Serrières et le château Peyraud. Extrait de l'Album du Vivarais, Albert Dubois, 1842.
Le Château Peyraud en 1842
Le
Rhône limite le département de l'Ardèche ou l'ancien Vivarais dans la plus
grande longueur. Il y a trente-huit à trente-neuf lieues de poste de Limony à
Saint-Just-d'Ardèche, ou, pour ne parler que des villes situées sur la rive
même du fleuve, il y a trente-cinq lieues de Serrières au bourg de
Saint-Andéol. Ainsi, si l'on veut commencer le voyage du Vivarais par le
nord, il faut descendre le Rhône et débarquer à Serrières, près du joli pont
en fils de fer qui orne cette ville, toujours riche et florissante, quoique
récemment visitée par divers fléaux, savoir, le choléra en 1832 et les
inondations successives de 1840 et 1841 (1).
Serrières
avait un château fort qui fut pris et repris dans le temps des premières
guerres de religion. Depuis très longtemps cette ville fait un commerce
considérable de bois de charpente; elle est l'entrepôt des vins que
produisent les beaux vignobles des environs. Sa population (2) est de plus de
deux mille âmes. Le quai de Serrières, au-dessous du pont, est assez bien
bâti et forme une promenade que des villes plus considérables pourraient lui
envier.
A un
quart de lieue de Serrières, après avoir traversé un riche et fertile vallon
qui s'arrondit en demi-cercle entre le Rhône et des collines parsemées de
bois, de prés et de vignobles, on découvre un manoir restauré dans le style
moderne et exhaussé sur de vastes et hautes terrasses.
C'est
le château de Peyraud que possédèrent d'abord les sires de Roussillon,
marquis d'Annonay.
Vers
le milieu du quatorzième siècle, Aymar de Roussillon (3) eut avec l'église de
Lyon des différends qui se terminèrent par une guerre. Il battit les champions
de l'archevêché, qui étaient Bernard de Varey et Aymar de Villeneuve; il les
fit prisonniers, les jeta au cachot, et, par pure cruauté, fit arracher une
dent à Aymar de Villeneuve. Le roi, qui était à Avignon, fut si outré de
cette conduite, qu'avant de revenir à Paris il fit raser le château de
Peyraud et deux autres places fortes qui appartenaient au sire de Roussillon.
Peu
de temps après, Arnaud de Faï devint seigneur de la terre de Peyraud, par
suite d'un mariage (4) qu'il avait contracté précédemment avec une parente
d'Aymar de Roussillon, marquis d'Annonay. Arnaud de Faï, avec l'autorisation
du roi, fit relever le manoir en ruines.
Les
Faï eurent dans le Velay le berceau de leur famille. Pons de Faï qui vivait
au onzième siècle, épousa une fille d'Arnaud, vicomte de Polignac. Ses deux
fils, Pons et Pierre, vendirent une partie de leur patrimoine pour aller, en
1095, à la première croisade. De tout temps cette famille sut préférer la
gloire à la fortune (5).
(1) Les populations de
nos provinces méridionales sont encore sous l'impression des désastres et des
ravages affreux qui y furent faits par le Rhône au commencement du mois de
novembre 1840, et qui se sont renouvelés en partie au mois d'octobre 1841.
(2) Il y a à Serrières
une justice de paix et un bureau de bienfaisance.
(3) Histoire
d'Annonay, par Poncer jeune; cet écrivain place cet événement à la date de
1351.
(4) Ce mariage eut
lieu en 1330, d'après des titres que possède encore la famille de Fay.
(5) Suivant une
généalogie que nous fait communiquer M. de Fortia d'Urban , cette famille
aurait mêlé son sang à celui de Saint-Louis; voici cette généalogie:
EXTRAIT DE LA GÉNÉALOGIE
DE LA MAISON DE FORTIA.
..
Branche des Fortia d'Urban.
..
XI.
Paul de Fortia - Il quitta le service en 1681, et se retira à Avignon, où il
se maria, le 4 mai de cette année 1681; l'évêque d'Orange, Jean-Jacques
d'Obeille, conseiller du roi en ses conseils d'état et privés, abbé et comte
de Montfort, lit les cérémonies de son mariage avec haute et puissante dame
Marie esprit de Vissec de la Tude de Ganges, veuve de haut et puissant
seigneur messire Henri de Faï, marquis de Peyraud, en Vivarais, baron de
Vézénobres et autres places; fille de haut et puissant seigneur Charles de
Vissec de la Tude , marquis de Ganges, baron des états de Languedoc , et de
feue haute et puissante dame Diane de Joannis de Châteaublanc, cette marquise
de Ganges, dont la beauté et les mal heurs qui en furent la suite la
rendirent célèbre, et dont l'histoire a été imprimée en 1810. Le contrat de
mariage de la marquise d'Urban, sa fille, fut reçu par Thomas Rivasse,
notaire à Caderousse. Elle descendait de Saint-Louis, roi de France, et cet
honneur, qu'elle transmit à sa postérité, est si flatteur pour la maison de
Fortia, qu'il mérite ici quelques détails. On énoncera seulement les noms des
alliances qui ont formé ces diverses générations, en passant du père au fils,
ou à la fille.
1° Saint-Louis, roi de France, mort le 25 août 1270, eut, de Marguerite de
Provence,
2° Philippe Ill, dit le Hardi, roi de France, mort le 25 octobre 1285, eut,
d'isabelle d'Aragon
3° Charles, comte de Valois, mort le 16 décembre 1325, eut, de Marguerite de
Sicile,
4° Philippe de Valois, roi de France , mort le 22 août 1350, eut, de Jeanne
de Bourgogne,
5° Jean II, dit le Bon, roide France, mort le 22 avril 1361, eut, de Bonne
&Luxembourg,
6° Philippe de France, due de Bourgogne, mort le 27 avril 1404 , eut, de
Marguerite de Flandre ,
7° Marie de Bourgogne, morte le 6 octobre 1428, eut, d'Amédée VIII, due de
Savoie,
8° Louis, duc de Savoie, mort le 11 novembre 1462, eut, d'Anne de Lusignan,
9° Philippe 11, due de Savoie , mort le 7 novembre 1497 , eut, de Bonne de
Romagne,
10° René , comte de Villars, mort en 1424, eut, d'Anne de Lascaris,
11° Madeleine de Savoie, morte en 1586, eut, d'Anne, due de Montmorency,
12° Henri, due de Montmorency, mort le 1er avril 1611 eut, de Charlotte des
Essarts,
12° Marie de -Montmorency eut, de Jean de Faï, seigneur de Peyraud, et baron
de Vézenobres ,
14° Françoise de Faï eut, de Georges de Rousset, seigneur de Saint Sauveur,
15°, Laure de Rousset de Saint Sauveur eut, de Gabriel de Joannis, seigneur
de Châteaublanc ,
16° Diane de Joannis de Châteaublanc eut, de Charles de Vissec, marquis de
Ganges ,
17° Marie Esprit de Vissec de la Tude de Ganges, dont il est ici question,
laquelle épousa en premières noces Henri de Faï, marquis de Peyraud, et en
secondes noces , Paul de Fortia, marquis d'Urban.
.
Les
Faï-Peyraud, qui s'allièrent aux Montmorency, furent la source des
Faï-Gerlande et des Faï-Latour-Maubourg. Nous parlerons des Latour-Maubourg à
l'occasion du château de Boulogne qui leur a appartenu, ainsi que la baronnie
qui en dépendait.
Il y
a quelque temps, l'auteur de cet Album était à Malte; il visitait l'église de
Saint-Jean-de-Jérusalem. Sur les dalles dont cette église est payée (1), il
aperçut des inscriptions tumulaires dédiées à la mémoire des chevaliers de
Malte illustrés par d'éclatants exploits ou par une fin héroïque. Il
remarqua, au milieu de beaucoup de noms étrangers, celui d'un Français mort
au siège de Malte en portant l'étendard de la religion; c'était un
Faï-Soignac.
La
branche aînée des Faï, qui produisit plusieurs baillis et commandeurs de
Malte et un sénéchal de l'ordre, eut donc aussi son contingent de sang
noblement versé. Elle existe toujours en Vivarais.
Les
Faï avaient donné au château de Peyraud une haute importance. C'était un de
ces manoirs vastes et somptueux tels que ceux de Crussol, de la Voulte, de
Rochemaure, qui commandaient alors en 'Vivarais la rive droite du Rhône.
Les
Faï-Peyraud, qui, jusqu'aux guerres de religion, furent des sujets fidèles au
roi de France, exercèrent les premières fonctions de la province. Plusieurs
d'entre eux furent sénéchaux de Beaucaire et de Nîmes.
François
de Faï, baron de Peyraud, était colonel de cavalerie dans les armées
protestantes du Languedoc. Il s'empara, en 1562, avec l'autorisation de son
général, le baron des Adrets, du couvent des Célestins ou château de
Colombier (2); mais il empêcha qu'on y commit aucune espèce de désordre.
Le
fils de cet officier supérieur ne sut pas allier comme lui la prudence à
l'habileté et au courage.
.
(1)
Les monuments des grands maîtres sont dans des chapelles particulières.
(2)
Voir au chap. 3me.
.
Il
perdit son père de bonne heure, quand il aurait eu besoin encore du frein
salutaire de son autorité. D'un caractère fougueux et bouillant, il ne rêvait
que prises d'armes et grands coups d'épée. Du Peloux (1), chef catholique,
plein de sagesse et de talent, avait toujours eu sur l'esprit de ce jeune
seigneur la plus heureuse influence. Il avait tempéré sa belliqueuse ardeur
et l'avait maintenu dans le parti de la royauté. Mais, en 1574, quand du
Peloux donna sa démission des fonctions de gouverneur d'Annonay, le jeune
Faï-Peyraud, furieux, jura qu'il n'avait plus de chef à reconnaître et que
désormais il en ferait à sa tête. En conséquence, il gagna à son parti cinquante
jeunes gens d'Annonay appartenant à la religion calviniste, il débaucha
beaucoup de soldats de la garnison de cette ville, et, avec cette petite
troupe, il s'empara des châteaux de la Barge et de Serrières. Il laissa dans
celui de Serrières une garnison qui brûla plusieurs maisons dans l'intérieur
de l'enceinte du fort; puis il établit quelques hommes d'armes à Peyraud, et
se mit, comme au temps de l'anarchie féodale , à enlever les convois de
marchandises (2) qui passaient le long du Rhône sous les murs de sa terrasse.
Le
sénéchal du Lyonnais, à la tête de quelques compagnies royales, vint mettre
ce noble séditieux à la raison. A l'aide de deux canons et de quelques
coulevrines, il battit en brèche, avec tant de vigueur, les deux châteaux de
la Barge et de Peyraud, que les garnisons demandèrent à se rendre; pendant
qu'on parlementait, le sire de Peyraud s'échappa, avec quelques hommes
déterminés, par une porte de derrière, du côté de la montagne. Les
assiégeants entrèrent de force dans son château, le pillèrent et le
saccagèrent, et firent prisonnières sa mère et sa sœur récemment arrivées du
Languedoc; puis ils mirent à rançon les riches paysans de sa terre, firent
toutes sortes de meurtres et de violences, brûlèrent le village de Peyraud,
et rasèrent les deux forts jusqu'aux fondements. Les moulins de Peyraud
furent transportés à Lyon pour la part de butin des canonniers. On appela
vastadours les pionniers qui détruisirent ces vieux édifices et en jetèrent
les matériaux dans le Rhône.
Plus
de vingt ans après, sous le règne d'Henri IV, quand on reconstruisit le
château de Peyraud, on retrouva une grande quantité de boulets provenant du
siège de 1574.
Quant
au sire de Peyraud, il se fit le lieutenant de Pierre Gourde, et continua à guerroyer
pour le parti protestant.
Ces
événements portèrent un coup funeste à la maison de Faï-Peyraud. « La ruine
de cette maison anciennement noble et illustre, dit Achille Gamon , fut
beaucoup regrettée et attribuée à la légèreté d'un trop jeune conseil. »
.
Le
dernier rejeton des Faï-Peyraud laissa une fille qui épousa le président de
Saint-Priest.
Aujourd'hui
le château de Peyraud appartient à M. de Barrin.
Au
commencement du treizième siècle, le village de Peyraud a donné le jour au
moine dominicain Guillaume, surnommé Peraldus, du nom de son lieu de
naissance, et connu par son traité de erudifione religiosorum (3). Ainsi,
tandis que le donjon féodal servait de berceau à de hautes renommées
militaires, les chaumières qui s'abritaient aux pieds de ses tourelles
n'étaient pas déshéritées de toute chance de gloire. L'église, en ouvrant au
pauvre serf les arceaux de ses cloîtres, lui offrait une carrière où il
pouvait trouver de la considération et de la renommée.
.
(1)
Mémoire d'Achille Gamon et autres mémoires manuscrits.
(2) «
Fut par eux arrêtée une voiture de marchandises qu'on estimait valoir plus de
100,000 liv., laquelle fat mise en terre et déchargée au château Peyraud, et
en grande partie ravie par les soldats altérés. Toutefois, quelques jours
après , les marchands vinrent composer pour le recouvrement du reste, et,
pour le paiement, laissèrent audit château deux Allemands en otage. » (
mémoires d'Achille Gamon. )
(3)
Cet ouvrage sur l'Erudition des religieux fut imprimé longtemps après sa
mort, sous le nom d'Hambert, général des dominicains. Guillaume Peyraud
composa encore Io la Somme des vertus et des vices , faussement attribuée
depuis à Guillaume de Brosse ;
1° un
Recueil de sermons de diversis et de festis ;
2° un
Traité sur la règle de saint Benoît ;
3°
un Traité de eruditione principum ;
4° un
autre ouvrage intitulé Virtulum , vitiorumque exempla. Suivant quelques
auteurs, Guillaume Peyraud aurait été suffragant de l'archevêché de Lyon. Il
serait mort vers 1260 ou 1275.
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