THUEYTS. - MONTPEZAT. -
POURCHEIROLLES.
Dans cette portion du Vivarais la
nature par elle-même offre tant d'intérêt, que nous avons peu de place à donner
aux souvenirs historiques, cependant nous mentionnerons, à l'entrée de
Thueyts, le joli manoir de l'antique famille de Blou, et nos lecteurs
doivent se rappeler que nous avons rapporté un beau fait d'armes d'un
membre de cette famille dans notre article sur le bourg Saint-Andéol.
Thueyts est situé sur un plateau
formé par les laves et par les débris d'un volcan supérieur, dont les
traces sont encore visibles, quoiqu'il ait perdu son ancienne forme de
cratère : c'est un chef-lieu de canton et un bourg de quelque importance;
cependant il y a moins d'industrie qu'à Jaujac.
On descend du plateau basaltique du
Thueyts dans le lit de l'Ardèche par une espèce de fissure ou de cheminée
naturelle, pratiquée dans les parois du Pavé des Géants, qui a dans cet endroit
plus de deux cent cinquante pieds de hauteur. Une espèce d'escalier fait
grossièrement en laves brisées a été pratiqué dans cette fissure ou
cheminée ; quand la pluie est récemment tombée sur cet escalier, appelé
dans le pays l'Echelle du Roi, il devient glissant et dangereux, surtout
quand on le descend.
C'est pourtant la seule voie
praticable pour aller de Thueyts dans un vallon voisin, qui est si riant
qu'on l'a comparé à Cythère, et qu'on a appelé Monts de Vénus deux jolis
coteaux qui séparent ce vallon de l'Ardèche.
Quant à nous, au lieu de continuer
notre route du côté de ce vallon enchanté, nous sommes revenus par le bas
du Pavé des Géants (1), le plus beau et le plus grandiose qu'il y ait en
Vivarais. Sa hauteur moyenne est au moins de soixante-cinq mètres. Le
diamètre des colonnes basaltiques grossit toujours, comme nous l'avons dit,
en proportion de leur élévation; elles offrent souvent, dans cet endroit,
l'aspect d'immenses tuyaux d'orgues.
(1) Nous
recommandons encore à l'attention des voyageurs une portion du Pavé des
Géants qui est peu connue; pour la visiter, il faut quitter la route de
Thueyts à Nayrac, et descendre dans le domaine de Gourdon. Là, les basaltes
ont un peu moins de grandeur, mais leur base est baignée par un petit ruisseau
d'une merveilleuse limpidité, qui arrose de délicieux vergers s'étendant
jusqu'à l'Ardèche.
Il y a plus d'un quart de lieue du
pied de l'Echelle du Roi jusqu'au bas du site célèbre connu sous le nom de
Gueule d'enfer. Là, le Pavé des Géants, après avoir formé comme un
promontoire avancé, se replie majestueusement jusqu'au pont qui est à
l'entrée de Thueyts. De dessous les arches de ce pont s'élance une cascade,
dont la blanche écume forme un contraste admirable avec le lit de lave
noirâtre sur lequel elle suspend ses eaux. Des maisons et des usines
adossées sur la gauche aux parois du mur basaltique mêlent un peu de vie à
l'austère grandeur de ce tableau.
C'est au printemps, après la fonte
des neiges, qu'il faut voir ce site, d'un caractère si original et si
sauvage. A la fin de l'été, il ne reste que très-peu d'eau dans la cascade
de Gueule d'enfer.
De Thueyts, nous sommes allés par la
montagne à Montpezat, afin de voir en passant le volcan de la Gravenne ;
nous avions pour guide un de ces hommes éclairés et studieux (1), tels
qu'on en rencontre souvent dans le clergé du Vivarais. Nous remarquâmes
ensemble que Faujas de Saint-Fonds avait pris le pic de la Gravenne pour le
cratère lui-même; de là vient que Faujas refuse à ce volcan la forme de
cône renversé qu'il a au contraire au plus haut degré : nous n'avons pas vu
de cratère en Vivarais qui ressemblât davantage à celui du Vésuve. Le
volcan de la Gravenne paraîtrait éteint depuis moins de temps que celui de
Jaujac : aucune végétation arborescente ne s'est encore formée ni sur les
flancs ni dans le fond du cratère; l'herbe même y est rare et maigre; la
cendre, les scories, les laves spongieuses, abondent sur le haut même du
cratère et sur les versants extérieurs. Nous suivîmes les coulées de la
lave jusqu'au ruisseau qui est au-dessous, et là nous trouvâmes encore de
belles cristallisations de basaltes.
Ce ruisseau se jette dans la rivière
de Pourseilles, et forme avec elle une longue presqu'île; cette presqu'île,
qui est elle-même une table basaltique, offre la configuration d'un
vaisseau qui se termine par une large proue, entourée de précipices formés
par la lave. La rivière de Pourseilles se précipite elle-même en cascades
dans un cirque plus beau que celui de Jaujac, et également revêtu de colonnes
basaltiques.
A l'un des bouts de ce cirque et à
l'extrémité de la presqu'île, au-dessus de précipices qui peuvent avoir de
tous les côtés une centaine de pieds, a été assis, fièrement et carrément,
le château de Pourcheirolles, petit donjon gothique passablement conservé.
Sur la langue de terre qui y conduit s'élèvent les ruines d'un autre
castel. Voici la tradition qu'on m'a contée sur ces vieilles forteresses
Le château de Pourcheirolles, encore
actuellement existant, fut fondé par le cardinal Pierre Flandin (2), né à
Borée. Ce cardinal avait un neveu appelé Jean Flandin, qui fut chanoine de
Viviers, archevêque d'Auch, et enfin cardinal à son tour (3).
Il y avait alors schisme dans
l'Église ; le vieux cardinal Flandin était de l'obédience du pape d'Avignon.
Un jour, comme son neveu allait de Viviers à Borée, il lui donna la clef de
son château de Pourcheirolles; c'était, disait-il, une étape où il
trouverait à se loger commodément. Mais le malin vieillard avait un autre
but; après avoir bâti son château, il en avait fait hommage au pape
d'Avignon, et s'était reconnu son feudataire. Or, d'après les formules
symboliques de la féodalité, accepter la clef d'un donjon et en faire
usage, c'était se mettre sous l'obédience de celui qui en était reconnu
comme suzerain.
Jean Flandin ne sut le tour que son
oncle lui avait joué qu'après avoir naïvement profité de l'hospitalité qui
lui avait été offerte; il résolut alors de s'en venger, et voici ce qu'il
imaginat.
Il rassembla un grand nombre
d'ouvriers et fit construire à la hâte un donjon sur l'étroite langue de
terre qui conduisait au château de Pierre Flandin; il en fit hommage au
pape résidant à Rome, puis il alla trouver son oncle et lui offrit la clef
du nouveau donjon. Pierre Flandin la refusa. Il faut bien, lui dit son
neveu, que vous l'acceptiez, vous ne pouvez plus arriver à votre château
sans passer par le mien (4) !
La tradition ne dit pas comment le
vieux cardinal se tira de ce pas difficile; ce qu'il y a de certain, c'est
que son château existe encore, tandis qu'il ne reste que de faibles
vestiges de celui de Jean Flandin.
Le hameau inférieur de Montpezat, où
sont l'église et le presbytère, n'est qu'à un demi-quart de lieue de
Pourcheirolles ; le bourg même de Montpezat, qui s'étend un peu plus haut,
est industrieux et commerçant : il y a une coutellerie assez estimée.
NOTA. La population de Montpezat est de plus de 2600 âmes
(1) M. Maurin, vicaire de Thueyts.
(2) Fait cardinal du titre ale Saint-Eustache en 1371.
(3) En 1390.
(4) Cette tradition a été racontée avec plus d'étendue par M.
Dalmas, dans le journal de la Drôme et de l'Ardèche.
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