Anciens privilèges du Sanctuaire
de Notre-Dame de Rochefort.


Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910


Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.



Dès les premiers jours de sa fondation, la chapelle de Rochefort fut une dépendance de l'abbaye béné­dictine de Saint-André.


Cette abbaye avait été fondée avant le VIIIe siècle, près du tombeau de sainte Cazarie, sur le Mont ou Puy­-Andaon, sur la rive droite du Rhône, vis-à-vis Avignon. Ruinée par les Sarrasins, et rebâtie par Charles Martel, d'autres disent par Charlemagne, elle fut de nouveau renversée par les Hongrois. Mais elle sortit une seconde fois de ses ruines, et bientôt on vit les religieux s'y réunir en grand nombre. Dès l'année 976, Warne­rius, évêque d'Avignon, travaillait à faire fleurir au milieu d'eux la discipline monastique, réparait leur église et leur monastère de ses propres deniers. Ce fut alors que cette abbaye rentra peu à peu en possession de ses anciennes dépendances ou prieurés, et qu'elle y envoya des religieux, dont la piété et la sage administra­tion exercèrent au loin l'influence la plus salutaire.

Le prieuré de Sainte-Victoire ou de Notre-Dame de Rochefort se trouvait parmi les possessions dans lesquelles rentrèrent les Bénédictins, et profita des faveurs qui leur furent accordées par les papes durant les XIe et XIIe siècles. De même, les actes pontificaux donnés au XIIIe siècle en faveur de l'abbaye de Saint ­André et de ses dépendances désignent spécialement Notre-Dame de Rochefort.

D'où il résulte que notre chapelle a appartenu toute la durée du moyen âge à Saint-André, qui d'ailleurs en a conservé la possession jusqu'à la Révolution fran­çaise. Et ainsi l'histoire de notre vénéré sanctuaire se lie étroitement ou plutôt se confond avec celle de la célèbre abbaye. L'une et l'autre ont passé par les mêmes phases, ont éprouvé les mêmes vicissitudes de prospé­rité et de revers.

De nombreux et importants avantages résultèrent de cette dépendance, pour la sainte chapelle. Non seu­lement il y eut toujours auprès d'elle un couvent ou prieuré, mais elle fut constamment desservie par deux ou trois religieux, jusqu'au moment de leur expulsion par les protestants. Ils résidaient habituellement sur la montagne, et y faisaient le service divin.

Indépendamment de la présence des pieux céno­bites auprès du sanctuaire confié à leur garde, de leur zèle à l'orner, à y travailler au salut des âmes, la cha­pelle devait à son union au monastère de Saint-André le privilège d'être placée sous la haute protection du Saint-Siège.

Comme il est dit dans une bulle d'Urbain II, les papes prenaient sous la tutelle du Siège Apostolique les Bénédictins de Saint-André, tout ce qui leur apparte­nait présentement, ou, avec l'aide de Dieu, leur appar­tiendrait justement à l'avenir, et spécialement leurs églises, avec leurs dîmes, droits et autres apparte­nances. Plus d'une fois les pontifes, usant de leur au­torité suprême, firent entendre des menaces ou des pro­messes pour mettre à couvert les droits de ces lieux sacrés, et les défendre contre toute espèce d'usurpation et de violence.

A cette première faveur pontificale vint bientôt s'en ajouter une autre, celle du droit d'inhumation ou de sépulture. Il n'avait été primitivement accordé qu'à l'abbaye de Saint-André. II fut ensuite étendu à notre sanctuaire, qui en a usé largement pendant de longues années.

Plus tard encore, un troisième privilège, l'un des plus insignes dans ces siècles reculés, était libéralement octroyé à la montagne de Rochefort. Nous voulons parler du privilège pour le temps d'interdit général.

Autrefois, lorsque les princes et les seigneurs s'étaient rendus coupables de crimes énormes, ou quand les peu­ples devenaient incorrigibles dans leurs désordres, les pontifes romains, en vertu de leur pouvoir suprême de lier et de délier, prononçaient l'interdit sur les royau­mes ou sur les provinces. Tout semblait alors couvert d'un voile de deuil. Les églises demeuraient fermées, le sacrifice de la messe était suspendu, les cloches elles­-mêmes cessaient de se faire entendre. C'était là, pour les peuples chrétiens, un châtiment terrible, mais tou­jours efficace.

 Les ordres religieux se voyaient soumis aux mêmes privations. C'est pourquoi Bermond, abbé de Saint­ André, sollicita auprès de Grégoire IX la faveur de pouvoir célébrer les offices divins, en temps d'inter­dit général, dans toutes les églises dépendantes de son monastère. Cette grâce lui fut accordée en décem­bre 1227, avec la clause expresse de ne point sonner les cloches, de célébrer à voix basse, et de tenir fermées les portes des églises.
 
D'autre part, l'abbaye d'Andaon et le couvent de Notre-Dame recevaient de riches dons des princes et des grands du monde. Les comtes de Toulouse et de Saint-Gilles, en particulier, se distinguèrent parmi les bienfaiteurs. C'est ainsi qu'en 1075 Raymond II donna de vastes propriétés à Dieu et au monastère Saint­ André pour le salut de son âme. Et cette importante donation fut reconnue et confirmée par plusieurs de ses successeurs.

Outre de nombreuses terres, elle concédait aux Bé­nédictins le droit de pêcher à perpétuité, avec quatre barques, dans toute l'étendue de l'étang de Privaderiis, dont les eaux couvraient alors la vaste plaine située entre Pujaut, Saze, Rochefort et les Angles, et d'y faire ou d'y percevoir la levée de tous les filets une fois par semaine.

Les religieux de Notre-Dame eurent leur part spé­ciale dans cette concession ; car elle comprenait, comme il fut juridiquement déclaré sous le règne de saint Louis, une portion de l'étang du milieu, dit de Rochefort. Aussi en 1608, quand ce lieu fut entièrement dessé­ché, vit-on les revenus du prieur de la paroisse et de notre chapelle, augmenter par suite de la mise en cul­ture des terrains appartenant au prieuré de temps immémorial, dans la partie de l'étang voisine du vil­lage.

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