Hannibal 218 av. J.C.

 

Dom Vaissette – Histoire générale du Languedoc, 1730.»

Hannibal après avoir gagné par ses présents le reste des Volques, et intimidé les autres par la crainte de ses armes, arrive enfin aux bords du Rhône sur les frontières de ces peuples qui s’étendaient pour lors des deux côtés de cette rivière, selon le témoignage de Tite Live.

 

Les Romains de leur côté informé par leurs ambassadeurs du mauvais succès de leurs négociations tant en Espagne que dans les Gaules et par les Marseillais leurs alliés des préparatifs d’Hannibal et de ses dessins sur l’Italie, donnèrent le commandement d’une flotte considérable au consul Tibérius Sempronus. Tandis que son collègue Publius Cornelius Scipion avec soixante longs vaisseaux et plusieurs troupes de débarquement ferait voile vers l’Espagne pour aller combattre Hannibal, et s’opposer en tout cas à la traversée du Rhône et des Alpes, dont ils le croyaient fort éloigné. Scipion étant arrivé de Pise à Marseille en cinq jours pris le parti de s’arrêter dans les Gaules et de remonter le Rhône avec sa flotte par l’embouchure la plus voisine de cette dernière ville.

 

Il débarqua ensuite ses troupes et forma un camp le long de cette rivière pour en disputer le passage à Hannibal qu’il croyait alors occupé au passage des Pyrénées. Mais à son débarquement il fut surpris d’apprendre que ce général était déjà arrivé sur les bords du Rhône à quatre journées de la mer, et qu’il se disposait à passer le fleuve avec son armée. Sur cet avis Scipion donna trois cents cavaliers aux Marseillais et aux quelques Gaulois auxiliaires, qui s’offraient d’aller reconnaître le camp des Carthaginois tandis qu’il ferait rafraîchir ses troupes que la navigation avait extrêmement fatiguées. Il délibèrera ensuite dans le conseil de guerre des moyens pour s’opposer au passage d’Hannibal.

 

Au bruit des approches de ce général la plupart des Volques habitant la rive droite du Rhône, côté Languedoc, inquiets et persuadés qu’il en voulait à leur liberté, passent le fleuve pour se cantonner sur l’autre bord, ce dernier leur servant de rempart, mais ceux qui étaient demeurés dans le pays, gagnés par les présents et l’argent qu’Hannibal leur fit distribuer, et souhaitant d’ailleurs de se voir bientôt délivrés du séjour de ses troupes, s’empressèrent de lui fournir tout ce qui pouvait faciliter son passage. Ils lui vendirent toutes leurs barques grandes et petites dont ils avaient un grand nombre à cause de leur commerce auquel ils s’adonnaient beaucoup.

 

Mais comme toutes ces barques ne suffisaient pas pour le transport de l’armée carthaginoise, ils fournirent encore à Hannibal le bois nécessaire pour en fabriquer de nouvelles, ils aidèrent même ses troupes à les construire.

 

Ces barques qui n’étaient que des troncs d’arbres creusés, furent construites avec tant de diligence, que dans l’espace de deux jours Hannibal se vit en état de tenter le passage du Rhône.Cependant comme il prévoyait que les Volques qui s’étaient retirés de l’autre côté de ce fleuve, et qui s’étaient joints aux autres peuples du pays lui disputeraient le passage. Il usa du stratagème suivant. IL donna un détachement à Hannon fils de Bomilcar, avec ordre de remonter le long du Rhône, de le passer à l’endroit qu’il jugerait le plus commode, et de descendre ensuite le long du rivage opposé, pour prendre, quand il serait temps, les ennemis à revers.

 

Hannon s’étant mis à la tête de ce détachement composé de troupes, la plupart Ibériennes ou Espagnoles, et conduit par des natifs du pays, partit du camp à la première vieille de la troisième nuit depuis l’arrivée des Carthaginois au bord du Rhône, et fit vingt-cinq milles de chemin pour se rendre à un endroit ou cette rivière s’étendait beaucoup ou se partageant en deux bras, elle formait une Isle, ce qui la rendait plus guéable. Une forêt voisine lui avait fourni de quoi construire assez de radeaux pour le passage de la cavalerie et le transport des bagages, il fit passer les Espagnols à la nage couchés sur leurs boucliers ou citres, et tirant après eux leurs habits qu’ils avaient mis sur les outres.

 

Hannon après avoir fait passer ainsi le Rhône à tout son détachement sans aucune opposition, campa le reste du jour sur le bord de la rivière (dans le texte) pour y faire rafraîchir ses troupes, et se délasser des fatigues de la nuit précédente.

 

Le lendemain ce général conformément à ses ordres, descend le long du rivage avec ses troupes et lorsqu’il fut au voisinage du camp d’Hannibal ayant donné le signal dont il était convenu, qui était de faire de la fumée, ce dernier qui avait déjà tout préparé de son côté pour le passage, fit d’abord mettre les cavaliers armés sur les plus grosses barques et les fantassins sur les plus légères qui étaient rangées au-dessous des autres, celles-ci étant plus propres pour rompre l’impétuosité de l’eau. On avait à la poupe de chacune de ces dernières un cavalier pour tenir les rênes de trois ou quatre chevaux qui devaient passer à la nage, il y avait dans le même bateau d’autres chevaux sellés et bridés, dont on avait fait entrer un nombre suffisant pour faciliter le débarquement du reste de la troupe. Tout étant ainsi disposé, Hannibal donne le signal du départ, et les barques étant parties dès l’instant, les troupes qui les conduisaient tachent par des efforts redoublé de rompre la rapidité de l’eau pour arriver à l’autre bord, les soldats s’animent les uns les autres par des cris mutuels avec ceux qui étaient demeurés sur le rivage.

 

A la vue du passage des Carthaginois et aux bruits de leurs cris, les Gaulois de la rive gauche arrivent en foule, s’attroupent sur le rivage chantant à leur manière et frappant sur leurs boucliers, et font une décharge de flèches sur la flotte ennemie. Dans l’incertitude de la suite de l’événement, la terreur saisit également ces deux peuples. Les Gaulois effrayés du nombre prodigieux de bateaux qui couvraient la rivière, furent encore plus surpris lors qu’entendant de grands cris derrière eux, ils virent qu’Hannon, après s’être emparé de leur camp et y avoir mis le feu, venait fondre sur eux avec une vivacité extrême. Cette attaque imprévue les obligea alors à diviser leurs forces et envoyer une partie de leurs troupes à la défense de leur camp, pour éteindre le feu, tandis que le reste se présenta pour soutenir l’effort du détachement d’Hannon. Hannibal profitant d’une diversion si favorable, arriva sans opposition à l’autre bord du Rhône avec une partie de ses soldats qu’il rangeait en bataille à mesure qu’ils débarquaient. Ce général les amène ensuite au combat. Les Gaulois accablés par la multitude sont enfin obligés de céder et de chercher une retraite dans les villages voisins ou ils se dispersent. Hannibal fit passer ainsi, librement le Rhône au reste de son armée, et campa la nuit suivant sur les bords de ce fleuve.

 

Le lendemain sur l’avis qu’il eut que la flotte romaine était arrivée vers l’embouchure de ce même fleuve, il détacha pour la reconnaître cinq cents Numides, tandis qu’il fit disposer toutes choses pour le passage des éléphants qui étaient encore sur l’autre bord du Rhône. Ces Numides ne furent pas longtemps sans rencontrer le détachement que Scipion avait fait partir de son côté pour reconnaître les Carthaginois Les deux corps en étant venus aux mains, le choc fut très vif de part et d’autre; mais enfin après des pertes presque égale des deux côtés les Numides ne pouvant plus soutenir l’effort des Romains, prirent le partie de la retraite, et portèrent à Hannibal la nouvelle de défaite avec celle de l’approche des Romains. Ce général fut d’abord en suspens, irait-il au devant de ces derniers pour les combattre ou continuerait-il son chemin vers les Alpes pour ne pas retarder son entrée en Italie? Il prit ce dernier parti avec l’avis des députés des Gaulois Cisalpins qui étaient venus le joindre pour s’offrir de lui servir de guides. Hannibal fit donc décamper son armée et la fit marcher le long du Rhône en remontant cette rivière vers sa source, tandis qu’il demeura encore dans le camp pour faire passer ses éléphants, ce qu’il dit de la manière suivante.

 

On joignit plusieurs radeaux ensemble depuis le rivage jusque bien avant dans le Rhône, et dans l’espace de deux cents pieds de long et cinquante de large. A ces radeaux liez les uns avec les autres et attachés au rivage on en joignit encore un ou deux plus avant dans la rivière. Ces derniers sur lesquels les éléphants devaient passer avaient la même largeur que les précédents; mais ils n’avaient que cent pieds de long, et ne tenaient aux autres que par des câbles facile à couper. On couvrait les uns et les autres de terre pour faire entrer plus aisément ces animaux, qui craignant naturellement l’eau ne s’y laissent pas conduire facilement.

Pour remorquer les radeaux qui devaient être chargés ont prit plusieurs barques qu’on attacha sur le rivage avec des cordes qui tenaient à des poulies, ainsi disposé, on fit passer d’abord une femelle jusqu’au dernier radeau, où les autres éléphants l’ayant suivie, on coupa les câbles et on partit.

 

Tous les éléphants traversèrent ainsi heureusement la rivière et arrivent à l’autre bord à l’exception de quelques-uns qui effrayés de se voir environnés d’eau, se jetèrent dans le Rhône, d’où ils se sauvèrent cependant à la faveur de leurs trompes. Il en coûtera seulement la vie à quelques-uns de leurs conducteurs qui périrent dans ce passage.

 

Après que les éléphants eurent passé, Hannibal partit aussitôt pour aller rejoindre le reste de son armée qui avait pris les devants, et qui se trouva affaibli dans sa route depuis les Pyrénées jusqu’au Rhône, de douze mille fantassins et de mille chevaux, étant réduite à trente mille hommes de pied et huit mille chevaux, ce qui prouve que les Carthaginois avaient eu divers combats à soutenir contre les Volques qui occupaient toute cette étendue du pays. Hannibal continua ensuite sa marche, et depuis l’endroit de son passage il arriva en quatre jours au confluent du Rhône et de L’Isère. Ce qui nous donne lieu de croire qu’il passa la première de ces rivières (le Rhône) un peu au-dessous du Pont saint Esprit, qui se trouve à une distance presque égale de la mer et de l’embouchure de l’Isère.

 

 

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