PONT D'ARC - VALLON Extrait de l'Album du Vivarais, Albert Dubois, 1842.
RIVES DE L'ARDÈCHE EN REMONTANT DU VILLAGE DE SAINT-MARTIN JUSQU'AU COUVENT DE LA MADELEINE ET AU PONT-D'ARC.
Quand
on quitte le Rhône au Bourg-Saint-Andéol ou au pont Saint-Esprit pour
s'enfoncer dans le Vivarais, il faut préférer, à toute autre voie, le cours
même de l'Ardèche, que l'on remonte facilement en bateau pendant tout le
printemps et une partie de l'été. C'est
au village de Saint-Martin (2) que l'on trouve des bateliers (3) qui
conduisent les voyageurs jusqu'au Pont-d'Arc et à Vallon. (1) Je ne sais s'il n'aurait pas mis au nombre
des délits de sa jeunesse sa Correspondance avec Voltaire, 1 vol. in-folio,
Bourgoin, 1799. Ces lettres ne contiennent rien pourtant qui fasse un fâcheux
contraste avec son caractère ecclésiastique; mais celles du patriarche de
Ferney sont souvent sur l'extrême limite de la décence. Après tout, une lutte
d'esprit aussi prolongée avec le chef de la secte impie des sophistes du
dix-huitième siècle n'était-elle pas à elle seule un acte de complaisance
condamnable dans un membre du clergé? Il est à remarquer que la publication de cette
correspondance n'eut pas lieu de son vivant. (2) De Saint-Marcel-d'Ardèche au village de
Saint-Martin, il y a environ une lieue et demie. (3) Au prix de quatre ou cinq francs par
homme. II faut au moins deux bateliers pour pouvoir remonter le courant
souvent impétueux de l'Ardèche. A
peine a-t-on quitté Saint-Martin, qu'on aperçoit sur sa gauche le singulier
village d'Aiguèze ou Aiguize, placé, comme par une fantaisie artistique, dans
une large brèche de rochers : son vieux château surgit entouré de quelques
masures, comme pour remplir cette brèche laissée par la nature. La vue
d'Aiguèze ressemble à une décoration d'opéra ; on serait tenté de reprocher à
ces fortifications et à ces rochers d'avoir trop peu de profondeur, de
ressembler trop à des feuilles de carton, d'être trop aiguisés comme des
lames de couteau. A
mesure qu'on s'avance, la rivière s'encaisse de plus en plus, les montagnes
s'escarpent et s'élèvent sur les deux rives; leur hauteur moyenne, au-dessus
du lit de l'Ardèche, est au moins de trois cents pieds. Après avoir dépassé
la hauteur de la grotte de Saint-Marcel, on se trouve comme enfermé entre
deux murs de rochers, nul vestige d'habitation humaine, nul chemin, nul
sentier tracé le long de ces rivages ; quelquefois les montagnes offrent
l'aspect de clochers aux flèches aiguës, de tours ou de bastions ruinés, et
les naïfs bateliers de Saint-Martin vous disent les noms des fées qui les
habitaient ou qui les habitent encore. Tout
le long du cours de l'Ardèche, les rochers offrent dans leurs parois élevées
mille nuances de couleurs, mille accidents variés; ils se tapissent de lierres,
de scolopendres, de pariétaires, de saxifrages : leurs moindres cavités,
leurs bancs les plus étroits se garnissent de terre végétale, d'où surgissent
des figuiers, des grenadiers, des arbres de Judée, dont les rameaux en fleurs
se balancent sur l'abîme comme d'ondoyants panaches. L'aspect
de ces sites sauvages et déserts, la végétation orientale dont ils sont
parés, transportent la pensée du voyageur dans la Syrie ou dans la
Haute-Egypte, sur les rives du Nil ou au fond de quelque gorge ignorée du
Liban. On n'y rencontre d'autres êtres animés que des corneilles séculaires,
quelquefois des pélicans, et même des vautours blancs ou phénicoptères
d'Egypte nous avons vu deux de ces vautours, à la large envergure, s'envoler
pesamment de l'aire élevée où ils avaient suspendu leurs nids, et planer avec
majesté sur nos têtes en faisant mille circuits, comme pour attirer
l'admiration sur leur beau plumage blanc, noir et isabelle. Dans
le cours de cette navigation, de nombreux obstacles retardaient notre marche;
souvent d'énormes cailloux roulés et amoncelés retenaient, dans toute leur
largeur, les eaux de l'Ardèche, qui tombaient ensuite avec impétuosité et
fracas: alors nos bateliers quittaient les rames et les piques, devenues
insuffisantes pour lutter contre le courant; ils se jetaient dans l'eau et
remontaient le bateau à bras le long de ces espèces de cascades, puis ils
retrouvaient des eaux plus tranquilles et reprenaient leurs moyens ordinaires
de navigation. Environ
aux deux tiers de la route, les rochers qui étaient à notre gauche, sans
devenir moins hauts ni moins escarpés, s'écartèrent, et nous aperçûmes, sur
une espèce de promontoire garni d'arbustes et de quelques arbres fruitiers,
d'immenses ruines enlacées par des lierres noueux qui en attestaient la
vétusté. La route qui conduisait autrefois à cette vieille forteresse nous a
semblé ne pouvoir être que le lit même de la rivière, c'étaient les restes de
la Madeleine, ancien monastère des Templiers. Cette retraite mystérieuse et
sombre semblait être encore empreinte du caractère de l'ordre auquel elle
avait appartenu. Là,
peut-être, après le supplice de Jacques Molay et la proscription de leur
ordre, quelques chevaliers du Temple, profitant des basses eaux de
l'Ardèche, remontèrent son cours à gué sur leurs coursiers robustes, et
cherchèrent, sous l'abri de ces pics inaccessibles, un refuge ignoré. Mais il
n'est pas de retraite que le despotisme ne fouille et ne découvre; et ces
malheureux, traqués dans toute la France comme des bêtes fauves, durent sans
doute périr en ce lieu sous les coups des sbires de Philippe, ou fuir encore,
pour y échapper, vers de plus lointains rivages. Plus
de sept siècles ont passé sur ces ruines : l'orfraie y a fait son nid, le
renard y a creusé sa tanière, mille plantes grimpantes y ont enfoncé leurs
racines, et pourtant les murs ne se sont pas encore abaissés au niveau du
sol ; ils élèvent encore çà et là leurs pans inégaux et branlants, qui se
drapent dans la verdure comme autrefois le templier dans son manteau. Grâces
à leur isolement et à la difficulté des lieux, ces débris ont échappé à une
destruction totale, pendant que quelques chevaliers du Temple, autres débris
vivants d'un édifice religieux et politique, ont, diton, perpétué leur ordre
jusqu'à nos jours, à l'aide des formules secrètes et des rifs accomplis dans
l'ombre. Peut-être verrons-nous relever les remparts de la Madeleine, et
l'étendard à la croix rouge flotter encore sur leurs créneaux! Cette
résurrection partielle du moyen âge aurait au moins le mérite d'être
originale et poétique. Au-delà
de ces ruines, si intéressantes par les souvenirs historiques qu'elles rappellent,
nos bateliers nous montrèrent, dans les flancs des rochers, l'entrée d'une
multitude de cavernes presque toutes inconnues. Les curieux et les
naturalistes auraient là beaucoup de découvertes à faire. Ces cavernes ont
servi d'asile aux proscrits de tous les âges, depuis les Albigeois,
jusqu'aux chouans de 1795. Enfin,
après une navigation de plus de huit heures, prolongée, il est vrai, par les
distractions d'une pêche assez fructueuse, nous vîmes les rochers des deux
rives se rejoindre, et de loin ils semblaient nous barrer le passage; mais,
en nous rapprochant, nous aperçûmes un majestueux arceau qui frayait une
large voie aux eaux de l'Ardèche et à nous-mêmes. A
travers ce cadre gigantesque, quelques maisons du hameau de Chames nous
apparaissaient perdues dans des bois d'aulnes, de saules et de peupliers. La
clef de la voûte était surmontée par un rocher élevé, qui unissait, de sa
cime dentelée et inégale, l'un et l'autre rivage ; ce rocher était garni
d'arbustes et de chênes verts, qui formaient, en quelque sorte, les parapets
du pont. Quelques chèvres paissaient sur le haut du rocher; elles semblaient
comme suspendues sur l'arête étroite qui séparait les deux précipices. Un
berger les rappela avec sa cornemuse, et elles s'acheminèrent, en longue
file, vers la rive gauche de l'Ardèche : le bruit de leurs grelots parvenait
à peine jusqu'à nous. Il
faut visiter près de là une grotte assez profonde : cette grotte est percée
de portes et de fenêtres naturelles, présentant à peu près la forme de pleins
cintres; des jets brillants de lumière et des masses d'ombres épaisses y
forment de mystérieux contrastes. Rien n'est curieux comme le Pont-d'Arc
aperçu de derrière ces piliers et du fond de ces voûtes ; si on transportait
tout à coup, dans ce site sauvage et grandiose, quelque enfant de nos grandes
cités, il croirait voir se réaliser un rêve des mille et une nuits. Pour
nous, artistes et voyageurs, nos impressions sont presque toujours déflorées
par les dessins, quoique infidèles, des lieux, et par les descriptions
pompeuses lues ou étudiées d'avance; nous ne pouvons plus nous étonner, et
nous ne savons admirer qu'avec réflexion. Du reste,
ce genre d'admiration ne peut manquer à l'homme qui s'interroge sur les
causes qui ont produit (1) de pareilles merveilles. Que de siècles il a fallu
à cet architecte puissant, mais lent dans ses oeuvres, la nature, pour
creuser et façonner le Pont-d'Arc, moins remarquable encore par sa grandeur
que par ses belles proportions! Quel ample sujet de méditations pour le
poète, le philosophe et le naturaliste! Afin
d'établir entre eux des communications dans le temps des grandes eaux de
l'Ardèche, les Cévenols et les Vivarois avaient pratiqué un passage sur la
cime du rocher qui surmonte le pont. Pendant les premières guerres des
calvinistes et des catholiques, au seizième siècle, ce passage était regardé
comme fort important; on y éleva une forteresse pour le défendre. Nous
voyons, dans les chroniques et dans les mémoires de cette époque, que cette
forteresse fut souvent prise et reprise, tantôt par un parti, tantôt par un
autre. S'il faut en croire Giraud-Soulavie (2) : Lorsque les religionnaires
l'avaient en leur puissance, c'était, parmi eux, une fête de se saisir de
quelque catholique; on le menait sur le pont et on lui permettait de sauter
dans l'Ardèche. Les catholiques, non moins fanatiques quelquefois, usaient aussi
de représailles, lorsque le Pont-d'Arc et son fort tombaient en leur pouvoir. (1) Dans le cadre étroit qui nous a été
assigné, nous ne pouvons nous livrer à des discussions ni à des explications
scientifiques ; qu'il nous suffise de dire ici que nous n'admettons pas les
opinions de Giraud-Soulavie ( Histoire naturelle de la France méridionale,
tom. 1er, pag. 102). Nous croyons que la voûte était d'abord un portique de
grotte, à plein cintre comme les ouvertures de celle qui est près de là, et
nous attribuons ces formations à des courants diluviens ; quant à la partie
inférieure de la voûte, il est hors de doute qu'elle est l'ouvrage des eaux
de la rivière, qui, à force d'affouiller la grotte, s'y sera creusé un lit
nouveau à la place de l'ancien, qui faisait un vaste circuit autour du
rocher, et dont il est facile de reconnaître encore les traces. Nous ne
croyons pas que la main de l'homme ait contribué en rien au percement du
rocher, ni à la forme élégante du pont. Lors de l'inondation de 1827, l'Ardèche
s'éleva de quarante à cinquante pieds au-dessus de son niveau ordinaire :
comme le Pont-d'Arc n'offrait pas une issue assez large à l'abondance de ses
eaux, elle reprit momentanément son ancien lit, par le petit vallon
circulaire qui s'ouvre du côté de la rive gauche. (2) Histoire de la France méridionale, par
Giraud-Soulavie, tom. ler, pag. 103. Après
le sac de Privas, Louis XIII fit démolir les fortifications du Pont-d'Arc; il
détruisit aussi le sentier qui y était frayé, et fit couper une corniche étroite
qui existait du côté du midi, et sur laquelle les passants ne pouvaient aller
qu'un à un : ce passage était, par conséquent, devenu impraticable depuis.
Les chevriers des villages voisins ont jeté des fascines et des pièces de
bois sur le point du précipice où la corniche avait été coupée : ils la
traversent ainsi avec leurs troupeaux sur une espèce de petit pont branlant,
même pendant la nuit, tandis que les voyageurs les plus hardis n'oseraient se
hasarder à la franchir en plein jour. Il y
a plus de deux cents pieds de ce sommet du Pont-d'Arc (1) jusqu'au lit de
l'Ardèche. La
voûte du pont a quatre-vingt-dix pieds d'élévation au-dessus du niveau moyen
de la rivière, et sa largeur, prise d'une pile à l'autre, est de cent
soixante-trois pieds. Lassés
des lenteurs et de la monotonie de notre interminable navigation, nous
voulûmes aller de Pont-d'Arc à Vallon par terre; il nous fallut aborder du
côté du petit hameau de Chames, puis gravir un sentier montueux taillé dans
le roc. Enfin, du haut de la colline escarpée que nous ne tardâmes pas à
atteindre, nous vîmes s'ouvrir devant nous un riche paysage, en parfait
contraste avec les rocs arides entre lesquels nous avions été emprisonnés
tout le jour : des plaines riantes, coupées de mamelons cultivés, se déployaient
devant nous, encadrées dans les montagnes lointaines des Cévennes et de la
Lozère. Sur
la gauche, le long du cours de l'Ardèche, on apercevait la vieille tour de
Salavas, près de laquelle s'élevait un pont en fils de fer, élégante création
de l'industrie contemporaine. Tout auprès de nous, sur un coteau à droite,
brillaient au soleil couchant les ruines du Chastelaz ou Vieux-Vallon. La
ville de Vallon, création toute féodale, doit sa première origine au
Chastelaz : c'est au Chastelaz que serait née Clotilde de Surville ; nous
savons qu'on a fait de grands efforts pour prouver la non-authenticité (2) de
ses poésies, et pour établir que leur véritable auteur était M. de Surville,
condamné à mort pour fait de chouannerie, en 4 798. Quant
à nous, nous ne saurions penser que tant de délicatesse dans la sensibilité,
tant de suavité dans la couleur, puissent appartenir à un homme : il y a
telle de ces poésies qui n'a pu sortir, n'en doutons pas, que du cœur d'une
mère. Ainsi, en effet, si la perfection de la langue parlée par Clotilde
semble être un anachronisme littéraire, nous aimerions mieux attribuer les
plus jolies pièces du recueil qui porte son nom à Jeanne de Vallon,
contemporaine de Louis XIV, qu'à ce guerrier de la fin du dix-huitième siècle
(3), tout préoccupé, jusqu'à la fin de ses jours, de conspirations et de
discordes civiles. D'ailleurs, ce n'est qu'à la pudeur d'une femme qu'il a pu
appartenir de chercher à se dérober à la gloire littéraire sous le nom d'une
aïeule vénérée. (1) La roche du Pont-d'Arc, dit
Giraud-Soulavie, est une sorte de marbre grisâtre, susceptible d'un beau poli
; trois ou quatre couches horizontales la divisent depuis son fondement
jusqu'à son sommet, où la roche est incrustée de quelques bélemnites et
cornes d'Ammon. (2) On peut lire, à ce sujet, un article fort
spirituel et fort ingénieux de M. Sainte-Beuve, inséré dans la Revue des
Deux-Mondes, le 1er avril 1841. On a tiré des arguments, qu'on croyait fort
concluants en faveur de la contemporanéité de ces poésies, d'un chant du
poème De la nature et de l'univers, où se trouvent ces vers : Ton vaste
Jupiter et ton lointain Saturne, dont sept globules nains traînent le char
nocturne ! II est très-vrai que le premier des satellites
de Saturne fut observé par Huyggens en 1655, et le septième par Herschell, en
1789; mais cela prouverait seulement que ce morceau est apocryphe, et qu'il a
été ajouté à tort aux premières poésies de Clotilde, éditées par M. de
Vanderbourg. Dans ce fragment de poème, on reconnaît une autre main et un
langage plus moderne que dans la pièce délicieuse adressée par la trouveresse
à ses enfantelets. (3) Mme de Surville, veuve de ce même M. de
Surville, morte il y a quelques mois au Pradel, près de Villeneuve-de-Berg,
ne croyait pas à la capacité poétique de son mari, qui, en effet, n'a jamais
écrit que des vers fort médiocres. Elle était d'ailleurs convaincue de
l'impossibilité où il aurait été de trouver le temps de composer ces poésies
en vieux langage, pastiche achevé dont la correction même accuse un long
travail. Cette vie passée dans l'émigration, sous la tente, ou dans les
cavernes du Vivarais, était, disait-elle, toute contraire à l'existence du
doux loisir que supposent des créations de ce genre. Ces considérations, déjà
assez puissantes par elles-mêmes, tiraient une nouvelle force de la bouche
même de celle qui les faisait valoir. Après
avoir dépassé le Chastelaz, on aperçoit le Nouveau-Vallon, enfoncé dans une
vallée profonde. Cette ville, célèbre par les sièges qu'elle a soutenus, conserve
à peine quelques vestiges de ses anciens remparts : on y remarque un
singulier amalgame de vieilles masures et de maisons élégantes bâties à la
moderne. Le
Nouveau-Vallon a aussi son château, que les habitants du lieu avaient été
condamnés à construire dans la ville même, en punition de leurs révoltes
contre le roi. En
montant sur une petite colline (1) qui sépare Vallon de l'Ardèche, on
découvre la plaine délicieuse que traverse cette rivière, et au bout de la
plaine, sur les limites de l'ancien Vivarais, la montagne inaccessible de
Sampzon. C'était là qu'étaient renfermées les archives de la province.
Quoique placées ainsi sous la garde de ces remparts élevés par la nature et
fortifiés par l'art, ces précieuses archives furent pillées et brûlées parla
révolution, qui avait des intelligences dans toutes les places. C'est
en 1621 que Vallon soutint son dernier siège; le duc de Montmorency vint
attaquer cette ville en personne: elle était défendue par un gentilhomme
protestant appelé d'Antiéges. Après des prodiges de valeur, d'Antiéges fut
obligé de capituler. Le duc de Montmorency fit complètement raser les
fortifications de Vallon, dont les religionnaires (2) regrettèrent beaucoup
la perte. Du
reste, cette question littéraire mériterait un ouvrage à part, et ce n'est
pas ici le lieu de la discuter ex professo. Qu'il nous suffise d'avoir
indiqué notre opinion, qui diffère de celles de M. Sainte-Beuve et de
quelques autres savants de nos jours. (1) De cette même colline on aperçoit aussi,
tout près de l'Ardèche, le château de Salavas. (2) Les protestants du bas Languedoc furent
très-irrités contre Châtillon, leur général en chef, de ce qu'il avait laissé
prendre une place aussi importante sans la secourir, et ils lui ôtèrent le
commandement de leurs armées. On peut voir, dans les Commentaires du Soldat
du Vivarais, les détails intéressants du siège de Vallon. D'Antiéges avait
passé avec cinq cents hommes sur le Pont-d'Arc, pour devancer M. de Montmorency,
et arriver avant lui dans la ville. Vallon
faisait partie de la baronnie de M. de la Gorce (1), qui était un des chefs
de l'armée catholique de M. de Montmorency. A la suite de la prise de cette
ville, ce seigneur y rétablit la plénitude de sa juridiction, puis il partit
pour le siège de Montauban. Nous verrons, dans le chapitre suivant, comment
sa femme et ses enfants tombèrent, en son absence, aux mains des
religionnaires. Vallon
n'a point de fabriques ni de manufactures ; ses richesses proviennent uniquement
de la culture des terres fertiles qui l'entourent. On y compte deux mille
sept cents âmes. Près de la moitié de la population est protestante. NOTA.
Aux environs de Vallon, il y a des grottes fort curieuses que l'on visitait
beaucoup avant la découverte des grottes de Saint-Marcel. Pour raviver la
curiosité des voyageurs, les habitants de Vallon voulurent aussi avoir leur
grotte nouvelle (2), et, après quelques recherches, ils la trouvèrent près du
hameau de Saint-Martin, à deux portées de fusil de l'Ardèche; on y descend
par une échelle et on y rencontre des stalactites brillantes et variées.
Cette grotte se termine par une espèce de précipice, où l'on n'a pas encore
osé pénétrer. Les
anciennes grottes de Vallon ont été décrites par M. Eldin avec beaucoup de
détails et dans un style plein de clarté et d'élégance. Voir l'Annuaire de
l'Ardèche de 1839, pages 349 et suivantes. (1) Non pas comme propriété, mais comme fief
qui en dépendait. La terre de Vallon ne fut acquise par la famille de la
Gorce que dans le dix-huitième siècle. (2) La grotte nouvelle de Vallon, découverte
en 1839 par un chasseur au furet, est située au midi des anciennes grottes,
sur la rive gauche du torrent d'Ibie, un peu au-dessus du hameau de Mezeler,
à deux kilomètres de Vallon. Elle n'a qu'une seule entrée fort étroite, et se
divise en trois compartiments ou galeries: le premier a cinq mètres de
hauteur dans sa partie la plus élevée, et douze ou quinze mètres de largeur;
la deuxième galerie, vue aux flambeaux, est d'une remarquable beauté: elle a
trente mètres de profondeur; on y descend au moyen d'une échelle fixée dans
le roc. Elle renferme des cristaux de carbonate de chaux d'une admirable
pureté, et dont la teinte est jaune, noirâtre ou légèrement rosée, des
stalagmites énormes, une surtout dont la circonférence est de quatre mètres
et la hauteur de huit mètres. Le terrain est fort accidenté et peut avoir
cent cinquante mètres de longueur. On y voit des orgues ayant dix lames de
deux mètres de longueur; chaque lame rend un son différent. La troisième
galerie est d'un accès extrêmement difficile; deux personnes seulement y ont
pénétré : on y a trouvé des ossements humains pétrifiés, ainsi que des
monnaies romaines. Les cristaux de cette partie de la grotte, qui a cinquante
mètres de longueur, forment des pyramides triangulaires aussi blanches que le
lait. ( Note
communiquée par M. Pillard, de Vallon.) |