SANCTUAIRE

DE

NOTRE DAME DE ROCHEFORT (Gard)

par Eugène Trinquier, 1852

 

 

 

Le pèlerinage de Notre Dame de Grâce est une des plus grandes dévotions du Languedoc et de la Provence. Les roches escarpées qui entourent le monastère possèdent une véritable attraction religieuse, et pendant la belle saison, des paroisses entières ne cessent d'y arriver.

 

On est bien vite dédommagé des peines du voyage par le charme inouï que procure la vue de milliers de chrétiens, animés du même esprit et communiquant à leur famille ou à leurs amis les douces émotions de la journée. En effet, rien de plus imposant que ces flots de population groupés au pied d'une église pour y puiser l'élévation des sentiments pieux et chercher, à travers la fatigue du corps, l'ineffable bien de la paix de l'âme.

 

En général, les lieux préférés par nos ancêtres pour l'érection des chapelles portent naturellement l'esprit au recueillement et à des pensées graves et religieuses. Cela tient à l'effet des contrastes ; car, s'ils choisissaient de préférence les montagnes arides et élevées, c'est que là les yeux reposent agréablement sur les beautés d'alentour; l'encens monte pur vers le ciel, et les fidèles, plus rapprochés du Souverain Maître, se livrent largement aux inspirations de leur cœur.

 

Placées sur les hauteurs comme autant de phares pour éclairer le monde, les anciennes églises sanctifiées par les cantiques d'une multitude innombrable de fidèles sont devenues comme de puissants foyers, alimentés par la piété (les âmes ferventes, et d'où s'exhalent journellement les émanations bienfaisantes d'une source de miséricorde.

 

 

Il existe un charmant petit ouvrage sur ce pèlerinage ; on y trouve, outre l'onction chrétienne, certains détails empreints d'un vif intérêt historique ; nous le recommandons aux nombreux visiteurs de la sainte montagne.

 

L'église de Notre-Dame-de-Grâce, reconstruite à différentes époques, avait été bâtie pour perpétuer le souvenir du triomphe des armes françaises sur les Sarrasins. Voici comment s'exprime à ce sujet Bovis, dans sa Royale couronne des rois d'Arles, à la page 109 :

 

Il faut noter que Charles-Martel, ayant chassé les Sarrasins d'Avignon , et voyant qu'opiniastrement ils étoient campez du costé du Languedoc sur le chemin d'Uzès, Nysmes, le Vivarets et les montagnes des Sevenes, où ils commençoient de se fortifier, résolut de passer le Rosne avec soit armée , et leur donna la charge si forte depuis le lieu à présent dict Rochefort, jusques au. pont du Gal (que Renus, fondateur de Nysmes, avoit lait bastir sur la rivière du Gardon) qui furent tuez plus de 40, 000 Sarrasins : En mémoire dequoy le roy Charlemagne son petit-fils , estant à son imitation venu chasser les Infidelles dit Languedoc et d'Arles , l'année 798 , fit bastir deux églises , une au lieu à présent dict Sargnac , sous le litre de Sainct-Pierre apostre , et l'autre, sur un petit coutaud proche de Rochefort, à l'honneur de la Vierge, mère de Dieu, et de saincte Victoire, vierge et martyre, à laquelle ce roy avait parliculière dévotion. Celle église de Rochefort fust après annexée à l'abbaye de St-André de Villeneusve-lez-Avignon ; et dans icelle Dieu a despuis l'an 1633 manifesté la grandeur de sa gloire par les grands miracles qui s'y font tous les jours. ( Bibliothèque de la ville d'Arles.)

 

La statue de la Vierge, exposée dans le principe à la vénération des fidèles, était de couleur olivâtres cela tenait à l'idée communément répandue alors que les Juifs appartenaient à la famille de l'espèce humaine que distingue cette couleur. Aussi, la désignait on sous le nom de la sainte Brune. Le cabinet Carrière, à Montfrin, possède encore une image sur cuivre, où la Mère du Christ offre ce curieux caractère.

 

 

La façade actuelle date de 1788 ; la Révolution qui survint suspendit l'entière exécution des travaux. Cette partie, élevée sur l'un des côtés latéraux de l'édifice, est décorée de douze colonnes couplées appartenant à l'ordre ionique. Une Vierge de grandeur naturelle, que supporte un piédestal adossé contre le milieu du monument, semble saluer du regard et offrir au pèlerin l'aimable hospitalité de sa demeure. Deux anges sculptés au-dessous d'une corniche demi-circulaire, surmontée par une croix potencée, ajoutent à la grâce de la statue.

 

 

L'intérieur de l'église comprend trois nefs ; celle du milieu, terminée en abside circulaire, montre sur sa clé de voûte le millésime 11 novembre 1696. Les fresques supérieures représentent un ciel étoilé, précédé par des arabesques dans le goût moderne.

 

Les tables des trois autels en marbre qui occupent le fond des nefs ont des ornements incrustés en forme de lys. La disposition et les sculptures de celui qui est au centre l'emportent sur les deux autres : un beau baldaquin soutenu par des colonnes de marbre rouge qu e domine un riche couronnement de consoles gravées, montre à découvert la statue de Marie Sur les côtés du dais se dressent les deux figures de saint Benoît et sainte Scholastique, drapés dans le costume de leur ordre.

 

L'autel de droite, dédié à Ste victoire, ne possède rien de remarquable. Celui de gauche, au contraire, consacré au culte de St joseph, est décoré d'une superbe. toile; l'on aura une juste idée de son mérite en sachant qu'elle est signée : N. Mignard, pinxit  Aveynione 1645.

 

Dix arceaux relient les trois nefs romanes. Dans les clefs des voussures, se dessinent les armoiries des Bénédictins : c'est une couronne d'épines renfermant le mot Pax, appuyé sur les trois clous de la passion et surmonté d'un lys ou d'un cœur.

 

Un petit tableau de la Sainte Famille, relevé en demi bosse, occupe le milieu du plafond du tambour de la porte principale; il captive l'attention par le fini et l'heureuse attitude de ses personnages.

 

A l'entrée de la chapelle qui sert d'entrepôt pour les chaises, on lit l'inscription :

 

DIE 24

MENSIS SEPTEMBRIS

1766

R. I. P. A.

 

Un écusson avec un casque ombragé de plumes se détache sur le piédouche de la colonne du bénitier. Le temps en a fait disparaître les couleurs; son blason offre pour armes une sphère, au chef chargé de trois tètes d'oiseau.

 

Sur le pilier près St joseph, sont encastrées les armoiries de France. Elles sont placées au-dessus d'un cadre de pierre, renfermant une inscription relative à la fondation, faite par Louis XIV en la mémoire de sa mère Marie-Anne d'Autriche. La voici :

 

ÆVO PERENNI

AD AUGUSTISSIMÆ GALLIARUM REGINA

LUCIS QUE EXTINCTÆ

ANNÆ AUSTRIACÆ

PLE MATRIS SUÆ

REFRIGERIUM

PIUS FILIUS

LUDOVICUS XIIII.

FRANCORUM REX CHRISTIANISSIMUS

IN HUJUS SANCTI MONTIS ÆDE

REGU REGI IN HONORE

GRATIARUM DOMINÆ

SEXIES ANNIS SENGULIS

SACRIFICIUM OFFERRI INSTITUIT

ANNO DNI MDCLXVI.

 

Du côté de la porte de la sacristie on remarque l'inscription suivante :

 

CHRISTO SALVATORI

ET VIRGINI SINE LABE MATRI

VOTUM PRO RESTITUTA VALETUDINE

FRANCISCUS HERCULES DE MASSIP

IN SENATU  NEMAUSENSI REGIARUM

CAUSARUM PATRONUS

MERITO SOLVIT

CONFITEBOR TIBI DOMINE  QUONIAM

EXAUDISTI ME ET FACTUS ES MIIII

IN SALUTEM.

ANNO DNI MDCCLXVII DIE JUNII

POSTRIDIE FESTUM PENTECOSTES.

 

Un escalier pratiqué dans l'intérieur du clocher, conduit sur la toiture de l'église. On ne saurait trop louer l'heureuse idée de la disposition en terrasse de toute la partie supérieure de la grande nef : au premier plan s'offre le fertile bassin de l'ancien étang de Pujault, où l'œil aime à suivre tous les contours, que côtoyait jadis la barque du pêcheur. Plus loin, c'est le point de jonction de la Durance et du Rhône, dont les eaux ressemblent à deux longs rubans argentés ; puis enfin, le Ventoux et ses ramifications bleuâtres qui projettent dans les vallées l'harmonie de leurs teintes vaporeuses.

 

Trois ordres religieux avaient déjà desservi Notre-dame sans pourtant s'y être établis définitivement, lors, que le parlement de Toulouse, le 25 juillet 1637, rendit un arrêt en faveur des Bénédictins de l'abbaye St André de Villeneuve-lès-Avignon. Le monastère parait dater de cette époque, il touche au nord de l'église et se trouve entièrement séparé de l'hôtellerie réservée aux voyageurs. Deux immenses citernes, taillées dans le roc, suffisent aux besoins d'environ soixante mille pèlerins qui y arrivent chaque année.

 

L'an 1652, le 2 décembre, les Bénédictins et le seigneur de Rochefort échangèrent leurs aires respectives; et l'an 1701, le 14 janvier, les religieux passèrent en faveur de celui-ci un acte de cession des directes et droits. seigneuriaux qu'ils avaient dans le pays.

 

Après la proscription des ordres monastiques, un habitant de Rochefort fit l'acquisition de Notre-dame ; mais elle redevint bientôt propriété nationale, par l'acte d'abandon du même acquéreur qui craignait de s'être fourvoyé dans une affaire compromettante.

 

Un décret de l'Empereur, rendu l'an 1805, donna cette maison religieuse à l'hospice d'Uzès. Devenue à charge à l'administration de l'œuvre, des spéculateurs furent sur le point de l' acheter, lorsque M. l'évêque de Nîmes les prévint, par un acte de vente, consenti en sa faveur l'an 1856. Les directeurs du grand séminaire fu­rent alors nommés chapelains de l'église Notre-dame. En 1846, l'ordre des Maristes en prit possession, et ce sont ces religieux qui de nos jours occupent le couvent et desservent l'église.

 

Dans la métairie posée en face de la roche, où beaucoup de fidèles vont détacher des fragments de marbre de l'escarpement qui servit jadis à cacher une statue de la Vierge, se rencontre un puits peu profond. En temps de sécheresse, les eaux deviennent noirâtres et savonneuses, ce qui fait penser qu'elles traversent une couche d'argile smectique.

 

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