NOTRE DAME DE ROCHEFORT
L'ermite Louis devenu prêtre
Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910


Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux dont l'auteur était partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église qu'il était. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable. G M

XIII

Tous regardaient le Frère ermite comme l'instrument principal dont la divine Providence avait voulu se servir pour accomplir de si grandes choses. Son zèle ardent, sa foi vive, sa vie active et laborieuse, Sa Sainteté enfin, justifiaient pleinement le sentiment universel. Pour lui, ignorant son propre mérite, il rapportait a Dieu seul et à Notre-Dame toute la gloire du succès obtenu. Ce saint homme se croyait d'ailleurs assez récompensé de ses efforts, par le bonheur qu'il goûtait en voyant la Bonne Mère de plus en plus connue et honorée.

Mais l'auguste Vierge voulut payer largement de retour le dévouement de son serviteur, en lui obtenant la plus grande des faveurs qu'il pût ambitionner. Frère Louis sentit naître dans son cœur le désir d'embrasser l'état ecclésiastique. La haute réputation de sainteté et de zèle, dont il jouissait, fit que tout le monde l'encouragea á exécuter ce grand dessein. On alla jusqu'à solliciter son admission auprès de l'autorité diocésaine qui n'hésita point à exaucer une pareille demande.

Dès le 22 décembre 1635, le bon Frère reçut la tonsure et les ordres mineurs. Il fut ordonné sous diacre le 17 mai suivant. Il avait eu besoin, dans cette dernière circonstance, du titre clérical requis par l'Église, pour assurer une honnête subsistance aux clercs, qui vont s'engager dans les ordres sacrés. La confrérie de Notre-Dame saisit alors l'occasion de témoigner sa reconnaissance au pieux ermite ; et, par un acte dressé le 20 avril de l'an de grâce 1636, elle se chargea de lui fournir les aliments et les vêtements nécessaires.

Avec dispense de temps accordée par le célèbre Mazarin, depuis cardinal, et alors vice-légat du pape à Avignon, Jean-Baptiste Louis reçut le diaconat et la prêtrise dans l'espace de trois jours, du 25 au 28 aout 1636. Il devait célébrer sa première messe le 8 septembre suivant, Nativité de Notre-Dame ; mais, la veille de cette fête, il tomba malade de la fièvre ; et la célébration de sa première messe fut différée jusqu'au 21 septembre, fête de l'apôtre saint Mathieu.

Cette touchante cérémonie fut annoncée d'avance, et il se fit un nombreux concours sur la montagne. Les fidèles s'estimèrent heureux d'y assister et de communier de la main du saint prêtre.

Le bon ermite, appelé dès lors par le peuple le Père Louis, continua d'être le gardien spécial de la sainte chapelle. Son zèle redoubla pour la gloire de Notre-Dame et pour le salut des âmes. Il déploya d'autant plus d'activité que le sublime ministère, dont il venait d'être revêtu, le mettait à même d'opérer désormais un plus grand bien.

Mais le Père Louis n'était pas toujours seul á desservir le sanctuaire et le pèlerinage. D'autres prêtres; quelquefois des religieux, venaient fréquemment résider avec lui. Deux ou trois suffisaient en temps ordinaire. Dans les moments de grand concours, plusieurs auxiliaires, religieux ou curés, se joignaient à eux.

Au reste, c'est un témoignage qu'il est juste de rendre au clergé séculier et régulier de la région : son empressement à se rendre de tous les environs sur le Mont Sacré, et à y prodiguer les secours spirituels aux pieux pèlerins, ne contribua pas peu à favoriser l'accroissement du pèlerinage.

L'autorité ecclésiastique, de son côté, applaudissait à la nouvelle œuvre. Aussi ne cessa-t-elle pas de l'appuyer et d'en procurer le développement, par tous les moyens possibles.

Les Souverains Pontifes, à cette époque, se montraient difficiles dans la concession des indulgences, à cause des déclamations récentes du protestantisme ; mais pour le sanctuaire de Rochefort, ils furent plutôt prodigues dans les faveurs accordées.

L'archevêque d'Avignon, Marius Philonardi, en usa de même. Dès le commencement, il s'empressa d'autoriser l'érection et la consécration du nouvel autel, et d'y attacher des indulgences. Et puis, d'après ses ordres, toutes les indulgences accordées par le pape étaient proclamées dans toutes les paroisses du diocèse. Ainsi, on lit expressément au bas de la bulle de 1636 : « Les présentes indulgences seront publiées par les curés et vicaires de notre diocèse, en leurs prônes, et affichées aux portes des églises. »

Ce prélat ayant été envoyé en Pologne, en qualité de Nonce apostolique, fut absent d'Avignon pendant près de dix ans. Mais les vicaires généraux, á son exemple, déployèrent le plus grand zèle pour faire prospérer le sanctuaire de Rochefort ; et plus d'une fois, ces hauts dignitaires vinrent en personne, á la grande édification des fidèles, prier aux pieds de Notre-Dame.

Le bon et saint ermite Jean-Baptiste Louis exerça son fructueux ministère jusqu'à l'arrivée des Bénédictins ; mais que devint-il, lorsque ces religieux eurent repris possession du sanctuaire ? Continua-t-il à habiter sur le rocher, ou se retira-t-il dans quelque autre endroit désert, pour y mener la vie érémitique, selon le vœu qu'il en avait fait autrefois en Italie ?
L'histoire ne nous apprend presque rien à ce sujet.

On sait seulement que l'humble religieux vécut encore plusieurs années, portant toujours le nom et l'habit du Tiers-Ordre de Saint-François. Il paraît qu'il fit profession dans cet ordre, vers 1640. Le 28 novembre de cette année, les Bénédictins de Notre-Dame s'engagèrent à lui faire gratuitement tous les ans une pension de seize écus, comme un dédommagement et une récompense bien mérités pour ses importants services. Mais, en 1650, le Père Louis déchargea la communauté de cette pension, moyennant la somme de vingt écus une fois et présentement payables.

Et dès lors, le saint homme n'attendit plus qu'une autre récompense plus riche et plus digne de ses désirs, celle qu'il devait recevoir dans le ciel, de la main de Dieu et de la Reine des anges.