NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Après la grande Révolution.

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.



XXVII


La paix religieuse étant rendue à la France par le Concordat, le concours des pèlerins, qui n'avait jamais cessé entièrement, augmenta sur la sainte Montagne.

L'abbé Sicard, pour assurer l'avenir de Notre-Dame engagea l'administration de l'hospice d'Uzès à solli­citer de l'État la propriété de l'église et du couvent. La demande fut bien accueillie ; un arrêté de la pré­fecture, rendu le 5 septembre 1805, et sanctionné par une loi le 7 septembre 1807, mit l'hospice d'Uzès en possession de la chapelle et des bâtiments. Et l'abbé Sicard fut maintenu dans la direction du pèlerinage, moyennant une modique redevance payée annuelle­ment à l'hospice.

La statue miraculeuse et son trône avaient été ré­parés avec soin, déjà depuis plusieurs années. Dès que la religion commença à respirer, après la mort de Robespierre, un fervent catholique de Rochefort, Roch Granet, neveu du Bénédictin, usa de l'ascendant qu'il avait sur le détenteur de la tête vénérée de la Vierge, et exigea impérieusement qu'il la lui remît; et on ne tarda pas à la rattacher au tronc de l'image. Mme de Corbin eut l'honneur de faire les frais de la restaura­tion, et le soin en fut confié à Mlles Vissac, de Ville­neuve-lès-Avignon, qui avaient demandé instamment à en être chargées. L'installation eut lieu le premier dimanche de mars, 1795. C'est ce jour-là que les deux impies de Rochefort, qui insultaient les pèlerins venus à cette fête, furent écrasés sous les ruines du mur du vieux château.

La sainte image porte encore les marques de la mu­tilation sacrilège qu'elle a subie ; elles sont comme des cicatrices glorieuses qui la rendent plus chère aux peu­ples, en même temps qu'elles sont une leçon pour la postérité.

L'abbé Laurent succéda au Père Sicard dans l'admi­nistration de la chapelle, et continua avec zèle I'œuvre de son prédécesseur. Né à Rochefort, en 1757, il fut d'abord vicaire à Saint-Laurent-des-Arbres. Ne vou­lant pas faillir à sa conscience par la prestation du serment schismatique, il fut obligé de s'exiler, passa plu­sieurs années en Italie, fut sur le point d'y mourir, et fut guéri par l'invocation de Notre-Dame de Roche­fort. De retour en 1797, il s'empressa de gravir le Mont Sacré, et de remercier avec effusion Celle qui l'avait sauvé de tant de dangers et ramené sur le sol natal. Mais la sécurité n'étant point assez rétablie, il dut se tenir caché et n'exercer qu'en secret les fonctions du saint ministère. Il habitait alors dans les cavernes, au fond des forêts ou des vallées voisines, et il venait à la dérobée prier et célébrer les saints mystères dans une autre chapelle.

Nommé vicaire desservant de . Rochefort, après le Concordat, M. Laurent aida le P. Sicard de tout son pouvoir; et, quand il fut désigné pour le, remplacer dans la conduite du pèlerinage, il accepta cette nou­velle charge avec bonheur, et ne négligea rien pour s'en bien acquitter. Dans l'espace de vingt ans qu'il eut cette direction, beaucoup de réparations furent faites, l'église pourvue des ornements nécessaires, et la mai­son rendue capable de recevoir des habitants.

Dès les premières années du XIXe siècle, les peuples circonvoisins s'empressèrent de revenir à Notre-Dame, et les pèlerins furent nombreux sur la sainte Monta­gne. Sous l'Empire, alors que des guerres incessantes arrachaient aux familles une multitude de leurs mem­bres, que de parents, que d'épouses, que de mères et de sœurs accoururent offrir des dons, demander des priè­res, et répandre des larmes devant l'autel de Marie ! Les uns sollicitaient la conservation d'un époux, d'un frère, d'un ami ou d'un fils chéri, exposé à la mort sur les champs de bataille. D'autres rendaient grâces pour l'heureux retour de ceux qu'ils avaient crus à jamais perdus.

Le pèlerinage alla toujours croissant jusqu'à la Res­tauration. Mais en 1814 et 1815, il fut vraiment extra­ordinaire. Nous ne croyons nullement exagérer en as­surant que de toutes les provinces voisines les popula­tions des villes et des campagnes s'ébranlèrent en masse pour se rendre à Rochefort. Comme dans le passé, les paroisses, les congrégations, les confréries, les pénitents arrivaient, bannières en tête, en longues et innombra­bles processions.

Bien des grâces étaient accordées à ces pieux pèle­rins, bien des merveilles opérées en leur faveur. Bien­faits de toutes sortes, attestés par les nombreux ex­voto de cette époque
.

Sur un tableau on lit l'inscription suivante : « Ex ­voto de la commune de Fournès. Délivrée d'une incendie causée par le tonnerre, la nuit du 21 août 1806, par l'in­tercession de la Sainte Vierge ». 

Sur un autre : « Vœu fait à Notre-Dame de Grâce, par Antoine Reboul, maçon de la commune de Saint­Hilaire d'Ozillan, canton de Remoulins, département du Gard : qui fut miraculeusement, tiré sauf d'un puits d'Estezargues, canton d'Aramon, où il avait été en­glouti et couvert sous un énorme poids ,de pierres, le 29 août 1807. Le puits avait treize mètres de profon­deur ».

En 1816, Mlle Eugénie Achardy de Sanillac, âgée de quatre ans, tomba dangereusement malade, et fut bientôt réduite à l'extrémité. Depuis trois jours elle ne parlait plus et ne pouvait prendre ni nourriture ni remède. Le médecin ne conservait plus d'espoir et l'avait même abandonnée. La mère de la jeune enfant, ayant pris alors un cierge bénit à Notre-Dame de Ro­chefort, le mit entre les mains de sa fille mourante, puis elle s'agenouilla près du berceau, et récita avec confiance les litanies de la Sainte Vierge. Elle n'avait pas encore achevé cette prière, lorsque tout à coup la petite malade demanda à boire. On courut de suite prier le médecin de venir. Celui-ci pensa tout d'abord qu'on venait lui annoncer la mort de l'enfant. Mais quelle ne fut pas sa surprise en apprenant ce qui venait d'arriver ! Il se hâta d'aller auprès de la malade. Nou­vel. étonnement : il la trouva parfaitement guérie. Depuis cette époque, Mlle Achardy est venue fidèle­ment chaque année à Notre-Dame, le second diman­che d'octobre, pour remercier sa divine libératrice ; et c'est de sa propre bouche que nous tenons le récit de sa miraculeuse guérison (1).

(1) Archives de Notre-Dame, Recueil des choses remarquables. De la même source est tiré le récit des deux guérisons qui suivent.

Jean-Baptiste Marquis, né à Laudun, était arrivé à l'âge de cinq ans sans avoir pu marcher seul, ni même se tenir debout. Il souffrait habituellement de gran­des douleurs aux jambes, et il fallait sans cesse le por­ter ou le tenir couché sur un lit. Pour le guérir et lui donner des forces, ses parents eurent recours, mais en vain, à tous les remèdes de l'art. A la fin, les médecins déclarèrent que cet enfant était estropié pour toute sa vie. Alors sa mère, sur l'invitation de Mlle Ugone, institutrice à Codolet,pensa à recourir à la toute-puissante protection de la Sainte Vierge. Pour cela, elle fit une neuvaine avec toute sa famille, plusieurs autres per­sonnes, et les jeunes filles de l'école de Codolet, en l'hon­neur de Notre-Dame de Grâce.

Le dernier jour de la neuvaine, la bonne femme vint en pèlerinage à Rochefort, accompagnée de son mari, de tous ses enfants, et apportant lé malade monté sur un âne. Ils prièrent tous avec ferveur dans la sainte chapelle. Mais n'ayant pu, faute de prêtre, y faire célé­brer la messe à leur intention, ils s'en retournèrent à Laudun, où elle fut dite peu de jours après, en l'hon­neur de Notre-Dame de Grâce. La mère y assista avec son enfant entre ses bras. Au commencement de la messe, comme elle voulut le mettre un instant sur ses pieds, il ne put se soutenir et la douleur lui arracha des cris, comme d'habitude. Mais au moment même de l'é­lévation, le malade demanda tout à coup à être déposé à terre : Maman, à terre, dit-il, à terre. La pauvre mère étonnée, mais pleine de confiance, se hâte de lui accor­der ce qu'il demandait, et le jeune enfant, se mettant aussitôt à marcher seul et sans aucune peine, fit trois fois le tour de la table de communion. Il était parfai­tement guéri. Depuis lors, c'était en 1820, il ne lui est resté aucune trace ni de son infirmité ni de ses douleurs aux jambes.

Le nommé Pierre Pourcherol, de Lédenon, eut au cou une tumeur, accompagnée de douleurs très vives. Le médecin du lieu, M. Laboussière, jugea nécessaire d'ouvrir le mal avec sa lancette ; mais, loin d'opérer une guérison, cette opération occasionna un chancre, qui rongea promptement les chairs, et produisit une large plaie. Inutilement employa-t-on tous les remè­des ; le mal ne fit qu'empirer et parut bientôt incura­ble. M. Bompart, médecin de Cabrières, étant venu voir le malade, avec qui il était lié d'amitié, n'hésita point à dire que celui-ci n'avait plus que quelques jours à vivre. Pierre Pourcherol entendit cette parole; adres­sée à sa femme. Aussitôt il se sentit inspiré d'avoir re­cours à Marie, le salut des infirmes ; et, plein de con­fiance en cette puissante Protectrice, il fit intérieure­ment vœu d'aller à pied, de suite et une fois chaque année, tant qu'il pourrait, au sanctuaire de Notre ­Dame de Rochefort.

Dès le lendemain, cet homme se mit en route, mal­gré ses grandes souffrances, malgré son extrême fai­blesse et les suffocations dont il était atteint depuis plusieurs semaines. Arrivé avec beaucoup de fatigues sur la sainte Montagne, il entre aussitôt dans la cha­pelle sans prendre aucun soin de sa plaie ; mais, au lieu de prier avec les autres pèlerins réunis alors en grand nombre dans ce lieu (car on était au mois de septembre), Pierre Pourcherol s'endort et repose tran­quillement toute la nuit. Cependant depuis trois mois il n'avait pu jouir d'un seul instant de sommeil.

Le matin, en s'éveillant, il n'éprouvait plus ni dou­leurs ni suffocations; tout surpris d'une chose si étran­ge, il se lève, sort de la chapelle pour délier et palper sa plaie. - « Je croyais rêver; dit-il, ou me trouver dans l'autre monde ». - La plaie était cicatrisée pres­que entièrement. Mais n'osant s'en rapporter à lui­ même, et se croyant toujours sorti de cette vie, il in­terrogeait les personnes de sa connaissance, les priant de lui dire ce qu'elles remarquaient sur sa figure, si même elles n'y voyaient pas la pâleur et les empreintes de la mort. Mais tous le trouvaient en bonne santé et parfaitement rétabli.

Plein de reconnaissance envers l'auguste Vierge, Pierre Pourcherol entendit la messe avec ferveur. Il se hâta ensuite de partir pour Lédenon, afin de rendre toute sa famille témoin de son heureux rétablissement et participante de sa joie. Tous reconnurent que cette guérison était complète et vraiment miraculeuse. - « Jusqu'ici, s'écria à cette vue M. Laboussière, j'avais été incrédule; maintenant je crois. »

Dix-sept ans plus tard, en 1861, Pierre Pourcherol, âgé alors de 79 ans, accomplissait encore son vœu an­nuel ; et le médecin Bompart signait l'attestation que voici : « Je certifie, pour rendre hommage à la vérité, que la guérison du susdit Pourcherol a été opérée mi­raculeusement à Notre-Dame de Rochefort ».



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