Sage administration des Bénédictins.
à Notre-Dame de Rochefort (Gard).

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard

depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910


Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.


xx

Aussitôt que les Bénédictins de Saint-Maur furent installés sur la sainte Montagne, ils se livrèrent avec zèle à l'accomplissement de leurs fonctions. N'ayant point à s'occuper de la paroisse de Rochefort (1), comme les anciens religieux, ils purent donner tous leurs soins à la direction du pèlerinage. Ces bons Pères accueillaient les fidèles avec tendresse, et ne leur refu­saient aucun secours spirituel. Aussi étaient-ils cons­tamment occupés à annoncer la parole de Dieu, à ré­concilier les pécheurs, à éclairer et à diriger les âmes.

Leurs courts instants de loisir, ils les employaient à la prière, à l'étude, à l'accomplissement de leurs de­voirs de religieux. Ainsi s'écoulaient les journées ; une partie même des nuits était encore consacrée, soit à vaquer au saint ministère, soit à méditer la loi de Dieu et à chanter ses louanges. Chaque nuit, en effet, et, plusieurs fois le jour, nos religieux chantaient l'office divin. Il en fut ainsi jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Ces prières et ces chants, retentissant continuellement sous les voûtes du sanctuaire, exerçaient sans doute une grande puissance sur le cœur de Dieu et de son auguste Mère. En même temps, les vertus, dont les pieux cénobites donnaient de si beaux exemples, avaient un irrésistible attrait pour les pèlerins, qui venaient très nombreux s'édifier à ce touchant spectacle.

Cependant, il ne suffisait pas de donner des soins au pèlerinage, de prier, de décorer le sanctuaire par l'éclat de la vertu et la splendeur des cérémonies. La chapelle demandait à être agrandie et mise dans un état plus convenable. Pour cela il fallait des construc­tions aAussitôt que les Bénédictins de Saint-Maur furent installés sur la sainte Montagne, ils se livrèrent avec zèle à l'accomplissement de leurs fonctions. ssez considérables. De grands travaux et de fortes dépenses étaient également nécessaires afin de procurer en ce lieu tout ce qui pouvait nourrir la piété, ou servir à l'utilité des pèlerins.

Les Pères de Notre-Dame n'hésitèrent point à met­tre de suite la main à l'œuvre. Mais ils procédèrent lentement, toujours avec prudence et maturité. Ils mirent bien des années, et consacrèrent de grandes sommes aux constructions ; encore ne purent-ils pas les terminer.

Ces dignes gardiens du sanctuaire remplissaient ainsi, d'une manière scrupuleuse, les engagements qu'ils avaient pris en acceptant la direction du pèleri­nage. Ils se montraient les économes fidèles, et les dis­pensateurs éclairés des dons faits à ce saint lieu. Tou­jours ils apportèrent le plus parfait désintéressement dans l'administration des biens de Notre-Dame, et ne s'occupèrent qu'en secoAussitôt que les Bénédictins de Saint-Maur furent installés sur la sainte Montagne, ils se livrèrent avec zèle à l'accomplissement de leurs fonctions. nd lieu d'eux-mêmes et des be­soins du monastère. D'ailleurs, les dépenses et les ré­parations se faisaient sous la haute direction et le con­trôle des premiers supérieurs, du général et du cha­pitre de la Congrégation, ou du visiteur de la province de Toulouse. Chaque année celui-ci venait en personne visiter la communauté, passant tout en revue dans le couvent et dans la chapelle.
Les travaux d'agrandissement pour l'église commen­cèrent dans les derniers jours de 1638.

Dans le plan qui fut adopté, on décida de se confor­mer exactement à la disposition primitive de l'édifice ; en sorte que, sans toucher au corps principal de l'an­cien bâtiment, et en ouvrant seulement les arceaux déjà existants, on devait élever une chapelle de chaque côté, et de toute la longueur de la grande nef. Aussitôt donc que l'état des ressources le permit, les religieux prolongèrent d'abord d'une travée la chapelle de Sainte ­Victoire, et la voûtèrent toute en arêtes, telle qu'elle se voit aujourd'hui. Le Père Béziat, visiteur de la pro­vince de Toulouse, en fit la bénédiction en 1639.

Ensuite on construisit du côté opposé, et à la place de l'ermitage et de la sacristie, la chapelle de Saint ­Joseph, faite sur le même plan et avec les mêmes di­mensions. Une nouvelle sacristie fut mise à l'extrémité de cette chapelle, vers le levant. La bénédiction fut encore faite par le P. Béziat, devenu alors prieur de Saint-André de Villeneuve, le 31 mai 1643.

Après l'amplification de la maison de Dieu, dit l'un des historiens de Notre-Dame, les religieux commen­cèrent quelques petits bâtiments, pour leur logement, inestimablement incommode, en ce lieu si battu des vents, et frappé d'aridité.

Les Pères établirent leur demeure au nord et à l'ouest de l'église. Ces bons moines se contentaient du strict nécessaire, n'ayant à leur usage que quelques cellules assez étroites, auxquelles ils ajoutèrent peu à peu, à mesure que les circonstances l'exigeaient, ou que les moyens pécuniaires le leur permettaient. En­core, se privant eux-mêmes en faveur du pèlerinage, firent-ils construire tout d'abord sur la montagne quel­ques chambres pour la commodité des pèlerins, parce qu'il n'y avait point d'hôtellerie au village de Roche­fort. Ils recevaient même dans le monastère et nour­rissaient à leurs dépens beaucoup d'étrangers.

Un miracle remarquable s'opéra pendant la construction du monastère. Une fille, âgée de quatorze à quinze ans, servait avec d'autres manœuvres à porter les matériaux. Le maître maçon, nommé Claude Mai­gret, l'envoya puiser de l'eau au puits qu'on avait creu­sé au pied de la montagne (a). Étant montée sur les bords du puits elle y fut précipitée par les ruades d'une bête dont elle voulait se servir pour porter l'eau sur la mon­tagne ; elle y tomba la tête la première, et alla jusqu'au fond ; le puits était profond, et avait douze ou treize pieds d'eau. Dans sa chute, la jeune fille eut la présence d'esprit d'invoquer le secours de la Sainte Vierge, pour laquelle elle travaillait ; et à l'instant elle sentit une main puissante qui la tirait du fond de l'eau, et la sou­tenait à la surface. Elle fut ainsi soutenue durant une grosse demi-heure, jusqu'à ce qu'un bon vieillard du village entendit sa voix ; il accourut, et, après avoir invoqué la même Vierge, il descendit dans le puits et en tira la jeune fille, plus par la force de Dieu que par les siennes, car il était trop faible. Il la conduisit en sa maison, et deux heures après, elle s'en retourna à la montagne, et travailla comme si sa chute lui eût donné une vigueur nouvelle.

C'était la veille de l'Assomption, et le lendemain, 15 août 1642, l'attestation authentique du prodige fut rédigée par-devant M. Payen, protonotaire apostoli­que, et signée par beaucoup de témoins.

Les Bénédictins de Notre-Dame cherchaient, avant toutes choses, la gloire de Marie et l'extension de son culte. Ils voulaient que le Mont Sacré de Rochefort, malgré l'aridité et l'escarpement de ses rocs, se trans­formât sous la main de la religion, et s'enrichît de mo­numents précieux. Presque dès leur arrivée, ils avaient formé le projet d'élever, sur le flanc de la montagne, sept oratoires ou petites chapelles, en l'honneur des sept Joies de la Sainte Vierge et de saint Joseph. Les fidèles des environs accueillirent avec bonheur un tel projet, et en pressèrent vivement l'exécution. La cons­truction du premier oratoire commença au mois de mai, 1643. C'est le maçon Claude Maigret qui en fut chargé, et l'acte de prix-fait marque minutieusement les dimensions, la forme, les ornements de la bâtisse.

Les autres monuments ne tardèrent pas à être éle­vés, sur le plan du premier; ils furent placés de distance en distance, entre les bords du rocher à l'ouest, et un ancien chemin ouvert par le Frère ermite. Ces chapel­les formaient, dans leur ensemble, un bel ornement pour la sainte colline, à laquelle elles donnaient un gra­cieux aspect. Elles étaient surtout très propres à nour­rir la piété des pèlerins, qui, en montant au sanctuaire ou s'en éloignant, aimaient à parcourir ces stations. Ainsi en fut-il jusqu'à la grande Révolution. Alors, nos oratoires furent abattus, les pierres pillées et disper­sées. Rien ne reste aujourd'hui de ces saints édifices, et le souvenir même de leur existence va s'effaçant de jour en jour.

Le zèle des Bénédictins les porta à entreprendre beaucoup d'autres travaux et à faire de grandes dé­penses, pour le bien et la prospérité du pèlerinage. Ainsi, ils rendirent les abords de la chapelle moins difficiles, et tout le plateau, sur lequel elle est située, plus acces­sible, en abattant les aspérités nombreuses des rochers, et en comblant de profonds ravins. Les chemins étaient toujours peu praticables. Les Pères essayèrent bien souvent de les améliorer, et ce ne fut qu'en 1663, qu'ils réussirent à faciliter tellement la montée de ce lieu, dit un de leurs actes, et à accommoder en telle sorte le chemin, que les carrosses pourraient monter jusqu'à la porte de l'église. Ce nouveau chemin servit jusqu'à la cons­truction d'une autre route au XIXe siècle.

Ces bons religieux se préoccupèrent par-dessus tout, et durant bien des années, de procurer l'eau nécessaire sur la montagne. La confrérie de Notre-Dame avait fait creuser un puits au pied du rocher, dès les premiers temps de la restauration du sanctuaire. Mais l'éloigne­ment de ce puits et l'escarpement des chemins, ren­daient trop difficile le transport de l'eau, si nécessaire au couvent, soit pour les constructions, soit pour les pèlerins, surtout pendant les jours de grand concours. Les religieux firent donc les plus grands efforts pour satisfaire à un besoin si impérieux.

Ils avaient d'abord conçu l'espérance de découvrir des sources sur les flancs du rocher. Ils firent plusieurs fois des fouilles en différents endroits, et les continuèrent longtemps, mais en vain. « L'année 1715, dit l'un d'eux un peu malicieusement, le P. D. Joseph Salomé, prieur de Notre-Dame ; s'en retourna à Paris, sans avoir pu donner de l'eau à ce monastère, après lui avoir donné du pain et du vin... II a fait remuer et pierres et terres; il a fait des ruisseaux, des cavernes fort pro­fondes, et encore un bassin à demi-montagne, pour re­cevoir de certaines eaux imaginaires... ; le tout à grands frais et inutilement. »

Plus de soixante-dix ans auparavant, le 15 septem­bre 1642, ces hommes de foi, voyant Notre-Dame opé­rer chaque jour des miracles de tout genre, n'avaient pas craint de lui demander de faire jaillir miraculeuse­ment une source d'eau vive, sur la sainte Montagne. Ils se réunirent tous, au nombre de neuf, tous religieux de l'ordre de Saint-Benoît, aux pieds de la statue mi­raculeuse, et le prieur D. Béziat prononça solennelle­ment le vœu, au nom de toute la communauté.

Ils prenaient l'engagement, si la source était accor­dée, « d'élever une chapelle au même lieu; d'y repré­senter sur un tableau la concession d'un si grand bien­fait ; et, chaque année, le jour même où ce don aura été accordé et reçu, d'en rappeler le souvenir, par la célébration d'un office solennel, en l'honneur de la Très Sainte Trinité, avec mémoire de la très Sainte Vierge, et par une procession faite de cette église à la susdite chapelle, au chant des litanies de Lorette. La même procession se fera aux cinq fêtes principales de la très Sainte Vierge, la Conception, la Nativité, l'Annoncia­tion, la Purification, et l'Assomption, après lé chant accoutumé des sept joies. »

Tous ces moyens n'ayant pas réussi, on songea enfin à une citerne, qui fut creusée, vers 1750, et dans la­quelle on fit arriver les eaux pluviales, reçues par les toitures du couvent et de l'église. Ce réservoir, renfer­mé entièrement dans le roc, est vaste et profond, et la masse d'eau qu'il contient suffit aux besoins, non seulement des religieux de Notre-Dame, mais aussi des milliers de pèlerins qui y viennent chaque année.

Le ministère, des Bénédictins obtenait un plein suc­cès ; le concours nombreux et constant des pèlerins en était la preuve la plus certaine et la louange la plus éclatante. Sur la sainte montagne, on voyait avec bon­heur se confondre toutes les conditions, tous les rangs de la société. Des princes, des seigneurs, des guerriers, des évêques et des cardinaux, venaient avec les sim­ples fidèles accomplir les vœux qu'ils avaient faits, rendre leurs actions de grâces, ou solliciter des bien­faits nouveaux. Marie, de son côté, ne, cessait de répandre ses grâces et ses faveurs.

Les faits miraculeux furent extrêmement multipliés â Notre-Dame, pendant les années qui suivirent l'ar­rivée des Pères de Saint-Maur. D'après leur rapport, au moins deux cent cinquante eurent lieu en dix ans, de 1638 à 1647. Nous en avons raconté un certain nom­bre ; en voici encore un que nous ne voulons pas omet­tre, parce que c'est le propre village de Rochefort qui en bénéficia (3).

Le 8.octobre 1638, environ une heure après minuit, le feu se mit à une étable toute remplie de foin et s'y alluma si bien que la flamme, excitée et poussée par un grand vent, menaçait tout le bourg de Rochefort. Les habitants, pressés par le danger commun et inévi­table, firent des efforts extrêmes pour éteindre cet em­brasement, ou pour en empêcher les suites. Mais le vent portait la flamme partout. Une maison voisine était déjà toute embrasée. Ce peuple affligé crut son mal sans remède. Ils cessèrent de porter de l'eau, ce qui était inutile, et eurent recours à Notre-Dame de Grâce, la suppliant de garantir un lieu si proche de sa sainte chapelle. Ils envoyèrent en même temps prier les Pères Gardiens de joindre leurs prières à celles des habitants, qui chantaient les litanies de la Vierge avec M. leur curé. Ils firent ensuite un vœu d'aller tous les ans en pareil jour, et à perpétuité, en procession à la chapelle, s'il plaisait à Dieu de les délivrer de cet em­brasement par les prières de sa divine Mère. Immédia­tement le feu s'arrêta de lui-même, et ce ne put être que par un miracle évident, car le vent l'excitait tou­jours, et il avait de nouvelles matières.

Les habitants vinrent en procession s'acquitter de leur vœu, et offrirent un tableau dans lequel cette grâce est représentée, avec une déclaration publique, reçue par un notaire royal, et signée d'un très grand nombre de témoins.

Ce tableau se trouve encore aujourd'hui parmi les ex-voto de la chapelle. Depuis l'époque de l'événement, il a été renouvelé deux fois par ordre de l'autorité lo­cale, et il porte toujours la relation détaillée du mira­cle. La procession promise par vœu se fait aussi chaque année, le deuxième dimanche d'octobre, après les vêpres. Le curé de la paroisse, agenouillé devant l'autel, fait à haute voix la lecture du procès-verbal du miracle, et la cérémonie se termine par la bénédiction solennelle du Très Saint Sacrement.

(1) Depuis la réforme de Saint-André de Villeneuve (1637), jusqu'en 1789, l'église de Saint-Bertulphe dépendit uniquement de cette abbaye, et fut desservie par un prêtre délégué ou vicaire.
(2) NOTE GM : Ce puits existait encore au milieu des années 1950, il était situé tout à côté et à l'Est du vieux Cade. Sur son emplacement se trouve un parking à gauche du chemin de Notre-Dame, juste avant le premier virage.
(3) La Sainte Montagne, par Dom MÈGE, chap. XIV.


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Ex-Voto de l'incendie de Rochefort du 8 octobre 1638.

Reproduction réalisée en 1838 par la commune en remplacement d'une autre copie réalisée en 1745 sur l'original qui était alors en très mauvais état. Le 9 octobre 1938, une plaque de marbre sera placée dans le sanctuaire, à l'occasion du tricentenaire de l'évènement.

En savoir plus sur les Bénédictins de St-Maur
Histoire des Bénédictins de St-Maur de Villeneuve-les-Avignon et Notre-Dame de Rochefort (1637-1791). Cette version a été publiée dans un "Bulletin du Comité de l'Art Chrétien de Nîmes" datant de 1907.
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 Les Bénédictins de Notre-Dame et Villeneuve, version complète du Comité de l'Art Chrétien




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