Il ne saurait être question d'analyser ici, même brièvement, l’œuvre scientifique du commandant Espérandieu. Celui auquel a été confié le soin de rédiger ces quelques pages liminaires, ne saurait oublier que, parmi tant de hautes qualités de caractère dont il a fait preuve, ce grand savant a toujours donné l'exemple d'une parfaite modestie, animé du sincère désir de l'imiter, il évitera donc de s'aventurer dans un domaine qui n'est pas le sien. Toutefois l'auteur de cet Avant-propos a eu l'honneur et la joie très douce d'être, depuis plus de quinze ans, admis dans l'intimité du commandant Espérandieu, de recueillir souvent sa pensée, de communier avec lui dans le même amour de la patrie méridionale dont ils sont l'un et l'autre originaires, d'être associé aux même entreprises d'apostolat intellectuel. A ce titre, il lui sera permis de compléter la liste des travaux qui fait l'objet de ce fascicule par quelques réflexions qui, peut-être, permettront de mieux saisir toute la portée des services rendus par un maître dont l'érudition, colorée de pensées généreuses, illuminée d'une flamme ardente et enthousiaste, a rayonné bien au de là des cercles restreints de la production scientifique et a su se rendre accessible aux masses comme à l'élite, aux plus humbles comme aux plus cultivés.
Buste d'Emile Espérandieu, au musée de Nîmes
Le Commandan Espérandieu est connu avant tout comme l'auteur du grand ouvrage intitulé Recueil général des bas-reliefs de la Gaule romaine, complété par le Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Germanie romaine, auquel il a consacré prés de trente ans : c'est en effet le 12 janvier 1903 que le Comité des Travaux historiques le chargea de cette importante publication; le tome 1 parut dés 1907; le tome X de la Gaule romaine a vu le jour en 1928 et le volume sur la Germanie romaine en 1931. Ce Recueil, où ont été inventoriés et reproduits, province par province, les bas-reliefs et sculptures de ronde bosse conservés sur notre sol, représente â coup sûr une des oeuvres les plus remarquables dont puisse s'enorgueillir la science française, il suppose des recherches minutieuses et multiples aussi bien dans les musées et dans les campagnes que dans les livres.
Aucune oeuvre n'a échappé aux investigations de l'auteur et, lorsque les oeuvres sont perdues, le dessin supplée â la reproduction directe; des notices brèves et précises, avec une bibliographie très complète, accompagnent cette illustration, en sorte qu'il y a là un ensemble unique, dont la valeur a été admirablement définie par M. Jérôme Carcopino dans un article des Mélanges d'archéologie et d'histoire :
« Nous devons, écrit cet éminent historien, une profonde gratitude à M. le commandant Espérandieu qui a terminé, en 1928, l'impression de son Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, complété en 1931 par son Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Germanie romaine. C'est, au total, plus de 8000 documents figurés que M. Espérandieu a inventoriés, reproduits par la photographie ou par le dessin, quand il lui était impossible de les photographier. Il y a ajouté des notices dont quelques-unes ont la valeur de mémoires originaux. Il a édifié une oeuvre dont seront à jamais tributaires tous ceux qui s'intéressent au passé de la Gaule ou à celui de Rome, à la religion, à l'économie, à l'art de l'antiquité. Elle ne passera point, parce que nul ne pourra s'en passer. (2) »
(1) Cette analyse détaillée sera prochainement publiée dans une étude d'ensemble due à M. Pierre Deloncle, archiviste paléographe, avec préface de M. Jérôme Carcopino, Membre de l'Institut. (2) Mélanges d'archéologie et d'histoire, 1933, p19.
L’œuvre scientifique du commandant Espérandieu ne se réduit pas à ce Recueil qui aurait suffi à immortaliser son nom; les 485 numéros de la bibliographie contenue dans les pages qui suivent en attestent l'incroyable fécondité, mais, si variée qu'elle puisse tout d'abord apparaître, elle revêt une grandiose unité, tellement elle converge tout entière autour de l'antiquité gallo-romaine.
Sans doute on notera çà et là quelques incursions dans les siècles qui ont suivi : pendant son séjour dans l'Ouest de la France, M. Espérandieu étudiera le baptistère Saint-Jean de Poitiers et l'église médiévale de Saint-Maixent ou encore, dans cette petite ville, le cadran solaire du XVIIIe siècle qui en est un des joyaux, et cela témoigne chez lui d'un large éclectisme ou, si l'on préfère, d'une grande faculté d'adaptation qui ne saurait surprendre de la part d'un esprit aussi cultivé. Sans, doute, on trouvera parmi les livres dont il est l'auteur, un cours de topographie, un cours de géographie, un guide pour la lecture de la carte d'État-major, mais on ne doit pas oublier que le « commandant », sorti en 1880 de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, a, pendant trente-quatre ans, appartenu â l'armée, qu'il a été un officier modèle, donnant dans toutes les situations occupées par lui l'exemple d'une haute conscience professionnelle, qu'il a notamment enseigné â l'École militaire de Saint-Maixent où il a professé les matières qui ont été ensuite condensées dans des traités. Du moins, au cours de cette carrière militaire, tous ses loisirs sont-ils consacrés à l'archéologie et à l'histoire de cette Gaule romaine qui exerce sur lui, à tout moment, un invincible attrait et forme la substance de la plupart de ses travaux.
A cela rien de surprenant : Emile Espérandieu est né à Saint-Hippolyte de Caton (près d’Alès, canton de Vézenobres, département du Gard ), le 11 octobre 1857. Originaire de la Narbonnaise et, dans cette province, du département de France le plus riche en vestiges de l'art romain, il a pu, dés son enfance, ressentir, devant les monuments dont il devait plus tard dévoiler les plus intimes secrets, ces émotions fortes et spontanées qui sont souvent au point de départ d'une vocation scientifique. Toute sa vie sera dominée par un idéal au service duquel il apportera toutes les ressources d'un esprit supérieurement formé et rompu à toutes les exigences des méthodes critiques; il n'aura d'autre but que de faire connaître une civilisation qu'il juge essentiellement bienfaisante et capable de développer le goût et le sentiment de la pure beauté.
Un autre trait ne manquera pas de frapper le lecteur de la bibliographie éditée dans ce fascicule. Il remarquera que celle-ci, établie avec méthode et avec beaucoup de soin par M. Henri Rolland, suivant l'ordre chronologique, se présente également d'après un ordre logique, que tour à tour livres, articles et notes se groupent autour d'une même question et que c'est seulement lorsqu'un problème a reçu sa solution qu'un autre est attaqué. Il constatera en même temps que, jusqu'en 1907, l’œuvre de M. Espérandieu a trait à l'archéologie régionale dont l'étude a préludé au Recueil des bas-reliefs de la Gaule romaine, qui est la somme de ces études régionales, et que celles-ci continueront, même pendant la période de publication du recueil, à former une masse imposante. Et c'est là le fruit d'une méthodique prudence qui porte l'auteur à éviter la dispersion dans l'effort, à multiplier les observations avant d'en venir aux vues d'ensemble, à faire précéder les grandes synthèses de patientes et minutieuses analyses. Il faut tenir compte aussi des nécessités de la carrière militaire du « commandant » sur laquelle se moule en quelque sorte sa vie scientifique, jusqu'au jour où, nommé chef de bataillon hors cadres, il pourra s'adonner exclusivement à ses études de prédilection.
Les premiers travaux archéologiques d'Emile Espérandieu datent de 1883. Nommé sous-lieutenant à sa sortie de l'École de Saint-Cyr, il fait partie, à ce moment, du corps expéditionnaire en Tunisie et, tout en s'acquittant de ses obligations professionnelles, il se penche sur les monuments laissés en cette terre africaine par la civilisation gallo-romaine et qui lui rappellent ceux de son pays natal ; il fait fouiller le sol par ses soldats, met au jour ruines et inscriptions, adresse à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres plusieurs rapports chargés de promesses, dénonce les actes de vandalisme, publie, avec une foule d'articles et de notes, une Archéologie tunisienne, où il étudie et reproduit les inscriptions qu'il a recueillies, et une Étude sur le Kef où l'épigraphie se double d'une esquisse historique. Déjà s'affirme sa méthode : il ne sépare pas l'archéologie de l'histoire et les fait concourir l'une et l'autre à la reconstitution intégrale du passé.
Lorsque parut l'Étude sur le Kef, le jeune officier avait déjà quitté la Tunisie pour exercer les fonctions de professeur à l'École militaire d'Infanterie. La destinée le plaçait à nouveau dans une région privilégiée qui, comme la Narbonnaise et la Tunisie, avait profondément subi l'empreinte de Rome monnaies, inscriptions, bornes milliaires, voies romaines, monuments allaient encore, en Saintonge et en Poitou, fournir une ample matière à l'activité de l'archéologue. De là une nouvelle floraison de travaux qui jettent un jour très vif sur l'histoire de deux provinces jusque là assez mal connues et qui forment un groupe fort intéressant dans l’œuvre de M. Espérandieu.
Après la Tunisie et les provinces de l'Ouest, Alésia est la troisième étape, et c'est, â coup sûr, l'une des plus décisives.
C'est le 18 septembre 1905 qu'a été décidée l'exploration méthodique du Mont Auxois. Elle se révéla très vite extraordinairement fructueuse. On trouva en abondance objets mobiliers, vases en terre cuite, monnaies gauloises et romaines; on mit au jour des sanctuaires, des habitations romaines et préromaines dont plusieurs creusées, au moins en partie, dans le roc; mais surtout le grand problème historique, qui avait déchaîné tant de polémiques, recevait enfin sa solution définitive sur la butte calcaire que domine la statue de Vercingétorix. Le nom d'Espérandieu est inséparable de cette révélation scientifique. Il faut lire, épars dans les Comptes Rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres, dans le Bulletin de la Société des Sciences de Semur, dans Pro Alésia, les articles, notes, conférences inspirés par les découvertes d'Alésia, ils valent par une sûre méthode, par une prudence dans l'affirmation qui exclut toute hypothèse ne reposant pas sur des observations bien établies, par une grande vigueur, accompagnée de beaucoup de clarté, dans l'exposé des résultats obtenus, et aussi par une foi, par une conviction chaleureuse et communicative qui emporte l'adhésion à toutes les idées si lumineusement exprimées.
Alésia a occupé le commandant Espérandieu jusqu'à la guerre de 1914 et depuis 1920 jusqu'à maintenant. Après l'Armistice, rendu définitivement â la vie civile, il revient à son département natal où il est nommé Conservateur des monuments romains et des musées archéologiques. Désormais il travaillera à l'ombre des Arènes et de la Maison Carrée, et, tout en terminant son Recueil des bas-reliefs de la Gaule romaine, tout en s'occupant de ses fouilles, il s'adonnera aux problèmes d'archéologie locale qui, plus que jamais, lui tiennent à cœur.
A Nîmes même, il découvre de nombreux vestiges de l'époque gallo-romaine : inscriptions, bas-reliefs, statues, mobiliers funéraires, mosaïques; il dresse le catalogue des musées archéologiques, dévoile les énigmes que posent les monuments, qu'il s'agisse de la Tourmagne dont il définit le caractère, des Arènes dont il fixe la date d'édification, ou de la Maison Carrée où il propose pour l'inscription de la façade une solution des plus ingénieuses. Il ne limite pas â Nîmes cette activité scientifique : la Narbonnaise tout entière lui doit beaucoup, comme en témoignent bien des articles consacrés à Narbonne, Vienne ou Fréjus, comme l'attestent en particulier les deux fascicules du Répertoire archéologique publié sous les auspices de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon où il recense et décrit si heureusement les vestiges gallo romains du Gard et des Pyrénées-Orientales.
(1). A la suite d'une maladie grave, contractée dans le service, qui le laissa atteint de surdité.
A tout moment, le commandant Espérandieu ne s'est pas borné â faire oeuvre de savant : il a voulu aussi mettre les résultats de la science â la portée de tous : Alésia avait déjà suscité des conférences en même temps que des mémoires pour les compagnies savantes. A Nîmes, cet apostolat intellectuel ne cesse de s'intensifier. Ces monuments gallo-romains, dont il a révélé certains traits encore cachés, le commandant Espérandieu s'efforcera de les faire comprendre à tous ceux qui viendront chercher auprès d'eux les émotions qu'il a lui-même ressenties à leur contact, tellement il est convaincu qu'ils ont une valeur éducative et que leur beauté même est susceptible d'élever le niveau intellectuel et moral de leurs visiteurs. Il a publié, soit à Nîmes, soit dans les collections Laurens, des monographies de la Tourmagne, des Arènes, de la Maison Carrée, du Pont du Gard, que l'on peut considérer comme des chefs-d’œuvre du genre. Ces petits livres ne font d'ailleurs que condenser l'enseignement oral qu'il a si largement distribué, qu'il s'agisse de sociétés savantes, d'étudiants ou de groupements d'enseignement populaire. Tous ceux qui l'ont vu et entendu, en face des monuments, faire revivre en quelques touches vigoureuses le passé et la civilisation de la Gaule romaine ont gardé un inoubliable souvenir de ces vibrantes leçons d'histoire et d'archéologie et senti se façonner en eux, sous l'impulsion de ce savant tout épris d'un généreux idéal, une âme ardemment latine.
L'apostolat intellectuel du commandant Espérandieu a encore revêtu d'autres formes. En même temps qu'il explique et commente les monuments romains du Gard, â Nîmes et au dehors il multiplie les conférences. Il a été l'un des fondateurs de l'École Arctique dont le but était de mieux faire connaître une glorieuse histoire au moyen, l'hiver, de conférences aux Nîmois, l'été, d'un enseignement accompagné de visites et destiné surtout aux étrangers. Mais ce n'est pas qu'à Nîmes qu'il se prodigue : en Languedoc, dans toute la France, en Belgique et ailleurs, il ne manque pas une occasion de dévoiler la portée des découvertes archéologiques les plus récentes et de faire rayonner l'esprit classique dont il est un des meilleurs représentants.
L'élite a été plus particulièrement l'objet de la sollicitude du commandant Espérandieu. Persuadé avec juste raison que le savant ne doit pas uniquement songer à faire oeuvre personnelle, qu'il lui faut, pour que cette oeuvre se prolonge après lui, former des collaborateurs et des successeurs, il s'est attaché â faciliter l'essor de l'érudition locale et n'a pas ménagé ses encouragements â ceux qui étaient capables de faire bonne figure parmi elles. Les sociétés nîmoises ont trouvé en lui un protecteur bienveillant, toujours prêt â mettre son autorité â leur service. Lorsque fut fondée la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, il accepta immédiatement d'en être le président d'honneur, et ce président d'honneur s'est doublé d'un membre très actif : il n'est pas de congrès régional où il n'ait apporté lui-même une communication et où surtout il n'ait suscité des travaux ou des vocations en répandant la bonne parole avec cette simplicité cordiale et accueillante qui rend son abord facile et désarme toutes les timidités.
Par cet apostolat régionaliste, le commandant Espérandieu s'est acquis la sympathie respectueuse des Nîmois et des Languedociens qui lui demeurent reconnaissants d'avoir si grandement honoré la province dont il était originaire et à laquelle il est resté fidèle. Son oeuvre scientifique lui a valu les plus hautes distinctions auxquelles un savant puisse aspirer. Dès 1919, après la publication des sept premiers tomes du Recueil des bas-reliefs de la Gaule romaine, il était élu membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres où il succédait au marquis de Vogüé. Il a été également appelé à faire partie de la Société nationale des Antiquaires de France comme membre résidant, du Comité des travaux historiques et scientifiques, de la Commission des Fouilles. La Société d'archéologie royale de Belgique et l'Institut archéologique allemand ont tenu à le compter parmi leurs membres. Ce sont là autant d'hommages rendus à la valeur d'une oeuvre dont on trouvera dans les pages qui suivent l'imposant dénombrement et qui, nous l'espérons, est encore loin d'être terminée.
AUGUSTIN FLICHE, 1936. CORRESPONDANT DE L'INSTITUT DOYEN DE LA FACULTÉ DES LETTRES DE MONTPELLIER . -oOo- . Eloge funèbre de EMILE ESPERANDIEU par Charles Picard à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres Séance du 17 mars 1939 Lecture est donnée d'un
télégramme annonçant la mort d’Émile Espérandieu, décédé
le 14 mars à
Avignon, et dont les obsèques ont eu lieu le
16 mars 1939. Le président, Charles
Picard, se fait l’interprète des regrets de l’Académie : Mes
chers Confrères, Voici encore une grande figure
de savant français qui disparaît. Un nouveau vide douloureux s'est creusé dans
nos rangs le 14 mars 1939. Je dois vous annoncer
aujourd'hui la perte de Jules-Emile Espérandieu, correspondant de l’Académie depuis
décembre 1901, et à
qui vous aviez donné en février 1919 - il y a
vingt ans - la succession du Marquis de Vogüé, dans la liste des membres,
libres de nos départements. Peu de deuils seront ressentis plus cruellement, en
France et à l'étranger ; et, je voudrais le dire, d'une génération à l'autre :
car la bienveillance réputée de notre éminent confrère lui a valu près des
jeunes, jusqu'à sa quatre vingt-deuxième année, la meilleure part, aussi bien
que sa science. Ni l'une ni l'autre ne passeront, peut-on dire : car de l'œuvre
scientifique d'Espérandieu, nul ne pourra se passer ; et aux heures difficiles,
on reviendra toujours vers la méditation réconfortante d'une belle carrière de
soldat et de savant, qui avait, pour lumineuse devise, au milieu des égoïsmes
de ce monde : servir. Né dans le Gard à
Saint-Hippolyte-de-Caton, le 11 octobre 1857, celui à qui la tradition
affectueuse de nos souvenirs et de nos archives assure à jamais le titre
honorifique de « Commandant Espérandieu
», appartenait à une famille de la Narbonnaise, qui a été de longue date
dévouée à la France : magistrats, négociateurs, architectes, tous gens d'étude
depuis qu'ils s'étaient établis à Uzès, à Serviers ; bons serviteurs de la France méridionale, sous le plus beau climat de
notre patrie. Je ne sais si le nom est au vrai, déjà dans le Corpus des inscriptions latines à
Bourges, et s'il faut compter dans la famille cet Espérandieu du XIIIe S, qui,
originaire d'Uzès, représentait l'évêque de cette ville au monastère de Saint-Maixent.
Les Espérandieu du temps de la Réforme défendaient en tout cas déjà la foi
protestante ; mais on ne vit pas chez eux de fanatiques : politiques conciliateurs,
ils travaillèrent a l'apaisement
religieux. Autre prémonition du destin : un Espérandieu fixé à Castres au XVIIIe
S fut secrétaire perpétuel de l'Académie de Castres : Jacques Espérandieu, bon latiniste et poète, dont
les mânes ont dû tressaillir d'aise quand vous accueillîtes ici sa progéniture. En l880, notre futur
confrère - qui, à 17 ans, avait écrit une tragédie sur Vercingétorix ! -
sortait de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, et fut nommé
sous-lieutenant d'infanterie : il allait être lieutenant en 1884, après qu'il
eut pris part à l'expédition de Tunisie. Son département natal lui avait révélé
déjà la gloire éparse du patrimoine latin, et la force expansive d'une
civilisation dont la France a su faire à son tour bénéficier ses colons d'outre-mer.
La vue des ruines qui couvraient le pays africain
du Kef détermina chez lui une vocation dont le temps allait prouver combien
elle était irrésistible. Les premières notices de la Bibliographie d'Émile Espérandieu publiée
par M. H. Rolland en 1934 - avec 485 numéros et un avant-propos de M. Augustin Fliche
- aux Belles-Lettres, ont été conçues en 1883 dans les ruines d'Henchir-Zanfour
(Assuras) et d'Henchir-Lorbeuss (Oppidum Lares) : R. Mowat rendit compte, au Bulletin épigraphique de
1884, de ce travail d'un jeune officier qui n'avait pas eu besoin de la
Sorbonne pour sa préparation, et remplaçait l'ombre propice du cabinet d'études
par le bled torride ; retenons ces débuts d'épigraphiste, qui firent un jour
du Commandant Espérandieu, avant la guerre,
le Directeur estimé d'une Revue d'épigraphie dont il eût été, souhaitable de maintenir en France
l'utile tradition. Des mégalithes aux milliaires, des médailles et des citernes
aux fortins, le sous-lieutenant passa -les loisirs venus - aux basiliques
chrétiennes, et de la Tunisie à l'Algérie, où en 1886, il préconisait déjà la
conservation attentive des monuments : les vœux d'Espérandieu, émis dès 1885,
ont, vous le savez, lentement fructifié. Son zèle était contagieux ; combien
d'autres officiers n'a-t-il pas formés a l'archéologie militante, avant qu'en
1886, à son retour en France, il devînt aussi professeur adjoint à l'École
militaire d'infanterie ? Le séjour de Saint-Maixent
- je le sais par l'expérience déjà lointaine d'un jeune soldat de deuxième
classe - a toujours laissé quelques loisirs à l'étude. En 1886, le volume XIII
du Corpus latin, qui devait comprendre les textes romains de l'Aquitaine,
n'avait pas encore paru. Émile Espérandieu mit à profit l'expérience acquise en
Afrique pour recueillir lui-même les inscriptions romaines intéressant l'Ouest ;
il explora diligemment à ce point de vue le Poitou et la Saintonge, scruta les
inscriptions antiques de la cité des Lémovices, celles de Lectoure ou de Périgueux
: s'intéressant à tout, de manière éclectique, antiquaire et médiéviste à la
fois. En outre, il publiait aussi certains de ses travaux de Tunisie, ses
études sur Sicca Veneria, notamment. Il fut alors mis en rapport avec un
fouilleur émérite, le R. P. Camille de la Croix, dont il devint à Poitiers même l'ami et le collaborateur. C'est le R.
P. de la Croix qui lui apprit en détail l'art de sonder la terre et le passé,
de Sanxay à Saintes et à Poitiers
même. La Revue numismatique
de 1888 a publié des monnaies,
païennes ou autres, découvertes, et cédées a l'ami par l'excellent archéologue et historien du christianisme,
dont Espérandieu conserva toujours un souvenir ému ; Espérandieu avait aussi
étendu sa sollicitude, en retour, au Baptistère Saint-Jean de Poitiers et à
l'église médiévale de Saint-Maixent. Il commença alors à
s'intéresser aux cachets d'oculistes romains, pour lesquels il a, avant notre
confrère Ml. Adrien Blanchet, publié avec persévérance tant de si savoureuses
notices. Les travaux de sa collaboration aux études militaires lui avaient
donné le contact suivi avec la Corse, dont il inventoria en 1893 les antiquités
épigraphiques, relevant aussi au passage l'intérêt - car nul domaine de
l'histoire ne lui était étranger - de deux campagnes menées dans l'île par des
troupes allemandes déjà au service de la République de Gênes, en 1731 et 1732.
N'oublions pas qu'on trouve parmi les publications de l'époque, des instructions
pragmatiques sur la lecture de la carte - il avait inventé une boussole - des
cours de topographie et de géographie, par où l'ancien Saint-Cyrien
manifestait son attachement l'officier modèle à son métier: autant qu'a la
France actuelle, dont il recherchait encore le vrai visage en étudiant les
ruines éparses de la Gaule, en poursuivant la reconstitution intégrale du passé
national ! On a remarqué combien les nécessités de la carrière militaire ont
dicté pas à pas la vie scientifique de notre confrère, qui ne sépara jamais
l'archéologie de l'histoire, et, l'une comme l'autre, du dévouement total à la
patrie. L'appel de la Narbonnaise,
le prestige de la Corse, allaient agir et ramener Émile Espérandieu dans ce
Sud-Est de la France où il a tant travaillé jusqu'à sa mort. Après la
disparition d'Auguste Allmer en 1899, il prit la direction de la Revue épigraphique, qui était
jusqu'alors la Revue épigraphique du Midi
de la France. Il poursuivit avec
autant de succès que de talent l'œuvre entreprise, ouvrant le recueil à toutes
les inscriptions des différentes provinces gauloises, commentant, dès l'accès à
la lumière, pendant huit années, chaque texte qui sortait de notre sol. De 1913
à 1915, A. J. Reinach collabora à l'entreprise, avec sa fougue juvénile, le
dernier tome ayant paru après qu'il fut tombé à la ferme de Tyranes, si
glorieusement. Les correspondants provinciaux formés par Espérandieu
soutenaient l'œuvre, qui amorçait déjà les organisations générales de
surveillance dont nous bénéficions depuis peu : grâce à notre confrère M. Eugène
Albertini, en grande part. On eût voulu appliquer à la France le système préconisé
dès 1886 pour notre empire africain du Nord. De 1896 à 1909, cette activité
salutaire d'Espérandieu montre quelque chose d'encyclopédique : il se formait
dès lors à la grande tache du Recueil des
statues et bas-reliefs de la Gaule, qui fait tant d'honneur à notre
pays et à son nom. Plus nombreuses, les publications de bas-reliefs, de
mosaïques se mêlent après 1900 à celles des signacula
d'oculistes. En 1900, votre Compagnie récompensait cette
ardeur du titre de correspondant. Elle allait désigner ainsi un fouilleur déjà
réputé par ses connaissances pratiques à l'attention de la Société des sciences
de Semur, qui visait alors à entreprendre l'exploration méthodique du Mont-Auxois,
sanctuaire de pèlerinage du vieux monde occidental, lieu saint où Maurice Barrès,
dans la Colline
inspirée, a vu les Gaulois mourant devant l'autel de leurs dieux. C'est le 18 septembre 1905 que fut décidée
l'entreprise ; Émile Espérandieu en avait reçu la direction et il l'inaugura brillamment,
déblayant le théâtre et ses abords, mettant au jour divers sanctuaires de dieux
locaux, dont celui - le plus vaste et le plus riche - qui fut découvert au lieu
dit La Croix Saint-Charles. Tiré de la léthargie et du mystère, le grand
problème historique qui avait suscité tant de controverses allait trouver peu à
peu sa solution au moins provisoire, sur le calvaire battu d'une pluie presque
constante, promontoire émouvant que domine aujourd'hui la statue de
Vercingétorix. Dans des rapports substantiels, illustrés de nombreuses reproductions
et de plans, qui ont été successivement lus ici, l’œuvre se dessine, trait par
trait, et livre le nom inséparable de cette grande révélation scientifique.
C'est à elle que notre confrère, déjà menacé par l'âge, apportait ici il y a
bien peu encore - par la voix de M. E. Albertini, le complément précieux dont
vous avez eu part : il ruinait en fin de carrière une plaisante erreur trop
défendue, par les arguments de l'expérience et du bon sens. - Le Bulletin de la
Société des
Sciences de Semur, Pro Alesia, ont tour à tour et longtemps commenté
les découvertes de ces fouilles : inscriptions, ex-voto, sculptures, bronzes et
monnaies, qui enrichissent tant Saint-Germain-en-Iaye et le petit musée
d'Alésia. Des qualités de prudence méthodique, de vigueur et de clarté, unies à
une conviction chaleureuse autant que désintéressée, font de ces mémoires
partiels si divers, jusqu'à la guerre de 1914, puis depuis 1920 jusqu'a cette
année, un dossier impeccable d'activité scientifique. Malheureusement dès septembre 1906, notre
regretté secrétaire perpétuel d'alors. René Cagnat, devait donner l'alarme, aux
Laumes même, contre les redoutables querelles locales qui renaissaient à
l'appel de l'archéologie : comme les miasmes délétères d'un sol pourtant jadis
engraissé par le sacrifice des Gaulois, déjà divisés ! Le public, qui ne voit
les faits que dans la turbulence de la vie quotidienne, et de loin, sourit
volontiers des zizanies des savants et des autorités ou des Écoles, au pays qui
a versifié la dispute du Lutrin. En
vérité, c'est l'histoire qui souffre de ces accidents si prompts à naître parmi
le genus
irritabile sapientium. Disons-le : l'œuvre d'Alise a été retardée, fragmentée
fâcheusement, depuis 1908. Salomon Reinach, qui ne prenait pas volontiers son
parti des arrêts du progrès de l'histoire, et qui n'aimait pas que les formules
nuancées, a écrit avec une force un peu heurtée que la période scientifique des
fouilles d'Alésia avait fini après la trop courte direction du Commandant Espérandieu.
Nous savons tous, qu'il y a des retouches à apporter à cette conclusion,
d'autant qu'après 1909, Espérandieu lui-même était reparu sur le Mont-Auxois,
pour \y fouiller à nouveau sur des terrains à lui. En définitive,
l'archéologie menacée gagna à la dispute : elle eut deux chantiers au lieu
d'un. Nos derniers Comptes rendus, de 1832 à 1938,
montreraient que les historiens de la dernière acropole de Vercingétorix ont su
enfin unir leurs efforts, et n'ont jamais capitulé. Les polémiques sont
éteintes. Alésia eût pu suffire à une activité moins
vibrante et vivante que celle de notre confrère disparu, il ne voulut pas,
pourtant, s'y enfermer, et fit plusieurs fois de vaillantes sorties, en direction,
par exemple, du vieil Évreux, dont, en 1913, il mena à bien l'exploration. Chef de bataillon depuis juin 1905, attaché à
la section historique de l'État-Major de l'armée eu 1906, l'intrépide
fouilleur d'Alésia allait, hélas ! être atteint, en service commandé, pendant
des manœuvres en Corse, d'une maladie grave, qui le frappa de complète surdité.
Il dut se résigner à comprendre qu'il lui fallait laisser à l'archéologie la
place principale dans une insatiable activité. Mis hors cadres en juin 1910, il
acceptait sa retraite à la veille de la guerre en octobre 1913, mais, bien entendu,
pour reprendre de l'activité dix mois après, dès que sonna le tocsin. Malgré
l'atteinte subie, il n'eût pas admis de rester
à l’arrière, inutile. C'est ainsi qu'il a participé à deux guerres. Votre
Compagnie a plusieurs fois accueilli ici d'illustres soldats, dont la présence
l'enorgueillit : en 1919, après la victoire, appelant à elle Émile Espérandieu,
elle avait continué - Héron de Villefosse l'a rappelé ici - une bienfaisante
tradition, qui permettra d'évoquer tour à tour les noms de Faidherbe, de l'intendant
général Robert, et de notre confrère, le général Gouraud. L'armistice rendit
définitivement Espérandieu à la vie civile. Revenu
ainsi à son département natal, Il s'y fit
modestement conservateur des monuments et des musées. Les pèlerins de Nîmes
l'ont vu plus d'une fois, dès lors, travaillant à l'ombre des Arènes et de la
maison Carrée, ou dans ce Nymphæum du dieu-fleuve Nemausus, auquel notre
tradition provençale a attaché si longtemps le nom charmant, mais inadéquat de temple
de Diane. II partageait ses soins et ses publications entre la Tour Magne et le
Pont du Gard, plein de sollicitude éclairée pour les vieilles blessures glorieuses
de ces grandes bâtisses de notre pays et de sa province. Tout ce qu'il a fait
pour cette archéologie locale palpite des battements pressés d'un cœur filial. À
Nîmes même, il avait découvert, vous le savez, de nombreuses traces de la vie
latine ; il a publié les mosaïques de la ville, luxueusement, et avec un soin
minutieux ; il a daté les Arènes, proposé pour l'inscription de la façade de la
Maison Carrée une restitution fort ingénieuse. II ne s'est pas d'ailleurs
limité à la cité de Nemausus : la Narbonnaise tout entière était son fief, bien
avant qu'il allât s'établir au Palais du Roure, où sa bibliothèque est
désormais conservée. Vienne et Fréjus ont bénéficié tour u tour, ainsi, de sa science et tant d'autres lieux,
comme l'attestent par exemple les Répertoires
archéologiques de la Fédération
historique du Languedoc et du Roussillon. C'est le moment où il y a eu une « École
de Nîmes », que connaissent bien les familiers de nos études : institution
propre à diffuser cette connaissance du passé gallo-romain dont Espérandieu
avait fait sa chose. Nul ne fut plus convaincu de la valeur éducative des monuments
et des pierres inscrites, qu'il a tour à tour si bien évoqués dans ses
précieuses monographies de la Collection H. Laurens, petits chefs-d'œuvre du
genre. Qu'il s'agisse de sociétés savantes (il présida en 1932 l'académie de Nîmes),
de groupements d'étudiants, d'Universités populaires, le Commandant Espérandieu
était tout à tous, au cœur de sa Provence familière : vibrantes leçons en plein
air, que le premier Congrès Budé a entendu avec reconnaissance dans le bruit
des eaux du grand Nymphæum, à la Tour Magne, ou sous les ombrages voisins du Pont
du Gard. L'hiver, Espérandieu prolongeait son apostolat régionaliste par ses conférences,
protecteur bienveillant de toutes les sociétés nîmoises, répandant partout la
bonne parole avec cette simplicité si cordiale qu'il faisait rayonner, de la
conférence au banquet. II enrichissait en même temps d'innombrables
contributions la Revue archéologique, où l'amitié de Salomon Reinach lui fut
toujours fidèle, le Bullelin et les Mémoires de
la Société des antiquaires de France, le Bullelim archéologique du Comité des
Travaux historiques. Mais cette œuvre
discursive n'allait pas pouvoir encore le contenir et le contenter : sur la
proposition de la Commission des Musées, un arrêté ministériel lui conféra - à
lui seul, car on avait craint la formation d'une commission, que Boissier et
Salomon Reinach, heureusement, empêchèrent de naître - le 20 août 1905, la
publication dans la Colleclion des documents inédits, d'un
Recueil général des bas-reliefs de la Gaule romaine. Il
n'était pas encore question des statues. Dès lors se succédèrent
les tomes in-4° de cette monumentale enquête, avec la reproduction et la
bibliographie de plus de huit mille monuments lapidaires : ceux-ci, épars dans
nos musées et sur notre sol, sur nos places, et chez des particuliers, où le
Commandant se frayait accès, quand il n'allait pas traquer le document inédit
et poursuivre ses investigations à travers champs ! Quelle entreprise, et comme
elle eût découragé tout autre ! Seul, B. de Montfaucon au XVIIIe siècle
avait su voir grand, de cette sorte. Tous souhaitaient que le projet fût
accompli; mais il n'y eut d'autre Bénédictin que notre confrère pour l'entreprendre
; et maintenant qu'il a pu l'achever, il nous laisse en partage un honneur
définitif, qu'on nous enviera longtemps de partout ! À partir de sa
désignation, l'auteur du Répertoire n'avait
accepté qu'aucun obstacle ne l’arrêtât. Décrivant tout, en des notices concises
dont certaines ont la valeur de gros mémoires, photographiant partout lui-même,
il livra ses plus dures batailles, faut-il le dire, dans les administrations ;
et les imprimeries nationales ! Mais la victoire gagnée, quel admirable tableau
de la Gaule gréco-romaine sort des pages de ce répertoire touffu, où le passé
bruissant de notre terre natale s'est accumulé feuille à feuille ; arcs,
portes, temples, tombes des personnages municipaux, des prêtres, des artisans ;
petite vie et longue peine, dont les textes ne parlent guère, mais où notre
piété tressaille chaque fois, car c'est la vieille France familière de la
prière et du travail que ces menus monuments rassemblent et nous ressuscitent,
domaine infini et par trop inexploré. Les stèles aux dieux locaux proposent
tour à tour leur imagerie naïve - fidèle et sincère, du moins ! - leur symbolique
parfois étrangère, à jamais instructive ; c'est ici toute l'obstination
tranquille des jours et des destinées qui ont tissé en silence, obscurément, la
gloire des grands siècles. Colorée de tant de pensées généreuses et d'une
sagesse secrètement enthousiaste, l'érudition d'un seul homme a opéré ce
miracle de ressusciter un peuple, des Aquitains aux Médiomatriques, de la
Provence à la basse Lorraine. Au prix de quel travail ! Rien que pour l'Arc
d'Orange, l'auteur n'avait pas exécuté moins de quarante-cinq clichés. Il se peut
que notre prodigalité actuelle, soumise aux lois de l'inflation, trouve déjà le
chiffre médiocre. Mais l' « Esprérandieu »,ainsi qu'on dit, fut salué comme une
innovation ! Quand, en 1928, l'œuvre gigantesque de ce Tour de France
apparut terminée, n'est-ce pas notre confrère M. J. Carcopino qui la saluait
d'une louange autorisée ? « Œuvre, disait-il, dont seront à jamais tributaires tous ceux qui
s'intéressent au passé de la Gaule ou à celui de Rome, à la religion, à
l'économie, à l'art de l'antiquité. Elle ne passera point, parce que nul ne
pourra s'en passer. » Un tel recueil, à qui
vous avez donné dès 1908 le premier prix des antiquités nationales et deux fois
le prix Gobert, aurait suffi à immortaliser son auteur, même s'il ne s'y fût
pas joint en
1931, le
Recueil général des bas-reliefs,
statues et bustes de la Germanie romane, pour lequel notre confrère
alla quérir - après l'interruption de la guerre - ses documents jusque sur
l'Escaut et le Rhin, partout salué avec respect. Koepp, dans un bon Manuel déjà
ancien, avait exprimé l'admiration de l'Allemagne pour l'effort du grand
travailleur. J'entends encore l'un des jeunes et actifs
conservateurs allemands du Musée de Trèves saluer aussi, dans une conférence
qu'il lit récemment à l'Institut d'art, le labeur précurseur, infini,
impeccable, du maître qui avait scruté avant lui si diligemment l'art des
Trévires industrieux. Il m'est échu
l'avantage de vous présenter ici le XIe tome, dernier paru du Recueil, le
4 novembre 1938. « Ouvrage complet, vous disais-je, s'il en fut, et
de toute manière ! » Avec la modestie qu'il joignait à tant de courage, le
Commandant tint à me remercier de cette juste présentation, et c'est la
dernière lettre que j'ai reçue de lui, le 23 février dernier, écrite d'une main
toujours ferme, si émouvante par sa date aujourd'hui : « Oui, » disait-il, «
j'ai travaillé en toute conscience, toute ma vie... Je serais parti trop
triste, si j'avais dû laisser à d'autres le soin de terminer. Sans doute, Je
n'aurai pas fait ce que j'aurais voulu pouvoir accomplir. Mais il ne faut pas
oublier que j'étais officier, et que, j'avais trop peu de loisirs. » Quelle merveille que ce plaidoyer d'un si
admirable travailleur, qui ne redoutait, vous le voyez, que d'avoir pu encourir
le reproche d'une insuffisante ardeur a la tâche, à toutes les tâches ! Voilà
qui honore plus que toute éloquence une mémoire de grand disparu ! Dans la même
lettre, le 23 février, Émile Espérandieu ne nous prévenait-il pas d'ailleurs
que le t. XII, Complément de son Recueil,
allait être bientôt déposé sur le bureau de l'Académie ? C'est un hommage posthume que nous recevrons
désormais. Il est des âmes qui ne se peuvent satisfaire que par le don, et le
constant exercice de la générosité. Annonçant l'apport de son travail dernier à
Paris, Émile Espérandieu écrivait qu'il serait confié pour nous être remis à celle qui a si bien adouci pour lui la
misère de l'âge, et à qui l'Académie, par ma voix, adresse ici son hommage
attristé : Mme de Flandreysy, délicate poétesse de la Provence, devenue, le 8
septembre 1936, Mme Émile Espérandieu. II ajoutait que la messagère serait
présente à l'une de nos séances du 3 ou du 10 mars – hélas ! - et qu'elle
entretiendrait le bureau aussi, pendant son voyage, de l'avenir du Palais du Roure,
en Provence, gardien de collections iconographiques hors de pair. Vous
connaissez tous, mes cher, Confrères, ce Palais, ancienne demeure des Marquis
de Baroncelli, son porche au dessus duquel s'entrecroisent comme des feuillages
dépouillés de l'hiver, les nobles découpures végétales d'un style gothique
fleuri. Dans la cour d'honneur où Louis Le Cardonnel, ami de notre confrère, a
conçu tant de ses poèmes inspirés, une Madone à l'enfant du XVIIe siècle
restitue les attitudes symboliques de l'Eiréné portant Ploutos : Paix et
Richesse. Là sont les archives manuscrites et autres du « Fonds Espérandieu »
récemment catalogué par M. P. Deloncle, archiviste-paléographe, avec une
préface de notre confrère J. Carcopino. Le don, qui a suivi d'autres
libéralités adressées aux Musées de Nîmes, a été fait en juillet 1935, aux «
Amis du Roure ». Il est commémoré dans une savoureuse plaquette qu'imprima en
Avignon, M. R. Lugand, ancien membre de notre École de Rome, un de ces Farnésiens
qu'Espérandieu avait si souvent accueillis et guidés ; quel n'est pas
l'étonnement du lecteur d'y trouver à la première page l'image d'un Espérandieu
portraituré par H. de Nolhac en 1931, presque aussi sec et juvénile encore que
le vit en 1926 Henry d Groux et défiant les années ! L'esprit classique est
conservateur ! Au Palais du Roure, cent vingt-six dossiers restent inédits,
dont la Bibliographie d'H. Rolland a signalé la valeur. Tout préparé déjà, un Catalogue des
bronzes figurés de la Gaule
romaine ne devra pas y être oublié
: il y a là aussi beaucoup de recherches inédites intéressant l'histoire
moderne, les mémoires du marquis de Clavières, le manuscrit de la traduction
publiée en 1910, pour l'ouvrage de Sir Walter Armstrong sur l'Histoire de l'art
en Grande-Bretagne et en Irlande, l'inventaire
des Delineamenta du R. P.
Wiltheim, relatifs aux antiques du château détruit de Clausen (Luxembourg),
etc. Où notre confrère disparu n'avait-il pas
porté sa curiosité ? Heureux les épis
mûrs, et les blés moissonnés ! a dit Charles Péguy. Ici, la moisson est
immense, fruit d'un demi-siècle d'efforts, d'études, d'écrits. Mesurons notre perte ; mais songeons bien que
l'œuvre assure la mémoire, et que, d'un bout à l'autre de la France, le nom d'Espérandieu
va se mêler dignement, désormais, à toutes les voix de notre plus cher passé. -oOo-
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