NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Couronnement de Notre-Dame de Grâce

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.


Lithographie - Couronnement solennel de N. D. de Grâce et Innauguration du Calvaire sur la montagne de Rochefort par Monseigneur l'Archevêque d'Avignon assisté de plusieurs Achevêques et Evêques et un grand nombre de clergé et une foule immense de fidèles accourus  de tous les points de la Provence pour assister à cette fête mémorable - Au bas de l'image, dans trois tabeaux : Grotte où la Sainte Vierge fut trouvée ; Couronnement de N.D. de Grâce de Rochefort ; Calvaire sur la montagne de Rochefort.

XXXIII

En l'année 1869, notre pèlerinage tant de fois séculaire devait voir l'un des plus grands jours, peut-être le plus grand de son existence : Celui du couronnement solennel de la statue miraculeuse.

Le P. Besson, supérieur du Couvent, après s'être concerté avec l'autorité diocésaine de Nîmes, adressa une supplique au Souverain Pontife Pie IX, lui faisant connaître l'importance du pèlerinage, son antiquité, le bien qu'il opère depuis des siècles dans toute la contrée, l'édification qui en résulte pour les âmes, et les bienfaits spirituels de tout genre qu'en reçoivent sans cesse les peuplés d'alentour. Il exposait en même temps l'accroissement que procurerait le couronnement de Notre-Dame à la piété des fidèles ; et il demandait au Saint-Père que la cérémonie de couronnement eut lieu le 11 mai de l'année 1869, jour où devait être béni et inauguré très solennellement le nouveau Calvaire érigé sur la sainte montagne de Rochefort.

Toutes ces :demandes furent pleinement exaucées, comme l'atteste le Bref Pontifical du 27 avril de la même année.

Aussitôt la fête du 11 mai fut annoncée dans les diocèses d'Avignon et de Nîmes, et dans les diocèses voisins, et l'on se prépara à la célébrer dignement.

MM. les curés des deux villes de Nîmes et d'Avignon tinrent à honneur d'offrir les deux couronnes : celle de l'Enfant Jésus fut le don des prêtres d'Avignon, et celle de Notre-Dame celui des prêtres de Nîmes. Des quêtes se firent dans les églises et à domicile. Plusieurs personnes s'empressèrent de donner les unes des sommes d'argent, les autres des bijoux, des pierres précieuses, des diamants. Ces riches diadèmes furent confectionnés à Lyon, par M. Armand Calliat.

En même temps, plusieurs évêques et d'autres personnages furent invités à la fête. Mgr Plantier, évêque de Nîmes, chargé par le pape de faire le couronnement, délégua en son lieu et place, ainsi que le Bref Pontifical l'y autorisait, Mgr Dubreil, archevêque d'Avignon. A la même occasion, Mgr l'Évêque de Nîmes adressa au clergé et aux fidèles de son diocèse une très belle lettre pour annoncer la grande fête et en faire ressortir l'importance.

Voici presque intégralement le compte rendu de la solennité, tel qu'il fut imprimé et répandu au lendemain du couronnement :

Dire la joie et l'allégresse avec lesquelles fut accueillie par les populations chrétiennes d'alentour, l'annonce du couronnement de la Vierge miraculeuse et de l'inauguration solennelle du Calvaire monumental, qui est en cours d'exécution sur les flancs de la sainte montagne, serait impossible. On peut dire en toute vérité que la nouvelle de cette double cérémonie excita dans les cœurs le plus religieux enthousiasme; chacun se promit d'en être l'heureux témoin, et longtemps à l'avance, des deux côtés du Rhône, les voitures et les véhicules de toutes formes furent retenus pour cette circonstance. C'était un événement pour les populations, événement dont on s'entretenait d'autant plus volontiers qu'il éveillait dans toutes les âmes les plus touchants souvenirs se rattachant à l'antique sanctuaire. Ceux qui, depuis longtemps ne l'avaient point visité sentaient revivre en eux la foi et la dévotion de leurs jeunes années ; et ceux mêmes qui n'avaient jamais eu le bonheur de gravir la sainte montagne prenaient la résolution de marcher sur les traces de leurs ancêtres.

Mais l'enthousiasme fut à son comble lorsque, rappelant dans un langage plein de piété, d'élévation ; de grâce et de poésie, les enseignements de la double cérémonie que les RR. PP. Maristes préparaient avec une si noble ardeur ; Monseigneur l'Évêque de Nîmes eut fait un généreux appel au clergé et aux fidèles de son vaste diocèse. Selon l'heureuse expression de l'éminent Prélat, les deux diocèses d'Avignon et de Nîmes devaient se confondre, le 11 mai, dans une seule et même famille ; aussi, de part et d'autre, y eut-il à dater de ce moment, comme un redoublement de dévotion à l'égard de Notre-Dame-de-Grâce.

Par une heureuse inspiration du R. P. Besson, Supérieur des RR. PP. Maristes, les deux couronnes devaient être offertes au nom des deux diocèses, par le clergé et les fidèles d'Avignon et de Nîmes. Nous avons entendu nous-même ce zélé religieux se féliciter hautement de la bienveillance et de l'empressement avec lesquels sa proposition avait été accueillie par Messieurs les curés des deux villes épiscopales ; et si ces vénérés pasteurs pouvaient nous répéter tout ce qu'ils ont entendu de protestations d'amour envers Notre-Dame-de-Grâce, s'ils pouvaient nous exprimer tout le bonheur de leurs paroissiens á concourir par leurs aumônes au couronnement de la Vierge, ils ajouteraient une des ses plus belles pages à l'histoire de Notre-Dame de Rochefort.

De son côté, avec le sentiment exquis des convenances qui rehausse l'éclat de son immense talent, Mgr Plantier avait voulu que le vénérable archevêque d'Avignon présidât lui-même la grande cérémonie, et déposât, au nom de l'auguste Pie IX, sur les images bénies, les deux diadèmes préparés pour elles par le premier artiste de la ville de Lyon.

Vienne donc ce jour tant désiré ! vienne cette journée du mardi 11 mai, qui doit être si belle, si radieuse, si triomphante pour la Reine du Ciel ! Hélas ! un instant toutes les espérances semblent se changer en une amère déception. Dans la soirée du lundi, une pluie torrentielle oblige de suspendre tous les travaux préparatoires. Ce contretemps était de nature à décourager des âmes moins zélées et moins confiantes en Marie que celles qui s'occupaient des préparatifs de la solennité. On a recours à la prière. Pendant que le tonnerre gronde avec fracas, pendant que la pluie tombe par torrents, de l'intérieur du sanctuaire des prières ferventes s'élèvent vers la Reine du ciel, et la supplient de rendre à l'atmosphère toute sa sérénité.

Le lendemain le soleil se lève plus beau, plus radieux que de coutume. Les préparatifs sont repris avec la plus grande activité. Un magnifique autel, pavoisé aux armes du Saint-Père et des prélats assistants, se dresse majestueusement sur le plateau qui s'ouvre devant l'église. Des guirlandes de fleurs et de feuillage, des oriflammes aux mille couleurs et aux emblèmes les plus significatifs l'entourent de toutes parts. La montagne tout entière semble revêtue d'un immense habit de fête.

Dés les premières heures du jour, l'œil découvre au loin des groupes de pèlerins, qui, de tous côtés, se dirigent vers le sanctuaire.

Voici venir au milieu d'eux les nobles enfants de saint Norbert, les RR. PP. Prémontrés du monastère de Saint-Michel de Frigolet ; ils marchent en procession avec leur blanc costume, et viennent par leur présence et leurs chants ajouter à l'éclat de la cérémonie.

Bientôt les rampes de la sainte montagne et le plateau qui la couronne sont couverts par une foule immense. Des flots de peuples se pressent et se succèdent sous les voûtes du vénéré sanctuaire, admirablement transformées par des peintures du goût le plus exquis, dues à l'habile pinceau d'un artiste d'Avignon. Les murailles sont tapissées d'oriflammes aux invocations pieuses ; sous les arceaux sont suspendues avec leurs armoiries, les bannières de quelques-unes des principales familles des deux diocèses ; ces familles ont eu à honneur de prouver ainsi à Notre-Dame de Grâce leur dévotion traditionnelle.

Depuis 3 heures du matin jusqu'à 11 heures, les messes se succèdent sans interruption à tous les autels de la chapelle. A 7 heures, une messe de communion générale est célébrée par Monseigneur l'Évêque de Nîmes dans l'intérieur du sanctuaire, et Sa Grandeur distribue le pain des anges á une foule considérable.

Cependant, l'heure de la cérémonie est arrivée. Elle est annoncée par les joyeuses volées de la cloche du sanctuaire. La foule se presse autour de l'autel extérieur. En même temps, le cortège religieux, qui compte plus de trois cents prêtres réguliers ou séculiers, s'organise dans les cloîtres du monastère, et se met en marche dans l'ordre suivant :

A la suite de la croix marchent les Petits Frères de Marie, les Frères des Écoles chrétiennes et les prêtres sans habit de chœur. Après eux, viennent les RR. PP. Prémontrés sous la conduite du R. P. Edmond, leur digne prieur, les RR: PP. Maristes, gardiens du sanctuaire, ayant au milieu d'eux leur Supérieur Général, le T. R. P. Favre, et un de leurs provinciaux, le R. P. Germain, originaire du diocèse de Nîmes. Viennent ensuite tous les ecclésiastiques en habit de chœur. Nos seigneurs Dubreil, archevêque d'Avignon, Plantier, évêque de Nîmes ; Jordany, évêque de Fréjus et Toulon, et Elloy, de la Société de Marie, évêque de Tipaza in partibus, coadjuteur du Vicaire apostolique de l'Océanie centrale, ferment la marche, entourés de Ieurs porte-insignes et de leurs assistants.

Le cortège entre dans la chapelle ; quatre religieux Prémontrés placent sur leurs épaules la statue miraculeuse ; deux curés, l'un de Nîmes et l'autre d'Avignon, portent devant elle, sur de riches coussins, les couronnes, offrandes de la piété généreuse de ces deux villes. L'Archevêque célébrant entonne l'Ave maris Stella, et on se rend processionnellement à l'estrade dressée sur le plateau de l'église. Impossible d'exprimer la religieuse impression dont fut saisie la foule, lorsque apparut au milieu d'elle l'image de Notre-Dame de Grâce revêtue de ses plus beaux ornements. Ce fut comme un frémissement de dévotion, si nous pouvons nous exprimer ainsi, qui parcourut tous les rangs et vibra dans tous les cœurs. Chacun, avec respect et amour, s'inclina devant l'image bénie au fur et à mesure qu'elle avançait vers le lieu où elle devait être déposée.

En arrivant sur l'estrade, les prélats furent complimentés, eu termes pleins de délicatesse pour chacun d'eux, par le' R: P:' Besson, Supérieur de la maison.

Au nom de ses confrères dans l'épiscopat et en son propre nom, Monseigneur l'Archevêque d'Avignon remercia le zélé religieux pour les choses flatteuses qu'il venait d'entendre ; il exprima hautement le bonheur qu'il avait à présider une cérémonie qui unissait, dans un lien de commun amour pour Notre-Dame de Rochefort, les deux diocèses de Nîmes et d'Avignon,et profita de cette circonstance pour témoigner publiquement de son estime et de son affection pour le plus illustre de ses suffragants.

La statue de Marie fut placée sur un trône étincelant de dorures, et l'on déposa les deux couronnes à ses pieds. Les Prélats ayant pris la place réservée à chacun d'eux, la grand'messe, célébrée par l'Archevêque d'Avignon, commença aussitôt.

Tout concourut á donner à l'auguste sacrifice offert en plein air une admirable et grandiose beauté. La pompe des cérémonies, la présence d'un nombreux clergé, le recueillement de la foule, en même temps que le chant si plein de grâce et d'harmonie exécuté par les enfants de la maîtrise des RR. PP. Prémontrés.

A l'issue de la messe, a lieu le couronnement solennel de la Vierge miraculeuse. Un grand vicaire du diocèse de Nîmes, M. l'abbé de Cabrières, donne lecture du Bref de Notre Saint-Père le Pape Pie IX, permettant par une faveur insigne, de couronner, en son propre nom, la statue de Notre-Dame de Grâce. Après cette lecture, la maîtrise des RR. PP. Prémontrés chante avec enthousiasme une brillante cantate composée pour la circonstance. Mgr Dubreil se tourne alors vers son immense auditoire, et, dans une allocution toute de cœur, respirant d'un bout à l'autre les suaves parfums de la Bible et de la piété la plus tendre, il trace le but et le sens de la cérémonie et montre qu'elle va donner une nouvelle consécration à l'illustre sanctuaire; dont elle doit unir les gloires du passé à celles de l'avenir. Les paroles du vénérable Prélat sont écoutées avec la plus religieuse attention, et resteront dans les esprits comme un des meilleurs souvenirs de la journée.

Le vénérable Métropolitain procède ensuite, conjointement avec les autres prélats, à la bénédiction: et à l'encensement des couronnes, pendant que le chœur chante le Sub tuum.

Le moment solennel est arrivé, tous les regards sont fixés sur l'autel. Au chant du Regina cœli, le chant par excellence de l'allégresse et du triomphe, Monseigneur l'Archevêque dépose, au nom et par délégation expresse de Notre Saint-Père le Pape, sur la tête de l'Enfant-Dieu et de sa divine Mère, les couronnes qu'il vient de bénir. Ensuite, NN. Seigneurs les Evêques s'approchent de la miraculeuse Statue et imposent leurs mains sacrées sur les diadèmes. A cet instant la foule, ne se possédant plus, fait retentir les airs des cris mille fois répétés de Vive Marie ! Vive Pie IX !

On peut juger à ce moment combien populaire et profonde est dans nos contrées la dévotion à Notre-Dame de Grâce de Rochefort. Ah ! c'est qu'il n'est pas une maison qui ne possède son image bénie, pas une famille qui n'ait à cœur, chaque année, de lui offrir au moins un pieux pèlerinage.

La cérémonie du couronnement terminée, la procession du clergé se réforme dans le même ordre. Mais, cette fois, quatre curés de canton, du diocèse de Nîmes, prenant la place des enfants de saint Norbert, reportent; au chant solennel du Magnificat, et au milieu des cris d'enthousiasme renouvelés de la foule, la statue miraculeuse dans son sanctuaire. C'était leur droit, ils en furent heureux et fiers.

Déposée sur un autel, auprès de la table de communion, l'image couronnée de Notre-Dame-de-Grâce y demeura tout le jour exposée à la vénération des fidèles. Oh ! jamais elle n'avait paru plus belle qu'en ce moment. Le nouveau diadème qui brille sur son front lui donne vraiment un air de reine, mais de reine au cœur plein de miséricorde et de tendresse pour ses enfants. Aussi tous se pressent autour d'elle, s'agenouillent à ses pieds, la prient avec une ferveur sans égale, et pleins d'amour et de respect, baisent tour à tour ses précieux vêtements. Des milliers de cierges brûlent à ses côtés, et sont comme le témoignage extérieur de ces hommages de foi, de confiance et d'amour. Devant de telles démonstrations, quels motifs d'espérance !

Il semble qu'un si grand jour devrait être rappelé, chaque année, par un anniversaire solennel. On essaya d'abord, mais on vit bientôt que la chose était impossible. En 1872, le P. Balmon, supérieur du Couvent, voulut célébrer solennellement, au mois de mai, la fête anniversaire du couronnement, et le sermon fut prêché par M. de Cabrières, vicaire général. On continua les deux années suivantes ; mais, on dut y renoncer ensuite, vu la difficulté, ou plutôt l'impossibilité de réunir assez de pèlerins et de prêtres ; soit à cause des occupations que donnent les vers à soie, à cette époque de l'année, soit surtout parce que la pluie ou le froid arrêtent trop souvent le concours de fidèles qui serait nécessaire pour une grande cérémonie.