CHARLES JALABERT
(1818-1901)
peintre nîmois du XIXe siècle

INAUGURATION DE LA STATUE DE CHARLES JALABERT.

En vue d'ériger un monument à la mémoire de Charles Jalabert, décédé en 1901, une souscription publique sera ouverte et complétée par une subvention de la ville de Nîmes d'un montant de 1000 francs en février 1904.
Le 10 avril 1904, inauguration de l'oeuvre de l'architecte Max Raphel et du sculpteur Pierre Tourgueneff, sous la présidence de Gaston Boissier.
Situé face au bassin du square de la Bouquerie, socle mouluré de plan carré en pierre supportant un buste en marbre et une applique en bronze - portrait (en buste) ; représentation végétale (laurier) , branche de laurier en bronze figurant l' hommage de sa ville , dédicace sur le socle, transcription : Charles Jalabert 1818 1901.
Par la suite la statue sera mutilée par vandalisme et mise en dépôt au service municipal des jardins de Nîmes.
Une réplique du buste sera attribuée au musée de Nîmes.

OBSÈQUES DE CHARLES JALABERT
(1818-1901)

Correspondant de l'Académie de Nîmes.

Discours de M. Alexandre Ducros, Vice Président de l'Académie de Nîmes.

C'est à l'absence de notre président que je dois le dou­loureux honneur. de parler sur le cercueil de l'artiste célèbre qui disparaît, d'adresser les derniers adieux à notre cher et regretté confrère académique.
La grande patrie perd en lui un noble émule de nos illustrations artistiques, et la petite patrie, c'est-à-dire Nîmes, un fils dont elle était fière pour le joyau, le fleuron de gloire que, digne héritier des Natoire et des Sigalon, il avait attaché à son front.
Charles Jalabert naquit, à Nîmes, le 25 décembre 1818. Ce jour-là les muses païennes de l'art divinisé durent, comme les croyants de nos légendes chrétiennes, crier aussi : « Noël ! Noël ! » sur le berceau de l'enfant nou­veau-né.
A quelle carrière le destinaient ses parents ? Je l'ignore. Mais le démon, c'est-à-dire le génie de la peinture, le possédait dès ses premières années. Presque enfant, il suivait les cours de dessin d'un maître qui a laissé des toiles remarquables à Nîmes ; je veux dire Alexandre Colin, l'auteur d'une Halte de Bohémiens au Pont-du-Gard.; de François ler, visitant la Maison-Carrée, à genoux devant un cippe funéraire, essuyant avec son mouchoir la poussière qui recouvre l'inscription latine, pour la tra­duire aux dames et seigneurs de sa suite.
Si je cite ce dernier tableau, que l'on peut voir aujourd'hui dans la salle des mariages de notre mairie, c'est que Jalabert y figure. Son professeur, M. Colin, l'avait fait poser pour l'un des deux jeunes pages que l'on voit au premier plan du tableau, à droite, à côté des consuls, gracieux épisode des primes débuts de celui qui, à son tour, dotera notre musée d'oeuvres remarquables aussi.
Bien jeune encore il partit pour Paris. - II entra à l'ate­lier de Paul Delaroche : - il concourut une première fois pour le Grand Prix de Rome ; - il échoua. Mais il avait une de ces natures que le découragement n'entame pas facilement ; il se présenta une seconde fois au Concours ; il échoua encore ! - La Fable nous dit que Antée terrassé par trois fois se relevait plus fort en embrassant la terre : Jalabert étreignant son indomptable volonté, fai­sant appel à sa fin robuste, affronta le Jury du concours une troisième fois et sortit de l'épreuve, d'une manière triomphante.
Il partit pour Rome, passa trois ans et demi ;dans la célèbre École Française de la Villa Médicis ; et c'est de cette école, je crois qu'il envoya, à Paris, son tableau : Virgile lisant ses géorgiques chez Mécène. - Ce tableau fut placé au Musée du Luxembourg, où il resta long­temps. Notre Musée le possède aujourd'hui. Il avait vingt
-­six ans lorsqu'il peignit cette toile magistrale.
Qui de nous
, n'a admiré ces oeuvres délicates que l'on voit au Musée et qui s'appellent : Marie des Abruzzes ; Evangelina ? Et, à la Mairie, cette grande figure allégori­que que Jalabert donna à la ville de Nîmes lors de la Révolution de 1848 ? C'était une République coiffée du bonnet phrygien, emblème que l'Empire fit disparaître tout en gardant l'oeuvre du donataire.
Citerons-nous les autres oeuvres de Jalabert ? Nommons alors le Réveil, la Veuve, l'Annonciation, quatre tableaux religieux; Roméo et Juliette, que Goupil, le célèbre éditeur d'oeuvres picturales, a reproduit par la gravure, comme il a fait du reste pour la plupart des toiles de notre illustre compatriote.
Lors de la chute de Louis-Philippe, Jalabert, qui avait déjà peint le portrait de la reine, fut appelé en Angleterre pour fixer sur la toile tous les membres de la famille royale en exil.

PORTRAIT DE LA REINE MARIE AMÉLIE
réalisé par Charles Jalabert
exposé au Musée Condé

Ses tableaux sont nombreux. La Villanella, une mer­veille de grâce, une éblouissante harmonie de couleurs, dont une copie, faite par Jalabert lui-même, se trouve chez son neveu, M.  Émile Reinaud, ancien maire de notre cité.
L'un des chefs-d'
oeuvre du maître que nous pleurons : Jésus marchant sur les eaux est en Amérique; un autre tableau, dans lequel Jalabert s'est peint, c'est l'Atelier de Raphaël; ensuite Orphée, le grand charmeur que le pein­tre a doté d'un charme nouveau avec la magie de sa palette.
Permettez-moi, Messieurs, d'ouvrir une parenthèse â propos d'un tableau de Paul Delaroche
, celui de Moïse sauvé des eaux. Si ce tableau n'est pas signé par Jalabert, c'est que Jalabert ne l'a pas voulu : son illustre maître n'a peint que le berceau du libérateur des Hébreux. Tout le reste du tableau, le paysage égyptien des bords du Nil, la fille de Pharaon et ses suivantes, sont de notre regretté compatriote. Sa modestie le trouva satisfait et fier de cette collaboration de l'élève avec le maître.
Comme portraitiste, Jalabert doit être placé au premier rang, je dirais même, hors pair. On peut citer de lui le portrait fait à Rome de l'amiral Gizolme, père de M. Gizolme, ancien préfet du Gard ; aujourd'hui Conseiller à la Cour, à Nîmes ; celui d'Émile Augier, le célèbre auteur dramatique : ce portrait figure dans la riche galerie de tableaux du Théâtre Français ; celui de l'éminent avocat Oscar Falateuf. - À Nîmes, les portraits de Mme De­leuze-Cambriel ; du docteur Bonnes. - Autant de por­traits, autant de chefs-d'oeuvre. - Ce n'était pas seule­ment la ressemblance physique que peignait Jalabert, mais la ressemblance morale
, le caractère, l'esprit, l'état d'être, l'état d'âme se lisent couramment sur ces visages qui semblent vous regarder, cherchant â vous analyser, à vous définir aussi.
Sous le second Empire, Jalabert fut le portraitiste de femmes recherché, acclama, proclamé le maitre du genre. Nombreuses sont les dantes de haut parage qui voulu­rent poser devant lui. La liste en serait longue si nous voulions, ou plutôt s'il nous était possible de les citer toutes, à commencer par la belle Mme Pourtalès.
Nous avons parlé rapidement de l'artiste, que dirons­
-nous de l'homme ? Toute son œuvre prouve que ce fut un idéaliste en même temps qu'un profond observateur. Ceux-là qui vécurent dans son intimité pourraient dire le sans-façon, la simplicité, la bonhomie de sa personne et les finesses de son esprit, le charme de sa conversation : il captivait, sans s'en douter, avec les souvenirs de sa longue carrière ; à la plupart de ses tableaux se rattachait un souvenir intime que sa vieillesse rappelait avec une émotion que partageaient ses auditeurs. Son émotion sur­tout était grande, quand il parlait de sa ville natale où il venait tous les ans passer deux ou trois mois pour se retremper dans les bains lumineux de notre beau soleil, aspirer à pleins poumons les senteurs vivifiantes des lavandes de nos garrigues, et récréer son oreille avec le chant berceur de nos cigales. Dernièrement, il écrivait à son ami; cet autre peintre disparu, notre confrère acadé­mique Jules Salles; il lui écrivait une de ces lettres plei­nes d'humour, où coulaient à flots l'esprit et la verve gau­loise, pour lui annoncer sa prochaine venue à Nîmes. - Hélas! la lettre arriva le lendemain de la mort de Jules Salles !
Et aujourd'hui, d son tour, la mort vient lui faire cor­tège avec une soeur bien-aimée dont il était l'orgueil. Oui ! cet autre cercueil que nous voyons à côté du sien est celui de Mme Lombard née Claire Jalabert, une femme supérieure aussi ; femme d'intérieur, du foyer domesti­que. - Les voilà partis ensemble pour un monde éthéré, de justice impeccable, réalisant la parole évangélique, comme nous l'apprend la citation de la lettre de faire-part :

« Père, mon désir est que là où je suis, ceux que tu m'as donnés y soient aussi avec moi. »

Pour terminer, laissez-moi établir un parallèle entre une autre parole du Christ, faisant allusion a.v la vie éter­nelle, et la puissance de l'Art donnant aussi l'immorta­lité, en disant comme le blond charpentier galiléen 
« Je » suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi u vivra, quand même il serait mort ! » .Jalahert a cru à l'Art rédempteur, aussi il vivra ! Adieu, cher grand artiste ! Adieu ! vous, sa soeur bien-aimée, qui l'accompa­gnez dans l'infini !

  

DISCOURS DE M. Victor ROBERT
membre résidant de l'Académie de Nîmes.

La Société des Amis des Arts de Nîmes ne saurait oublier jamais la dette de reconnaissance qu'elle avait contractée envers Charles Jalabert. Voici bien des années qu'elle a ouvert son premier Salon. L'artiste éminent et regretté, M. Révoil, qui avait assumé la charge de l'orga­niser, demanda à notre illustre compatriote le concours de son assistance et la faveur d'une oeuvre sortie de son pinceau. Nous pensions tous qu'une fête de l'art ne pou­vait avoir lieu à Nîmes sans que Charles Jalabert y tînt la place qui lui appartenait, la première.
Depuis de longues années, Jalabert avait renoncé aux expositions parisiennes. Ennemi du bruit et de la réclame, il vivait dans une laborieuse retraite, entouré d'amis excellents et distingués. Les délicats savaient aller l'y trouver, et sa modestie, pleine de finesse, se tenait satis­faite de leurs suffrages. Mais il estima, lui aussi, qu'il avait des devoirs envers sa ville natale ; avec une gra­cieuse bonté, il devint notre exposant le plus fidèle, le plus aimé aussi et le plus admiré. Depuis lors, il n'a jamais manqué de nous envoyer une ou plusieurs de ces oeuvres exquises que cherchaient les premiers regards de nos visiteurs.
Sa complaisance, son filial souci de contribuer à l'édu­cation artistique de notre cité, ne s'en tenaient pas là ; il se faisait solliciteur dans notre intérêt, et il a plusieurs fois obtenu pour nous, de quelqu'un de ses glorieux cama­rades, des ouvrages qui étaient, pour un Salon de pro­vince, un honneur inespéré.
Parfois aussi il faisait coïncider avec nos expositions l'un des séjours qu'il faisait à Nîmes tous les ans au mi­lieu des siens. Et c'est ainsi que nous avons appris v con­naître plus complètement l'homme et l'artiste. L'homme était charmant, cordial, plein d'une bonhomie familière et spirituelle, d'esprit cultivé, très instruit de l'histoire de son art, curieux et intelligent des tendances de I'École contemporaine, indulgent aux jeunes, ouvert à toutes leurs tentatives même les plus audacieuses. Au con­traire de ces vieillards qui croient tout perdu quand ils voient les générations nouvelles abandonner les sentiers qu'ils ont fréquentés et la tradition qui les a nourris, il avait conservé le don bien rare d'une souplesse et d'une réceptivité de l'esprit qui lui permettaient de suivre, de comprendre et de goûter ce qu'il y avait de vraiment ori­ginal dans les efforts des protagonistes du plein air ou de l'impressionnisme.
Et par là., jusqu'à la fin, il a su rester jeune. Sans ces­ser d'être fidèle aux sages enseignements de ses maîtres d'autrefois, qui faisaient du dessin le fondement même et la probité de l'oeuvre d'art; il élargissait chaque jour sa manière, et donnait aux recherches d'une harmonie colo­rée, plus vibrante et plus fraîche, une place toujours plus grande.
Il y a que
lques années, il me demandait, un jour, mon sentiment sur un portrait auquel il mettait la dernière main, car ce maître sollicitait et écoutait tous les avis même les moins autorisés; et, comme je prenais un temps pour lui répondre :

« Que voulez-vous, dit-il avec un demi-sourire, je sens bien que je fais de la peinture de vieux! »

Et tout en moi protestait, au contraire, car jamais sa tou­che n'avait eu un accent plus ferme, sa palette plus d'éclat, sa main plus de liberté. Mais il était de la race des vrais artistes qui se croient toujours arrêtés à mi-chemin de leur rêve.
Il a marqué sa place dans ce qu'on appelait autrefois la peinture d'histoire, la grande peinture, qui demeurera toujours un genre noble fait pour tenter de nobles esprits. L'État a bien voulu confier à notre Musée son Virgile lisant les géorgiques. Quelle préoccupation de style et de beauté dans les figures; quelle ordonnance équilibrée et discrètement, doucement solennelle ! Et quelle justesse, quelle vérité vivante d'observation ! L'air de tête et l'ex­pression de l'auditeur, qui retient et caresse encore dans son oreille l'heureuse cadence échappée des lèvres du poète divin, sont une merveille.
Mais c'est surtout dans le portrait qu'il a affirmé toute la maîtrise de son talent. Peintre studieux des surfaces, il savait aussi pénétrer l'être moral de son modèle, tra­duire une pensée, exprimer un caractère
, enfermer une âme dans sa toile. Il avait l'art de rendre sensibles les correspondances secrètes entre la figure et le décor, les harmonies et les réactions mystérieuses de l'être humain et du milieu qui l'entoure. Les yeux, la bouche, les mains (oh ! les délicieuses mains de femmes qu'il a su peindre!), le vêtement, les parures, les objets familiers, le fond même, tout parle dans ses portraits, tout concourt à pla­cer sous nos yeux non pas une simple effigie, mais une personne morale tout entière.
Ce n'était point un réaliste, mais il avait le don de la vie. Il aimait passionnément la beauté, mais il avait le respect de la vérité. Et
, pour satisfaire à ce double et impérieux besoin, il suivait la méthode de ces avocats heureux qui peuvent n'accepter que les bonnes causes : c'est Charles Blanc qui en a fait la remarque. Il fallait plaire à Jalabert, pour avoir un portrait de sa main.
Pour lui, d'ailleurs, la beauté ne consistait pas unique­ment dans une exacte et harmonieuse proportion des lignes, dans l'éclat d'un teint associé à la pureté d'un contour ; il savait la découvrir dans le caractère de la physionomie, dans tout ce que l'intelligence, la sensibi­lité, la jeunesse et l'expérience peuvent imprimer de no­blesse ou de grâce sur les traits du visage humain. II a de magnifiques portraits d'hommes, parmi lesquels on peut citer celui d'Émile Augier. Rien n'égale la délica­tesse et l'élégance avec lesquelles il a peint les jeunes filles ou les jeunes femmes. Son portrait d'une vieille femme, d'une grand'mère, la reine Marie-Amélie, est un pur chef-d'oeuvre qui a fixé tous les regards à l'Exposi­tion des portraits du siècle.
Charles Jalabert appartient à l'histoire de notre École de peinture française au XIXe Siècle. Il demeurera l'or­gueil de notre École de Nîmes. Il meurt plein d'oeuvres et de jours ; il entre dans son repos accompagné de cette soeur qui était fière de lui comme il était fier d'elle. Bien dignes, en effet, l'un de l'autre - l'une, source inépuisa­ble de dévouement et de bonté, l'autre, créateur de beauté, - ils laissent à tous ceux qui les ont connus et aimés un haut exemple et un attendrissant souvenir.

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