Château de Pourcheirolles Extrait de l'Album du Vivarais, Albert Dubois, 1842.
THEYTS. - MONTPEZAT. - POURCHEIROLLES.
Dans cette portion du Vivarais la nature par elle-même offre tant d'intérêt, que nous avons peu de place à donner aux souvenirs historiques; cependant nous mentionnerons, à l'entrée de Thueyts, le joli manoir de l'antique famille de Blou, et nos lecteurs doivent se rappeler que nous avons rapporté un beau fait d'armes d'un membre de cette famille dans notre article sur le bourg Saint-Andéol.
Thueyts est situé sur un plateau formé par les laves et par les débris d'un volcan supérieur, dont les traces sont encore visibles, quoiqu'il ait perdu son ancienne forme de cratère : c'est un chef-lieu de canton et un bourg de quelque importance; cependant il y a moins d'industrie qu'à Jaujac.
On descend du plateau basaltique du Thueyts dans le lit de l'Ardèche par une espèce de fissure ou de cheminée naturelle, pratiquée dans les parois du Pavé des Géants, qui a dans cet endroit plus de deux cent cinquante pieds de hauteur. Une espèce d'escalier fait grossièrement en laves brisées a été pratiqué dans cette fissure ou cheminée ; quand la pluie est récemment tombée sur cet escalier, appelé dans le pays l'Echelle du Roi, il devient glissant et dangereux, surtout quand on le descend.
C'est pourtant la seule voie praticable pour aller de Thueyts dans un vallon voisin, qui est si riant qu'on l'a comparé à Cythère, et qu'on a appelé Monts de Vénus deux jolis coteaux qui séparent ce vallon de l'Ardèche.
Quant à nous, au lieu de continuer notre route du côté de ce vallon enchanté, nous sommes revenus par le bas du Pavé des Géants (1), le plus beau et le plus grandiose qu'il y ait en Vivarais. Sa hauteur moyenne est au moins de soixante-cinq mètres. Le diamètre des colonnes basaltiques grossit toujours, comme nous l'avons dit, en proportion de leur élévation; elles offrent souvent, dans cet endroit, l'aspect d'immenses tuyaux d'orgues.
(1) Nous recommandons encore à l'attention des voyageurs une portion du Pavé des Géants qui est peu connue; pour la visiter, il faut quitter la route de Thueyts à Nayrac, et descendre dans le domaine de Gourdon. Là, les basaltes ont un peu moins de grandeur, mais leur base est baignée par un petit ruisseau d'une merveilleuse limpidité, qui arrose de délicieux vergers s'étendant jusqu'à l'Ardèche.
Il y a plus d'un quart de lieue du pied de l'Echelle du Roi jusqu'au bas du site célèbre connu sous le nom de Gueule d'enfer. Là, le Pavé des Géants, après avoir formé comme un promontoire avancé, se replie majestueusement jusqu'au pont qui est à l'entrée de Thueyts. De dessous les arches de ce pont s'élance une cascade, dont la blanche écume forme un contraste admirable avec le lit de lave noirâtre sur lequel elle suspend ses eaux. Des maisons et des usines adossées sur la gauche aux parois du mur basaltique mêlent un peu de vie à l'austère grandeur de ce tableau.
C'est au printemps, après la fonte des neiges, qu'il faut voir ce site, d'un caractère si original et si sauvage. A la fin de l'été, il ne reste que très-peu d'eau dans la cascade de Gueule d'enfer.
De Thueyts, nous sommes allés par la montagne à Montpezat, afin de voir en passant le volcan de la Gravenne ; nous avions pour guide un de ces hommes éclairés et studieux (1), tels qu'on en rencontre souvent dans le clergé du Vivarais. Nous remarquâmes ensemble que Faujas de Saint-Fonds avait pris le pic de la Gravenne pour le cratère lui-même; de là vient que Faujas refuse à ce volcan la forme de cône renversé qu'il a au contraire au plus haut degré : nous n'avons pas vu de cratère en Vivarais qui ressemblât davantage à celui du Vésuve. Le volcan de la Gravenne paraîtrait éteint depuis moins de temps que celui de Jaujac : aucune végétation arborescente ne s'est encore formée ni sur les flancs ni dans le fond du cratère; l'herbe même y est rare et maigre; la cendre, les scories, les laves spongieuses, abondent sur le haut même du cratère et sur les versants extérieurs. Nous suivîmes les coulées de la lave jusqu'au ruisseau qui est au-dessous, et là nous trouvâmes encore de belles cristallisations de basaltes.
Ce ruisseau se jette dans la rivière de Pourseilles, et forme avec elle une longue presqu'île; cette presqu'île, qui est elle-même une table basaltique, offre la configuration d'un vaisseau qui se termine par une large proue, entourée de précipices formés par la lave. La rivière de Pourseilles se précipite elle-même en cascades dans un cirque plus beau que celui de Jaujac, et également revêtu de colonnes basaltiques.
A l'un des bouts de ce cirque et à l'extrémité de la presqu'île, au-dessus de précipices qui peuvent avoir de tous les côtés une centaine de pieds, a été assis, fièrement et carrément, le château de Pourcheirolles, petit donjon gothique passablement conservé. Sur la langue de terre qui y conduit s'élèvent les ruines d'un autre castel. Voici la tradition qu'on m'a contée sur ces vieilles forteresses
Le château de Pourcheirolles, encore actuellement existant, fut fondé par le cardinal Pierre Flandin (2), né à Borée. Ce cardinal avait un neveu appelé Jean Flandin, qui fut chanoine de Viviers, archevêque d'Auch, et enfin cardinal à son tour (3).
Il y avait alors schisme dans l'Église ; le vieux cardinal Flandin était de l'obédience du pape d'Avignon. Un jour, comme son neveu allait de Viviers à Borée, il lui donna la clef de son château de Pourcheirolles; c'était, disait-il, une étape où il trouverait à se loger commodément. Mais le malin vieillard avait un autre but; après avoir bâti son château, il en avait fait hommage au pape d'Avignon, et s'était reconnu son feudataire. Or, d'après les formules symboliques de la féodalité, accepter la clef d'un donjon et en faire usage, c'était se mettre sous l'obédience de celui qui en était reconnu comme suzerain.
Jean Flandin ne sut le tour que son oncle lui avait joué qu'après avoir naïvement profité de l'hospitalité qui lui avait été offerte; il résolut alors de s'en venger, et voici ce qu'il imagina
Il rassembla un grand nombre d'ouvriers et fit construire à la hâte un donjon sur l'étroite langue de terre qui conduisait au château de Pierre Flandin; il en fit hommage au pape résidant à Rome, puis il alla trouver son oncle et lui offrit la clef du nouveau donjon. Pierre Flandin la refusa. Il faut bien, lui dit son neveu, que vous l'acceptiez, vous ne pouvez plus arriver à votre château sans passer par le mien (4) !
La tradition ne dit pas comment le vieux cardinal se tira de ce pas difficile; ce qu'il y a de certain, c'est que son château existe encore, tandis qu'il ne reste que de faibles vestiges de celui de Jean Flandin.
Le hameau inférieur de Montpezat, où sont l'église et le presbytère, n'est qu'à un demi-quart de lieue de Pourcheirolles ; le bourg même de Montpezat, qui s'étend un peu plus haut, est industrieux et commerçant : il y a une coutellerie assez estimée.
NOTA. La population de Montpezat est de plus de 2600 âmes. (1) M. Maurin, vicaire de Thueyts. (2) Fait cardinal du titre ale Saint-Eustache en 1371. (3) En 1390. (4) Cette tradition a été racontée avec plus d'étendue par M. Dalmas, dans le journal de la Drôme et de l'Ardèche.
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