NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Dévotion d'Anne d'Autriche à Notre-Dame

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.
XXII
 

Louis XIII occupait alors le trône, et son règne était prospère; mais son bonheur était empoisonné par la privation d'un héritier de la couronne. Son auguste épouse, Anne d'Autriche, souffrait de sa longue stérilité qui durait déjà depuis plus de vingt ans. Pour obtenir du Ciel l'enfant tant désiré, la pieuse reine pria beaucoup, fit des vœux, répandit d'abondantes aumônes dans lés monastères et parmi les pauvres ; de toute part elle demanda des prières.

En ce temps-là, nos rois étaient aimés de leurs sujets, comme les pères le sont de leurs enfants. Aussi, dans toutes les, provinces du royaume, au sein des familles comme dans les communautés religieuses, dans les chapelles, les églises et les pèlerinages, adressait-on à Dieu de ferventes et continuelles supplications pour la naissance d'un prince.

A la fin, ces prières et ces vœux furent exaucés. Le Dauphin naquit le 5 septembre 1638, et on le surnomma Dieudonné, à cause de sa naissance providentielle et presque miraculeuse. Ce fut Louis XIV.

Tout le monde attribua cette naissance à une protection spéciale de la Sainte Vierge. Anne d'Autriche et tous ceux qui priaient avec elle, avaient recours plu particulièrement à la Mère de Dieu: Le roi lui-même, apprenant, le 10 février 1638, que la reine était enceinte, s'était prosterné aussitôt, plein de reconnaissance, aux pieds de l'image de Marie, et lui avait consacré solennellement et sans réserve sa propre personne, sa famille, ses sujets et sa couronne. Il avait ordonné qu'une procession commémorative serait faite chaque année, à perpétuité, dans toutes les villes, bourgs et villages de ses états. On sait, du reste, que la Sainte Vierge apparut plusieurs fois à cette époque, à de saints personnages, et leur annonça d'avance la naissance du Dauphin que Dieu voulait donner à la France.

Or, à cet événement si important pour tout le pays, notre sanctuaire se glorifie d'avoir contribué pour une large part. Religieux et fidèles y multiplièrent les prières avant et après la naissance du prince. C'était spécialement à cette intention que, dés 1635; on avait distribué sur la montagne des milliers de prières, avec la gravure de Notre-Dame-de-Grâce ; le tirage de ces gravures et de ces prières avait usé jusqu'à cinq planches d'acier. En même temps, et surtout depuis l'arrivée des Bénédictins, on priait tous les jours publiquement dans la chapelle, pour obtenir la même grâce. La grâce obtenue, on en remercia Dieu et on en perpétua le souvenir par les oratoires qui furent élevés en l'honneur des Joies de la Sainte Vierge ; on les construisit, en effet, pour être des monuments publics et permanents de la grande part qu'avait eue notre sanctuaire à la naissance merveilleuse de Louis XIV. Tout cela est attesté dans une longue dédicace, adressée à la reine par les Pères de Notre-Dame.

Anne d'Autriche,pour témoigner sa piété et sa reconnaissance envers Notre-Dame de Rochefort, procura à notre sanctuaire une relique des plus précieuses. Sur sa demande, les Bénédictins de l'Abbaye royale de Saint-Corneille de Compiègne se déterminèrent, en 1647, à céder aux Pères de Rochefort une partie considérable du voile de la Sainte Vierge, dont ils étaient en possession. Cette précieuse relique, des mieux avérées de toutes celles du royaume, fut apportée par le visiteur de Toulouse, avec tous les actes authentiques.

Un tel don fut reçu à Notre-Dame avec toute la reconnaissance et les témoignages de respect qu'il méritait. Afin de pouvoir exposer plus dignement la sainte relique, on fit confectionner, en 1648, une châsse d'argent pesant 38 marcs. Trophime Agard, orfèvre d'Arles, à qui fut confié cet important travail, l'exécuta avec une telle habileté que les ornements l'emportèrent de beaucoup sur la matière. Elle fut terminée au mois de mars, 1649. Le tout coûta, y compris la main-d'œuvre, près de deux mille livres, ce qui ferait aujourd'hui une somme deux ou trois fois plus considérable.

Beaucoup de personnes s'empressèrent de fournir aux dépenses exigées par la confection de cette magnifique châsse. Les unes se dépouillèrent de leurs joyaux, d'autres permirent de prendre les objets d'or ou d'argent qu'elles avaient offerts à la chapelle. Plusieurs firent des présents considérables spécialement pour cet objet. On tira du trésor de la chapelle, et on employa à la châsse environ 160 anneaux, et autant de croix d'or émaillé ; un ciboire, une paire de burettes, deux tasses, une gondole, une douzaine d'yeux et de cœurs d'argent, des oreilles, des éperons, et autres petites argenteries.

Le voile de la Sainte Vierge, et la châsse qui le contenait, demeurèrent pendant 150 ans les plus beaux et les plus précieux ornements du sanctuaire. La sainte relique ne tarda pas à devenir l'objet d'un culte spécial de la part des pèlerins. Appliquée aux malades, elle opéra souvent ,sur eux des guérisons miraculeuses. En voici une, qui eut lieu en 1665, sur une fille nommée Jeanne Mathieu, âgée de 22 ans.

Cette jeune personne souffrait horriblement, depuis neuf mois, d'une fluxion à la tête. Malgré tous les remèdes, ce mal lui avait déjà fait perdre un œil, et menaçait de lui enlever encore l'autre. Ses parents, à la fin, firent un vœu pour aller à Notre-Dame, l'y conduisirent, et, s'étant tous confessés et communiés, prièrent le prêtre de mettre le voile de la Sainte Vierge sur la tête de leur fille.

Au moment oú la précieuse relique touchait la tête de la malade, celle-ci commença á voir distinctement, et en fort peu de temps elle fut parfaitement guérie.

La vénération dont la Reine-Mère était pénétrée pour la sainte montagne de Rochefort, dura toute la vie de cette princesse ; elle lui survécut même en quelque sorte. Car, avant de mourir, Anne d'Autriche se ressouvint de ce lieu célèbre, des miracles qui s'y opéraient, et surtout des grâces qu'elle en avait reçues elle-même. C'est pourquoi, en dictant son testament et ses dernières volontés à son fils, elle désigna spécialement notre sanctuaire, parmi ceux où elle désirait que l'on continuât á prier á perpétuité pour la famille royale et pour le repos de son âme. Louis XIV accomplit fidèlement les pieuses intentions de sa mère.

Sur l'ordre du monarque, Messire Étienne Jeannot, sieur de Bartillot, garde du trésor royal, vint en personne à Rochefort. Là, par acte notarié, du 23 mars 1667, il remit entre les mains des Pères gardiens de la chapelle la somme de 860 livres, pour fondation à perpétuité de six messes basses, que « Sa Majesté a voulu être dites et célébrées en ladite chapelle, pour le repos de l'âme de la feue dame reine, sa mère, avec un Libera et un De profundis, et l'oraison propre : Quæsumus, Domine, pro tua pietate... Enfin, dire chacune d'icelles savoir : une le vingtième de chacun mois de janvier, jour du décès de ladite feue dame reine, et les cinq autres, les lendemains des fêtes de la Purification, Annonciation, Assomption, Nativité et Conception de la Sainte Vierge. À quoi lesdits religieux promirent, pour eux et pour leurs successeurs en ladite administration satisfaire pleinement ; plus, enregistrer fidèlement ladite fondation, et même faire poser incessamment un marbre, ou une lame de cuivre, en un lieu éminent et visible, prés l'autel de ladite chapelle, faisant mention d'icelle fondation, afin qu'elle ne puisse être oubliée à l'avenir ».

Ces messes furent acquittées scrupuleusement, chaque année par les religieux de Notre-Dame, et la fondation ne cessa d'exister qu'en 93. Il n'en reste plus aujourd'hui que le souvenir, conservé précieusement par une inscription gravée, avec les armoiries de France, sur une table de marbre, attenante à un pilier de l'église, du côté de Saint-Joseph.


Voici la traduction de cette inscription latine :
À perpétuité : Le Très Chrétien Roi de France, Louis XIV, dans son affection toute filiale envers Anne d'Autriche, sa pieuse Mère, a fondé, pour le soulagement de l'auguste et feue Reine, six messes ci célébrer chaque année, en l'honneur du Roi des rois et de Notre-Dame de Grâce, dans ce Sanctuaire et sur cette sainte Montagne. L'an du Seigneur 1666.

Parvenue jusqu'à nous à travers les orages des révolutions, cette plaque de marbre atteste d'une part la haute piété de nos anciens monarques, et d'autre part la glorieuse et lointaine réputation dont notre vénéré sanctuaire jouissait dans toute la France, au XVIIe siècle.