas
 
> Contact Webmaster